[Début Avril 553] Une amphore brisée [PV Mehry]

Les requêtes trouvent une oreille dans lesquelles se loger ; les Poissons demeurent un mystère et des interrogations brûlent les lèvres de la serpentes. Sans pour autant se confier, des éléments devront être donnés, et cela des deux côtés. En effet, les contreparties font partie intégrante du jeu auquel elles se livrent. Le principe d’offrir pour recevoir n’est pas systématique, mais l’échange reste une valeur sûre dans le cas présent. Le tout est de connaître ses propres limites.

Le bruit métallique des solerets résonne sur les dalles du temple et, aussitôt, les amandes Céladon explorent. Des eaux limpides aux odeurs fruitées, tous mettent ses sens en éveil et ramènent aux remembrances envahissantes, dernièrement, à commencer par la plaine aux centrathus ruber.

Elle s’immobilise un instant, les prunelles figées sur les thermes. Puis, elle reprend la route, rattrape la silhouette partie devant, postée dans la cuisine ; une cuisine qui, bien que différente, renvoie, elle aussi, aux souvenirs. À l’instar de l’armure de son hôte auparavant, l’Ophiuchus quitte son corps.

— Plutôt de quoi boire, si tu as quelque chose qui ferait l’affaire sans trop te prendre la tête avec.

Quelques minutes, et déjà un plateau de mets, accompagné d’une amphore, se posent sur la table. Il est temps de prendre place, de comprendre, de rassurer sur le malaise qui s’installe et, peut-être, de briser ce qu’il reste de la glace.

Dans un premier temps, Mehry se contente d’acquiescer aux aveux de la maîtresse des lieux : des occasions manquées, l’un des sujets qu’elle espérait pouvoir aborder. Pourtant, semble-t-il que cette dernière se fourvoie sur un point en particulier.

— Je n’ai pas l’intention de te "gronder" ou de t’en vouloir pour tes secrets : tu n’es pas quelqu’un qui mettrait tout ça en œuvre sans raison, on le sait pertinemment, toi et moi. Pourquoi ne pas commencer par me raconter ce qu’il s’est passé et, aussi, ce qui t’a poussé à revenir en tant que Nimuë ?

Une histoire saisissante durant laquelle la demoiselle ne pipe mot. Les mimiques, les tiques et les arguments s’enchaînent, maladroits, mais les intentions sont présentes ; elles se dévoilent dans la difficultés, embourbées dans un mensonge omniprésent. Or, pour l’heure, ce n’est pas l’Ophiuchus qui lui fait face, pas plus que la Persane : seule Mehry demeure, là, prête à entendre ce qu’elle n’osait avouer jusqu’à présent.

Pour autant, l’excuse de prime abord donnée ne sonne pas entièrement faux. En dépit de son caractère incomplet, les traces d’une vérité dormaient en son sein, car, pour que la supercherie prenne, la déesse aux yeux pers devait être dans la confidence.

Sans l’ombre d’un doute, elle savait.

Les éléments suivants, en revanche, surprennent davantage l’Iris Noir. En partie, elle connaît les déboires des Poissons, tiraillés entre deux factions. Quelque part, toutes deux se ressemblent plus qu’il n’y paraît, ce qui, présentement, l’inquiète dans une certaine mesure. Les différences sont, toutefois, notables.

— C’est une bonne chose que Childéric ait pu être à tes côtés, vous avez pris sur vous pendant longtemps.

Il s’agit de la première réponse accordée, une fois le récit terminé. Si quelques soupçons s’étaient montrés, il n’y avait toutefois rien de très probant ; rien de suffisant pour lui en parler directement, à l’époque. Alors, ce désolée, ne parvient pas à sortir complètement. En outre, accepter de tomber seul ou à deux n’est pas chose aisée, d’autant lorsque l’on prend en compte les potentielles retombées.

Un soutien comme une prison ; le risque d’être emporté d’une manière ou d’une autre.
Un danger, en somme.

— Vous vous êtes battus, et le résultat en vaut la peine, non ?

Un sourire lui est offert ; une maigre rassurance. Cette décision n’appartenait qu’à eux, à l’époque, autant que celle de lever le voile sur le passé, de se tenir droite dans le présent. Ils l’ont prise tous les deux. Compte tenu de sa propre position, Mehry ne pouvait en aucun cas leur reprocher ces choix.

— Tu pourrais m’en dire plus sur ces histoires de cycles, de malédictions, des rapports avec Atlantis ? Je t’avoue ne pas être très au fait de vos légendes et des croyances d’ici… J’imagine que ton retour aura des répercussions, alors mieux vaut avoir tous les éléments en main pour s’y préparer.

D’un œil, elle guette ses réactions, pour finalement reprendre.

— Plus tard, si tu préfères. Pour l’instant, il est plus approprié de trinquer et de te souhaiter un bon retour chez toi.

À défaut de pouvoir pleurer ceux qui partent.

— Et si t’as besoin de vider ton sac, n’hésite pas à venir me voir. Je te soutiendrai.

Observer pour mieux comprendre, pour déterminer les rôles qu'il reste à jouer ; ce que la suite leur apportera, ce qu'elle découvrira. Tout ce qui fait qu'elle ne renonce pas encore.

Ces remerciements ne représentent rien de concret et, pour cela, la serpentes ne s’y attarde pas. Pour l’heure, elle n’est qu’une oreille attentive qui, en tapinois, analyse ; une fonction maintes fois utilisée, comme un tissu qu’elle revêt par habitude. Toutefois, des nuances s’observent depuis les précédents mois. Probablement est-ce l’œuvre d’un fantôme. D’un clignement de paupières, Mehry balaye ses idées noires et reprend les confidences en cours de route, répondant à son œillade par l’amorce d’un sourire.

— Dans ce cas, ne laisse personne te culpabiliser et te faire croire que c’était une erreur ou une mauvaise décision.

La relation entre les Poissons et le Lion devenu Pope l’intrigue, mais guère de la manière dont on l’imagine. La Persane comprend sans mal qu’un lien étroit les unis. Cette hypothèse, d’ailleurs, se vérifiera bien assez tôt. Ils sont une chaîne l’un pour l’autre.
Sans surprise, Nimuë se crispe quand vient le sujet d’Atlantis. Qu’importe : les révélations suivront lorsqu’il sera temps pour elles d’être annoncées et, si les préparations seront effectuées avec les moyens du bord, la trentenaire usera de ses suppositions et des informations d’ores et déjà à sa disposition jusque-là. Sans doute s’agit-il d’ailleurs de l’une des raisons pour laquelle elle n’insiste pas, ravale même ses questions au profit d’une suite plus festive.

Peut-être pas, finalement.

Dans une approche de mimétisme, elle attrape son verre de vin, le lève, puis le porte à ses lèvres ; des lèvres qui s’érigent toutefois en barrière. Aux retours chez soi, où qu’ils puissent être. Cette phrase résonne et l’imprègne d’une amertume qu’elle tente, en vain, d’oublier. Une douleur, également, qu’elle n’accepte pas.

Et après ?

La mention de Silas des Gémeaux la sort de ses songes et, instantanément, les amandes se plissent. Fatalement, celui qui est proche de la voix d’Athéna l’est probablement aussi de celle qui lui est chère. Pourtant, ses actions récentes restent en travers de sa gorge ; actions qu’il poursuit visiblement avec elle, notamment, à en croire l’ombre qui voile son regard. À cela, Mehry pousse un soupir.

— Allons bon, qu’est-ce qu’il a dit comme connerie pour que ça t’affecte autant ?

Il n’est pas du genre délicat, pas plus qu’il n’est fiable. Ce comportement supposé à son égard ne l’étonne pas le moins du monde, car il est remplis d’hommes dans son genre. Cela fait partie du jeu, tristement. D’un coup d’œil rapide, elle récupère le contenant et verse du vin dans le verre de sa compère.

Récemment, les problèmes, les déceptions et les désillusions s’avèrent plus nombreuses qu’elles ne le devraient. Certaines plus que d’autres, car les chaînes, entre autres, se sont brisées. Or, cela fait bien longtemps que les larmes d’Ehsan ne coulent plus ; désormais, il s’accroche inconsciemment aux branches fébriles pour ne pas tomber dans le vide.
En y repensant, il s’est grandement ramolli, depuis ce temps-là. Cependant, cela aura au moins le mérite de remettre ses pensées et ses égarements à leurs places.

S’instaure un sujet pour le moins sensible. Des maladresses s’exposent alors, faute d’un égarement ou, plutôt, d’une méconnaissance. Les choses ne se limitent pas à apprécier ou mépriser une personne, lorsque l’on se nomme Mehry ; rares sont ceux à être passé par ce stade, ils se comptent d’ailleurs sur les doigts d’une main. Peut-être même sur un seul, à vrai dire. Cela, elle n’en est pas encore certaine. Toujours est-il que les Gémeaux n’entrent pas dans cette case exclusive et, portant derechef le verre à ses lèvres, elle songe à remettre les éléments à leur place. Une douceur prévue originellement ; une douceur toutefois annihilée à la seule mention d’un verbe.

Il ne trahira jamais, lui. Et pourtant, il appert que Silas pue le mensonge, sans doute plus encore que Nimuë et ses secrets. Ces confiances excessives, la serpentes les repousses avec force, d’autant compte tenu des révélations récentes. Les rares fois durant lesquelles elle est tombée dans ce piège ont le mérite de lui avoir enseigné qu’elles ne menaient qu’à la perte. Au mieux, des déceptions passagères. Alors, dès lors que le contenant est reposé sur la table, ses paupières se ferment temporairement pour, finalement, s’assombrir un instant.

— Je n’ai pas de griefs particuliers le concernant. Disons que, s’il n’est pas noir, il n’est pas blanc pour autant. À sa manière, il peut mettre les autres en danger et se dédouaner des évènements par après.

L’expérience parle d’elle-même et, si les Poissons parviennent à faire le lien, tout s’éclairera certainement. Cette pointe maussade ne comporte aucune trace sarcastique, elle n’établit que des faits. Des moments qu’elle aurait préféré ne pas voir venir tout de suite, quand bien même elle s’attend toujours à ce genre de retournements. Seulement, cela fait trop d’un coup.

— T’as peut-être menti en te dissimulant, mais t’es revenue telle que tu étais et, surtout, prête à assumer les conséquences de tes décisions. Et, au final, même autrement, tu restais là et tu gardais un œil sur lui, non ? Partant de là, on peut difficilement parler de trahison.

Les prunelles dans l’alcool, rougies par le vin, Mehry lâche un soupir.

— Silas a beaucoup d’ego. Il est encore possible qu’il n’accepte tout simplement pas de ne pas avoir été mis dans la confidence, même si c’était la meilleure solution de ne pas le faire.

Et pour cause…

— Ça lui passera.

Ne sont-ils pas proches, à l’origine ? Reste à savoir dans quelle case il se situe. Or, elle sait déjà que tout se terminera bien, plus que pour d’autres tout du moins. Il n’est pas complètement stupide, surtout borné. Qui plus est, Childéric entre également dans l’équation.

Tu n’es pas vraiment source d’une grande discorde, s’apprête-t-elle à ajouter, avant que Nimuë ne reprenne la parole pour des sons plus violents encore que les précédents. Ceux qui ont disparu : plusieurs noms traversent sa tête, néanmoins, un seul s’y arrête. Au-delà des nouveaux qui ne restent pas longtemps, il y a les anciens qui s’évanouissent. Ils ne laissent rien derrière eux, rien de très positif.

— Airôth.

Ce murmure outrepasse ses pensées et Mehry ne le réalise pas immédiatement. De nouveau, elle se noie dans son verre de vin, similaire aux tâches carmines de ses souvenirs. Une raison pour laquelle elle ne boit que très peu de cet alcool, qui sait. Elle s’absente, mais se reprend aussitôt.

— T'es pas source d’une grande discorde, t'as juste fait ce que tu estimais le mieux à ce moment-là. Les autres, Silas compris, n’ont rien à redire là-dessus. C’est particulièrement facile de critiquer quand on ne sait rien, qu’on est bien au chaud à l’extérieur du problème. Cette décision, c’est quelque chose que seuls Childéric et toi êtes capables de juger. Je me répète, mais que ce soit toi ou lui, ne laissez personne vous faire croire le contraire.

C'est important.
Un conseil plus appuyé, cette fois, consciente que nombreux joueraient des larmes et des cris pour les faire tourner en bourriques. Jouer des sentiments et de cette confiance excessive, aussi, en un sens. Cela reste un bon exemple.

— Juste une question. T’étais au courant ?

Au courant pour lui : Airôth et son prétendu départ, sa disparition soudaine.

Nimuë n’est guère plus à l’aise qu’elle, à en juger par ses réactions et les tics sans équivoque. De ses quelques souvenirs encore intacts, elle imagine sans mal que tous deux étaient proches ou, en tout cas, qu’ils entretenaient une relation amicale. Notamment, à plusieurs reprises, la remarque d’une amphore d’alcool portée disparue, lorsqu’on la nommait encore Morwenna. Alors, sans doute manquera-t-elle de tact, mais, pour une fois, elle s’en moque.

— Oh, non, pas besoin, ne t’embête pas avec ça. En fait, c’est Childéric qui m’en a informé, au retour de Camelot.

Un sujet pour le moins délicat ; un départ que la Persane ne digère pas, en dépit des jours qui passent. De plus en plus, elle peine à reconnaître l’adulte, se retrouvant plutôt avec l’enfant altérée par sa propre rancune, impuissante face à cette région qui brûle des siens jusqu’à détruire jusqu’à leurs ossements, puis l’esseulée, après la disparition soudaine d’Ashkan. Alors elle s’est juré de ne plus tomber dans des bras, de ne plus croire et, surtout, de faire tout ce qui est en son pouvoir pour servir sa cause, ce pour quoi elle se bat depuis.

— Paraît-il qu’il a rendu son armure, qu’il voulait partir pour retrouver son bras.

Ces justifications, Mehry les crache sans prévenir, sans même chercher à dissimuler l’amertume qui les enrobe. Sans attendre, ses lèvres pincées trempent dans le breuvage, le terminant d’une traite. Alors, elle imite l’hôte, se sert de nouveau pour mieux se noyer ; une solution parmi tant d’autres, comme lorsque la Rose désigne la bouteille pour la tenir responsable de sa curiosité, décrochant un bref sourire à l’Iris noir, avant qu’elle ne replonge dans son verre.

— Je sais qu’il veut le retrouver. C’est pas la première fois qu’il part pour essayer de mettre la main dessus, mais tout plaquer, s’enfuir et laisser son armure, là, comme ça ?

Jeter tout le reste. Au fond, pourtant, ce n’est pas ce qui l’énerve. C’est autre chose, sur lequel elle met parfaitement bien le doigt, bien qu’elle en refuse l’idée même. Dès lors, une pause marquée, puis elle reprend, en apparence calmée, mais douloureusement ferme :

— Oui. C’est ce que je pensais, en tout cas, mais, visiblement, y’a eu une erreur quelque part.

L’erreur de s’être fait emporter par ce jeu qu’il y avait entre eux, d’avoir voulu croire en cette possibilité, de s’être détournée de ce qui importait vraiment : ces trois-là, en guise d'exemples. Au final, lesdites erreurs sont plus nombreuses qu'elle n'accepte de l'avouer.

Personne ne peut comprendre ; personne à l’exception d’Airôth lui-même. Ainsi, nonobstant les souvenirs, les relations et ses responsabilités, il s’est volatilisé, préférant poursuivre un fantôme agaçant. Les fixations que les Éveillés font sur leurs armures, Mehry ne les a jamais compris : elles sont outrancières et n’engendrent que des problèmes. Indirectement, c’est par leur biais que le fils de la vie se réduit, que les précautions déclinent.
Pour l’heure, la rage est contenue, peut-être parce que Nimuë la déverse, en partie, à sa place. De plus en plus, elle réalise ce qu’il se passe et, contrairement à ce que les Poissons prévoient, qu’il ne reviendra pas. Ce bras, il ne le retrouvera pas, alors, que pourrait-il y avoir d’autre ?

— Il ne reviendra pas.

Comme un couperet, son verdict tombe et sa voix résonne, coupant presque l’élan de sa camarade de vin. Sans en connaître la raison, toute son âme en est convaincue : ce départ-ci est définitif. Lorsqu’elle est désignée, Mehry hoche la tête, lentement, négative.

— La tienne et celle de Paros, éventuellement, en admettant qu’il ne lui ait rien dit non plus. Childéric semble avoir été d’accord pour ça, oui, du peu que j’en sais. De toute manière, qu’est-ce qu’il pourrait bien y avoir d’autre ?

Le savoir n’empêchera pas sa colère, plus tard, lorsqu’elle sera seule. Pas plus que les remords liés à cette intimité : malgré ce qu’il affirmait, Airôth n’avait pas d’attaches.
Les prunelles rivées sur son verre, elle continuait de rassembler ses idées ou, en tout cas, d’essayer. Un verre qui reprit la direction de ses lèvres pour en vider le contenu, avant de le reposer sur la table avec lourdeur.

— Aucune idée. J’ai brièvement pensé à me rendre en Italia pour le chercher, mais on sait toutes les deux qu’il est inutile de courir après quelqu’un qui ne souhaite pas revenir. D’autant plus dans son cas, en tout cas. Du reste, pour mon armure, tant pis, elle restera comme ça.

Cette affirmation catégorique puise sa source directement dans ses ressentiments, dans la déception qu’elle a pu ressentir en s’écartant de sa ligne directrice. Peut-être changera-t-elle d’avis entre temps. Somme toute, son menton se relève et ses mèches tombent en arrière, à l’instar de sa tête.

— Au final, je me dis que tout ça, c'était du vent, des conneries, et que je regrette peut-être d’être tombée là-dedans.

Ce retour est inenvisageable. Certains fantômes sont imprévisibles, à l’opposé des convictions maintes fois arborées par l’ancien Taureau. Depuis la perte de son bras, il n’a jamais cessé de partir à sa recherche, d’être une ombre. Au mépris des autres, défiant toute logique et refusant tout acte de renfort, Airôth s’évanouit. Les gestes hasardeux des Poissons passent inaperçus ; cette lutte interne, Mehry n’est pas certaine de vouloir les entendre : son procès se tient déjà dans sa tête. Ainsi, si la colère peine à sortir, dedans, un violent orage gronde et menace.

Pourtant, Nimuë, de toutes ses bonnes intentions, se fourvoie. La Persane ne se sent en aucun cas coupable de quoi que ce soit. Rien qui justifierait ce départ, en tout cas. Il n’y a que le regret d’un caprice ; un caprice qu’elle savait voué à l’échec, parce qu’elle n’a pas le droit à tout cela. Le reste constitue une autre histoire. Avoir conscience de tout cela ne calmera pas son ire, ni les sensations désagréables.

La malédiction des Poissons ? Demande-t-elle d’un murmure, dans le brouillard, mais interpellée. Quelque chose de vaguement familier en découle. Aussi, les yeux rivés sur son verre se baissent lorsqu’une main douce attrape la sienne, marqués d’une surprise fugace. Les déceptions sont imprédictibles, voici ce qui semble être le cœur de son message. Pourtant, au-delà d’un simple conseil, Mehry comprend que la jeune femme parle pour elle-même.

— Aucun problème, on est là pour discuter, donc sens-toi libre de vider ce que t’as sur le cœur. Qu’est-ce qui t’a tant fait déchanter ?

Ils sont là pour cela. Alors, sans aucune trace de malice, bien au contraire, Mehry l’interroge sur la suite de ses réflexions. Les conséquences de leurs actes, quels qu’ils soient, n’entraient pas en compte il est vrai. Ou plutôt…

— Certains, oui, peut-être. Disons que c'est généralement plutôt une question de choix, de ce que tu acceptes de perdre en le mettant sur la balance, j’imagine...

Elle est convaincue que sa décision ne provenait pas d’un coup de tête, mais d’une mise au point et d’une hiérarchisation de ce qu’il considérait ou non comme important. En somme, de ce qu’il était prêt à sacrifier, sans rechigner, pour se libérer. Cet aspect, précisément, elle ne peut le lui reprocher. Un étirement des lippes soudain marque son amertume, contrasté d'une nonchalance faussée.

— Les hommes ne sont-ils pas tous comme ça, égoïstes ?

Il n’est pas son unique déception, loin de là ; il n’est que la plus récente d’une longue série. D’autres ont provoqué ces sentiments négatifs avant lui, tout comme des méprises similaires arriveront par après. Cela ne fait aucun doute. Ainsi va la vie, et elle n’apprendra pas de cette erreur. Contrairement à ce qu’elle pensait jusqu’à présent, elle n’en a jamais été capable… Preuve en est…

Somme toute, la Persane repose son gobelet d’un geste vif, si bien qu’il claque contre le table. Nimuë a certainement d’autres choses à faire qu’à écouter ses déboires, à commencer par reprendre ses repères, se retrouver avec elle-même et avec Childéric.

— M’enfin, je t’embête pas plus avec mes bêtises. Profite de ce moment pour te reposer, et n’hésite pas si tu as besoin.

Puis, se redressant, la remercier pour les verres avant de disparaître au détour d’un couloir. Dans le fond, si elle refusera de l’avouer, Mehry espérait probablement qu’on lui prête une oreille, juste une fois.

Citation :

Sujet terminé pour Mehry. Merci infiniment pour ces sujets et pour la bienveillance de Nini (et la tienne !)