[Janvier 553] Ultime héritage

Il y avait toujours ces ténèbres insondables au-dehors. Les choses en fin de compte avaient pris peu de temps. Une douzaine de jours, puis une simple nuit. Des souvenirs, des illusions. Le réveil en furie d'un berserker-serpent sous l'impulsion d'un cosmos bien trop ancien pour ses épaules. Un cœur qui bat à exploser, un duel déloyal, un cosmos dans la pénombre. Et enfin, plus aucune douleur. Un élan brisé aussi sûrement que la moelle épinières, et pourtant la satisfaction d'avoir planté la dague sacrificielle dans ce corps... divin ? Monstrueux ? Humain ? Un petit miracle, à sa mesure probablement.

Débarrassé du poids de son corps, il se sentit infiniment léger. Rapide. Etait-ce encore une bénédiction de Jörmungandr et Gamma ou le simple fait d'être mort ? Quoi qu'il en fût, il sut qu'il lui restait un peu de temps. Juste une poignée de minutes pour délivrer un dernier message, une dernière volonté, terminer sa mission. Un sourire étira son spectre tandis qu'il adressait un dernier adieu à ce Serpent-Monde qui l'avait accompagné plus de la moitié de sa vie, à la suite de Lala.

Où irait-il ensuite ? Odin serait-il assez bon pour lui envoyer une valkyrie ? Finirait-il dans les Enfers Grecs ? Ou quelque part dans un entre-deux pour ceux comme lui qui n'avaient pas été suffisamment pieux et avaient trahi leur panthéon d'origine, en quelque sorte ? Allez savoir.

Une "inspiration" et il changea d'endroit. Pas de côte à longer, d'arche à traverser, il traversa directement l'océan, doit sur la cité engloutie, d'une simple pensée. Devant le trône du Légat, il se rappela qu'il devait être extrêmement tard, que les vivants dormaient en très grande majorité à cette heure. Il se guida au cosmos. Étonnamment, dans cet état qui était le sien, il pouvait sentir même les énergies au repos. Il courut, et ses pas ne produisirent aucun bruit. Il arriva devant la porte et tendit la main pour l'ouvrir directement. Non seulement les gardes ne le voyaient pas, mais il traversa la matière sans effort. S'il avait besoin de la preuve de sa mort, c'en était une de plus.

Il découvrit alors Orphéus, seul, endormi. Un instant il hésita. Oui, il fallait l'informer à propos de Surt, du danger en Asgard, mais il annonçait aussi la perte d'une écaille. Pour lui cela ne changeait plus rien, mais pour les Marinas...

Orphéus. Par-delà le sommeil, il faut que tu m'entendes... Je n'ai pas beaucoup de temps...

Sa voix sonnait étrangement à ses oreilles : désincarnée, impersonnelle. Toujours très grave comme son timbre d'origine, mais aussi lointaine.

Pouvoir dormir faisait parti du rare luxe que possédait encore Orphéus, en dehors des obligations qui étaient les siennes. Car pendant son sommeil, son esprit était libre. Plus de contraintes. Que le doux repos, mérité d'ailleurs, après avoir effectué son travail durant la journée. Ces derniers temps, il avait été dans l'obligation de prendre certaines décisions qui impactaient grandement ses armées. Des espions envoyés sur des zones dangereuses, la gestion des conflits entre les Généraux, l'attente des délégations étrangères pour savoir où et comment se positionner. Autant dire des choses qui n'étaient clairement pas sans conséquence pour le monde Atlante.

S'il dormait peu, ce n'était d'ailleurs pas sans raison. Il se couchait généralement tard, après avoir lu les derniers rapports de la journée - qui étaient souvent assez nombreux car il souhaitait tout savoir sur ce qui se déroulait au sein de sa faction - et se réveillait assez tôt, afin de commencer la journée par ce qu'il préférait : un entraînement matinal en solitaire, afin de perfectionner ses dons et de faire en sorte que personne ne puisse le déranger pendant ces exercices particuliers. Seule Aurora était autorisée à le suivre ici. Aurora et une autre personne mais qui restait encore dans l'ombre, la plupart du temps.

Mais cette nuit là, son sommeil n'était pas parfait. De mauvais songes, une impression étrange. Il ne passait clairement pas une bonne nuit. Et plongé dans un sommeil peu profond, il entendit l'appel. Là où d'autre aurait sursauté par réflexe, cherchant la cause de l'appel, ou tout du moins son origine, Orphéus fit autrement lui. Il projeta sa conscience immédiatement dans la pièce. Ainsi, tandis que le corps passait du sommeil à la méditation, le corps astral du Légat apparut à côté du lit. Habillé comme il en avait l'habitude. Le bracelet d'Orichalque luisant étrangement dans la pénombre. Il perçut la silhouette d'Alvis. Il était véritablement surprit, ce qui était suffisamment rare pour être relevé. Mais il n'y avait aucun doute, c'était lui. Sans être lui non plus. Une dissonance dans la partition. Un chant funèbre se dégageait de son corps.

- Que... Alvis ? Mais que fais-tu ici ? Et quelle est cette forme ?

A ses côtés le corps du Légat reposait toujours, plongé dans un sommeil étrange.

Citation :

Pour le rp, la personne qui apparaît est sous "Rêve"

Les premières paroles dissipèrent les interrogations du Légat. Sous forme astrale, il ressentait les mêmes émotions que sous sa véritable forme, sauf qu'il pouvait mieux les cacher encore. Etait-ce de la tristesse qu'il ressentait ? En un sens, sans doute un peu. L'homme était mort au combat, au cours d'une mission officiellement donnée par le Légat. Toutefois, il ne se sentait pas responsable de son décès. Chaque guerrier qui partait au combat risquait la mort et il ne pouvait faire peser sur son âme la responsabilité de chaque disparition.

Il écoutait. Attentivement. Lorsqu'il parla de l'écaille, Orphéus se concentra un bref instant. Rien. L'armure n'était pas revenue entre les murs protecteurs d'Atlantis, ce qui en soit constituait une très mauvaise nouvelle. La mort d'Alvis. L'absence de son écaille qu'il faudrait retrouver coûte que coûte. Et les nouvelles s'enchaînaient. L'Arche certainement protégée : il s'en doutait. Ainsi avait-il été repéré rapidement. Ils étaient donc à ce point vigilant pour que même un enfant du pays ne puisse parvenir à les semer ou à passer inaperçu sur ses propres terres ? En tout cas, cela avait le mérite de valider une chose : ils allaient devoir se montrer autrement plus prudent avec les terres d'Asgard.

Surt ? Pour s'être renseigné sur les anciennes légendes, il connaissait ce nom. Etait-ce un canulars de leur part pour troubler plus encore Alvis ou bien était-ce vraiment ce nom qu'il avait entendu... Car de ce qu'il entendait, un véritable maître des illusions s'était joué de lui. Quant à son serpent-monde, il apparaissait évident qu'il retrouverait son véritable corps désormais. Ce qui laissait pas mal de questions en suspens. Et sans doute trop peu de temps pour bien analyser la question.

- Sache que je suis navré pour toi, Alvis. Mon seul réconfort étant que tu n'es pas mort en vain, au regard des informations que tu me rapportes ici. Pour ce qui est du Léviathan, je ne perçois pas sa présence et je dois dire que cela m'inquiète. Je verrais comment régler cela. Tu as parlé du Serpent Monde. Tu as aussi dit que tu avais été repéré dès que tu étais entré sur leur territoire...

Un étrange lien se formait dans l'esprit du Borgne. Et si... Et s'il avait été trahi par la créature en qui il avait placé sa confiance.

- Penses-tu que celui qui était en toi soit la cause de ta capture et de ta mise à mort ? Si tel est le cas, cela signifie qu'ils avaient un oeil sur nous depuis ton arrivée à Atlantis. Selon toi, qui aurait la main mise sur Asgard ? Toujours cet homme, Asher, dont tu m'avais parlé, ou serait-ce pour toi quelqu'un de plus puissant encore ? Peux-tu m'en dire plus sur cette illusion qui t'a prit une fois au large d'Hispanie ?

Il avait conscience de lui poser pas mal de questions. Mais il était persuadé d'une chose : le temps leur était compté. Il prenait acte en tout cas que les habitants de ces contrées vivaient bien. La fermeture de ces frontières avait eu un effet bénéfique pour eux. Mais à quelle fin...

Alvis se sentit rassuré en un sens que le Légat posât des questions, montrât quelques signes d'urgence. Cela signifiait que son dernier geste, comme il l'avait souhaité, serait utile à quelqu'un, peut-être à tous. Il croisa ses bras fantomatiques et constata qu'ils étaient en train de "s'évaporer" comme des braises rongées par les flammes. Le phénomène semblait plutôt lent, mais ne contribuait pas à détendre l'atmosphère.

Il a été franc concernant ma mort : oui, il y a aidé. Même si cela n'excuse rien, je pense qu'il le regrette et qu'il aurait voulu faire autrement, mais ma mort est probablement le moyen le plus rapide pour lui de récupérer le fragment que je possédais. Il n'a pas pu me dire le ou les noms des autres personnes. Si Asher en fait partie... il est bien possible qu'il ait envoyé ses mercenaires pour me forcer à fuir, mais que le fait que Jör m'ait mené à Atlantis n'était pas un hasard. Il est aussi possible que Loki soit de la partie, Jör est son fils, et pendant Ragnarök, Surt son allié de circonstances. Mais je n'ai aucune preuve de cela. Je sais juste que la personne qui m'a brisé possédait un cosmos largement égal à celui d'une divinité.

Un instant, le jeune homme voulut soupirer, mais sa volonté s'effrita un peu plus. Toute idée de rancune ou de tristesse n'existait plus, et il n'éprouvait même plus de culpabilité à avoir été potentiellement un espion au cœur d'Atlantis.

Je ne sais pas produire d'illusions, mais dans cet état je peux peut-être essayer un souvenir.

Le spectre s'avança vers l'Orphéus endormi, posa une main sans consistance sur son front et rappela à sa mémoire les images qu'il avait vues, tout en décrivant au mieux la vision qui l'avait effrayé des jours durant :

C'était à peu près vers le détroit. Je nageais le long de la côté en eaux profondes pour rejoindre la Méditerranée. Le ciel a changé de couleur, comme s'il pourrissait. L'eau est devenue poisseuse, visqueuse, elle n'était plus de sel mais de sang. Sur le rivage, des os, partout, échoués, empilés. J'ai essayé de me débattre, mais le courant m'a entraîné, et j'ai senti quelque chose de vraiment mauvais autour de moi. Comme si les mâchoires d'un monstre marin pouvaient me gober dans l’instant. La pluie a gelé, grêlé, rendant le trajet difficile, j'ai coulé pendant un temps, tout était rouge tout autour. Et finalement j'ai pu revenir à la surface, et la tempête avait les bonnes couleurs, la bonne consistance. Seulement cette vision, pendant quelques minutes, si loin pourtant d'Asgard. Je n'avais croisé aucun marin étranger, aucun marchand, je ne me suis pas arrêté dans les ports : je venais tout juste de quitter Atlantis.

Ainsi selon Alvis, il y avait de fortes chances que Loki en personne soit derrière tout ceci ? Cela se tenait, après tout le dieu nordique était réputé pour ses ruses et ses coups fourrés. Et dire qu'ils avaient déjà fort à faire avec les trois autres, sil maintenant il devait garder un oeil sur les territoires du Nord, il se retrouverait vite avec de plus gros problèmes encore.

Le corps du Léviathan s'étiolait peu à peu. Preuve qu'il n'en avait clairement plus pour très longtemps. Orphéus ne put s'empêcher d'éprouver une certaine forme de respect pour cet homme qui se donnait tant de mal. La vie à Atlantis n'avait pas été facile pour lui, même s'il en était le responsable, et pourtant il lançait ses dernières forces ici, afin de prévenir Atlantis du danger qu'elle encourrait.

- Même si tu n'es pas sûr, cela reste une piste à creuser et je veillerai à garder cela à l'esprit lors de mes prochaines décisions à l'égard du Nord. S'il s'agit bien de Loki, alors c'est plus grave que ce que je pensais.

Alvis tentait alors une maneouvre. Essayer de transférer les images qu'il avait perçu directement dans l'esprit du Légat. Possible ou non, il essayait. Et le borgne laissa faire, ouvrant ses barrières mentales afin d'accueillir les souvenirs de ce fantôme qui disparaissait peu à peu, prenant également en compte les propos qu'il tenait. Les descriptions, les sentiments. Si ce qu'il disait était vrai, cela signifiait que la mission était pratiquement vouée à l'échec depuis le commencement. Mais de cela, il ne pouvait y croire. D'ailleurs, au moment de ces premières illusions ou sentiments étranges, il se trouvait encore éloigné du territoire Asgardiens. Ne serait-ce pas alors un autre ennemi qu'il avait perçu ?

L'eau se changeant en sang. Des os sur le rivage. Le ciel qui semblait comme pourrir. Le courant qui s'était renforcé pour tenter de le couler, de le tuer. Autant de présages qui avaient été ignorés. Mentalement, Orphéus notait ces points. Il irait se renseigner concernant ces illusions qu'avaient perçues Alvis afin de voir s'il y avait quelque chose de notable dans les registres ou les notes du passé. Les Atlantes consignaient tout.

- Ce que tu me dis me laisse à croire que ces premières visions ne sont pas liées à Asgard mais à un autre ennemi. Tu aurais donc été pris en chasse rapidement. Nous sommes observés. Et ils ont voulu profiter du fait que tu sois seul pour t'atteindre. Nous avons quelques ennemis qui seraient capables de faire cela. Qui nous surveillent sans doute. Les Muiens ? Les Sorcières de Medb ?

Il se parlait à lui-même autant qu'à Alvis. C'était là des pistes à suivre. Aussi dangereuse que la mission du Léviathan à dire vrai. Il reporta son regard vers l'homme qui avait été. Vers celui qui quelques jours avant partait pour une mission difficile, mais avec l'espoir de pouvoir peser, de pouvoir rapporter des informations importantes. En un sens, il avait réussi...

- As-tu autre chose à me dire Alvis, avant que les ténèbres t'engloutissent ? Car moi, oui. Pars le coeur léger, si tu le peux. Car je considère pour ma part ta mission comme accomplie et je saurai me souvenir de ton sacrifice.

Il porta sa main sur son coeur, appuyant de fait les propos qu'il venait de tenir. Si rien d'autre n'arrivait, alors l'essence de l'ancien Guerrier divin, l'essence du Marina, se dissiperait ultimement.

Une douce torpeur s'emparait de l'âme d'Alvis, effaçant peu à peu ses perceptions en même temps que son cosmos et son corps. Il y avait comme un appel dans l'air que lui seul entendait, comme un gong venu annoncer la fin de son sursis. Il laisserait les conclusions au Légat, aux vivants. Son travail s'achevait ici.

Medb... C'était d'elle que venait l'anneau d'Asher.

Le regard, le dernier qu'il posa sur Orphéus, se parait de la dernière émotion qu'il lui restait : le bonheur. Un immense sourire comme jamais il n'en avait adressé à personne. Ironiquement à cet instant précis il se sentit plus vivant que jamais, enfin accepté en tant qu'être à part entière.

Sacrifice...

Là sans doute se trouvait la dernière expression de tout le sens qu'il donnait à ce mot. La plus pure et la plus explicite. Il n'y aurait et ne pouvait y avoir de contrepartie. Tout à coup, il en avait des mots à dire, des conseils à donner, il se rendait compte que Lala lui avait montré le chemin en ce sens, mais qu'il était difficile de se rendre compte sans être aux portes de la mort !

Je me sens bien en fait. Je suis mort en guerrier. J'ai même réussi à toucher mon adversaire avec la dague de Lala, avec le cosmos de Jör.

Il indiqua sur son flanc l'endroit qu'il avait touché. Peut-être que cela servirait au prochain qui voudrait s'en prendre à l'entité qui l'avait tué ?

En plus, quelqu'un va se souvenir de moi et j'ai pu accomplir quelque chose en revenant ici. Je n'en demandais pas tant. Je ne demandais rien en fait, sinon vivre libre. Merci Orphéus. Si tu pouvais... Je ne sais pas s'il comprendra, mais dis à Deukalyion que je le remercie aussi. Pour moi, et pour Atlantis.

Et une dernière chose... S'il y a des gens que tu aimes, n'attends pas pour leur dire. Dis-le de toutes tes forces. C'est important.

Les flammes l'envahissaient tout entier à présent. Il posa lui aussi la main sur son cœur, puis ferma les yeux.

Et ainsi s'éteignit Alvis. Le fils de Jörmungandr et de Lala.