[Décembre 552] On attire les mouches avec de l'or et du rhum ! (Solo)

Une fois dans ma chambre habituelle, réservée sous un nom fallacieux, je m'abandonnais au délice d'une baignoire qui ne demandait qu'à se remplir d'eau chaude.
Dans mon plus simple appareil, j'attendis qu'un jeune homme timide ne vienne faire son office, pour me fournir un bain digne de ce nom. Alors que le bougre, rouge comme une pivoine, remplissait peu à peu le contenant, je le dévisageais sans gêne.

Tu as bien grandi depuis ma dernière visite, Matteus. Quel gaillard... Les affaires vont comme tu veux ?

Oui, monsieur... Je voyage beaucoup grâce à votre générosité.

Bah, il est bien normal d'aider ton patron. C'est un homme bien, et qui ne mérite pas d'être ennuyer par les taxes et les impôts. Un peu d'aide de ma part lui évite juste ces désagréments. Où t'a-t-il envoyé dernièrement ?

Un petit village du nom de Rodorio, monsieur. Pour y faire du commerce de plantes, de vin et d'huile.

Oh, je vois ! Tu m'étonnes que Nikolas fasse fortune. Il mise sur les bons chevaux... Et à ce propos, as-tu recroisé cet homme intimidant, adepte de plantes exotiques ?

Le gamin se retourna vers moi et lâcha un sourire, malgré lui. Une sorte de rictus de satisfaction juvénile.

Oui ! Et il m'a donné une somme rondelette pour lui obtenir de la sauge, des plants de ciguë fermentée, du cèdre séché et de la belladone du croisant d'or. Et aussi du mercure.

Un saint adepte du soin comme du poison. Cet imbécile avait le tort de s'adresser systématiquement aux mêmes marchands, et avait ses petites habitudes à Athènes. Pour avoir mener ma petite enquête et filature, j'avais fini par apprendre qu'il s'agissait du chevalier d'or du Verseau, et je devinais que ce dernier devait s'adonner à l'herboristerie certes, mais aussi à l'alchimie.
Une oreille dans les maisons closes de luxe, une autre à l'écoute des marins et soldats, et une dernière auprès des marchands.... Ma toile était enfin tendue dans ce recoin de la Grèce. Tout sourire, je bondis pour me saisir de ma bourse, posée non loin. Et à la grande joie du gamin, je le remerciais d'une pierre d'or. Il avait bien travaillé, malgré lui.

Une heure à profiter des délices de l'eau chaude sur mon corps fourbu.
L'escale serait brève, mais je tenais à joindre l'utile à l'agréable. Alimenter mon réseau local, me tenir informé des dernières nouvelles et ragots... Et profiter ! Un bon repas, une bouteille digne de ce nom et un bain. Que demander de plus ?
Cette période n'était qu'un prélude à une nouvelle ère à problèmes, c'était évident. Que n'aurais-je donné pour pouvoir en discuter avec ma belle capitaine ?
Rien que de penser à elle suffisait à noircir mon humeur. Et mes pensées vagabondèrent jusqu'au souvenir de mon entrevue avec son amant, Childéric du Lion. Etait-il encore en vie ? Probable.
Même vaincu par le deuil, je voyais mal un tel guerrier succomber à la guerre, aussi aisément. Mais m'enquérir de sa santé pouvait être un élément intéressant. Avoir quelques entrées au Sanctuaire... Une stratégie assurément payante le moment venu.
Des cris venus du rez-de-chaussée me tirèrent de mon état de relaxation. Quelque chose n'allait pas.
Agacé par ce désagrément, je sortis de l'eau, enfilais uniquement mes braies et mon tricorne, saisis ma rapière avant de sortir pour descendre l'escalier d'un pas tranquille.
Et la situation ne fut pas bien difficile à analyser.
Ils étaient trois. Pouilleux, alcoolisés, violents. Moches comme des poux, aussi. L'un d'entre eux menaçait Nikolas d'un long poignard, pendant que ses deux acolytes tournaient dangereusement autour de Belladone. A cette heure tardive, aucun autre client ne pouvait leur venir en aide. Et je sentis une colère froide monter à la vue du corps étendu de Matteus, inconscient.

Pardonnez-moi, mais... Vous m'avez mis de mauvaise humeur.

Elle veut quoi la demi-portion ?!

Vexé par ce descriptif fort peu à propos, je posais le pied sur les planches de bois qui formaient un parquet pas trop sale, et adressais un sourire glaçant aux trois bouseux.
Ne pas faire usage du cosmos devant des non-éveillés était une règle d'or, et je ne comptais pas y faire exception... Une bonne vieille bagarre, quel bonheur ! J'avais clairement besoin de virer ma frustration, et c'est trois boulets tombaient à pic.

Sans attendre davantage, après avoir savouré la supplique dans les regards des victimes heureuses de me voir, je bondis sur une table pour ficher un bon coup de pied dans la sale bobine du premier bandit venu.
Saisi par ma rapidité, ce dernier tomba au sol, mains crispées sur sa face de porc en sang.
Celui qui menaçait la vie de Nikolas délaissa sa proie, pour se ruer vers moi, couteau en avant.
Je déployais alors ma rapière pour repousser sa lame rouillée. Ce pauvre sot ne disposait d'aucune compétence particulière en escrime, et il me fallu à peine deux moulinets pour le désarmer. Je m'amusais alors à le piquer à maints endroits, me délectant de ses petits cris outragés.
Le dernier bonhomme en profita pour se ruer vers moi, et m'obligea à entamer une roulade, manière d'esquiver sa charge maladroite.
Belladonne en profita pour saisir une chaise et le frapper derrière la nuque, l'assommant pour le compte.
Je retournais aussitôt mon attention sur le dernier gaillard, qui tentait de prendre la poudre d'escampette. Je bondis à sa suite, et lui fauchais les jambes avec les miennes, dans un magnifique placage. Un bond, et je fus sur mes appuis, prêt à reprendre notre joute inégale.

Mais qui es-tu connard ?!

Capitaine Endyion, de la Rose Sanglante... Pour te desservir...

A l'énoncé de mon nom, le bandit mit quelques instants à fouiller dans sa mémoire. Et mon sourire s’élargit en voyant son visage se décomposer. Eh oui, menacer un pirate à la réputation sulfureuse n'était pas une si bonne idée.
Le bougre commença à balbutier d'une manière pathétique, mais cela ne m’empêcha pas de lui bondir dessus pour l'assumer d'une bonne manchette.

Je vous laisse contacter les gardes. Comment va le petit ?

C'est bon, il a juste pris un mauvais coup.

Voyons la serveuse déjà occupée à tenter de le réveiller de son inconscience, je m'assis à la première table intacte pour attendre un remontant offert par la maison.

Encore hébété mais infiniment reconnaissant, Nikolas se hâta de me porter un bon verre d'hydromel, avant de me poser une main amicale sur l'épaule. Ceci fait, il retourna vers le pauvre gamin assommé, qui commençait à battre des cils. Il s'en remettrait.

Bon... Qui étaient ces ruffians ?

Des hommes payés par Castor, un riche marchand qui cherche à racheter tous les établissements de cette rue, pour en faire des bordels et des lieux de débauche. Ce n'est pas sa première tentative d'intimidation...

Je l'aime déjà ! J'ai bien envie d'aller lui rendre une petite visite.

Devant l'air mi réjoui mi effrayé du brave tavernier, j'éclatais d'un rire narquois. Mais au moins, c'était l'occasion de tuer le mal à la racine, et de faire comprendre que quiconque s'en prendrait à mes petits protégés devrait en payer le prix fort.
Une heure plus tard, je déambulais à travers les ruelles glauques et sordides, me faisant héler par des poissonniers, marchands de fruits et autres vendeurs de breloques. Je saluais chacun de mon sourire le plus charmeur, et d'un mouvement de mon tricorne. Ma réputation n'était plus à faire ici. J'arrivais donc sans encombres devant un vaste établissement, devant lequel un trio de damoiselles attendait le naïf.

Bien le bonjour, gentes dames... Je cherche un dénommé Nestor, et il semblerait que ce commerce lui appartienne.

Les catins échangèrent un regard entendu, avant que la plus âgée d'entre elles ne s'avance d'un pas.

Désolé mon mignon, mais le propriétaire ne reçoit que sur rendez-vous. Tu peux toujours compenser ta peine avec nous trois.

Dites-lui que le capitaine Endymion, de la rose sanglante, souhaite lui parler d'une affaire urgente.

Malgré mon sourire avenant, mon aura sourdait d'une menace palpable. Dans mon regard, je laissais le dragon apparaître brièvement. Allais-je devoir le lâcher ? Espérons que non.

Devant mon attitude ferme et légèrement inquiétante, les damoiselles de petite vertu échangèrent un regard entendu. Aussitôt, l'une d'entre elles fila à l'intérieur du bouge, alors que ses comparses continuaient à me barrer la route de leurs agréables silhouettes.
Mon rictus fit écho aux leurs, et nous restâmes quelques instants tendus, à nous observer en chien de faïence.

Alors, "capitaine" ? Que voulez-vous donc au patron ?

Lui parler affaire, bien évidement.

Votre réputation vous précède... La Rose Sanglante n'est-il pas un navire pirate ?

Comme vous y allez... Moi et mon équipage arpentons les mers en quête de trésors, et nous proposons parfois une protection bienveillante aux commerçants qui croisent notre route sur les flots.

Devant ma mine affectée, les deux courtisanes éclatèrent d'un rire communicatif. Point nommé pour accueillir quatre brutes qui se dirigèrent vers moi. Je notais d'un coup d'oeil que les molosses avaient eu la sagesse de conserver leurs armes au fourreau. Ainsi donc, Nestor semblait, lui aussi, avoir entendu parler de moi.
Sur un signe de leur part, je leur emboîtais le pas à l'intérieur de la maison close. Tranquille de façade, je laissais mon instinct prendre le pas sur toute autre considération, au cas où le maître des lieux me tende un piège. Mais ses sbires se contentèrent de me mener devant un grand escalier, avant de m'inviter à le gravir pour trouver le bureau de Nestor. Sur un dernier regard ravi aux clients et aux catins, je m'exécutais, fin prêt à mener d'âpres négociations.
Avec un peu de chance, si tout se passait bien, je pourrais profiter des charmes des damoiselles, une fois un accord trouvé avec Nestor... Si seulement.

Une fois parvenu à l'étage, une jeune femme à la peau olivâtre m'invita à entrer dans un bureau faussement somptueux.
Un tapis ocre élimé, quelques tapisseries trop voyantes et un ameublement sommaire mettaient en avant la silhouette fine d'un homme charmant et charmeur, pas plus vieux que moi.

Nestor, je suppose ?

Capitaine Endymion... C'est un plaisir de vous voir visiter mon humble établissement. J'ai entendu dire que vous aviez mis une sacré raclée à mes employés.

J'espère ne pas avoir à en faire autant avec leur patron.

Devant ma mine affable et détendue, le marchand éclata d'un rire communicatif. Ma menace n'était pas passée inaperçue, néanmoins.

Ainsi, j'ai cru comprendre que vous souhaitiez acheter l'ensemble des établissements du quartier, en usant de techniques commerciales.... convaincantes. En temps normal, j'aurais probablement investi dans votre petite affaire, mais votre projet met à mal mes intérêts.

Nestor m'observa longuement, main sur le menton. Et lorsqu'il reprit la parole, je devinais que l'accord était proche.

Je pourrais dépenser des sommes folles pour embaucher des mercenaires contre vous, mais... Je n'ai aucune envie de me mettre à dos un capitaine pirate. Le commerce en pâtirait. Je vous propose donc d'abandonner mon projet de rachat de la taverne de vos amis, en échange d'une participation à mon propre fond de commerce de votre part.

Un sourire carnassier se dessina aussitôt sur mes lèvres.

L'or doit bien être dépensé... Mais si vous revenez sur votre parole, je suis intraitable. Un esclave aussi beau que vous ferait fureur sur certains marchés orientaux.

Sur cet ultime avertissement, Nestor se leva pour venir me serrer la main. Nos doigts se joignirent, et une lueur commune passa dans nos yeux aguerris.

Accepteriez-vous un premier acompte en nature ?...

...

Une heure plus tard, je sortis du bureau en réajustant ma ceinture. Une bonne affaire de conclue ! Il ne restait désormais plus qu'à fêter mon investissement.

Fin du RP