[Fin Mars 553] Nécessité fait loi (Nessius - Endymion)

Ragots

La rencontre avec cette "Ea" me laissait un goût étrange.
Un espoir, certes, mais également un certain nombre d'interrogations. Le potentiel de cette femme était source de belles promesses, surtout en des temps si troublées. Et la savoir du côté de Cinead me confortait. Toutefois, je n'étais pas une truite pêchée de la veille, et la méfiance s'imposait.
Pour avoir vu les échos de son âme et en avoir perçu toute la souffrance, je restais quasi assuré de son honnêteté. Mais avec les O'Bannon... On n'était jamais sur de rien.
Une pensée bien ironique qui me fit sourire.
D'ici une dizaine de minutes, j'arriverais enfin à mon pilier. Mais déjà, une fois le pied posé dans les bas-quartiers, je perçus un net changement avec l'atmosphère à laquelle j'étais habitué.
La cour des miracles dormait.
La populace était enfermée, cloîtrée, et les rues vides de tout mouvement. Agacé par cet état de fait, je me décidais à faire un crochet par mon établissement de débauche, et mon repère local.
Silencieux et discret malgré le port de mon écaille, je me faufilais dans les ruelles familières jusqu'à pousser la porte de la "Dame Rousse". Et à mon grand soulagement, je fus accueilli par le cri soulagé du tavernier à mon service.

Seigneur Endymion, enfin vous voici ! Des troupes Trémère patrouillent en ville, et obligent les gens à rester chez eux... C'est mauvais pour le commerce !

Ils n'ont pas perdu de temps. Sers-moi un verre et vite. J'ai du travail

Le vieux pirate borgne s’exécuta en un temps record, alors que je m'accoudais au bar désespérément vide.
C'était la première fois que mon établissement se trouvait aussi vide. Pas un rire, pas un chant, pas un ronflement d'aviné... Juste le tavernier et moi.

J'ai cru voir un vieux bonhomme entouré de nombreux gardes qui se dirigeait vers le pilier, voilà quelques jours...

Mon verre de rhum en main, je me contentais d'encaisser la nouvelle, perdu dans mes réflexions. Quel bordel...

«Vilinius ! Une eau de feu ! Non pas un verre. Laisse la bouteille ! »

Franchir les portes de la « Dame Rousse » relevait presque du parcours du combattant. Nessius jura intérieurement. La peste soit des Tremere et des Sefirot ! Les sous-fifres de ces résidus de fausse-couche patricienne quadrillaient les rues, intimidant la population pour la maintenir dans les demeures sous couvert de garantir la « sécurité » et d’éviter l’insurrection. La bonne blague ! Si l’on tenait compte du fait qu’ils avaient eux-mêmes répandu la poudre et tenaient la torche d’allumage dans leur main, on pouvait quand même considérer que ce n’était pas l’hypocrisie qui les étouffait !

La journée avait été rude. L’étau se resserait autour des Quaesitors de manière imperceptible et le capitaine du Naga le savait. Il était doublement dans de sales draps. En tant que Merinita d’une part et en tant que membre de l’un des pouvoirs d’équilibre d’Atlantis d’autre part. De quoi avoir doublement l’envie de distribuer quelques soufflets bien sentis dans les faces de résidu de latrines de certains sénateurs.

Pourtant, il semblait ne pas être le seul à avoir bravé ce couvre-feu pour venir se détendre autour d’un verre. Un homme était attablé. De dos, il ne le reconnut pas immédiatement. Il fallait dire qu’à ses yeux, il n’y avait rien qui ressemblait plus à un plébéien qu’un autre plébéien… Sauf quand ce dernier était… le Dragon des Mers !!!!

Par Téthys !!! Qu’est-ce que ce damné général venait faire dans les parages ?! Intrigué tout en étant sur ses gardes, Nessius lui adressa la parole d’un ton sarcastique.

« Tiens tiens… Qu’est-ce que nous avons là… J’ignorais que le plus expérimenté des généraux de Notre Seigneur venait s’encanailler dans les bas-fonds… Je vous pensais plus adepte des hautes sphères Général Endymion… Est-ce la tempête extérieure qui vous oblige à sortir de votre zone de confort et de vos habitudes ? »

Nessius attrapa la bouteille sur le comptoir et vint se placer face à l’homme qu’il venait d’interpeller. Il avait mauvaise mine. Et ne semblait pas vraiment d’humeur à la joute verbale. Aussi corrigea-t-il immédiatement le tire sur un ton plus neutre.

«Journée difficile mon général ? J’ai cru comprendre que le patriarche Tremere s’était ouvertement arrogé des droits sur votre pilier… »

Une amorce, un test. Allaient-ils pouvoir avoir une discussion constructive ou cela se limiterait-il à une passe d’arme stérile ? Il reprit une gorgée du liquide ambré qu'il faisait miroiter dans sa bouteille.

Rhum matinal

Je haussais un sourcil étonné à l'écoute de cette voix, dont j'avais déjà entendu le timbre.
Et voilà qu'un jeunot vient se poser à coté de moi pour m'apostropher... C'est qui déjà ? Je sollicite mes méninges quelques instants, avant que ma mémoire ne revienne.
Nessius, le capitaine du naga à qui j'ai collé une baffe pour avoir molesté mes gardes.
D'abord sarcastique, puis rapidement sérieux.

La tournée est pour moi.

Le patron m'adresse un sourire, avant de remplir à nouveau mon verre.
Et j'éclate d'un rire franc à l'écoute de l'interpellation du jeune officier. Bon sang... Mais il me prend pour un noble ou quoi ?!
Aussi, je tournais sur mon tabouret, de manière à poser mes coudes sur le comptoir, afin de désigner d'un mouvement de tête le trône de bois, d'ivoire et d'or qui trônait au milieu de la salle principale, désespérément vide.

Tu es nouveau en ville, capitaine ? Tu es ici dans mon repère. C'est moi qui ait fondé la "Dame rousse" et qui en suit le propriétaire.

Je lui adressais alors un clin d’œil amusé.

Je suis un pirate avant tout, garçon. Les hautes sphères ne sont pas vraiment ma tasse de thé. Je suis davantage porté sur le rhum, la castagne, le rire, la gueuse et le damoiseau. Mais je pourrais te retourner le compliment. Un bon petit gars de la noblesse comme toi dans un tel cloaque... Je ne m'y serais pas attendu.

Je relevais mon verre, portais un toast silencieux à l'endroit de mon interlocuteur et savourais de nouveau la morsure du rhum sur mon palais. Bordel, que ça pouvait faire du bien...

Je débarque à peine de Camelot... Un beau bordel. La journée a commencé plutôt bien, mais je sens qu'elle va rapidement se corser, alors je repousse l'échéance... Et toi alors ? Tu n'es pas en charge de faire tenir nos bons citoyens dans leurs cages ?

Du peu que j'avais vu de Nessius, je l'imaginais davantage sous la houlette de ce nouveau conseil de traîtres qu'en combattant pour la défense de Cinead. Mais on pouvait toujours avoir des surprises, qui sait ?

«Auriez-vous des problèmes de mémoire mon Général ? Vous êtes le premier à m’avoir « accueilli » lors de mon retour… Chaleureusement, je dois bien l’avouer. A moins que vous ne rossiez un capitaine par jour, j’ose gager que vous vous souviendrez du poing que vous m’avez si fraternellement balancé en plein visage ce jour-là…»

Il était gonflé celui-là ! Ne pas se souvenir de la date de son retour ! Il aurait peut-être dû lui rendre la pareille ce jour-là pour qu’il le mémorise d’avantage... Nessius se surpris à nourrir comme un regret face à un acte manqué. Pour autant, il préféra rebondir sur un autre sujet.

« Existe-t-il un lieu de débauche dans cette damnée cité qui ne vous appartienne pas ?! Que voulez-vous, je suis plein de surprises… J’aime à fréquenter ce genre de lieux. Ils sont un peu plus libres, loin des carcans et des regards en coin de patriciens fielleux… C’est l’un des avantages à se mêler à la plèbe. »

Un petit clin d’œil appuyé. Il le lui avait fait comprendre lors de leur première rencontre. Ils n’étaient pas du même monde. Finalement, il avait peut-être raison. Cela avait sans doute davantage de sens de voir ce plébéien de général au milieu de ses pairs plutôt que Nessius. Mais il fallait parfois mieux être prince parmi les mendiants qu’anonyme au milieu des patriciens. Tout du moins, c’est ainsi que le Naga l’entendait.

Il ne releva pas la provocation du Dragon des Mers. Après tout, c’était prévisible. Cela lui indiquait seulement, vu la tension qui existait préalablement entre eux, qu’il le pensait dans un camp opposé au sien. Nessius resta parfaitement stoïque et s’offrit même le luxe de prendre un ton amusé.

«Allons bon… Quelles intentions me prêtez-vous là ! Je suis pour la liberté de tous et à commencer par la mienne… Mais j’imagine de ce fait que vous avez pris parti pour l’ancien Primus Senator, c’est bien ça ? Votre beau-frère si je ne m’abuse… A ce propos, comment va madame votre épouse ? Est-elle enfermée avec le reste de notre honorable famille dans ce camp retranché qu’est devenu le pilier central ?»

Savoir s’il y avait accès était un point important. Il pouvait détenir des informations. D’autant plus qu’il faisait partie de la délégation du Légat assassiné dans la cité des Ligures. Il y avait des points à soulever. Prenant un air plus sobre et réfléchit, le Naga dévisagea son vis-à-vis.

«Beaucoup de rumeurs courent sur les événements de Camelot… Et il est difficile de démêler le vrai du faux. Je ne suis pas du genre à croire aveuglément ce que racontent les versions officielles, voyez-vous. Surtout quand elles permettent à un nouveau régime de s’installer. Je préfère m’en tenir à une source de premier ordre, voyez- vous. Que s’est-il passé exactement là-bas ?»

Maturité

Quel caractère... Nessius réagissait au quart de tour, insensible à la notion de plaisanterie.
J'aurais pu m'en offusquer, mais vu mon état d'esprit actuel, je préférais en rire.
Un léger sourire aux lèvres, je posais brièvement une main amicale sur l'épaule du capitaine pour le calmer.

Je n'oublie jamais les gens sur qui je cogne, Nessius... Mais quelqu'un qui ignore que je suis adepte de ce type d'établissement est soit un étranger, soit bien peu curieux des rumeurs qui secouent Atlantis. Et pour répondre à ta question... J'ai des parts dans tous les tripots et maisons de passe de la Cour des miracles.

Que pouvait-on espérer d'un pirate ? Mon commerce me permettait d'entretenir un marché noir, m'offrant le confort de vie et l'indépendance dont j'avais besoin, pour rester indépendant de ma famille de noble lignée.
Je relevais mon verre, les yeux fixés sur le tavernier, qui laissait son oreille traîner. Tout en analysant le fond de la question du capitaine. Un filou, celui-là.

Je suis loyal aux miens, en effet. Et j'ignore comment se porte mon épouse, vu que je viens à peine de rentrer. Pourquoi ? Tu comptais passer une nuit en sa compagnie ?

Une interrogation que je ponctuais d'un léger rire d'auto dérision, tant ma Cali n'était pas ce type de femme. Mais quand l'interrogatoire s'orienta sur Camelot, ma main se raidit sur mon verre.

Un assassin minutieusement préparé et informé à tuer le Légat, avant de prendre la poudre d'escampette. Et étrangement, Cinead est renversé par des sénateurs, quelques jours plus tard... Je me demande d'ailleurs comment leur est parvenu la sinistre nouvelle... Quelle coïncidence tout de même...

Difficile de faire plus sarcastique. Je ne cherchais même pas à dissimuler mes doutes. Mais, je n'étais décidément pas d'humeur à jouer au con. Aussi, je posais un regard étrangement sérieux sur Nessius.

On a clairement foiré notre départ, toi et moi. Si tu as besoin de me coller un pain pour soulager ton égo, on pourra toujours s'arranger plus tard. Mais j'ai une question... Aimes-tu sincèrement Atlantis ? Te soucies-tu de cette cité et de ceux qui y résident ? Si oui, tu dois avoir conscience que nos ennemis se trouvent désormais infiltrés entre nos murs. Et que tes choix futurs pourraient avoir un sacré impact sur le bordel à venir...

«Je connais les rumeurs à votre sujet, Général. Je pensais juste que vous aviez plutôt le goût des orgies privées avec des personnes triées sur le volet. Donc vous avez des parts dans tous les tripots de la Cour des Miracles… Intéressant, voilà une information que je rajouterais sans faute à mes notes vous concernant… »

Lorsque le Général lui proposa de passer la nuit avec sa femme, Nessius le regarda avec un sourire amusé. Mais bien sûr ! Et pourquoi ne pas aller se dandiner comme une poule devant le Primus Senator tant qu’on y était ! Le jeune Merinita leva les yeux au ciel.

« Sans vouloir lui manquer de respect, elle est sûrement magnifique mais il y aurait un côté incestueux et consanguin qui, même si elle ne semble pas gêner certaines familles patriciennes, me donner personnellement la nausée.»

Mais les discours légers et provocateurs s’effacèrent bientôt pour passer aux choses beaucoup plus sérieuses. La situation actuelle ne prêtait guère à la plaisanterie. Mais le Dragon des mers semblait partager les doutes du Naga quant à l’étrange collusion des faits entre l’assassinat du Légat et le renversement du Primus Senator Merinita. Comme si la même personne tirait les ficelles dans l’Ombre.

«On peut effectivement s’interroger sur l’identité du metteur en scène de cette tragédie. Et émettre la supposition qu’il peut s’agir de la même personne. Mais cette prise de pouvoir coïncide également avec la disparition de certains membres de l’Amirauté. Des Généraux. Chrysaor et le Kraken manquent à l’appel. Nous avons rarement, dans notre histoire, connue une telle situation de faiblesse, non ? »

Un constat. Mais aussi une opportunité. Nessius le savait pertinemment. Cependant, était-ce bien au Sénat et à ce Conseil d’en décider ? Où était Le Seigneur des Mers et pourquoi restait-il étrangement muet ? Pour le capitaine du Naga, l’essentiel du Mystère se trouvait là. Mais il fallait d’abord louvoyer au milieu de ses conséquences. Et le ton du Dragon des Mers ne laissait aucun doute quant à sa loyauté. Aussi était-il logique qu’il questionne celle de son jeune homologue en retour.

«Je n’ai pas besoin de satisfaire mon égo de cette manière, Général. Si vous souhaitez réellement vous excuser, me donner toutes les informations à votre disposition serait une excellente compensation. Je me soucie de notre Cité et de ceux qui la peuplent. Je suis un Capitaine. Je suis un Quaesitor. Je suis un Merinita. Dans cet ordre. Trois bonnes raisons pour les hommes qui viennent de prendre le pouvoir de chercher à me museler, vous ne croyez pas ? Voilà pourquoi je me montre particulièrement vigilant pour éviter le moindre faux pas. Mais tant que nous marchons dans l’obscurité, il est difficile de discerner les écueils comme les personnes de confiance... »

Puis d’ajouter une simple phrase qui pouvait potentiellement mettre le feu aux poudres.

«Tout du moins c’est ce qui est ressorti de mon dernier entretien avec l’héritière des Tremere…»

Facettes

Bon au moins, Nessius partageait d'emblée mon scepticisme concernant l'étrange coïncidence entre la mort d'Orpheus et la prise de pouvoir de ce conseil fantoche. Et même si je comptais rester un minimum sur mes gardes, je ne voyais pas de difficulté à lui apporter mes lumières.

Je vois... Deux généraux disparus à ce moment précis... Un hasard de plus. L'Amirauté s'en trouve nettement affaiblie. Mais rassure-toi, on a déjà connu pire. Notamment dans le dernier conflit contre les Muiens et en Armorique.

Une demi-vérité, tant le bordel actuel n'avait peut être pas dévoilé tout son potentiel de nuisance. Mais je tachais de rester optimiste. Qui restait donc en place dans les rangs des officiers ?
Emrys... Aimana... Et moi. Peut-être aussi la générale des Lyumnades. Mais rien de folichon.
La proposition de Nessius me fit éclater de rire. Il ne manquait pas de culot, et j'aimais ça.

Alors faisons comme ça... Tu aurais fait un excellent second sur mon navire. Bref... Tout ce que je peux te dire c'est que l'assassinat d'Orpheus a été minutieusement préparé. Cela s'est déroulé pendant un entretien avec le Grand Prêtre d'Asgard, et ce dernier à également frôlé la mort. Nous soupçonnons Mebd d'y être mêlé d'une façon ou d'une autre, pour tout te dire. Ou les Ligures. Et un lien avec les Muiens n'est pas à exclure. Surtout s'ils possèdent un agent au coeur du Sénat. Il serait intéressant de rechercher qui a eu l'idée de ce renversement politique... Qui est à l'origine du chaos.

La tête du serpent. La mention d'Ea me fit hausser un sourcil étonné. Oh, la coquine... Avait-elle retiré son masque devant Nessius ?

Une femme intéressante, oui... A multiples facettes même.

Voyons si le capitaine avait les cartes en main pour saisir mon allusion. Peut être étions-nous déjà dans le même camp, sans le savoir.

«Oui… La bataille de Ker-Ys, c’est bien ça ? J’ai eu accès à certains rapports concernant ces événements… J’espère seulement que les troubles actuels ne lui voleront pas la vedette dans le classement des heures les plus sombres de l’Amirauté…»

Depuis son retour, Nessius avait tenté de rattraper son retard sur les affaires de la cité depuis qu’il en avait été chassé. Il avait eu accès à certains comptes rendus des Quaesitors mais ces derniers étaient succins. Notamment dans des situations comme celle-là. En ce qui concernait les affaires extérieures de l’Amirauté, les manœuvres des Marinas hors des frontières du Sanctuaire Sous-marin, il était rare que la Police de Poséidon ait droit de regard. Tout du moins pour un simple Quaesitor comme lui. Même attaché à l’Amirauté. Pour autant, de ce qu’il avait pu en juger, la bataille avait eu des répercussions suffisamment importantes dans la vie d’Atlantis pour qu’elle soit évoquée à de multiples reprises.

Il écouta attentivement les précisions du Général. Medb ? Un nom qu’il ne connaissait pas. Tout comme celui du Grand Prêtre d’Asgard. Il se rendait compte qu’il était relativement ignorant des affaires extérieures à la Cité. Une situation intolérable à ses yeux. Nessius n’aimait pas se sentir ignorant et ne pas avoir toutes les cartes en main. Il comptait donc profiter de l’occasion qui lui était offerte d’exploiter l’expérience du Dragon des Mers à bon escient.

« Je pourrais toujours postuler. J’ai cru comprendre que le poste s’était libéré depuis peu… Mais ce n’est pas ma priorité actuellement. Vous le comprendrez aisément, Général… En revanche, pouvez-vous m’en dire plus sur cette Medb ? Ou sur le Grand Prêtre d’Asgard ? Je me demande quel serait l’intérêt pour eux de déstabiliser la Cité au point de risquer de la voir se lever comme un seul homme contre eux… J’imagine que l’un de ces scénarios a votre préférence ? »

Nessius esquissa un sourire amusé. Même s’il comptait sur ses informations, il ne commettrait pas l’erreur de sous-estimer son vis-à-vis. Le sous-entendu était trop évident, pour qui connaissait la demoiselle, pour laisser passer l’occasion de montrer que, lui aussi, avait quelques atouts dans sa manche.

«Il est certain qu’elle cache bien son jeu. Même si sous ses atours, elle peine à dissimuler sa nature…flamboyante… »

Ce n’était rien de le dire. Nessius avait gravé dans sa mémoire le visage de Satine, les deux rubis qui lui servaient de prunelles, sa chevelure de feu et les dizaines de cicatrices qui parcouraient son corps. Comme lorsque l’on s’approche de la flamme, fasciné par sa danse. Au risque de se brûler.

Pour autant, le fait qu’ils connaissent l’un et l’autre le secret d’Ea Tremere ne faisait pas d’eux des alliés pour autant. Surtout si Nessius considérait les actes de la demoiselle vis-à-vis du Capitaine de la Rose Sanglante. Non, il lui fallait des gages.

«J’imagine que vous non plus vous ne manquez pas de plans et d’ambitions dans cette période troublée. Laissez-moi voir si j’ai juste. Vous souhaitez découvrir qui tire les ficelles dans l’ombre et accessoirement remettre le Primus Senator déchu à sa place. Correct ?»

Ambition

Nessius était resté bien longtemps hors des murs d'Atlantis.
Et je ne comprenais que trop bien son besoin de récolter des informations fiables. J'aurais pu songer à lui monnayer, mais l'époque troublée ne se prêtait pas à ce type de jeu.
Je me réservais donc un verre, tout en réunissant mes pensées.

Mebd est la prêtresse d'Hadès, et elle est à l'origine de la guerre avec le roi d’Armorique et donc de la bataille de Ker-Ys. Il est quasiment avéré que c'est elle qui a ramené à la vie l'ancien légat Liao, qui s'est opposé à Poséidon en personne. Bref, dans la liste de nos ennemis, elle figure en haut du tableau... Quand au grand prêtre d'Asgard, j'ai davantage de mal à voir ses éventuelles motivations. Mais, aucune piste n'est écartée... Même si l'implication de cette salope de sorcière me semble évidente.

Les Muiens, Mebd, Okhéanos, cela faisait beaucoup. Et à chaque bataille, nos rangs semblaient davantage clairsemés. Sur ce point, Nessius n'avait pas tort... Rarement la situation avait parue si critique.

Une taupe des Muiens parmi les sénateurs, et le tour est joué. Nous sommes vulnérables. Certains masques cachent du feu, mais d'autres... De la haine envers Atlantis. Voilà pourquoi, il faut savoir choisir ses alliés.

Le verre porté à mes lèvres servi à masquer mon sourire. Sacrée Satine... Elle n'avait décidément pas perdu de temps.
Nessius savait, je savais. C'était désormais limpide. Nous avions une "amie" commune, ce qui en soit pouvait nous rapprocher.

Exact. Mais Cinead ou un autre, je m'en cogne. Cette décision doit lui revenir , et je veillerais juste à ce que ce soit le cas. Ma seule ambition est qu'Atlantis retrouve la paix, et moi mes soirées de débauche et mes voyages sur mon navire.

Mon regard bifurqua sur le jeune capitaine.

Je ne suis pas un politicien. J'ai obtenu le rang social le plus haut que je pouvais espérer ici ou même à Camelot. Donc coté ambition... Tant qu'on me fout la paix et que notre cité reste en paix et prospère, je n'espère rien d'autre.

Plus jeune, je n'aurais pas tenu un tel discours. Mais avec le temps et les épreuves... Ma liberté avait supplantée mes espoirs de gloire dans une cité pourrie par la pureté du sang.

« Donc une ennemi avérée de notre peuple… Une servante d’Hadès. Rien que ça ! Il est certain que le nécrophile a tout intérêt à chercher à détruire les créations de son frère cadet… Surtout quand ce dernier s’avère plus talentueux… Vous admettrez que la jalousie fraternelle à ce niveau est d’un pathétique parfaitement affligeant. »

Et Nessius était parfaitement bien placé pour en parler. Bon, il faisait aussi preuve, sur lle coup, d’une once de mauvaise foi. N’était-ce pas lui qui avait passé des années à jalouser la place de son aîné jusqu’à l’envoyer au Shéol. Oui, mais c’était différent. Tout du moins en était-il persuadé.

Mais le fait qu’il y ait peu d’information sur les autres factions n’avait rien de rassurant. Au contraire. Sans Légat, il était compliqué d’être envoyé à la Surface pour mener l’enquête. Et le Primus Quaesitor refuserait toute demande en ce sens, préférant la prudence et la neutralité pour préserver l’ordre dans ces temps troublés. D’autant qu’il ne s’agissait pas de la juridiction « naturelle » de la Police de Poséidon.

Cependant, Endymion semblait évoquer un postulat intéressant. Tout du moins de ce que Nessius en comprenait.

« Une alliance contre nous est-elle envisageable ? Je veux dire… Se peut-il que les Muiens et cette Medb se soient entendus pour faire basculer Atlantis dans le chaos ? Sans Légat, nous pouvons difficilement agir à l’extérieur. Reste la taupe…. Qu’est-ce qui vous fait privilégier cette hypothèse ? J’imagine que vous avez des pistes sur l’identité de cette dernière… »

L’altruisme du Dragon des Mers, son souci pour le bien de la Cité semblait touchant. Néanmoins, l’aspect désintéressé de cette dernière paraissait suspect à Nessius.

« Je ne crois pas à l’altruisme pur et désintéressé, Général. Nous avons tous quelque chose à gagner ou à perdre dans les situations. Le Conseil pourrait tout aussi bien vous apporter la paix et vous garantir vos soirées de débauche… Il pourrait même vous permettre de remplacer rapidement votre équipage pour réarmer la Rose Sanglante…. En revanche, il est certain qu’il vous laisserait moins de marge de manœuvre… Il semblerait qu’il ait la volonté de tout régenter. Amirauté comprise… »

Il fallait poser la véritable question, celle qui risquait de fâcher. Et qu’il chercherait forcément à éluder.

« La véritable question est de savoir ce que vous comptez faire concrètement pour obtenir la paix que vous cherchez… Après tout, les romains pensaient bien pouvoir l’obtenir en menant les guerres à l’extérieur de leurs frontières et en étendant leur empire. Je pense qu’il nous faut au plus vite réveiller Notre Père tout Puissant pour qu’il nomme un nouveau Légat. Sinon l’Amirauté sera désorganisée et impuissante. L’équilibre des pouvoirs est nécessaire. Et qui mieux que le plus ancien des Généraux pour pouvoir prétendre à s’adresser à Notre Seigneur ? »

Destin

Si j'avais une piste concrète, son âme serait déjà enfermée dans l'une de mes cartes...

Car tel était le souci majeur. Sans indice, impossible de s'orienter sur tel ou tel coupable. Calypso restait focalisée sur l'implication d'Asgard, là où je songeais davantage aux Ligures.
Mais concernant l'intrus dans nos rangs... Sans connaître le Sénat dans le détail, je ne pouvais orienter mes soupçons.

Tout est possible, à ce stade. Nous comptons trop d'ennemis, et tu seras d'accord avec moi pour admettre que l'arrogance et l’ambition mesquine de certains nobles est un terreau fertile pour y planter les graines du chaos.

La fragilité et l'élitisme de notre société pouvait devenir la source de notre déchéance. La situation actuelle semblait le démontrer. Mais chaque problème à la fois...
Je souris en écoutant les propos suivants du capitaine, fine mouche. Soucieux de deviner mes réelles motivations et me passant un peu de crème dans le dos afin de me pousser à réveiller Poséidon. Une pensée qui m'avait déjà effleurée.

En tant qu'Atlas Merinita, je serais rapidement une épine dans le flanc de ce nouveau conseil. Ils auront tôt fait de tout faire pour supprimer les alliés de Cinead, et je figure en haut de la liste. De tout temps l'Amirauté a été indépendante par rapport au Sénat, et cela doit rester ainsi...

Calme au possible, je plongeais un regard entendu dans celui de Nessius, afin qu'il comprenne bien ce qui allait suivre.

L'Amirauté est désorganisée mais loin d'être impuissante. Si la situation l'exige, je serais contraint de rappeler aux membres de ce nouveau conseil que les mots et les titres pompeux ne pèsent pas lourd quand les armes prennent le relais.

Et aucun éveillé ne viendrait les protéger de mon ire. Les manigances politiques et la mégalomanie devaient parfois se heurter au réel, avant de faire trop de dégâts.

Mais avant d'en arriver à cette extrémité... Oui, je me rendrais auprès de Poséidon. Qu'importe les conséquences, je ne laisserais pas Atlantis sombrer.

Le seigneur des océans m'entendrait-il seulement ? Difficile à dire.

« Plus que l’ambition, c’est la bêtise crasse et la croyance dans le fait qu’être noble les dispense d’être à la hauteur de leur mission qui est générateur de chaos… Même si je reste convaincu de la force du système que Notre Seigneur a lui-même mis en place, j’aime à penser que le pouvoir doit revenir aux meilleurs et pas seulement aux premiers nés si vous voyez ce que je veux dire…»

Il avait abattu une carte. Pour attirer l’attention d’Endymion ? Ou bien pour le convaincre qu’après tout, il n’était pas juste le jeune arriviste arrogant que ce dernier semblait voir en lui ? Un peu des deux, sans aucun doute. A voir si le Dragon des Mers serait sensible à l’argument méritocratique, lui qui, d’après les rumeurs, n’était qu’un bâtard qui ne devait sa place dans les hautes sphères qu’à l’écaille qu’il portait sur les épaules et au mariage que cette dernière lui avait permis de faire.

Cependant, lorsqu’il se présenta comme une cible désigné du nouveau régime, Nessius ne put qu’approuver et abonder dans son sens. C’était une évidence. Et cela faisait écho chez lui également. Lui aussi était un Merinita et un membre de l’Amirauté. De plus, l’impartialité proclamée et l’indépendance des Quaesitors vis-à-vis des pouvoirs aussi bien politiques que militaires s’avérait être potentiellement prise pour cible si l’objectif du Conseil était de réunir tous les pouvoirs dans les mêmes mains. Ce qui lui faisait trois magnifiques cibles dans le dos. Une de plus qu’Endymion. Pour autant, il n’avait sans doute pas son aura auprès de la population et son importance au sein de l’Amirauté.

« Je dirais même que vous êtes l’ennemi publique numéro deux derrière l’ancien Primus Senator. Je vous rejoins sur la nécessité de séparer les pouvoirs. Notre Père tout Puissant l’a voulu ainsi à la création d’Atlantis. Cela a toujours été un gage d’équilibre. Concentrer trop de pouvoirs entre les mêmes mains s’avère dangereux. Même si ces dernières sont animées des meilleures intentions du monde…»

Il pensait à Satine et à ses ambitions. Aussi légitimes soient-elle et bien qu’il ait promis d’être à ses côtés, il savait qu’il devrait aussi pouvoir l’arrêter si jamais la folie des grandeurs et sa volonté de destruction prenait le pas sur le besoin de bâtir l’avenir d’Atlantis.

« Il nous faut un Légat… Et seul Notre Seigneur peut le nommer. Tout autre serait perçu comme un usurpateur illégitime. Et même ça, Le Conseil ne peut rien y changer. Cependant, si Notre Père décidait de nommer un des patriarches ou un des partisans du nouvel ordre, il faudrait également s’assurer que l’ensemble de la Cité se soumette à cette décision. Merinita compris… Je vous accompagnerai donc dans cette entreprise si vous me le permettez… Afin de porter l’impartialité des Quaesitors, bien évidemment… »

Choix

Je l'écoutais tout en buvant. Analysant ses paroles, lisant son cœur.
Il me plaisait bien. Et je ne lui en fis pas mystère.

Pourquoi crois-tu que je porte cette écaille au lieu d'un premier né Trémère ?

Un sourire mauvais, vite masqué par le réceptacle du rhum délicieux.
Oui, Nessius et moi étions sur la même longueur d'onde. Aussi, l'air de rien, je lui adressais une pensée spontanée, mais sincère.

Tu ferais un bon général.

Mais pour cela encore fallait-il saisir les bonnes opportunités. Le gamin avait raison, concernant Poséidon. Mais avant de secouer le vieux endormi et de me confronter à lui, je préférais tenter toutes les issues pacifiques possibles.
J'avais jadis entendu dire que le porteur de l'écaille du Dragon des mers possédait un lien spécial avec l'empereur des Océans, mais je n'avais jamais eu l'envie de tester cette théorie.
Après avoir vidé de nouveau mon verre, je me relevais afin de faire face au capitaine, décidément bien intéressant. Je le jaugeais quelques instants, avant de poser une carte vierge sur le comptoir.

Le moment venu, je te contacterais à travers elle. Rejoins-moi alors au temple du patron. Mais ne te fais pas d'illusions... Je doute qu'il s'éveille pour nos beaux yeux.

J'avais depuis longtemps appris à ne rien attendre des divinités. Même de celle à qui je dédiais ma vie. Qu'étions-nous pour eux, hormis un éclat ténu entre deux battements de cils ?

Finalement, je t'aime bien.

Et sur ce bon mot, je me détournais afin de me rendre à ma prochaine destination : mon pilier.

« Parce que Notre Seigneur en a décidé ainsi ? »

Une petite pique pour lui ramener les pieds sur terre. Mais il semblait néanmoins que le Naga et le Dragon des Mers étaient sur la même longueur d’onde. Pensez-vous, entre reptiles, on se comprend….

« C’est flatteur. Merci. Peut-être pourriez-vous en toucher deux mots à Notre Seigneur lors de ce grand oral. Je me ferais un devoir de veiller sur le pilier de son choix… »

Nessius prit la carte. Calmement. Sans hésitations. Il l’examina attentivement. Un résidu d’Onde à l’intérieur. Probablement une parcelle de celle d’Endymion. Il adressa à ce dernier un signe de tête en guise d’approbation.

« Fort bien… J’imagine malheureusement qu’elle ne fonctionne pas dans le sens inverse… C’est fort dommage. Il est toujours utile de pouvoir contacter un Général en cas d’absolue nécessité… »

Endymion semblait néanmoins sceptique quant aux chances qu’ils avaient d’éveiller le Seigneur des Mers. Nessius resta parfaitement pragmatique.

« Nous ne le saurons pas avant d’avoir essayé. Mais nous ne pouvons décemment pas le laisser hors de cette situation. Nous manquerions à notre devoir de Fils des Océans…»

C’était décidemment une rencontre des plus improbables. Il l’aimait bien ? Sérieusement ? Nessius peinait à le croire. Après tout, les paroles n’engageaient que ceux qui y croyaient. Rangeant la carte dans son étole, il lui adressa un salut respectueux.

« Je m’en réjouis, Général. J’espère que notre coopération sera fructueuse. Pour le bien d’Atlantis…»

Puis, sans un mot superflu, il laissa son vis-à-vis prendre congé. L’avenir lui dirait comment utiliser cet atout.

Citation :: RP Terminé. Merci

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