[Début avril 553] Un bien bel allié que le Bélier (Kaleb, Gawa)

«Je l’espère bien mon cher Gawa. Sachez que la demeure de la Vierge est ouverte à tous ceux qui sont en recherche de la Connaissance, de Paix et de célébration de la Vie. C’est tout du moins ainsi que je conçois son rôle au sein du Domaine Sacré… »

Une manière courtoise de signifier au premier gardien qu’il était libre de se présenter ici quand l’envie le lui prenait. La Vierge, depuis son arrivée, se faisait un point d’honneur de respecter la règle de l’accueil. C’était aussi une manière de favoriser les échanges et de nourrir sa curiosité.

«Vous y viendrez progressivement. Cela ne fait que peu de temps que j’ai revêtu celle de la Vierge. Et pourtant, elle m’en a appris énormément sur elle, sur le Sanctuaire, sur les autres…»

Lorsque Gawa posa à Dana la question sur le masque, Kaleb se tut dans un premier temps. Il voulait laisser sa disciple libre de sa réponse. Et surtout voir si elle avait retenu ce qu’il lui avait enseigné à ce sujet lors de son arrivée au Sanctuaire. Une manière douce et bienveillante de vérifier ses acquis.

Eireen et Kalia se turent également. Cette question les concernait en tant que femme. Elles connaissaient la position du Gardien de la sixième demeure sur le sujet et la partageait. Kaleb respectait la tradition et avait expliqué à Dana qu’elle ne pourrait en faire l’économie. Excepté au sein de sa demeure. Il était maître en son domaine et laissait les femmes libres de le porter ou non lorsqu‘elles se présentaient aux portes du Temple. Après tout, l’égalité était de mise.

Et bien qu’il comprenne cet us, il estimait pouvoir en affranchir celles qui venaient et celles qui vivaient ici. Il invita Gawa à se servir dans les plats posés sur la table tandis que les serviteurs prenaient également place. Ils se trouvaient donc une dizaine à table, affranchis des rôles et des statuts de chacun, considérant les avis, les opinons et les expériences. Juste des êtres humains qui évoquaient les sujets animant le domaine sacré. Une source d’information non négligeable pour Kaleb qui aimait à se tenir informé de ce qui pouvait se passer au-delà des deux statues qui gardaient l’entrée de sa demeure.

Kaleb regarda sa disciple avec amusement. Qu’elle puisse plaisanter avec cette règle séculaire ne le contrariait nullement. Bien au contraire. La tête de Gawa valait réellement le détour. La Vierge ne put s’empêcher une remarque taquine.

«Encore heureux ma chère Dana. Je me demande quel sort tu me réserverais dans ce cas. Mais si c’est pour le meurtre, je pense qu’il te faudra patienter. Kalia et Eireen ont déjà pris les deux premières places dans la file d’attente, je crois…»

Il manqua de recracher la coupe de vin Face au regard outré que lui jeta son intendante. Il dut également rattraper au vol la pomme que son aide de camp lui lança en plein visage pour manifester leur mécontentement. Il croqua alors à pleine dent dans le fruit, se fendant d’un clin d’œil à Eireen qui lui répondit en lui tirant la langue. L’ambiance informelle de la maison de la Vierge dans toute sa splendeur.

Lorsque Gawa s’interrogea sur la manière dont il devait considérer la Coupe lorsqu’elle se trouvait sans son masque, Kaleb s’amusa également de la naïveté du gardien du premier temple.

«Tout dépend de vos goûts en matière de relations humaines seigneur Bélier. Disons qu’il vous faut considérer que ce que vous voyez dans cette maison n’est pas représentatif du protocole du Domaine Sacré. Disons qu’il s’agit d’une heureuse parenthèse où, tant que ce que vous ferez et direz reste respectueux des règles instituées, libre à vous d’estimer les choses à votre convenance…»

Un sourire malicieux éclaira à nouveau le visage de la Vierge. Il était particulièrement curieux de voir ce que sa disciple allait répondre à ces remarques aussi innocentes qu’incongrues.

Kaleb attrapa un pain plat avec un morceau de fromage et s’enquit auprès de Kalia et de plusieurs serviteurs de l’état de santé d’une jeune femme qui s’était ébouillantée la veille en préparant la cuisine. Puis, se tournant vers son aide de camp, il l’interrogea sur la République de Platon qu’il lui avait demandé d’étudier en vue d’un échange avec le père de Kalia la prochaine fois qu’ils se rendraient ensemble à Rodorio.

Le gardien du sixième temple avait en effet l’habitude d’envoyer la jeune hiberne dialoguer avec Théotokos pour travailler son sens de la rhétorique et de la formulation. Pour apprendre également à discipliner son esprit et à argumenter. Domaine dans lequel, il fallait bien l’admettre, le fait d’avoir naturellement la langue bien pendue, lui faisait faire des progrès remarquables.

C’était aussi l’occasion pour Kalia d’aller voir son père tout en offrant à Dana la chance de se familiariser avec la vie quotidienne d’un village grec. Et pour Kaleb, c’était un moment de solitude qu’il exploitait à bon escient.

«Ne vous inquiétez pas Gawa… Je n’ai pas l’intention de mourir. Enfin… Pas maintenant… Et surtout pas autour d’un repas…»

Le Bélier semblait prendre les choses à cœur. Beaucoup trop à cœur. Et au premier degré qui plus est… Simple ou simplet ? Après tout, il n’y avait bien qu’une seule lettre en plus pour désigner un océan séparant ces deux états. Pourtant, il n’était beaucoup plus jeune que lui. Kaleb avait donc un peu de mal à comprendre tant de naïveté. Même pour lui qui n’avait pas la prétention d’être un fin stratège ou un tacticien hors pair, la phrase de Gawa résonnait comme s’il avait enfoncé une porte d’un coup de tête. Après tout, cela pouvait correspondre au gardien de la première maison, bien qu’il soit le premier qu’il ait l’occasion de croiser.

« Ce n’est pas faire offense à la Mort que d’en rire. Au contraire, mon cher. C’est une façon de célébrer la force de la Vie. En se plongeant dans ce qu’elle peut nous apporter de plus joyeux et d’agréable : rire pendant un bon repas, entouré de personnes agréables… »

Lorsque le Bélier fit un compliment à Dana, la Vierge ne put s’empêcher de lancer un regard entendu à son aide de camp. C’était là une réflexion qu’il lui avait fait quelques jours auparavant lorsqu’elle lui avait raconté comment elle était tombée sur deux gardes échangeant des propos tendancieux sur la sainte de la Coupe.

Il était évident que Dana avait du charme. S’en rendait-elle seulement compte ? Y portait-elle de l’importance ? Probablement pas. Et au final, lui prêtait davantage attention à sa lumière qu’à son physique. Comme il le faisait pour tous les autres d’ailleurs. Aussi chercha-t-il à changer de sujet.

« Mais dites-moi, Gawa…. Si vous venez de Jamir, vous devez connaître le chevalier du Verseau qui est chargé de protéger cette région ? Ou bien le Gardien des archives du Sanctuaire qui s’y trouvent ? Non ?»

Encore et toujours la quête de la connaissance. Kaleb savait aussi que c’était un lieu où l’on réparait les armures endommagées.

« A moins que vous n’ayez eu une quelconque formation dans le domaine de la réparation des armures sacrées ? Il semblerait que cela soit une tradition dans ces montagnes… Quelle est donc votre histoire ?»

Un ballon d’essai. Une tentative d’en savoir un peu plus sur le bélier à la toison d’or, sur son histoire et ses origines.

«Dana a raison… Je vous prie de bien vouloir m’excuser Gawa… J’oublie parfois que la mort est un sujet douloureux pour bon nombre de personnes… »

Sa vision des choses. Il n’avait pas de chagrin dans la mort. Des regrets peut-être. Ceux de ne pouvoir admirer la lumière du vivant plus longtemps. Mais la mort et la vie n’étaient que les deux faces d’une même pièce. L’une n’allait pas sans l’autre. Il allait essayer de faire comprendre sa vision sans pour autant se montrer trop insistant.


« Je suis chaman. Je vois les lumières de vie des individus. Et dans la tradition chamanique, la mort n’est qu’un passage à un autre stade de la vie. Mais je comprends que tout le monde ne perçoive pas les choses de la même manière…»

Néanmoins le Bélier ne se laissait heureusement pas abattre. Il avait lui aussi un bon coup de fourchette. Ce que la Coupe ne manqua pas de remarquer avec un ton amusé. Kaleb profita donc de l’occasion pour rebondir sur un sujet plus léger et passer à autre chose.

« Ah, là-dessus, je ne peux que me montrer d’accord avec vous, seigneur Bélier. Manger c’est l’occasion de célébrer la Vie et de réunir les gens. C’est une des joies simples de l’existence. Et puis, si la Nature nous a doté du goût et de l’odorat, c’est bien pour en apprécier toutes les saveurs…»

Kaleb n’avait pas parlé des sens de manière plus large pour ne pas se montrer blessant pour sa disciple, même par inadvertance. Après tout, même si elle rayonnait, il y avait des blessures intimes et secrètes dont on ne pouvait savoir si elles n’étaient que chimères ou des réalités tangibles.

La Vierge garda un instant de silence et prit un air absent. C’est l’instant que choisis Eireen pour questionner Gawa à son tour. La flamboyante aide de camp ne se départissant pas de son ton direct habituel.

« Et donc, vous êtes forgeron ? Vous vous contentez de réparer les armures ou on peut aussi vous faire des commandes disons plus… personnelles ? »

Elle jeta un regard amusé à Kaleb qui la scrutait d’un regard suspicieux.

« Quoi ?! Je me demandais juste si un petit bijou d’avant-bras ou une paire de couteaux de lancer en acier de Damas… Ce n’est pas réservé aux Eveillés, non ? Les gens normaux aussi peuvent trouver un intérêt au fait d’avoir un forgeron dans le Domaine Sacré !»

«Pour ce qui est de la forge… Je sais qu’il y en a une à Rodorio et du côté de la garde mais ailleurs… Le Bélier est traditionnellement le forgeron du Sanctuaire. Enfin c’est ce que m’a enseigné mon maître… Peut-être y’a-t-il un espace dédié dans le premier temple, non ? »

Mais Kaleb fut interrompu dans sa réflexion par la demande de son aide de camp. Son regard suspicieux vira au rire nerveux. Elle ne manquait pas de souffle. Une de ses principales qualités aux yeux de la Vierge.

« Je suis certain que Kalia se ferait une joie de fournir à Gawa de quoi honorer ta commande, Feu Follet… Mais je ne suis pas sûr, en revanche, qu’elle le fera sans contrepartie… Qu’en dites-vous madame l’intendante ?»

Kalia adressa un sourire inquiétant assorti d’un double haussement de sourcils en direction de la jeune aide de camp. Puis elle prit calmement la parole, un air carnassier sur le visage, faisant rouler sa coupe de vin entre ses paumes.

« Nous trouverons bien un arrangement, n’est-ce pas Eireen ? J’ai bien quelques tâches pour lesquelles nous pourrions faire l’économie d’une intervention extérieure à notre maison… Un paiement en nature en quelque sorte…»

Eireen lui tira la langue avec amusement. La dernière fois qu’elle avait accepté un tel accord, elle s’était retrouvée à remonter des stères de bois depuis le village avec un âne qui, s’il n’avait pas été le seul capable de tirer la carriole, aurait fini en saucisson. Elle se fendit donc d’un rire moqueur.

« Je tiens d’abord à voir les petites lignes de l’accord… Tu ne m’auras pas deux fois à ce jeu-là… Les couteaux? Pour viser les derrières des gardes indélicats et leur couper la ceinture quand ils manquent de respect aux femmes de cette maison... Quoi d'autre? »

Un petit rire amusé vint ponctuer la bravade de l'Hiberne. Mais, l'attention revint quasi immédiatement sur le Bélier lorsque Gawa évoqua son rendez-vous. Kaleb lui répondit avec une sérénité non feinte.

« Oui, effectivement. Il ne vaut sans doute mieux ne pas le faire attendre. Cependant, le premier entretien se fait toujours en solitaire. Il y a des choses qui ne regardent que le Pope et le nouveau chevalier… Dana peut néanmoins vous accompagner jusqu’à la sortie du temple… »

Le repas touchait à sa fin. Comme toutes les bonnes choses, la rencontre avec le nouveau chevalier du Bélier arrivait à terme. Kaleb se leva. Une marque de politesse autant qu’un signe adressé aux serviteurs qu’il était temps de passer à autre chose. Il ne fallait pas faire davantage attendre le Vieux lion.

La Vierge adressa un salut des plus respectueux au gardien de la première demeure. Ils seraient amenés à se revoir. Tout du moins il l’espérait.

«N’hésitez pas si vous avez besoin de quoi que ce soit, Gawa. La maison de la Vierge est un lieu pour ceux qui cherchent la Paix ou la Connaissance ou tout simplement pour venir profiter d’un moment de convivialité…»

Il adressa un clin d’œil facétieux à Kalia et Eireen. Elles étaient comme lui dépositaires de cet esprit qu’il avait souhaité insuffler depuis son intronisation comme gardien de la sixième demeure. Et le tour était aussi venue pour Dana, en tant que disciple et habitante de la maison, de porter elle aussi cet idéal.

Il regarda à nouveau son frère d’arme, membre du cercle d’or et lui adressa un nouveau sourire emplit de bienveillance.

« Je vais donc laisser Dana accomplir sa mission d’hôte de la demeure. Nous reparlerons de la Forge une prochaine fois plus longuement mon cher Bélier si vous en êtes d’accord. Outre la commande de mon aide de camp, je serais curieux d’en savoir plus au sujet de la réparation des armures… Sur ce, je vous prie de m’excuser….»

Kaleb se dirigea alors vers la sortie de la Salle des Banquets donnant non loin de l’Autel du Paradis afin de se rendre dans les jardins des Saules Jumeaux. Il avait la construction d’une herboristerie à superviser.

Citation :

Rp terminé. Merci