[ Février 553 ] Dernier temple des saints d'or

Puis vint la réponse attendue. Une silhouette s’extirpa des ombres pour barrer la route au Saint de la Carène. Un masque froid posé sur les traits d’une femme grande, aux longs cheveux blonds laissés libres dans son dos, était tourné vers l’étranger.
Son cosmos, jusqu’ici invisible, répondit à la flamboyance du jeune homme par des volutes aux tons froids, mais dénués de froideur. Une vague fragrance de rose embauma l’air sans pour autant le saturer. La Sainte des Poissons évaluait son vis-à-vis dans un parfait silence qu’elle ne brisa pas tout de suite.

D’un geste de la main, elle l’invita à la suivre, l’entraîna vers les cuisines. Une voix, désincarnée, se faufila jusqu’aux oreilles de la Carène. Un phénomène étrange, car la mélodie n’était pas celle du commun des mortels. S’il se concentrait, peut-être comprendrait-il qu’elle était muette et que Morwenna avait trouvé une autre façon de s’exprimer.

« Installe-toi. Tu es peut-être pressé par ta mission, mais crois-moi, tu n’iras pas bien loin si tu tires trop sur la corde. Le Grand Pope peut bien attendre un peu, d’autant qu’il est occupé. »

Une drôle d’invitation, s’il en est. Posant fromage et pain, la jeune femme alla trouver une amphore qu’elle déposa sur la table où la Carène pourrait s’installer. Du vin subtilisé au Taureau. Une autre invitation qu’Airôth n’avait pas encore pu saisir. Cette pensée que ce dernier finirait par découvrir son mot – elle avait avoué son propre vol ! – la fit sourire sous le couvert de son masque. Son attention revint vers l’Argenté.

« Je suis Morwenna des Poissons, et toi ? Qui es-tu ? Je ne crois pas t’avoir déjà croisé. Il faut dire que… la solitaire que je suis ne rencontre guère du monde. » Elle marqua une pause pour s’asseoir en face du jeune homme. « Allez, pas de chichi avec moi. Mange et explique-moi un peu ce qui t’amène. Après tout, c’est moi qui décide de ton passage ou non. »

Un rire s’envola. Derrière cette attitude avenante, il pourrait bien se cacher tout autre chose…

Elle l’observa, toujours drapée dans son mutisme. Il ne paraissait pas très à l’aise en sa présence et la dame aux roses ne s’en étonna guère. Ni s’en offusqua.
Mais très vite, sous son masque de fer, l’expression jusqu’ici amusée se figea. Un agent de Narsès ? Intéressant ! Croisant les bras sous sa poitrine, Morwenna prit place à son tour à table, en face du jeune homme. Ses yeux s’accrochèrent aussi à l’amphore, puis, faisant fi des convenances, elle se servit un verre.

« Ta sincérité t’honore. » Pourquoi ce revirement ? Sentait-il le vent tourner en la défaveur de son prétendu maître ? « Et je suis une femme qui apprécie l’honnêteté. Sache qu’à ce titre, tu ne crains rien avec moi. Si tu es ici, en un seul morceau, c’est que le Cercle d’Or a estimé, comme moi, que tu as dit la vérité et que ton âme n’est pas soumise à une quelconque dualité. »

Cela ne change pourtant rien au fait qu’il est un espion missionné. « Alors, si je comprends, tu as décidé de te détourner de Narsès ? Ou peut-être pas après tout. Explique-moi, je suis curieuse. »

Elle souleva le bas de son carcan, dévoilant son menton, ses lèvres écarlates pour en approcher la coupe, qu’elle but d’une traite. Sa bouche ne bougea pas, alors que les mots continuaient de cheminer entre eux.

« Hm… c’est la Déesse que tu choisis, en réalité, c’est bien ça ? Ancien alcoolique ? Bah… je ne te jette pas la pierre. J’ai moi-même ce petit travers que j’ai appris à brider. » Par devoir, et parce qu’elle avait su trouver d’autres occupations. Comme survivre à son poison. « La malédiction à laquelle je me suis enchaînée ne me permet plus d’être ivre, trouvons des bons côtés à ce mal qui me tue ! »

Elle s’esclaffa, remets en place son masque.

« Un petit conseil quand tu t’adresseras au Pope Childéric : ne lésine pas sur le respect du protocole. Non pas qu’il soit pointilleux… quoique. Un minimum de respect. »

Surtout si tu es un pion de Narsès, avait-elle envie d’ajouter sans toutefois le faire.

« Un bon point » fit-elle lorsqu’il lui assura de ses bons rapports avec Childéric. « Oh ? Ancien Phénix ? Je l’ignorais. »

C’était un pieux mensonge. La jeune femme, de par sa proximité avec leur Grand Pope, possédait toutes sortes d’informations. Et puis, il ne fallait pas oublier celles qu’elle avait déjà, en tant que Nimuë.
Mais elle préféra jouer le jeu et sembler étonnée, lorsque Xanathos poursuivit, évoquant son passé.

« Sacré Lesath. Que s’est-il passé pour que tu finisses en exil ? » Sa voix avait des inflexions à la fois triste et compatissante. « Ça a dû être très difficile pour toi. Mais regarde-toi maintenant, repenti ! »

Sans même y penser, elle remplissait encore leurs coupes. « Je ne pense pas Narsès mauvais, il t’a aidé, à sa façon. Aujourd’hui tu te libères d’un poids, tu désires avoir ta propre voix, je comprends ça. »

Mieux que quiconque. Ses doigts, enroulés autour de sa coupe, se resserrèrent quelque peu en replongeant dans de pénibles souvenirs. La nostalgie venait avec la boisson et le cours de la discussion.

« Moi ? Je ne suis pas sûre que tu veuilles entendre l’histoire triste d’une condamnée. Je suis malade, le poison des roses me tue chaque jour un peu plus. C’est là le fardeau des Poissons. Mais… » ses yeux semblaient voir au-delà de cette réalité. « Je compte me battre, changer les choses, réparer ce qui doit l’être. La Déesse m’a insufflé assez d’espoir pour que je lutte encore. »

Il y avait chez cette femme, une sérénité palpable. Non plus une forme d’affliction, de fatalité à peine supportée. Comme si Morwenna avait outrepassé cet état pour s’en détacher.

« C’est gentil de vouloir m’aider, mais c’est une quête que je dois mener seule. Je n’ai pas l’âme d’une solitaire, loin s’en faut. Seulement… cette histoire doit être écrite avec mon sang, pas le tien, ni celui d’aucun autre. »

Elle retrouverait son ancien maître. Achèverait son œuvre.

« Je vaincrai. Ou je périrai en essayant. »

Quand elle releva encore un peu son masque pour boire, un sourire ornait ses lèvres.

Xanathos n’avait pas vécu une vie de tout repos. Qui, parmi eux, pouvaient prétendre le contraire ? La vie d’un guerrier, si elle ne se mesurait pas à son seul devoir, était tout de même juchée de difficultés, de sang, de larmes. Toujours dans l’ombre de la guerre avec la foi d’apporter la paix.
Ils étaient les garants de celle-ci, de l’Humanité tout entière. Et de la leur. La Sainte des Poissons gratifia son vis-à-vis d’une légère onde cosmique, un simple effleurement en réponse à son trouble. Une volonté d’apaisement. Bientôt, elle-même finirait par connaître la paix, la liberté à laquelle elle aspire.

Un léger « rire » s’échappa de Morwenna, à l’évocation de Lesath.

« Tu n’as décidément pas eu beaucoup de chances, je le crains. » Une pause. « Ta colère s’est-elle apaisée à notre endroit ? Certains à l’habit d’Or méritent ta clémence, j’en suis sûre. Nous saurons te le prouver. »

Fit la jeune femme posément, avec conviction. « Même si, personnellement, je ne prête pas beaucoup de foi en cette hiérarchie. Nos deux coeurs possèdent autant de vaillance, j’en suis certaine. »

Il leur incombait tout de même un titre de Gardien de ces Temples du Zodiaque. Son regard, d’ailleurs, se perdit un instant dans les hauteurs de sa demeure. Si elle ne souffrait plus de sa solitude désormais, ce ne fut pas toujours vrai.

« Un vrai rebelle oui, mais ce n’est pas toujours un défaut. » Elle croyait en la parole de ce Saint repenti et voulait lui offrir une chance supplémentaire d’obtenir l’absolution tant désirée. Ainsi fit-elle jaillir entre ses mains, une rose blanche. Cette dernière s’épanouit sous les yeux du Saint. Elle lui tendit. « Pour ce que ça vaut, tu as ma bénédiction. Tu pourras montrer ceci au Grand Pope Childéric, il comprendra. »

Elle se releva, délaissant la table, invitant le chevalier à la suivre.

« Quant à ta proposition… » elle fit volte-face. Son armure d’Or alla la recouvrir en quelques secondes, dotant son corps d’une aura éclatante. « Je la garde dans un coin de ma tête, quand tout me semblera désespéré, je saurais que quelqu’un voudra bien me tendre la main. Consumer un peu de son feu. »

Soudain elle sembla réfléchir. Quelque chose lui revenait, des paroles pleines de sens, libérées par l’Augure retenu encore dans les geôles. C'est comme si tu étais un Phénix a qui on avait volé des cendres... avait-il dit.

« Va, Xanathos, Il t’attend. Regagne ton honneur. »

FIN DU RP

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