[Mi-avril 553] Dessine-moi un Héron ? [Gabriel]

Le crépuscule et l'aube se ressemblaient. Un fait qui avait toujours intrigué et fasciné Célestia.

C'étaient les deux moments où il faisait autant jour que nuit, où la lune et le soleil pouvaient se croiser et s'enlacer, avant de repartir chacun de son côté. Des moments parfaits pour les amants en fuite et la méditation. Et aussi, des moments qu'elle avait partagés un temps avec Lykeios, parfois Homme, bâti comme un colosse, parfois loup protégeant sa meute d'un regard attentif.

Son regard couvait à présent le reste de la Tour sur laquelle on avait vue imprenable depuis ce point en hauteur, ses paupières s'alourdissant lentement, menton posé sur les avant-bras, eux-mêmes reposant sur la rambarde de pierre.

La pensée la traversa que Merhelyn aimerait sans doute cette vue lui aussi. Premièrement parce qu'il s'agissait de son pantin et que fatalement elle lui avait transmis la grande majorité de ses goûts, mais aussi parce que, pour lui, la vision de cet instant éphémère pourrait avoir une grande symbolique. Quelque chose d'aussi bref que sa propre existence, mais dont le charme et la puissance se renouvelaient à chaque fois, sans jamais qu'on pût les altérer. Ou peut-être qu'elle avait juste envie de revoir son enfant de cœur, de pouvoir caresser ses plumes et partager une chanson avec lui.

Soudain, elle sentit une présence familière, le froid caractéristique qui l'accompagnait. Pas hostile mais peut-être un peu triste.

"Bonsoir, Gabriel."

Elle tourna la tête dans sa direction, le laissa se mettre à l'aise à son gré.

"J'espère que vous êtes bien installé et qu'il ne vous manque rien."

Interrogation

Petit à petit, le corbeau fait son nid.

Précédé comme d'ordinaire par le vent glacé du nord, je m'avançais vers la radieuse Celestia, non sans lui offrir un sourire mélancolique. Les derniers jours avaient été riches en réflexion, suite à mon entrevue avec l'Augure et mon exploration de la tour des vents.
Or, après avoir pris le temps de me poser, de faire le tri dans mes pensées et réflexion, j'avais décidé de retourner voir l'oiseau du jour.
Je m'inclinais gracieusement face à elle avant d'aborder la raison de ma venue.

Tout va bien, je vous remercie. Beaucoup d'informations à absorber, mais rien d'impossible. Je profite donc d'un moment de calme pour tenir ma promesse.

Une facette de la véritable cause de ma présence. Certes, j'avais un engagement à tenir suite à ma cuisante défaite face à l'été, mais également des questions supplémentaires. Je vins donc me poster aux côtés de ma consœur, le regard évasif et le front plissé de perplexité.

Le percevez-vous ? Le vent du changement ? Il devient de plus en plus perceptible. La roue tourne lentement, mais elle a repris son mouvement.

La question était : nos ennemis pouvaient-ils également en sentir les effets ou restaient-ils aveuglés par leur gloire passée ? Impossible à dire.
Mais je pouvais sentir la trame me pousser en avant. Devions-nous quitter la tour pour voir de nos yeux l'avancée des forces en présence ou demeurer séant ? Je ne pouvais être certain de la marche à suivre. Aussi, j'avais besoin de reposer mes actions sur une figure sage et expérimentée.

"A moi qui ai perdu mes camarades, ma famille, mon foyer, et en quelque sorte mon dieu, la réponse paraît évidente mon bon ami. Ce vent-là a été une tempête et il n'a pas fini de nous surprendre."

Le changement avait été net, brutal, cruel. Et une petite voix lui murmurait quelque part qu'il en serait de même pour Athéna tôt ou tard, un maigre réconfort, mais malgré tout suffisant pour déverser une part de colère toujours incompressible.

"Les Saints et l'Empire se savent encerclés d'ennemis. Nombreux. Épars. Prêts à s'unir. J'imagine que pour cette raison ils nous tendront la main tôt ou tard. Ils diront : oui, la Sagesse sait pardonner à ses ennemis d'hier, elle leur offre une chance de se relever. Mais elle le fera en vérité uniquement le temps qu'elle nous pensera utile, avant de nous écraser à nouveau. C'est ce que je crois. Malheureusement ses chevaliers sont persuadés de vraiment agir pour le bien du monde. Un bien où les différences sont écrasées peu à peu par l'ambition impériale. Qui s'écroulera comme toutes celles avant elle. Les pharaons. Les augustes. La Perse. Tant d'autres."

A la première fissure, Apollon frapperait sûrement. C'était, en tout cas, la conception que Célestia avait en cet instant de sa face vengeresse. Mais il avait par le passé surpris tous ses plus ardents défenseurs, aussi était-il impossible d'assurer avec certitude la suite des événements. Tout cela pour dire que c'était au tour de la déesse de la Stratégie de son coup, et le vent du changement la balaierait en conséquence.

"J'ai l'intention de tourner moi aussi, si c'est là votre question implicite. J'ai perdu 3 ans à croire qu'Apollon nous dirait quoi faire le moment venu. Dès que l'Augure aura un instant à me consacrer... Non, même s'il n'a finalement pas un instant, je finirai par mener certains de mes projets à bien. Par exemple, je veux en savoir plus sur nos chlamydes. Pourquoi celles des Muses ont remplacé les précédentes. Pourquoi Délos. Qu'est-ce qu'elles ont de différent ou de commun. Je n'attendrai pas simplement cette fois, même si... j'aimerais l'approbation de l'ensemble des Oracles."

Elle se tut un instant. Demander une telle approbation à une toute jeune recrue qui la connaissait à peine lui semblait difficile. Ce serait presque commander une foi dont il ignorait tout alors qu'elle-même peinait à se reconnaître parfois dans ces nouveaux venus. Mais... sans ce savoir particulier, et certains autres, la nymphe voyait leur entreprise vouée à l'échec. Savoir pourquoi le silence avait été gardé sur la Marque d'Athéna, condamnant leur Ordre à l'errance. Savoir pourquoi Apollon s'était rendu. Savoir ce qu'était devenue l'urne de Jamir. Savoir sur quels alliés ils pourraient compter.

"Et vous ? Aimeriez-vous mener à bien d'autres projets avant l'Apothéose de votre pièce ?"

Apprentissage

Celestia semblait avoir déjà bien avancé sur ses réflexions concernant notre avenir.
Je l'écoutais avec attention, main sur le menton, en quête de sens, de pistes à explorer.
Aussi, je décidais de jouer mon rôle de candide, afin d'apprendre de son expérience.

Nous avons déjà parlé des Saints et de leur vision tronquée du monde. Mais je m'interroge... Au delà de leur volonté commune, qui sont-ils individuellement ? Ne peut-on tisser des liens avec eux, d'âme à âme, afin d'influencer la course de leur folie ? Pour démêler une tapisserie, il suffit parfois de tirer un seul fil.

Je comprenais bien qu'avec les crimes dont les fanatiques d'Athéna étaient responsables, leur rédemption ne viendrait que dans un échec futur et destructeur.

Vu ce que vous m'en avez dit... Athéna se moque probablement des pertes humaines. Elle doit percevoir un décès dans ses armées comme un mal nécessaire. Le pire affront, la plus cruelle insulte qu'on pourrait lui infliger ne serait-il pas de détourner ses marionnettes aveugles de ses doigts ?

Le sang ne pouvait pas tout résoudre. Surtout pour meurtrir une divinité. Il fallait frapper leurs egos pour faire mal. Celestia aborda alors un autre sujet qui me fit hausser un sourcil étonné.

J'avoue ne pas comprendre... Nos chlamydes auraient changées ? Quand ? Et Délios ? Qui est-ce ? Pardonnez mon ignorance... Mais vous attisez ma curiosité. En outre... Pourquoi semblez-vous nourrir une certaine animosité envers l'Augure ?

Curiosité et non jugement. J'avais besoin d'avoir un maximum de cartes en main pour visualiser le tableau d'ensemble.

"Individuellement, ce ne sont que des hommes et des femmes pris dans le jeu des dieux, comme nous, comme les Marinas, comme les Berserkers, comme les Tuathas, les Asgardiens, les Roisin Dubhs, ou n'importe quel Éveillé... Le Pope est un soldat dans l'âme, qui ne vit réellement que dans les combats. Il le dit lui-même, et les siens le disent : ce n'est pas un politicien mais un combattant. Sa disciple du Lion est un peu dans la même trempe, de même que son ami des Gémeaux. Pégase... est un peu particulier. Trop jeune, j'imagine... Je suis loin de tous les connaître, et certainement pas assez, mais je pourrais transposer leurs caractères aux nôtres. Ils ont même esquissé des pas de paix. Seulement... ils ont brisé la vie que je m'étais construite. Et pour cela je n'arrive pas à pardonner. Moins encore à cette Athéna sans scrupules. Pourquoi serait-ce à nous de pardonner leurs crimes ? Pourquoi Gabriel ?"

Elle se mordit la lèvre, car c'était à cet endroit précis que le cycle vicieux de la haine et des représailles commençait. Si Apollon ordonnait de ne pas poursuivre les Saints, pour la paix, pour gripper l'engrenage, elle le ferait. Mais sans Son injonction, chaque fois qu'elle interrogeait son cœur, celui-ci répondait que c'était impossible. Qu'il n'y avait pas de raison que les Oracles souffrent et pas les Saints. Que c'était injuste et stupide.

Le Corbeau se faisait sa propre idée sur ses dires, mais il ne serait pas si évident de détourner un Saint d'Athéna, de la même manière que si l'un d'eux tentait de la débaucher des rangs d'Apollon il aurait fort à faire. La foi ne s'improvisait pas. Cela signifiait croire, croire de tout son être, croire du fond de son âme, ou au moins s'accrocher à un espoir incarné par une divinité. Ces dernières ne montraient pas vraiment de modèles parfaits, à bien regarder les derniers siècles, ou même les millénaires, et aucune solution ne parvenait à satisfaire tout le monde. Autant dire que le plan partait bien mal.

"Avant votre arrivée ici. C'est, précisément, l'objet du changement que je vous décrivais précédemment. La chute de la Tour, notre massacre, c'est le moment où les chlamydes ont fané. Les plumages des oiseaux ont perdu leur vigueur, se sont disloqués dans le vent... puis celles de Délos sont apparues, gardées par les Muses."

Un maigre sourire.

"Délos n'est pas une personne mais une île, en Grèce. On raconte que c'est là-bas que retournent les chlamydes actuelles quand elles disparaissent. Et ce serait également là-bas qu'est né Apollon, mais Il ne l'a jamais vraiment confirmé."

La nymphe soupira amèrement cette fois. Le sujet des Augures commençait à devenir compliqué.

"Il m'a blessée. De la même manière qu'Athéna et Thanatos m'ont blessée autrefois. Il me donne l'impression que ce que ses prédécesseurs ont fait ne compte pas, pas plus que ce que les "anciens" Oracles, ceux des chlamydes disparues, ont fait également. Seulement voilà, j'en faisais partie, je sais ce qu'il en est. Et cette manie de rejeter toutes les fautes sur les précédents, sans assumer leurs actes, sans tenter de les comprendre, me met hors de moi. Nous avons fait des erreurs oui. Python aussi. Je m'efforce de vous raconter le bon comme le mauvais pour que vous en évitiez de nouvelles, vous Gabriel, comme tous les jeunes Oracles qui nous rejoignent petit à petit. Je verse du sel sur mes plaies pour vous enseigner les bons pas, et j'ai pourtant le sentiment que cela ne suffit jamais, que l'Augure n'en a que faire. Je ne demande pas d'éloge ou de pitié, simplement des réponses, et il ne les donne pas. Alors non, je ne l'apprécie pas. Mais il est l'Augure, voilà tout."

Promesse

Assurément, Célestia avait besoin d'un confident. Une oreille attentive et bienveillante, non vouée à juger. Aussi, je l'écoutais sans l'interrompre, avec attention et respect.
La plaie était béante, et sa souffrance terrible. Or, je ne pouvais lui offrir que mon humble compassion.

On ne pardonne pas pour les autres, mais pour soi même, Celestia. Une étape nécessaire pour accepter le passé et retrouver la paix. Sans cela, le changement ne peut s'effectuer, car les racines amères de la mémoire restent sur le devant de la scène.

Or, le pardon véritable était peut être l'acte le plus difficile à réaliser. Mais je pouvais aider l'ange lumineux à arpenter ce chemin solitaire.
Un sourire sincère se dessina sur mes traits, alors que je reculais d'un pas, avant de lentement me saisir de mes lames.

On dirait que le temps est venu de tenir mon engagement... Prenez place confortablement et laissez-moi vous conter une histoire...

Sous l'effet de mon cosmos obscur, la lumière diminua en intensité afin de laisser place au crépuscule. Je frappais un coup unique de mes lames, l'une contre l'autre, et une petite musique résonna dans le lointain alors que trois silhouettes surgissaient des ombres.

Dans un village aujourd'hui disparu vivaient deux frères qui éprouvaient un même sentiment passionnel pour la plus belle femme du village. Pressée par ses soupirants, la damoiselle se décida à choisir le cadet, au cours d'une énième dispute. Et de dépit, l’aîné la poignarda avant de s'enfuir.

A chacun de mes intonations, les marionnettes mimèrent l'acte donné. Et la musique monta crescendo à mesure du drame révélé.

Fou de rage, le cadet poursuivit son frère de village en village, de jour comme de nuit. La traque dura un an, et lorsqu'il finit par l'acculer, il le poignarda du même geste qui avait causé la perte de sa belle. Et couvert du sang de sa fratrie, il regagna le village, sans voir sa colère et sa soif de vengeance assouvies.

Pierrot s'avança seul dans un rayon de lumière, dévoilant son visage figé maculé d'écarlate.

Mais lorsqu'il regagna sa maison, son père l'attendait, vieilli d'un siècle par le chagrin. Et il déclama : Ô fils aveuglé par ta colère... Es-tu satisfait ? As-tu trouvé la paix par ta vengeance ? Sache que ta promise n'est pas morte suite au coup de ton frère... Elle a repoussé les avances de Thanatos des mois durant, en guettant ton retour. Mais sa blessure a finit par l'emporter, voilà quelques jours... N'aurais-tu pas trouvé grand réconfort à demeurer prêt d'elle et à vivre ses ultimes moments en la berçant de ton amour ?

Terrassé par l'annonce, la marionnettiste se saisit la gorge et se laissa tomber sur le sol. Inerte, dans un ultime crescendo.
Je laissais alors la lumière revenir peu à peu, dissipant les silhouettes de mes serviteurs.

On pardonne pour soi.

Avec ces quelques mots en tête, la Princesse aux mille oiseaux se recroquevilla cuisses contre la poitrine -il commençait à refroidir, surtout avec la présence continuelle de Borée aux côtés du blondinet-, puis ouvrit grand les yeux et les oreilles devant la représentation qui lui était offerte.

Au-delà des quelques notes et de la mise en scène appréciables, la nymphe vit une adresse qui lui était destinée. Mais était-elle l'aîné ou le cadet des frères ? Et contre qui se battait-elle qui pouvait représenter un frère, alors même que ceux-ci n'étaient plus ? A moins que la femme poignardée fût symbole de tous les Oracles en leur ensemble. Destinés... à succomber pendant que le monde se déchirait autour d'eux.

En son for intérieur, Célestia refusa tout net cette solution. Tout le monde mourait un jour, mais ils ne se laisseraient pas tuer pour autant. Ils étaient Aîon, des éternités d'arts, de passion, de lumières, d'ascensions et de chutes. Un cycle infini où la vie et la mort dansaient sur le même fil. Alors, à présent que la mort avait emportée une grande partie de l'ancienne ère, que de nouvelles chlamydes avaient émergées et qu'un nouveau peuple avait été désigné par l'Augure, ils devaient y semer les graines de la prochaine Lumière.

Un instant, l'image de Flavie, son époux, sa grand-mère et son nouveau-né vint réchauffer son esprit. Marcheuse de jour, elle appartenait à cette face-là de la pièce, encore et toujours.

"Les interprétations à cette histoire sont multiples. Intéressant."

Ses bras reparurent un instant pour frictionner ses jambes et ses hanches en un froissement rapide de tissu. Une touche de cosmos radieux acheva de la réchauffer, puis elle se leva sans bouger de sa place. Un regard de nouveau vers le contrebas plongé dans l'obscurité lunaire, glissant de nouveau jusqu'à l'Hiver.

"Toutefois vous n'avez pas répondu à ma question. Sur vos projets à vous."

Voyage

La modeste pièce improvisée semblait avoir attisé la curiosité de Celestia, et la poussait à se poser les bonnes questions. J'espérais que la graine ainsi plantée arriverait à germer et à lui offrir la réflexion qui la mènerait au pardon et à la paix qu'elle méritait.
Mais une fois la scène redevenue normale, elle revint à la charge concernant mes propres visées. Une question bien délicate, en définitive.

J'ai beaucoup appris depuis que j'ai posé le pied dans la Tour des Vents. Peu à peu, j'entrevois la situation dans un bel ensemble. Et cela me pousse à vouloir explorer le vaste monde, paré de cette vision nouvelle.

Après avoir rengainé mes lames, je m'avançais à la hauteur de l'ange de lumière afin de perdre mon regard vers le contrebas qu'elle même observait avec attention.

Telle était la raison de ma question concernant l'individualité de nos ennemis. J'ai besoin de voir de mes yeux la profondeur et la complexité de leurs âmes... De rechercher celles et ceux qui seront aptes à participer à mon Apothéose. Et pourquoi pas... A faucher un par un les mauvaises herbes... Les irrécupérables.

Un rictus mélancolique se dessina sur mes traits. Oui, j'étais prêt à assumer mon rôle de faucheuse. Mais également de sombre messager. De chercher ce fameux fil qu'il suffisait de dérouler pour entamer le déclin de nos ennemis.
Or rester enfermé dans cette tour ne pourrait m'offrir l'acuité que donne l'action, la confrontation avec le réel.

"Je comprends tout à fait."

Un besoin d'agir, de voir et d'entendre par soi-même plutôt que de simplement relayer les non-dits. Il semblait quelque peu embêté d'avoir à répondre à cette question, comme si la petite blonde allait l'empêcher de faire ce que bon lui semblait. Un moment silencieuse, elle l'observa en réfléchissant à la manière de procéder qu'il pourrait employer. Trouver les Saints pourrait s'avérer relativement facile s'il se montrait aux bons endroits. Discuter calmement avec eux ou les combattre un par un, moins.

Néanmoins il y avait peut-être une manière de concilier leurs deux ambitions.

"Je peux peut-être vous aider. Je ne suis pas inconnue des Saints et pourrais en attirer certains par ma présence... Sans compter que Délos est en terre grecque. Il serait fort étonnant qu'Athéna ne la fasse pas garder, dans la mesure où nous savons qu'elle tient Apollon quelque part hors de son Sanctuaire. Attirer des Oracles dans un piège serait tout à fait dans ses cordes."

C'était à dire vrai la raison principale pour laquelle Célestia n'avait pas encore mis les voiles vers l'île. Se jeter dans les bras des Saints pourrait fortement nuire aux Oracles étant donné la puissance dont cela priverait ces derniers, ses connaissances, son expérience. Et en même temps... si c'était bien là-bas que se trouvaient les chlamydes au repos, il y avait peut-être quelque chose pour eux.

"Inversement, si vous voulez rester discret, vous n'avez aucune chance d'y parvenir avec moi. Alors je vous laisse envisager cette possibilité à votre guise. Mais quelle que soit la décision que vous prendrez, j'aimerais simplement vous demander de prévenir quelqu'un en partant... et en revenant surtout. Nous avons bien trop perdu à mon sens pour nous permettre d'errer sans nous informer les uns les autres. Vous voulez bien faire ceci pour moi ?"

Communiquer pour éviter une nouvelle Marque de 3 ans. Pour éviter d'envoyer une Rowena sans aucune conscience du passé entre Oracles et Berserkers en plein Dédale sans même une information pour se défendre. Pour ne pas constater la mort ou la disparition d'un nouveau membre de l'Ordre tandis que sa chlamyde élisait quelqu'un d'autre.

Etait-ce trop demander ?

Zénith

La perspective offerte par Celestia me fit réfléchir.
Rester discret ou m'avancer en plein jour ? Par mon caractère et mes inclinations, les ombres récoltaient ma préférence. Toutefois... Un problème restait à prendre en compte.

Je ne suis pas homme à laisser beaucoup de place au déni... Malgré mon statut d'éminence, mes pouvoirs restent bien trop faibles pour espérer vaincre un Saint d'un rang équivalent au notre. La discrétion ne servirait donc qu'à la récolte d'informations, à ce stade.

Autant faire preuve de réalisme et de pragmatisme.

Mais avec vous à mes côtés, cela change la donne pour deux raisons : votre expérience indéniable en combat mais aussi... Votre lumière. Un véritable phare assez aveuglant pour me faire oublier. J'accepte donc avec plaisir ce voyage à Délos.

Au vu de la situation, une collaboration semblait la meilleure option. En outre, malgré nos différences, nous nous entendions fort bien. Je posais alors un regard triste mais bienveillant sur le bel ange.

N'ayez aucune inquiétude. Quand viendra le temps de mon vol solitaire, je ne jouerais pas les ombres silencieuses. Nous autres éminences possédons un lien très fort. En outre... Ne restez pas entravé par le passé. Nous approchons de votre ère, celle du zénith pour les Oracles. Et pour vous soutenir, je me dois d'apporter le déclin à nos ennemis... Nous marchons donc main dans la main.

Une union nécessaire, surtout si Athéna avait pris le soin de protéger l’île de Délos. Cet acte serait peut être la première pierre qui allait s'abattre sur les certitudes de l'arrogante sagesse.

Le voir considérer en premier lieu sa force comparée à celle d'un Saint en disait assez à Célestia pour voir que cet homme approchait de la trempe de Lykeios. Peut-être était-ce pour cette raison qu'elle l'aimait bien. La nymphe se demandait parfois si elle ne s'attachait pas aux gens tout simplement pour combler le vide laissé par la disparition de sa famille. Elle espérait que non, que c'était bien pour leur cœur et leur esprit qu'elle choisissait ses amis tels qu'ils étaient, mais il y avait bien trop de subjectivité dans son point de vue pour qu'elle sût faire véritablement la distinction.

Elle sourit lorsqu'il évoqua sa Lumière. Un vrai sourire, joyeux, comme il en manquait trop ces derniers temps sur son visage.

D'un geste doux, elle vint prendre le visage de l'ange de la nuit à deux mains, l'attira vers elle, avant de déposer un baiser léger comme une plume sur son front, puis de le relâcher.

"Merci."

Pas seulement pour la mission, mais aussi pour son soutien. Ses conseils même voilés. Son oreille calme et attentive.

"J'ai le sentiment... que vous êtes le début de ma guérison Gabriel. Et cela m'apporte un bien fou. J'ignore combien de temps cela prendra, mais je vous ferai honneur. Et si mon éclat peut vous préserver, c'est encore mieux."

Le Héron fit alors demi-tour et monta sur la rambarde de pierre, le vent venant aussitôt répandre les effluves de la nuit dans sa chevelure d'or.

"Voilà qui est donc conclus. Vous et moi à Délos. Laissons-nous tout de même encore du temps pour nous préparer, pour en parler aux autres, pour envisager les différents scenarii qui pourraient se présenter à nous. Je suis sûre qu'en tant que dramaturge vous devez être doué à ce genre d'exercices. Et pourquoi pas vous entraîner à nouveau ?"

Elle s'étira un instant, les émeraudes de son regard revenant sur lui alors que son corps penchait légèrement vers le vide.

"Pour ce soir, un dernier vol me suffira. Me suivrez-vous ?"

Un sourire, puis la petite guerrière se laissa entraîner par la gravité. Le phare, si haut, lui donnait de longues secondes avant d'invoquer son plumage d'or et d'or blanc et de redresser le cap, jouant avec Notos et Borée, illuminant par intermittences le ciel d'éclats dorés enthousiastes. Et se rapprochant du Temple des Vents pour aller y trouver un sommeil bienfaisant.

Envol

Peu habitué à de telles démonstrations d'affection, je restais muet face au geste amical et tendre de Celestia. Rouge comme une pivoine, je détournais le regard, le temps de reprendre une contenance.
L'hiver et l'été étaient opposés. Et pourtant, nous nous nourrissions l'un de l'autre.
Sa lumière et mon obscurité ne pouvaient s'épanouir sans la force adverse. Et une amitié bien atypique était en train de naître.

Vous et moi marchons d'un même pas. Si je peux vous faire resplendir, j'en suis sincèrement heureux. Car grâce à votre expérience et votre sagesse, je trouverais la force de mener à bien mon but. Au jour, succède la nuit... Et inversement.

J'ignorais les plans d'Apollon pour nos deux âmes. Celle meurtrit par le passé, et celle tournée vers un futur incertain. Mais j'avais hâte de poursuivre notre entente.

Ce voyage sera pour le moins intéressant... La première pierre qui amorcera l'éboulement, je le pressens. J'informerais l'Augure de ce séjour, ainsi que nos confrères éminences, si je les croise. Je suis curieux de faire leur connaissance.

Printemps et automne. Comment étaient-ils ? Nous entendrions-nous ?
Amusé, je vis Celestia prendre son envol, tout en grâce. Oiseau d'or.
Dans un même élan, je déployais mes ailes sombres de plumes obsidienne et la suivit dans sa course au vent. Un sentiment grisant.

Liberté... Quelle chance nous avons de côtoyer ainsi les étoiles et les nuages.

Un jour peut-être, les quatre éminences sonneraient ainsi le retour des Oracles sur la scène du jeu de ce monde. Annonçant le déclin, la chute de nos ennemis, tels les cavaliers de l'apocalypse.

En pleine chute, elle le regarda prendre son envol après elle, sans penser au vide en-dessous. Ses ailes faisaient tant partie de sa vie qu'il lui était impensable de s'écraser sans une très bonne raison. Même après avoir fané, le Héron était revenu.

Stabilisée en vol, elle lui laissa le temps de la rejoindre et de s'exprimer puis eut un petit rire moqueur.

"Nos consœurs. Rowena et Asenath sont toutes deux de belles jeunes femmes. La première est en ce moment en mission diplomatique, alors je ne sais pas si vous la croiserez de si tôt. La seconde est plutôt réservée. Et d'une certaine façon bloquée sur son ancienne chlamyde, tout comme moi sur... ce que j'ai perdu. Mais j'ai confiance, pour la première fois depuis que je suis une Oracle les quatre oiseaux phares d'Apollon sont tous présents. Cela ne peut qu'être un bon signe pour nous."

Savourant les facéties des vents, Célestia fit quelques détours plutôt que de suivre une ligne droite. Des pirouettes, des chutes et des remontées, éprouvant sa souplesse et sa maîtrise de chaque plume comme une extension de sa personne. Il y avait un moment qu'elle n'avait pas volé pour le simple plaisir. Gabriel avait largement raison en parlant de cette liberté, unique, dévolue aux Éminences.

"Il fait si bon avoir un refuge où nous pouvons voler sans nous cacher, sans nous soucier de qui regarde... Je comprends les raisons de la Mascarade, mais parfois elles semblent bien lourdes à porter."

La nymphe accrocha un souffle ascendant, déploya ses ailes pour glisser dessus en silence.

"Dites-moi un peu... Avez-vous d'autres talents que le théâtre ? D'autres loisirs, d'autres spécialités ? J'aimerais vous connaître un peu plus."

Vol et souvenirs

Le vol se déroulait dans une complicité sincère, et un lâcher prise total.
Tout en savourant pleinement l'instant présent, j'écoutais les propos de Celestia avec attention, évitant de l'interrompre afin d'en saisir le sel.
Ainsi donc j'étais le seul homme au sein des éminences. Et probablement le plus novice. Si je tirais de mes deux autres consœurs autant de bienfaits qu'avec l'ange d'été, notre collaboration serait fructueuse. Car outre ma méconnaissance des us et règles de notre communauté, je brûlais de rattraper mes retards dans la maîtrise du cosmos.

Oui. Notre seigneur pourrait revenir d'un jour à l'autre... Son retour étant annoncé par l'apparition de ses autre éminences. Cet alignement des planètes n'est pas anodin, j'en suis persuadé.

Le vent froid sur mon visage me tira un sourire épanoui. Fait rare. Oui, l'espoir renaissait dans cette faction si meurtrie.

Voilà pourquoi, tout en restant individuel, je suis persuadé que nos routes sont également communes. Nos adversaires ne s'attendront pas à nous retrouver au summum de nos moyens. Et à ce propos... Connaissez-vous un peu nos alliés potentiels ? Eux aussi ont soufferts des exactions d'Athéna et de ses pantins ? Certains sont-ils plus enclins au dialogue ?

Une fois encore, j'avais besoin des lumières du soleil à son apogée pour m'ouvrir la vue à toutes les perspectives. Et mes ailes faillirent manquer un battement lorsque Celestia me questionna sur mon humble personne.

Eh bien... J'apprécie le travail sur le métal. J'ai forgé mes propres lames. Sinon... Ma foi... Je suis issu d'une famille de saltimbanques. Nous étions sans cesse sur les routes, donc j'ai appris à cuisinier, la couture, écrire et réciter des contes, la danse... Et vous même ? Avez-vous des passions ?

Perdu dans mes pensées, je pénétrais dans un nuage glacé qui me fit secouer la tête de dépit, face à ma propre étourderie.

Voir le dieu solaire revenir d'un jour à l'autre semblait une belle utopie, surtout quand on savait qu'il s'était rendu volontairement à sa sœur -mais Gabriel le savait-il seulement ?-, toutefois Célestia se retint de doucher ses espoirs. Il en fallait quelque part, de l'espoir, surtout dans leur situation, et peut-être qu'après tout Apollon finirait effectivement par se libérer grâce à un tour de force dont il avait le secret. Peut-être les Oracles pourraient-ils négocier sa libération, puisque Childéric semblait vouloir faire la paix. Rien n'était sûr encore.

"Je connais certains Berserkers. Dont le Pontifex qui m'a laissé ce souvenir à Camelot."

Elle passa la main sur sa gorge encore marquée par la poigne de la Voix de la Guerre. Dans l'obscurité et après ces quelques semaines il était difficile d'y voir quelque chose, surtout que les bleus avaient fini par passer du rouge violacé au bleu sombre, puis lentement au jaune, indiquant la cicatrisation progressive de tous les minuscules vaisseaux qui avaient éclaté.

"Il est sanguin, brutal, puissant. Mais je serais une menteuse si je disais que ce n'était pas aussi de ma faute. Et malgré les mauvaises nouvelles, il a accepté de nous laisser une chance de prouver notre engagement avec les Berserkers. De raviver une ancienne alliance. Si cela ne vous dérange pas, ce n'est pas une histoire que je souhaite raconter en volant..."

Le ciel était leur royaume de soleil et d'avenir, pas un endroit de souffrance.

"Il y a aussi les Marinas, mais leur situation est confuse. Apparemment leur Légat a été tué à Camelot. On sait peu de choses des Tuathas mais ils étaient liés à Lug, un autre nom d'Apollon. Et concernant les Dormeurs, il semblerait que les chrétiens et les Francs soient ceux que nous devons gagner à notre cause. Comment, c'est une autre question."

Un roi baptisé serait insuffisant seul. Mais s'il amenait une armée avec lui, et ses propres alliés... Il faudrait aussi un plan solide, tant pour le monde occulte que ceux qui seraient dans la lumière. Un plan de longue haleine qu'en l'état Python n'avait pas dévoilé, pas plus que le dieu des Arts.

"Vous-même ? Un travail admirable ! Je m'y connais peu en armes, mais ayant côtoyé celles du dieu-Loup je vous crois artisan talentueux dans ce domaine !"

La belle blonde se mit à rire en voyant l'air déconfit du Corbeau.

"J'adore les plantes et les animaux. Je m'occupe des grands jardins que l'une des Pythies est censée occuper. Mon cheval s'y promène régulièrement. La danse et le chant sont bien entendu autant des passions que mes arts majeurs, mais j'essaie toutes sortes de choses quand la curiosité me prend. Je suis également médecin et prêtresse itinérante pour le compte de l’Église catholique. Cette dernière fonction vous étonnera sûrement mais... cette Église est née d'Apollon indirectement, alors la servir c'est comme Le servir Lui, à mes yeux. Et cela apporte réconfort et tranquillité d'âme aux croyants."

Dans la majorité des cas, au moins. Depuis sa naissance elle avait aussi fait du mal, quand les mains des religieux se salissaient de sang. Heureusement on ne rencontrait pas de martyrs à chaque coin de rue et on ne brûlait pas des temples tous les jours. L'Histoire retenait des exemples malheureux plus que le quotidien.

Vengeance

Aimable et toujours prompte à pallier aux failles de mon expérience trop récente, Celestia me fit un rapide résumé de ses connaissances sur le reste du monde.
Toutefois, je ne pus retenir une expression stupéfaite lorsqu'elle évoqua l'agression subie de la part du Pontifex.

Je respecte votre choix mais je suis horrifié par l'attitude de cette brute. Voilà bien un étrange procédé pour débuter une alliance basée sur une confiance mutuelle...

Venant d'un sbire à la solde d'Arès, il n'y avait pas non plus de quoi s'étonner. Mais tout de même... Je garderais cette histoire dans un recoin de ma mémoire. Mais ma moue agacée laissa vite place à un léger sourire, non dénuée de lassitude.

Pour ce qui est d'influencer les chrétiens... J'ai peut être une carte à jouer. La bible ne regorge-t-elle pas d'apparition d'anges ? Notamment de l'archange Gabriel, le messager de dieu ? Une rumeur peut se répandre si vite et modifier les esprits des plus crédules...

Mes talents de comédien pouvaient être mis à profit dans ce but. Pour un peu, j'aurais rit de cette expérience à venir. Mais il ne fallait pas négliger le poids d'une telle action sur les âmes avides d'espoir. L'influence dont nous pouvions nous prévaloir pouvait largement compenser la fragilité de nos armées face aux Byzantins. Je rosis légèrement en entendant les louanges de Celestia, et lui adressait un regard bienveillant.

Bien au contraire. Je vous imagine fort bien dans ce rôle. Si quelqu'un peut bien apporter du réconfort aux âmes en détresse, c'est bien vous. Mais je m'interroge... Le moment venu, cela ne sera pas trop difficile de montrer votre autre visage ? Celui de la vengeance ? J'ai peur que vous y perdiez une part de vous même... Vous avez bien assez souffert.

"L'affaire remonte à bien plus longtemps que Camelot."

Comme elle l'avait déjà mentionné, l'homonculus se refusait à en parler pendant un moment supposé de détente -au moins pour elle-, qui ne se laissa donc pas de place à davantage d'épilogue. Ses lèvres s'arquèrent doucement en imaginant le Corbeau atterrir du ciel pour subjuguer un ou une pauvre hère crédule. Plus encore s'ils étaient deux, car en matière d'apparition elle avait aussi quelques effets de lumière dans sa manche.

"Pour tout vous dire, lorsque vous m'avez donné votre nom je n'ai pu m'empêcher de faire le rapprochement. Surtout que pour certains je pourrais moi-même être la Vierge Marie... mais je préfère éviter de trop miser sur ce genre d'actions. La Mascarade pourrait être fragilisée, et nous ne voulons pas cela. Si nous devons recourir à cette méthode, il faudra que ce soit pour des raisons véritablement impérieuses."

Elle repensa à Théodoric XIV, sacrifié sur l'autel de cette même Mascarade pour permettre aux Oracles de tirer une ficelle de l'Histoire sans y être incorporés. S'il fallait consumer une vie chaque fois que les mortels avaient une "révélation", elle s'y opposerai sans scrupule. Trop de sang avait déjà coulé pour rien.

"Mon autre visage ?"

Un peu surprise par le sous-entendu, l’Été ralentit son vol, le regard perdu vers les derniers rayons rosissant l'horizon. Le visage de la vengeance. S'il en était un qu'elle porterait, ce serait celui d'Apollon. Elle, n'avait pas de place dans le cœur pour la vengeance. Même en la désirant, même en l'attisant, Célestia ne pouvait se résoudre à simplement vouloir tuer quelqu'un. Quand bien même les Saints avaient détruit sa famille, ne serait-ce pas s'abaisser à leur niveau, devenir une bête stupide, que de faire de même ?

Avec un soupir, elle se rapprocha de Gabriel.

"J'assumerai mes ombres. Mais je ne consacrerai pas un visage uniquement à la vengeance."

Tragédie

En cet instant de détente et de légère euphorie, Celestia semblait bien désireuse de s'épancher sur un sombre passé. Comment l'en blâmer ?
Je retins donc ma curiosité, en attendant le jour où elle serait prête à me faire davantage de confidences. Le mal qui la rongeait semblait venir de bien loin.
Ma compagne de vol émit alors un avis mitigé sur mon idée d'intervention divine. Et je ne pouvais que souscrire à sa prudence, même si l'idée resterait dans mon esprit.

Cela va sans dire. Mais vu nos difficultés actuelles... Je pense que la motivation impérieuse n'est pas totalement à exclure. Mais de toute façon, une telle intervention ne pourra être utile que dans le cadre d'un plan bien plus vaste.

Un point de départ subtil. Une arme à user avec parcimonie. Au vu des informations obtenues, nous ne pouvions rivaliser avec la puissance des armées d'Athéna. Alors autant tenter un moyen de rivaliser autrement.
Je vis alors Celestia ralentir son vol, et s'interroger sur mes dernières paroles. Oui, elle était l'été. Source de joie, de vie, d'espoir. Mais aussi menace de sécheresse, de brûlure, d'incendie. Même si c'était un rôle ingrat, je me sentais le devoir de lui rappeler cet aspect. Et lorsqu'elle se rapprocha de moi, je lui offris un sourire de sincère compassion.

De toute manière, par ma seule existence, je saurais toujours vous offrir le souvenir de ce qui guette lorsqu'on sombre dans les ténèbres. A moi la tragédie, à vous la saga héroïque.

Deux rôles parfaitement complémentaires. Nous étions soleil et nuit, mort et vie. Et si Celestia venait à basculer, je devrais lui prendre le contre-pied. Mais même si la colère pouvait la gagner, je ne doutais pas qu'elle saurait conserver ce qui la rendait si unique. Apollon ne serait pas assez cruel pour qu'il en soit autrement...

A ce propos... Dans les nombreuses personnes qui ont croisés votre route... Verriez-vous certains d'entre eux comme des protagonistes de mon Apothéose ?

Toute aide était bonne à prendre pour débuter ma recherche. Machinalement, je m'élevais vers les plus hauts nuages, avide d'entendre la réponse de mon amie solaire.

"C'est ce que j'imaginais oui. Un plan dans lequel nous aurions des alliés, des coups d'avance et une finalité un peu plus solide que simplement "mettre à bas Athéna et ses chevaliers". Je me demande si notre dieu a déjà lancé ce genre de plan sans nous le dire, ou s'il attend que nous le fassions."

Si se rendre à sa sœur en faisait partie, ou non.

Gabriel était une personne gentille au premier abord, mais le voir prendre sur lui la noirceur du monde fit pincer les lèvres à Célestia. Qui l'en sauverait s'il refusait d'entrer lui-même dans la Lumière ?

"Ce souvenir est gravé dans ma chair. N'ayez crainte."

Et cette fois ce n'étaient pas les mains de Zvezdan qui l'avaient gravée. Un Dormeur avait fait bien plus de dégâts à ce niveau que n'importe qui d'autre. Comme quoi il ne fallait pas sous-estimer la puissance du quotidien et des petites gens. Depuis bien longtemps le Héron savait cela, et il faudrait d'ailleurs qu'elle rende visite à ses petits Colibris prochainement. Même si Rome était tombée en désuétude, avoir la main dessus pourrait encore s'avérer utile.

"Cependant, je ne crois pas être digne d'une épopée. Le monde peut se passer de moi facilement."

Elle sourit malgré tout.

"Tant qu'Il m'accepte toujours, cela n'a aucune importance. Quant à vos protagonistes... vous cherchez quelqu'un capable d'apporter la tragédie chez les Saints si j'ai bien compris ? Alors peut-être Silas des Gémeaux. Une personne qu'il aimait a été tuée par un Tuatha, que j'ai soigné sous ses yeux, sans savoir. Il est ami avec le Pope. Et puis la constellation des Gémeaux représente beaucoup d'ambiguïté. Mais il pourrait aussi bien être un bouclier qu'une faille dans la cuirasse du Sanctuaire. C'est un jeu dangereux que vous souhaitez initier là, Corbeau."

Un battement d'ailes la ramena au niveau de son compagnon de nuit.

Melpomène

La bible recèle d'apparitions angéliques... Sans parler des pouvoirs surnaturels de Jésus de Nazareth. Je suis persuadé qu'Apollon et nos prédécesseurs ont su manœuvré habilement afin de consolider cette foi. Ils auraient eut tord de s'en priver, à vrai dire.

Marcher sur le fil ténu entre mascarade et notre monde ressemblait bien à l'habile dieu des arts.
Prudence mais une main ferme et agile afin de manœuvrer le cours de la réalité.

Vu ce que vous m'avait conter, je dirais qu'Apollon nous a offert une sorte de liberté abrupte. Un mélange entre indépendance et abandon. Peut être devrions-nous faire preuve d'initiative, en attendant son éventuelle intervention ? De toute manière... Il doit avoir tout prévu.

Et en attendant, nous dansions au cœur de sa paume de main. C'était à la fois l'aspect le plus grisant et effrayant de servir le fils de Zeus.
L'ange de lumière se rapprocha de moi, et m'indiqua un candidat potentiel à mon Apothéose. Tout en s'inquiétant de mes intentions.

J'apporte le Déclin, ma chère amie... Et la voix de Melpomène ne s'écoute pas sans y ajouter une dose de risque. Ce Silas est en fait un personnage intéressant... Et suivre ses mouvements pourrait être profitable à mon but. Mais je ne m’intéresse pas qu'aux Saints. Car même si leur cuirasse doit être affaiblie, la chute peut venir d'une pièce éveillée mais adverse.

Car je pressentais que le drame qui marquera notre génération, notre ère, retentissant dans le futur sous la forme d'une ode se ferait sous la forme d'une tragédie à multiples destins. Athéna en serait la principale victime, certes, mais avec elle seraient emportés bien des âmes héroïques ou spectatrices.
Dont probablement la mienne.

"Délos sera notre premier pas."

Commencer par glaner quelques informations et tenter un premier appât pour vérifier à quel point la déesse était tendue concernant les Oracles. Ils pourraient envisager plus grand après si déjà cette initiative-là portait ses fruits. Nul besoin de souligner cela à Gabriel, aussi Célestia se contenta de hocher la tête.

La suite de son discours était révélatrice d'une ambition certaine. Et de la confiance en soi qui allait avec. Non content de vouloir détourner un Saint de sa déesse, l'Hiver semblait capable de vouloir manipuler quiconque comme une pièce de chatrang. Pendant un instant la nymphe se demanda s'il la considérait de même, à presser jusqu'à la moelle son savoir pour ensuite la rejeter. Possible. Néanmoins si c'était là un rôle qui servait les desseins d'Apollon, elle se laisserait faire. Parce qu'elle était un jouet, après tout.

Après un soupir, elle baissa la tête.

"Dans ce cas j'ajouterais le Pontifex Zvezdan à la liste. Il les hait et sa position à la tête des Berserkers en fait un parfait ennemi d'Athéna. La Roisin Dubh Aoifé, dont l'Augure Cuchulainn était apparemment un proche mais qui est retenu par eux. Peut-être les Tuathas mais j'ignore ce qui les motive. Ainsi que tous les peuples qui ont été écrasés puis incorporés dans l'Empire, voyant leur culture étouffée au profit d'un idéal uniforme, mais imposé. Oh, et bien sûr les Spectres. Mais eux sont ennemis d'à peu près tout le vivant il me semble... surtout nous."

Il y avait là quelques noms sensibles qui devraient pouvoir donner matière à "l'archange" pour commencer à poser son décor. En supposant qu'il arrivât à les retrouver et leur parler sans se faire tuer. Mais puisque les mises en garde précédentes avaient toujours trouvé rhétorique, la fille d'Apollon s'abstint d'appuyer encore. De toute façon les mortels n'écoutaient que rarement ce qu'on leur disait, jusqu'à faire leur propre expérience des troubles et des blessures de leur cycle. C'était ainsi, et la brièveté de leur existence semblait particulièrement s'y prêter.

"Je suis fatiguée Gabriel, cela vous dérangerait-il que nous reprenions le chemin du temple à présent ? Non pas que votre compagnie me déplaise, mais j'aimerais éviter de littéralement tomber d'épuisement."

Amitié

J’acquiesçais à la conclusion du bel ange. Et déjà, je sentais un frisson parcourir mon corps à l'évocation de Délos.
Oui, ce voyage serait notre première marche vers notre idéal. Comment allait réagir Athéna ? Mépris ? Vindicte ? Ou dialogue ? Impossible à prévoir. Mais notre duo pouvait donner du fil à retordre à n'importe quel émissaire vindicatif de la déesse de la guerre, j'en étais persuadé.
A ma demande, Celestia m'offrit de nouvelles âmes à étudier pour mon Apothéose. Intéressant...
Le Pontifex semblait un homme trop dangereux et sanguin pour être manipulé sans de solides arguments... Que je ne possédais pas encore.
Par contre, le nom des Tuathas me fit tiquer. Le lien avec Silas des Gémeaux pouvait être digne d’intérêt. Cette piste serait donc à creuser le moment venu.
Quant aux spectres... Je fermais cette porte d'emblée. Le jeu était bien trop risqué, et je doutais qu'Apollon approuve une entente de circonstances avec les serviteurs des enfers.

Je vous remercie de tout coeur pour ces nombreuses informations. Le moment venu, je saurais en faire bon usage pour notre cause.

Un rare sourire sincère et dénué de mélancolie se dessina brièvement sur mes traits.

Je suis enchanté que deux éminences puissent devenir amis, de la sorte. Vous avez vraiment fait preuve d'une grande bonté depuis mon arrivée à la tour des vents.

Sans Celestia, que serais-je devenu ? J'aurais erré dans ce lieu de merveilles, sans boussole ni direction. En cela, j'avais une dette envers elle. Un enthousiasme vite douché par se demande de repos. Mais comment pouvais-je lui en vouloir ?

Oui, bien entendu. Pardonnez-moi... J'espère que mes questions n'ont pas troublé la quiétude de notre vol.

Et sans rien ajouter, je vis demi-tour d'un mouvement d'ailes, avant de revenir vers notre foyer. J'allais avoir bien des éléments à méditer.

Citation :

Merci pour ce RP

[/justify]

La nuit avait fini par virer à l'encre noire, rendant difficile la visibilité. Heureusement les foyers allumés ici et là par les serviteurs et les éclats de lumière émanant de Célestia elle-même les aidaient à se diriger en toute quiétude. Le sourire du Corbeau acheva d'éclairer un bout de chemin : l'incertitude se dissipait lentement ainsi que la brume des doutes.

"C'est un peu une manière pour moi de réparer certains torts que j'ai pu avoir. Et aussi un plaisir d'avoir un nouvel allié aussi impliqué que vous."

Elle anticipa le retour de sa curiosité concernant ses fameux torts, lesquels revenaient à parler de Carthage, des Berserkers et d'Athéna. Un sourire devança ses questions.

"Je vous raconterai cela une autre fois. Une occasion de nous revoir."

Plus que deux Éminences, la nymphe se réjouissait de pour s'entendre avec quelqu'un d'une nature à la fois opposée et complémentaire à la sienne. Il était Marcheur de nuit, et pourtant ne refusait pas la Lumière, de cette façon un peu tranchante et froide qu'avaient Bran ou Amadeus. Au-delà du simple concept de l'été face à l'hiver, de la nuit face au jour. Comme si enfin on n'avait pas tracé le sillon d'une destinée pour eux, mais qu'ils en avaient décidé conjointement.

"Aucunement. Je comprends votre besoin de savoir, et je suis ravie de pouvoir l'étancher au moins pour un temps. J'aurais bien aimé avoir un guide moi aussi au début."

Elle repensa à Adalrik. Il avait donné des instructions, des missions, mais pas vraiment les réponses attendues. Avait-il été un guide ? Oui et non. Elle l'appréciait malgré cette attitude ambivalente, mais pouvoir orienter Gabriel vers une autre sorte de mentorat la motivait à se donner à nouveau toute entière à la cause. A défaut de savoir où aller et comment, elle pouvait répondre à "avec qui ?".

"Vous m'avez également rendu une chose importante la dernière fois. La joie de sourire."

Citation :: Merci à toi !

Re: [Mi-avril 553] Dessine-moi un Héron ? [Gabriel]

Rechercher

Résultats par : Messages Sujets
Recherche avancée