[MD 08] Que sonne les cloches des Saints-Apôtres [feat Kilian]

Constantinople, sœur de la glorieuse Rome, se dessine peu à peu. Première étape de notre voyage, j’ai pressé le pas, mue par un sentiment d’urgence. Arrivés peu après l’aube, j’intime mon compagnon de voyage à mettre pied à terre. Cette première distance parcourue, nous nous sommes drapés tous les deux dans un drôle de mutisme que je n’explique pas vraiment. Peut-être parce que cela fait bien longtemps que je n’ai pas quitté les murs du Sanctuaire. Peut-être parce que cette escale éveille des sentiments terribles chez moi.

Ma gorge se serre. Ce n’est pas la première fois que j’arpente ces terres. Or, aujourd’hui, elles revêtent une importance particulière. C’est là-bas que nous avons confié Jack aux bons soins de la sœur de Silas. Le savoir plus proche que jamais enflamme mon cœur de mère. Il gronde, implacable, me hurle de me risquer à un autre pas dangereux. Les périls seraient bien trop grands. Je ne peux pas m’empêcher de songer à lui, à Childéric. À ce « nous » qui n’existe pas. Jamais. Et la douleur est si forte, en cet instant, qu’elle m’enferme dans une prison intérieure.

Je trompe mon mal-être en tournant mon attention sur cette étape de notre mission. Constantinople pourrait s’avérer être une source non négligeable d’informations. Childéric m’a appris l’organisation des Saints dans la cité, qui aller voir, où fouiner pour entendre les doux murmures des rumeurs contées par des bouches parfois artistes, parfois cyniques, parfois menteuses. Ce sera à nous de tirer nos propres conclusions, de démêler le vrai du faux.
Je me félicite de m’être informée auprès du Grand Pope et de m’être intéressée à la politique. Une habitude de famille pour mieux s’en prémunir ? Je peux dire ça. Cette pensée à au moins le mérite de me faire sourire et me détendre un peu.

Par excès de prudence, je cache nos armures d’or et invite Kilian à m’imiter en couvrant nos têtes d’un capuchon.

« Avant que nous nous rendions auprès des Silver Saints j’ai un endroit que je voudrais bien visiter, avant. »

Pouvoir communiquer de cette façon facilite nos échanges. Cela offre davantage de discrétion, quand bien même je préfère ne pas trop m’avancer. Je prends le temps d’expliquer à mon frère :

« Nous allons nous rendre à l’ouest, à l’église des Saints-Apôtres. Notre Grand Pope souhaite que nous profitions que nous soyons ici pour jeter un œil, voir que tout va bien. Si tu n’y vois pas d’inconvénients ? »

Il n’y a aucun rapport avec notre affaire, mais… comme nous sommes là ! Je confie nos chevaux à des mains compétentes et prends la direction de la quatrième colline.

« Laisse tes oreilles traîner, sait-on jamais. »

Se fondre parmi la foule a le mérite de charrier les nouvelles et les secrets. Et je ne doute pas que la belle Constantinople est pleine de trésors. Attentive, j’emprunte les rues les plus fréquentées, m’arrête de temps à autre pour faire l’aumône et confier une pièce à des enfants, des pauvres hères, distribuer quelques baumes de ma composition aux malades. J’écoute ce qu’ils veulent bien m’apprendre de leur quotidien, de leurs doutes, de leurs histoires. Ils en ont beaucoup. Puis, enfin arrivés sur le seuil de l’église en question, je marque un temps d’arrêt.

« Bien, allons-y. »

Et j’entre dans l’édifice religieux.

On ne peut pas aller indéfiniment contre sa nature profonde. Qu’importe le masque, le rôle joué. Celle que je décide d’être, d’apparaître au monde n’appartient qu’à moi. Quelle idée folle alors que les réflexes d’une vie passée reviennent. Childéric en serait amusé. Car de la solitaire apeurée par le pouvoir de son poison, j’ai accepté d’être ce que je suis vraiment. Et de tendre la main.
Revenir celle qui montre les crocs, éloigne les âmes me fait du mal. Une solution de facilité pour que les mensonges puissent grandir en toute impunité. Mais ne prendre jamais aucun risque affecte mon cœur de la plus horrible des façons. Je le comprends, tandis que Kilian me glisse cette pique bien sentie. Elle ne manque pas de me faire sourire.

Je l’ai bousculé, par jeu. « Si tu répètes ce que tu as vu à d’autres, je ferai de ta vie un enfer ! »

Le ton de ma « voix » est bien plus chantant qu’elle ne l’a été lors de notre « première » rencontre. Face à l’édifice religieux, Kilian a pour moi un geste que je ne cherche pas à fuir. Car, très vite, je sais qu’il a raison. Tout va bien se passer. Parce qu’une énergie, ne tarde pas à nous envelopper tous les deux. Je sens le poids contre mes épaules s’envoler. Pousse un long soupir d’aise. La Déesse est là, nous accueille avec chaleur. Athéna. La savoir si proche de mon enfant efface les errements de mon âme. Je plonge alors dans un état de béatitude que je n’ai pas connu depuis bien longtemps, sauf quand l’ancien Lion et moi nous nous risquons à nous voir, à la faveur d’une nuit, au cœur de son temple.
Je suis tentée de resserrer mon Lien avec lui, lui transmettre un peu de ma tranquillité d’âme. Mais la peur de le faire souffrir en entraînant mon rêveur ici m’en empêche. Mes prunelles se rouvrent.

« Nous pouvons nous en aller, Elle ne semble pas avoir besoin de nous. »

Par la voie de l’esprit, je me signe devant Athéna, la remercie pour ses bienfaits, ne manque pas de lui apprendre que nous sommes missionnés pour nous rendre à Jamir et enquêter sur le silence de sa Gardienne.

« As-tu déjà eu l’occasion de la rencontrer en personne ? » dis-je par curiosité à Kilian lorsque nous sommes dehors.

Je dirige nos pas vers la muraille de Constantin. Bifurquant au sud, je désigne du doigt la forteresse des Sept Tours. C’est là-bas que nous trouverons les chevaliers d’Argent en charge de garder la cité. En chemin nous rencontrons une troupe de la Garde Scholai qui est là pour sécuriser la forteresse. Je la salue d’une simple inclinaison de la tête.

« Je ne sais pas si tu as eu l’occasion de rencontrer le Capitaine de la Forteresse. Il se nomme Théophilus. Dans mon souvenir c’est un homme très droit et religieux, nous pourrons aisément lui demander conseil. »

Nous nous présentons et je demande une audience avec lui. Une fois devant lui, je ne perds pas de temps pour transmettre mes questions à Kilian, à défaut de prendre le risque de froisser le Capitaine.

« Demande-lui les dernières nouvelles, les rumeurs qui circulent et s’il aurait des pistes pour nous, concernant notre quête à Jamir. Peut-être possède-t-il d’anciens rapports avec la Gardienne disparue ? »

À la question qu’il m’a posée, j’ai pris le temps de lui répondre, levant mon visage masqué vers le ciel tandis que nous nous engagions vers la Forteresse. Le ciel, sans nuages, est le reflet de mon humeur. J’ai esquissé un sourire qu’il a pu détailler dans mes prunelles pers.

« Oui, j’ai eu la chance de la voir quelques fois. Elle m’a beaucoup aidé et je ne saurais comment la remercier... si ce n’est en lui étant totalement dévouée. »

Bien que je me sois détournée d’elle pour l’Océan, que j’ai eu l’affront de tirer mon arme au clair au sein de son Sanctuaire, portant avec moi un morceau de l’âme de Lucius des Poissons, elle m’a toujours soutenue. Toujours. Même lorsque je me suis présentée à elle, jeune mère, désespérée, à la recherche d’un soutien. De son approbation, lorsque nous avions confié, moi et mon Rêveur, notre Lien et le fruit qu’il a engendré.
Il est donc normal que j’aie accepté toutes ses contreparties. Dont l’une d’elles se trouve quelque part, à l’abri du danger, dans les ombres des secrets que son père et moi, nous portons, silencieusement. Ce fardeau est nécessaire. Mais je remarque une ombre se glisser chez Kilian et je m’interroge. Je finis par lui dire :

« Tu la rencontreras un jour, toi aussi, sois-en certain. Elle aime ses chevaliers, tous, sans exception. »

Telle une Mère bienveillante. Devant le Capitaine, je m’efface quelque peu pour laisser mon frère s’exprimer. Très vite, nous sommes tous les deux douchés par cette vérité : nous n’avons rien appris. Quelque peu déçue, je retiens un soupir et salue le Silver Saint d’un signe de tête. Je quitte la pièce sans autres préambules et reviens sur mes pas, à l’entrée de la cité.

« Bien, ne perdons pas plus de temps ici. »

Je laisse entrevoir mon irritation. Au moins ai-je eu la chance d’être apaisée par la Déesse et confortée dans mes choix concernant Jack. Mon empressement est tout de même flagrant : je ne désire pas demeurer ici plus longtemps.
De nouveau en selle, je talonne ma monture, direction Jamir.

=> Jamir