[Début Avril 553] Sans écaille fixe (Noah - Endy)

Sacrifice

La route qui séparait mon pilier de celui de Noah s'était déroulée dans le silence.
Non par hostilité pour le jeune général, mais afin de me permettre de faire le tri dans mes pensées.
Devais-je me réjouir des derniers évènements ? Oui et non.
Certes, j'avais appris de nombreuses informations de la part du dragon des mers et mis cet enfoiré d'Etrius au pied du mur, mais à quel prix...
Me séparer de mon écaille... Cette seule perspective suffisait à me faire paniquer. Pourtant, j'avais bien conscience qu'il s'agissait d'un mal nécessaire. En outre, quelle ironie de devoir confier ma précieuse écaille au général du Kraken...
Une fois parvenu au pilier de ce dernier, je levais les yeux pour en embrasser toute la haute silhouette, frissonnant par réflexe en raison de la température.

Eh bien, nous y voilà...

Impossible d'en dire davantage. L'émotion restait trop forte.
Sans un mot, je repoussais les membres de mon écaille, qui vint se replacer sous sa forme de totem.

Quelle ironie de devoir prouver ma loyauté à Poséidon en me séparant du symbole de mon serment à son égard. J'espère que tu n'auras jamais à vivre pareille épreuve.

Au delà de mes propres tourments, j'étais désolé qu'un si jeune officier se retrouve aussi vite au milieu d'un tel tourbillon de problèmes.
Il ne me restait plus qu'à espérer que l'enquête menée par le conseil aboutisse rapidement à mettre au grand jour la traîtrise du Trémère. Certes, j'étais loin d'être sans défense, même sans Scale, mais je me sentais déposséder d'une part de moi même.
Face à une telle humiliation, la tentation de partir, de tout plaquer était présente. Mais je parvenais encore à la repousser.

Qu’est-ce que je pouvais dire ? Je suis désolé Endymion d’avoir soufflé l’idée de garder ton écaille en ma demeure ? Pardon de ne pas avoir essayé de te défendre ? Je comprends ce que tu ressens ? T’inquiètes pas va, ce ne sera pas long ?
Que des mots creux, des mots que je trouvais sans consistance, pourtant, j’avais cherché pendant tout le trajet quoi lui dire pour le réconforter. Se faire retirer son écaille, c’est quelque chose de très fort pour un général, même moi, je pouvais le comprendre alors que ça ne faisait que quelques jours que j’étais arrivé.

Après une gorge presque nouée de la part de mon compagnon, son armure se détacha et vint se placer à l’intérieur de mon pilier, pour séjourner quelque temps. Arhan et d’autres ne tarderons pas à arriver pour mettre en place les défenses nécessaires à sa protection.

« Quelle ironie en effet. »

J’avais pris la décision d’assumer mon rôle complètement, de ne plus douter sur le fait que mon armure m’a choisi, en quelque temps ma posture et mon port d’armure avaient drastiquement changés. Ce sont les paroles d’Endymion, un soir autour d’une bouteille, qui m’ont poussé à prendre ce chemin et aujourd’hui je n’arrive pas à lui rendre la pareille. Puis il me revint quelque chose en mémoire de la surface, une légende.

« Tu dois probablement le savoir, mais il existe une légende sur le Kraken. Cette légende raconte que le Kraken était certes un monstre marin, mais qu’il s’en prenait exclusivement aux bateaux des malfrats, de ceux qui avaient commis des péchés immenses. Une créature de justice que beaucoup trop de monde étiquette comme monstrueuse.
Quiconque voudra s’emparer de ton armure, sera un malfrat à mes yeux et si je dois le poursuivre jusqu’aux Enfers pour le retrouver et te ramener ton armure, alors je m’y emploierais.
L’enquête aboutira bien assez vite et quiconque sera désigné comme malfrat et ayant causé cette situation devra en répondre devant moi également.
La Justice est quelque chose que peu de personnes veulent distribuer, elle est tellement vaporeuse qu’il est difficile de tout cerner, pourtant, un jour, une créature à décider de l’exécuter et au lieu d’être traité en héros, il est traité en monstre. Une créature qui lève la vérité sur des éléments et devenus une chose que tout le monde craint.
Amusant non ? Comment cette situation peut représenter ce qui se trame actuellement.

Ton armure sera en sûreté, je m’y engage. Si je ne respecte pas mon engagement, alors je n’hésiterai pas à devenir ce monstre pour répandre la justice également.
Notre belle cité est devenue le théâtre des ombres, il serait temps d’apporter un peu de lumière. »

Mes paroles étaient aussi froides que l’air ambiant, j’étais déterminé. Ma posture était aussi rigide que la glace, je ne me briserais pas. Mes pieds étaient plantés dans le sol comme une colonne de glace soutenant le pôle, je ne vacillerais pas.

« Je t’interdis aussi de te laisser aller, tu donnerais la victoire à ce connard pétri dans sa toge. À toi de l’écraser de bout en bout, Général ! »

Confiance

Dans la brume des complots, des trahisons et des humiliations, la confiance affichée par ce jeune général candide pouvait être prise de deux manières : par la dérision ou l'espoir.
En un temps pas si lointain, j'aurais volontiers usé du premier réflexe.
Mais, j'étais bien trop acculé pour négliger la main tendue, même si elle me semblait enrobée d'une rafraîchissante naïveté.

Tu as ma confiance.

Et ces quelques mots n'étaient pas lancés avec légèreté. Il fallait bien que je me raccroche aux branches...
Un général sans écaille, quel déshonneur... Mais ce combat n'était pas similaire aux précédents que j'avais mené. Refuser l'affrontement serait l'unique clé du succès. Or, je détestais plus que tout devoir remettre mon destin entre d'autres mains. Et pourtant...

Ne t'inquiètes pas. Je n'ai pas subi un tel affront pour baisser les bras maintenant. Cet enfoiré paiera... Mais crois-moi, il est bien plus simple de se retrouver sur un champ de bataille. Je dois me contenter de suivre le courant... Au pire, je le ferais en picolant.

Un sourire, pour masquer ma langueur.
La sagacité de Calypso lors de l'enquête, les plans de Satine, la ruse de Nessius et la loyauté de Noah. Voilà ce qui venait remplacer le support de mes fidèles arcanes. Le contraste me fit éclater de rire. Je restais un marionnettiste, en quelque sorte... Sauf que je devais attendre que mes alliés agissent par leurs propres qualités, sans les influencer directement.
Je serais donc... Spectateur. Certains trouveraient cette position confortable. Mais pour l'homme d'action que j'étais... C'était un supplice.

Tiens... Je t'en fais cadeau. Tu entres désormais dans mon cercle proche.

Et je tendis une carte à Noah. L'arcane de la Justice. Le signe de mon respect et de ma confiance.

Une carte. Simple, sans pouvoirs, sans force, sans quelconque utilité à part celle d’être la preuve d’une amitié.
Je pris la carte entre mes mains et observai l’arcane de la Justice. Elle était belle et je souris à la connotation que cela donnait.

« Me voilà faisant parti de ton jeu maintenant. J’espère que tu sauras me tirer avec parcimonie et sagacité, mais là-dessus, je n’ai aucun doute.
Si tu en viens à manquer de compagnie lors de tes soirées arrosées, appelle-moi, surtout que tu me dois une tournée selon la belle brune.
Tu es du genre à toujours supporter ceux en qui tu crois non ? Maintenant, laisse-nous te supporter, au moins cette fois. Je pense même que c’est une bonne chose, prend du recul, observe la situation, peut-être, tu obtiendras un autre regard sur cette situation et ceux qui tirent les ficelles. »

D’un geste souple du poignet, la carte disparut de ma main, se faufilant sous mes vêtements. Cette situation était vraiment absurde.

« Si tu as besoin d’autres choses, n’hésite pas, je serais là. En attendant, je vais guetter l’arrivée d’Arhan et des personnes qui monteront la garde. Pars le cœur léger Endymion, je veillerais sur ton écaille. Je n’ai rien à t’offrir comme cette carte, mais l’intention est là.»

Quelques mots simples, pas franchement réconfortant, mais si le Primus Senator et sa clique arrivaient en nous voyant ainsi, ils pourraient penser qu’un sombre coup a été monté entre deux généraux et c’était vraiment la chose à éviter.

Acceptation

Se laisser porter.
L'idée me semblait saugrenue et pourtant... Elle s'imposait à ma situation.
Calum lui même avait su me glisser cette vérité : attendre, patienter, abandonner mes espoirs entre d'autres mains que les miennes.
Cette perspective suffisait à me glacer les sangs, et pourtant face à ce jeune général fougueux et volontaire, je ne pus m'empêcher de sourire non sans tristesse.

Je suppose que tu as raison... Et puis, il est peut être temps de vous laisser faire vos preuves, à votre tour. Mes seules épaules ne sont pas assez larges.

Au final, surtout après Camelot, qu'avais-je encore à démontrer à la face du monde ? Rien.
Alors que cette jeune génération brûlait de briller. Rien de plus naturel. A moi de leur laisser un peu de place.

Tu m'offres déjà une promesse, et c'est bien suffisant. Tout repose sur toi, maintenant.

Oui, j'allais retourner m'enivrer. Et attendre. Un véritable supplice. Ou des vacances peut-être...
En outre, je n'avais pas besoin de mon écaille pour m'intéresser à quelques affaires courantes dont j'avais entendu parler. Il fallait bien m'occuper l'esprit.
Je saluais une dernière fois le Kraken, avant de me fondre dans la brume gelée, en quête d'un objectif. Afin de ne pas perdre pied dans un océan sur lequel mon esquif voguait sans contrôle.

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