[Mars 553] Pour parler à Dieu, inutile de passer par ses apôtres

Durant ma dernière conversation avec Nessius, ce dernier avait mentionné une solution. Une tentative que je qualifierais de désespérée, mais qui avait le mérite d'exister.
Et depuis lors, cette idée ne m'avait pas quitté.
Le pari était osé, mais au final correspondait bien à mon caractère atypique et hors des conventions. J'avais pris le temps d'y réfléchir durant une nuit, avant de trancher par l'audace, plutôt que la mesure.
Si quelqu'un pouvait réveiller Poséidon, c'était bien moi. Ou au contraire, souffler dans les bronches du divin colérique, occupé à roupiller pendant que ses enfants entre-déchiraient en son nom.
Cette seule perspective m'arracha un sourire, alors que mes pas me menaient en direction du temple de mon souverain.
Tout irrévérencieux que j'étais, je n'irais pas jusqu'à secouer le dieu des océans, même si je commençais à nourrir à l'égard de son silence un certain agacement.
L'assassin d'Orpheus avait bénéficié de la protection passive de Poséidon, alors que moi... Rien.
Aucune réponse, aucun retour quand à ma victoire en son nom au tournoi de Camelot.
Pas un son, aucun signe alors que la cité était en proie à ses ennemis intérieurs.
Donc, soit Poséidon dormait à poings fermés, soit... Il se servait de nos souffrances pour débusquer les Muiens et autres infiltrés, en se moquant totalement de notre survie. Et cela je ne pouvais l'accepter. Ou du moins... Je devais en avoir le coeur net.
Avoir un "père" absent était une chose. Mais si ce dernier devait à ce point se foutre de nos vies éphémères... Alors à quoi bon nous dévouer à son service ? Bref, la situation commençait à me peser, et une soif de sang de mauvais aloi menaçait d'engloutir ma raison. Une ire que seul Poséidon pourrait apaiser par un sommeil réel, ou... Je n'en savais rien au final.
J'avais côtoyé de loin la divin ombrageux durant la bataille de Ker-Ys et aidé à ramener son corps à Atlantis. Mais nos relations directes s’arrêtaient là, malgré des années à servir sa cause. Et aujourd'hui... Hormis Cinead, je ne voyais personne pour aller à sa rencontre.
Sans grande surprise, un barrage impressionnant de gardes avait été disposé à l'entrée du temple. Et je les vis se mettre en branle à la vue de ma silhouette solitaire, parée de mon écaille.
Sans me presser outre mesure, je stoppais mon pas à portée de voix et les saluais avec amabilité.

Je suis Endymion Atlas Mérinita, général du dragon des Mers. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me laisser passer... Nous sommes dans le même camp.

Autant ne pas y aller frontalement, au cas où la vigilance des gardes les rendraient paranoïaques. Entre mon nom, mon lien familial avec Cinead et ma réputation, je doutais qu'ils refusent ma requête. Mais un brin de courtoisie ne pouvait faire de mal. Pour l'instant...

Eh merde...
Mais pourquoi les choses ne pouvaient jamais aller dans le sens de la simplicité et de l'aisance ?!
En fait, je commençais à me demander si on ne m'avait pas jeté un mauvais sort à Camelot, obligeant celles et ceux qui croisaient ma route à se montrer pénibles...
Certes, ces soldats suivaient les ordres, et en cela je ne pouvais les blâmer. Mais l'affaire les dépassait complètement, et je n'étais pas d'humeur à faire gentiment demi-tour.
Agacé, je levais les yeux au ciel avant de reprendre contenance d'une longue expiration.

Je comprends votre position, officier. Toutefois, je vais être contraint d'insister. Il en va de la sauvegarde d'Atlantis.

Or, je doutais que même cet argument suffirait à convaincre une telle élite. Aussi, je tentais une approche de bonne volonté, en prenant sur moi.

Ce que je vous propose, c'est d'envoyer l'un de vos hommes sans tarder quérir l'avis de mon beau-frère. Je patienterais, sans causer de vague. Vous avez ma parole.

Un bon coureur aurait tôt fait de revenir avec l'autorisation de Cinead. Du moins, je l'espérais...
L'ancien Légat et moi nous connaissons assez pour qu'il me porte une confiance aveugle. Du moins, telle était notre relation dans le temps. Au vu de la situation frustrante, le temps jouait contre nous. Or, avant de tailler du sénateur, je tenais à essayer cette ultime solution.
Comme dit l'adage : Qui ne dit mot, consent. Si malgré ma prière, Poséidon préférait roupiller ou rester dans son mutisme, je saurais à quoi m'en tenir, et j'agirais en conséquence.
Mais il était hors de question de faire demi-tour. D'où cet effort de diplomatie, malgré mon agacement qui n'avait fait que croître au fil des jours.

Tranquille et patient en apparence, je restais les bras croisés à fixer le temple, l'air pensif.
A mes cotés, l'officier restait silencieusement courtois, mais je voyais bien que la vigilance restait de mise. Une attitude bien étrange vis à vis de moi.
Et plus atypique encore, ce fut... Cinead en personne que je vis accourir au galop !
De plus en plus interloqué, je suivis mon beau-frère à l'écart afin de l'observer alors qu'il exigeait de connaître la raison de ma présence ici.

Le besoin légitime qu'a un général des mers de venir se recueillir auprès de Poséidon. Et de chercher des réponses que lui seul peut donner.

Je m'étais exprimé sans une once d'agressivité, mais le visage fermé. Inhabituellement sérieux.
J'étais blessé de sentir de la méfiance chez Cinead. Et cette inquiétude bien étrange. Que craignait-il donc de ma part ? Avait-il quelque chose à cacher ?
Je finis par relâcher un interminable soupir.

En quoi ma présence ici m'empêche d'avancer nos pions, selon les termes de notre accord ? Crois-moi, j'ai déjà pris de nombreux contacts et œuvrais conformément à ce que nous avions convenu. Et je t'ai dit que je serais prêt à certaines extrémités, non ? Mais avant d'en arriver là, je besoin de savoir ce qu'en pense Poséidon. S'il dort et ignore le chaos ambiant, ou s'il observe et... Tolère.

Pour une fois que je faisais passer la Foi et la raison avant la passion et l'impulsivité...
Si je devais noyer Atlantis dans le sang, et perdre tout ce que j'avais bâti durant ces années, je refusais de le faire sans être certain de ne pas me mettre mon dieu à dos. En outre, je commençais à m'agacer d'être partager entre de trop nombreux marionnettistes.

Cinead, te méfierais-tu de moi ? Je ne crois pas que ma loyauté t'ai déjà fait défaut, mon ami.

Une véritable question. Entouré de serpents et de politiciens durant trop longtemps, l'ancien Légat en était-il venu à douter de ses proches ? En outre, malgré mon respect et mon soutien total, Cinead ne disposait plus d'aucune légitimité pour me donner des ordres. Et il le savait aussi bien que moi. Je n'en répondais donc plus qu'à Poséidon, en personne. Me refuser l'accès à son temple ne serait donc pas anodin... Mais connaissant le frère de Calistia, je doutais qu'il s'entête.

La vie d'un général des mers n'est pas faite que d'entrainement, de vigilance et de sacrifice.
La Foi y joue aussi une part importante.
Je n'étais pas vraiment le dévot type. Fétard, dépravé, peu porté sur la prière, je n'en nourrissais pas néanmoins une croyance ancrée en mon for intérieur. Un attachement à Poséidon qui s'était révélé pleinement lors de mon séjour à Camelot. Ma relation avec le dieu des océans était unique, atypique. Mais je voulais croire qu'au fond, j'étais peut être sur général le plus loyal.
Et l'unique question qui valait en cet instant était... Avais-je Foi en l'homme qui me faisait face ?
La réponse me vint, tel un réflexe.

Très bien, je te fais confiance. Comme toujours et à jamais.

Je me doutais bien que des éléments clés m'échappaient. Et je soupçonnais même que Poséidon observait avec vigilance nos faits et gestes, même dans son profond sommeil. Savoir que je n'avais pas été jugé digne d'entrer dans la confidence me blessait plus que je ne l'aurais pensé de prime abord. Mais à quoi bon m'en étonner ? Malgré mes efforts et années de bons et loyaux services, je resterais à jamais un paria.

Si quelqu'un tente d'entrer en force, je viendrais. Tu as ma promesse. En attendant... J'ai réussi à obtenir un entretien privé avec Calum O'Bannon. J'espère en tirer quelque chose.

Mes doigts vinrent se poser sur l'une des mains posées sur mes épaules. Cinead m'en demandait beaucoup. Mais j'avais choisi une ligne de conduite. Autant m'y résigner jusqu'au bout.

L'affaire était entendue, et mon choix fait.
Jusqu'au bout, ma confiance irait à cet homme. Pourquoi ? Que lui devais-je au final ? Rien.
Mais dans cette existence de merde, cette citée pourrie, je gardais l’envie, le besoin peut être de croire en quelqu'un. Ce coté utopiste, romanesque me permettait de conserver une certaine humanité. J'y tenais donc précieusement.

C'est un O'Bannon.

En gros, un individu instable, probablement trop sanguin. Atypique, un brin dérangé et un peu fou. J'étais bien placé pour le savoir. Mais l'entrevue risquait en effet d'être particulièrement enrichissante.
J’acquiesçais à la promesse de Cinead, tout en me demandant s'il aurait les moyens de la tenir. Le temps comme la situation pouvait nous échappait comme du sable entre nos doigts.
J'observais mon beau-frère s'éloignait, avant que mon regard ne s'attarde sur la haute silhouette du temple.
Que foutais donc Poséidon ? Pourquoi ce silence ? Ce délai pour se choisir une Voix et mettre un terme à la guerre civile qui couvait ? Le seigneur des océans devait bien avoir une raison. Par son absence, cherchait-il à faire sortir du bois nos ennemis ? La stratégie se comprenait. Mais je n'en nourrissais pas pour autant une grande frustration et un sentiment... d'abandon.
Trop de choses m'échappaient encore.

La Foi est vraiment une chose déroutante... Tu ne trouves pas, Poséidon ?

Et sur un sourire triste, je me détournais du temple de mon dieu silencieux. Prêt à entamer une nouvelle étape dans ce beau bordel qu'est devenue Atlantis.