[Début Mai 553] - Loin des yeux, loin du coeur [PV : Kaleb]

La nuit était bien avancée. À vrai dire, tout le monde devait déjà être couché ou presque. Le vieux lion avait encore du travail. Oh, la journée avait été déjà productive. Il avait dû gérer quelques réunions inutiles d’administrateurs impériaux qui avaient besoin qu’il tranche un problème sans réel intérêt, mais qui, pour ces bureaucrates, représentaient la fin du monde. Qu’est-ce qu’il avait appris à détester ça, les gens de papier. Ceux qui se reposent avant tout sur ce papier, plutôt que sur eux même, qui ne veulent jamais prendre la moindre décision. Enfin, l’empire n’était pas encore complètement gangrené par ce genre de personne, mais dangereusement, il en prenait le chemin. Enfin, l’après-midi avait été un peu plus intéressant et c’est, cette fois, les problèmes militaires de l’empire qui l’avaient occupé. Les corps de défenses des frontières étaient ceux sur lesquels ils mettaient l’accent, mais Childéric devait donc composer avec la politique intérieur impérial.

Mais sa journée ne s’arrêtait pas là et il devait maintenant retrouver Kaleb. Seulement le chevalier de la vierge et non pas le troisième gardien. Les choses entre Silas et Childéric étaient tendues, et le serait sûrement pendant encore longtemps et il s’était organisé ainsi avec le sixième gardien. Pour avoir un suivi de leur longue mission en Francie. Il était nécessaire qu’il s’informe le plus rapidement possible de ce que les deux chevaliers avaient découvert et surtout, où ils se trouvaient. Ce n’était pas le système le plus fiable, parfois, il ratait le duo mais souvent, ils arrivaient à se retrouver. Voyons si ce serait le cas ce soir. Childéric s’installa donc dans son fauteuil, confortablement calé et glissa doucement dans le cosmos profond. Il déplaça son esprit qui avait maintenant quitté son corps.

Le voilà maintenant loin du dernier temple du Sanctuaire et il frissonna, plus par réflexe qu’autre chose. Le mois de mai annonçait bientôt l’arrivé de l’été mais il faisait encore frais, du moins, bien plus que la Grèce qu’il venait de quitter. Il se trouvait en plein milieu de la campagne, près Reims et il se mit alors en quête de Kaleb. Logiquement, le duo de saint devrait camper dans le coin. Reste à savoir où exactement il avait fini son voyage. Il devait être non loin de la ville mentionnée par Kaleb… Il se mit alors à marcher et après quelques dizaines de minutes, il arriva à proximité de la ville.

Citation :

Utilisation de Rêve V, le vrai corps de Childéric se trouve dans le temple du Pope, au Sanctuaire

La nuit était déjà bien avancée. Kaleb s’extirpa du chariot, laissant Silas ronfler allégrement. L’excès de vin avait tendance à libérer les cavités nasales des Gémeaux. En temps normal, cela ne gênait pas plus que ça la Vierge. Pensez-vous, dans une auberge, lorsque chacun occupait une chambre qui lui était propre, il n’y avait pas à s’en soucier.

Mais Kaleb avait étrangement insisté pour, exceptionnellement, aller dormir en dehors des murs de la Cité. Il avait argué auprès de son compagnon de mission de son besoin, en tant que chaman, de se ressourcer dans la nature et de s’extraire d’un milieu urbain par trop étouffant. Une semi-vérité. Car il y avait une autre raison à cela. Permettre au Grand Pope de suivre la mission de ses deux chevaliers d’or.

Le rêve était une manière efficace de procéder pour garder le contact. C’était, tout du moins, ce que Childéric avait expliqué à Kaleb. Néanmoins, ils ne pouvaient pas prendre le risque d’effectuer cette manœuvre dans une zone trop densément peuplée. La mascarade devait se poursuivre et une apparition qui, aux yeux des dormeurs, aurait pu être perçue comme celle d’un revenant ou tout du moins revêtir un aspect surnaturel, serait bien trop compliqué à justifier devant témoins.

Kaleb raviva les braises du foyer qu’ils avaient allumé quelques heures auparavant. Il ne craignait pas d’être repéré par d’éventuels brigands ou bandits de grands chemins. Même pris par surprise, la Vierge savait qu’il aurait tôt fait de mettre d’éventuels agresseurs en fuite. Il attendit en état de méditation, laissant les bruits, les odeurs et le souffle de la nuit l’envahir. Les yeux clos, il patienta jusqu’à percevoir une présence familière.

Il rouvrit les yeux et, époussetant son pantalon, posa un genoux à terre, s’adressant à l’apparition à la crinière de feu qui lui faisait face.

«Kaleb de la Vierge pour vous servir, Votre Excellence. Quelles sont les nouvelles du Domaine Sacré ? »

Le vieux lion poussa un soupir. Il n’eut pas tant de mal que ça à retrouver Kaleb, finalement. Les braises dans la nuit l’avaient bien aidé, pour être honnête. Et, fidèle à lui même et son sérieux, le chevalier de la vierge posa un genou à terre. Bientôt une année qu’il avait sur ses épaules le manteau du Pope et il ne se faisait toujours pas à ce genre de démonstration, nécessaire, de loyauté et de protocole. Mais il n’était plus tout à fait comme les autres, depuis qu’il s’était soumis à la couronne et elle avait ses propres règles et ses propres lois. Il salua son chevalier d’or d’un signe de la tête et l’invita à se relever d’un signe de la main. Il fit quelques pas et se rapprocha du feu.

« - Aigre-douce, je dirais. »

Il s'accroupit alors, posa ses mains au-dessus des flammes et laissa la chaleur doucement le réchauffer. Les nuits en Francie étaient encore fraîche, du moins, plus qu’elle ne l’était en Grèce. Il se tourna alors vers la Vierge :

« - Vous allez devoir terminer votre mission rapidement. Les tambours de guerre battent de nouveau au nord de l’empire. Les chiens de guerres trament quelque chose. J’ai mes hypothèses mais j’ai peur qu’elle ne se confirme trop tard. »

Zvezdan était resté inactif trop longtemps. Et le vieux lion, mieux que n’importe qui d’autres, pouvait connaissait les flammes de son ambition. Ses flammes avaient couvées trop longtemps et incendie qu’elles allaient faire naître serait sans pareil.

« - Et de votre côté, vous avez avancé ? »

Une autre question brûlait les lèvres du vieux lion, mais elle attendrait un peu. D’abord, la couronne, d’abord le devoir. Et après seulement, s’il restait du temps, s’il restait de la place, il serait homme. Mais pas avant.

Les nouvelles n’étaient donc pas à la hauteur des espérances de la Vierge. Lui qui comptait sur le Pope pour lui redonner un peu de baume au cœur… Désillusion quand tu nous tiens. Décidemment, les choses ne semblaient pas tourner en faveur des serviteurs du Sanctuaire depuis leur ambassade à Camelot. Kaleb avait espéré trouver des contacts rapidement, pouvoir au moins asseoir une neutralité d’Asgard à l’égard du domaine sacré en accomplissant la tâche demandée. Mais il s’avérait que la mission avec Silas était une impasse. Ils n’avaient rien trouvé et perdu sans doute un temps précieux qu’ils auraient pu mettre à profit autrement en prévision du conflit à venir.

Les choses semblaient donc s’accélérer. Il ne fallait pas se voiler la face. Il était peut-être trop tard pour s’éterniser dans les environs. Alors autant jouer carte sur table avec le premier représentant d’Athéna.

«Malheureusement non votre Excellence. Nous n’avons pas trouvé de trace de la prêtresse là où nous sommes passés. Juste un groupe de mercenaires nordiques probablement à la solde d’Asher qui a tenté de nous mener en bateau… Je doute qu’Eirween soit dans les royaumes francs. Mais après tout, c’est une zone vaste et malgré tout encore relativement sauvage. Il est facile d’y échapper aux regards… J’espère seulement que Dana et Xanathos auront eu plus de réussite que nous»

Il pensa à sa flamboyante disciple. Il espérait la retrouver en chair et en os bientôt. Néanmoins, l’heure n’était pas à ce genre de considérations. Avouer que l’on avait échoué n’était jamais aisé. Mais Kaleb n’était pas du genre à mettre la poussière sous le tapis. Il poursuivit donc son raisonnement.

«Si les troupes d’Arès s’agitent, il n’est peut-être plus temps pour la diplomatie et les alliances. Nous avons sans doute trop tardé Votre Excellence. Je vous présente mes excuses. Ne devrions-nous pas regagner le Domaine Sacré au plus vite pour réunir le Crusos Sunagein ?»

Une suggestion qui se voulait pertinente. Après tout, leur première mission était de protéger les douze maisons et la vie de la Déesse. Mais sans l’avouer directement, l’axoumite en avait également assez de tourner en rond sans obtenir de résultat. Et il savait que Silas partageait cette frustration. Kaleb dévisagea le Pope. Il y avait quelque chose d’autre qui le tracassait. Il en était persuadé. Et il présageait de la nature de ce souci. Alors, malgré le protocole, il mit les pieds dans le plat.

«Il va bien si cela vous inquiète. Tout du moins physiquement. Mais il est en colère contre vous. Contre vous deux. Il se sent trahi. Et il a peur. Que l’amitié en laquelle il croyait n’ait été qu’un mirage… Cela ne me regarde pas, Votre Excellence mais si conflit il y a, nous aurons besoin des Gémeaux au summum de leur puissance. Nous ne pouvons nous permettre que notre unité soit mise à mal et que le doute le détourne de son devoir. Après vous-même et Nimüe, il est le plus puissant d’entre nous… »

Kaleb espérait ne pas avoir outrepassé la bienséance en parlant avec une telle franchise au Pope. Mais il préférait jouer carte sur table.

Le vieux lion écouta la vierge avec attention. Un soupir de quitter ensuite ses lèvres. Cette mission avait été à la charge des chevaliers d’or et ils avaient pris un pari risqué en séparant leur recherche. Un pari qui, pour le moment, n’avait pas encore payé. Même s’il semblait avoir récupéré quelques informations. Asgard semblait s’intéresser à la Francie. Après tout, il n’y avait rien de choquant là-dedans. Les francs, tribut germaine d’origine, s’était installé et n’avait conquis le royaume qu’il y a quelques générations. Et les tributs qui composent cette terre sauvage, que même Rome n’a pas réussi à dompter, sont aux mains des forces d’Odin. Les voir là n’avait donc rien de choquant et probablement que le jeu se jouerait entre eux et les Oracles pour le contrôle de l’Ouest. Un moment pour frapper. Il gardait ça en tête, après tout s’il se méfiait de l’est plus que d’autres choses il n’en devait pas moins oublier l’ouest. Camelot représentait un bastion d’allié mais s’ils se retrouvaient trop éloignés pour s’être réciproquement utiles…

« - Je n’ai pas encore eu de leurs nouvelles. Sûrement qu’ils n’ont encore rien trouvé. »

Un nouveau soupir.

« - Les tambours de guerre battront bien assez tôt, Kaleb. Nous n’aurons pas l’initiative dans cette bataille, alors autant attendre qu’elle se déclenche d’elle-même. Savoir que nous avançons dans un piège, c’est déjà à moitié s’en sortir. Rentrez si vous avez terminé. »

Le Sanctuaire et l’empire avec lui étaient un géant au pied d’argile. Un monstre tentaculaire qui survivrait tant qu’il réussirait à s’étendre et serait incapable de véritablement se maintenir. Les conquêtes rapides des armées d’Athéna ces dernières années avaient été un succès mais seul contre tous, ces positions étaient indéfendables. Surtout vis-à-vis d’Arès et ses visions… inconciliable avec le Rêve d’Athéna.

Le visage du vieux lion se fit ensuite plus grave. Kaleb l’avait devancé. Et il se mit à parler du sujet épineux. L’avis de Childéric n’avait pas vraiment changé. Silas était un con. Mais un con qu’il avait apprécié… qu’il appréciait toujours. Leur amitié avait déjà souffert de la prise de pouvoir de l’ancien lion. Le gémeau n’avait jamais vraiment su faire la part des choses entre son ami et son chef, maintenant peut-être…

« - Si je devais dresser l’ordre de puissance des chevaliers… Je dirais que je suis au sommet. Derrière, pas très loin l’une de l’autre, tu dois avoir Nimue et Ryme. Ensuite, Silas bien qu’ils doivent probablement faire jeu égale à peu de choses près avec Kilian. Et enfin arrive la nouvelle garde. Toi, Dédale par exemple. Mais les choses ont peut-être changé, bien que je reste toujours le roi de la jungle ! »

Et Childéric de partir dans un puissant rire de gorge dont il avait le secret. Comme s’il pouvait chasser l’amertume, le regret et la mélancolie de cette façon. Mais ce goût acide ne quittait pas vraiment sa gorge, il ne trompait personne et surtout pas lui-même.

« - Silas doit comprendre que cette histoire n’est pas à propos de lui. Il a le droit de se sentir trahi, comme vous tous. Nous avons du vous mentir… longtemps. Bien que pour toi, de la nouvelle génération, tout ça ne veuille pas dire grand-chose à tes yeux. Et s’il réduit notre amitié à ça et bien… peut-être suis-je celui qui doive se poser bien des questions. »

Silas serait mieux sans lui, sûrement au final. Kaleb pourrait vraiment être l’ami que lui ne pouvait plus être et dont le troisième gardien avait besoin. La couronne prend tout.

La Vierge ne masqua pas sa déception. Il avait espéré que, si de leur côté ils n’avaient pas réussi à mener leur mission à bien, Dana avait eu plus de réussite même si partir en quête avec cette tête de mule de Xanathos était loin d’être une partie de plaisir. Mais il semblerait que ce ne soit pas le cas. Enfin… Il restait encore un espoir, aussi maigre soit-il.

Pour autant, Kaleb ne se faisait d’illusion ni sur leur propre mission, ni sur celle de son apprentie. La tâche était délicate et il était possible que le Grand Prêtre ne leur ait confié cette tâche que pour leur faire perdre un temps précieux et pourquoi pas laisser les mains libres à Arès si une alliance officieuse entre Asgard et le dieu de la Guerre existait. C’était une éventualité loin d’être farfelue. Et la Vierge s’évertua à le faire comprendre au Grand Pope.

«Peut-être que cette mission nous a été confiée en connaissance de cause. Peut-être qu’elle visait précisément à nous éloigner du Sanctuaire pour nous empêcher de nous préparer efficacement au combat à venir ? Je ne sais pas. Ce n’est qu’une supposition. Je vous ai déjà exprimé mes doutes quant à la neutralité des Terres du Nord vis-à-vis du Domaine Sacré… »

Une évidence sur laquelle l’axoumite ne s’appesanti pas outre mesure. Mais quand le Pope lui déclara qu’ils pouvaient rentrer s’ils avaient terminé, le sixième gardien acquiesça.

«Pour être honnête, j’ai l’impression que nous tournons en rond. Nous serons sans doute plus utiles au Sanctuaire. Et, à titre plus personnel, il me tarde de retrouver les miens…»

Un aveu peu protocolaire. Mais l’exacte vérité. La sincère affection que la Vierge portait à son intendante, son aide de camp et son apprentie n’était pas un secret qu’il cachait. Contrairement à Childéric, on pouvait lire à livre ouvert dans le cœur du sixième gardien. Une faiblesse selon certains. Mais pour Kaleb, les avantages dépassaient largement les inconvénients. C’est ce qui lui permettait aussi d’accueillir chacun tel qu’il était en sa demeure.

«Comment ai-je puis omettre votre flamboyante disciple ? Une faute inexcusable… Elle à l’air d’être rayonnante et indomptable, fidèle à votre constellation protectrice. Même je dois bien avouer qu’elle avait plutôt l’air contrariée lorsque j’ai partagé quelques verres avec elle après sa dernière descente des marches.»

Encore une entrevue amère. Etait-ce le même secret, le même mensonge qui avait fait tant de mal et semé la zizanie et le doute au sein du Cercle d’Or ? Kaleb l’ignorait. Mais il savait qu’il fallait d’urgence renouer le lien de confiance avant de partir ensemble au combat. Surtout contre les troupes d’Arès dont la sauvagerie était sans limite. Du moins, telle était leur réputation. Ils n’auraient pas le droit à l’erreur. Il espérait seulement que le Grand Pope avait conscience de cet état de fait.

«Je ne connais pas leurs griefs Votre Excellence. Je ne peux pas éprouver de sentiment de trahison pour une chose dont j’ignorais l’existence. Cependant, je m’inquiète des doutes et de la désunion qui pourrait s’immiscer parmi nous alors que nous allons au combat… Il en va de notre réussite, de notre capacité à protéger la Paix et la Vie»

Le vieux comprenait l’inquiétude de la vierge, vis-à-vis des deux points de vue. Oui, le Nord n’était pas neutre. La neutralité n’existe pas. Elle est un mythe, un outil. Un moyen de gagner du temps ou d’obtenir ce qu’on veut avant que, tôt ou tard, il soit obligatoire de rentrer en guerre. Les dieux, plus encore que les Hommes, ne supportent pas leurs semblables et finissent toujours par jeter leurs servants les uns contre les autres. Qu’importent les causes que ces guerriers viennent à défendre. Alors pourquoi le Nord avait fait courir les chevaliers d’or ? Possiblement pour gagner du temps, mais quoi ? Pas vis-à-vis de ces problèmes-là. C’est qu’il couvait autre chose ou bien…

« - Ou bien simplement elle n’a jamais mis les pieds en Francie, cette maudite prêtresse et en effet, vous ne pouvez trouver personne. Que je sache, le Grand-prêtre n’a rien de particulier, vous auriez pu envoyer, comme vous l’avez fait pour Dana et Xanathos d’autres chevaliers la traquer non ? Je ne pense pas que le but soit de vous éloigner du Sanctuaire. De gagner du temps, certainement. Reste à savoir pourquoi... Mais vous avez levé quelques lièvres et appris, mine de rien, beaucoup de chose. Il faut juste lire entre les lignes. »

Et cette réalité ne plaisait pas vraiment à Childéric. Les mystères du Nord devraient être percés à jour tôt ou tard. Savoir si la guerre viendrait du nord bientôt ou plus tard… L’histoire avec Asgard avait été longtemps tumultueuse… Le Pope esquissa un sourire quand Kaleb parla des siens. Ce n’était pas un secret que le chevalier d’or tenait comme à la prunelle de ses yeux à ces gens et il était bon d’avoir une raison de revenir à la maison. Combien des guerriers sacrés n’en avaient pas, de cette raison pourtant vitale ? Et la suite de la conversation arracha de nouveau à Childéric un de ses puissants rire-rugissement.

« - Elle est inoubliable pourtant. »

Il laissa ensuite le silence s’imposer quelques instants. Le temps de laisser cette même amertume remonter.

« - Oui, un peu comme Silas. Bien qu’elle soit moins… touchée. Je comprends, pourquoi tous, ils sont énervés, pourquoi ils m’en veulent. À leur place, j’aurais été hors de moi. Vraiment. J’ai eu des mots, avec mes prédécesseurs pour des raisons plus ou moins similaire. Mais le mensonge est le poids de la couronne. Ils ont un but, une utilité. Ils sont douloureux, violents et cruels. Pourtant, ils sont là pour protéger de la vérité des vies. »

Childéric eut envie de mentionné Athéna et la légion de mensonge qu’elle avait tissée. Autour d’elle, autour du monde, autour de son Rêve. Pour protéger l’humanité et construire son idéale, il faudrait du sang et des larmes. Les fondations d’un monde meilleur seraient jetées sur une fosse commune. Certains devaient le voir et d’autres encore, devaient cacher cette vérité.

« - Mais ne t’inquiète pas. Quand le chaos de la bataille viendra, nous serons retrouver notre unité. Elle n’est pas si fissurée que tu sembles le penser. La déesse y veille, après tout. »

Le vieux lion se tut alors et fit quelques pas vers le chevalier de la Vierge.

« - Ça sera ta première guerre non ? »

Il est grand temps pour la nouvelle génération de se frotter à l’épreuve du sang. Combien reviendrait ? Trop peu, comme toujours. Mais la vraie question c’était simplement : comment reviendraient-ils ? Qu’allaient-ils laisser sur le champ de bataille ?

Le Grand Pope marquait un point. Ils auraient pu aussi déléguer cette mission. Il ne pouvait donc pas présager que la volonté du Grand Prêtre ait été de les éloigner du Domaine Sacré. Avaient-ils été utiles ? Kaleb en doutait. Il n’avait pas l’expérience du Pope dans ce domaine. En revanche, savoir pourquoi Asgard souhaitait gagner du temps était une excellente idée. Mais là encore, il fallait savoir lire entre les lignes et posséder des éléments que la Vierge n’avait pas en sa possession.

Tant pis, ils feraient autrement. Le fait d’évoquer Ryme semblait adoucir l’humeur de Childéric. Kaleb ne put s’empêcher d’esquisser un sourire.

«Inoubliable, c’est le mot… Difficile de résister à son charme énergique, si je puis me permettre… Mais je pense qu’il ne faut pas l’approcher de trop près. Enfin, c’’est à ses risques et périls…. Même si elle est plus fragile qu’elle en a l’air derrière sa carapace et son verbe haut…»

La Vierge avait l’habitude de lire les âmes, au-delà des apparences, des paroles et des masques qu’on lui présentait. Et il sentait chez la Lionne une fêlure dissimulée dont il ne connaissait, pour le moment pas encore la nature. Ils n’avaient pas eu le temps d’échanger suffisamment pour cela. Ce moment viendrait sans doute. Du moins, il l’espérait.

Lorsque le Pope évoqua les mensonges nécessaires et liés à la fonction qu’il exerçait, Kaleb fronça les sourcils. Ce n’était pas sa manière de voir les choses. Mais il ne pouvait pas prétendre savoir de quoi il parlait. Il avait des valeurs qui le guidaient dans ses actes. Mais il ne s’était jamais confronté à l’exercice difficile du pouvoir. Ne l’avait-il pas justement esquivé en quittant Axoum ?

«L’omission est une chose, le mensonge direct en est une autre, Votre Excellence. La première peut-être justifiée par une raison supérieure. La seconde me semble difficilement justifiable lorsque l’on a besoin de la confiance partagée. Car c’est bien elle qui fait la différence entre une masse de guerriers et une armée. Enfin, ce n’est que mon avis. Je n’ai pas la prétention d’avoir votre sagesse et votre connaissance des arcanes du pouvoir…»

Il espérait ne pas se montrer irrespectueux vis-à-vis du premier représentant d’Athéna en exprimant sa pensée avec une franchise un peu brute mais une sincérité dont on ne pouvait douter.

«Oui, ce sera ma première guerre. Et je suis heureux de pouvoir défendre l’idéal de notre Déesse face aux troupes d’Arès. Même si je dois bien avouer ma maigre connaissance de notre ennemi. J’ai des lacunes à combler. Votre Excellence pourrait peut-être m’y aider ?»

Une question loin d’être aussi innocente qu’elle y paraissait.

Il était normal pour le chevalier d’or de la vierge de se poser des questions sur son utilité, sur sa mission. L’intérêt de cette dernière était certain, mais la façon de la réaliser plus délicat. Nous entrions là, tous, dans des couches de complexité géopolitique certaine. Surtout que le vieux lion savait que le Sanctuaire ne disposait pas de tous les éléments dans cette affaire. L’information fait le pouvoir et les quelques petites nouvelles que les deux chevaliers d’or avaient pu glaner auraient, d’une façon ou d’une autre de l’importance. Pour le reste, la conversation dévia et d’abord sur la disciple de Childéric. Un sourire un peu amer se dessina de nouveau sur le visage du Pope. Les lions avaient leurs propres failles. Ryme en avait beaucoup. Il connaissait l’histoire de sa petite, mais chacun doit vivre avec ses propres douleurs, ce n’était pas à lui d’en parler. Après tout, lui aussi avait ses démons, sa bête avec laquelle composer.

« - Nous devons tous vivre avec ce genre de chose. Nous ne sommes pas comme les autres, nous sommes humains sans plus vraiment l’être. Nous sommes tous des écorché, d’une façon ou d’une autre. Une nécessité à notre pouvoir. »

Kaleb aussi, avait ses propres regrets, ses démons, ses fêlures qu’il cachait, comme tout le monde, derrière son masque. La vie n’est qu’un jeu de masque, après tout. Un soupir, ensuite, de quitter la bouche du vieux lion. Si les choses étaient aussi simples… Mais un idéal ne se construit pas sur des bonnes intentions. Ces fondations sont… fragile, incertaine, dangereuse. Et nous allons bâtir ce Rêve sur le sang. Il ne pouvait pas leur dire, à tous, qui Narsès était réellement et ce n’était là qu’un exemple parmi tant d’autres. La foi en la Déesse et son rêve devait être inébranlable. C’était ça, la cohésion de l’armée. Cette foi que nous vouons au futur que nous voulons construire, à la maîtresse que nous servons. Mais elle n’est pas toujours comme nous l’imaginons, une autre réalité, difficile à admettre et qui, au final, causerait plus de chaos qu’autre chose. Sage est la déesse qui ne se mélange pas aux hommes.

« - Ce n’est pas aussi simple Kaleb. S’il ne s’agissait que de ne pas dire les choses. Mais le pouvoir demande bien plus de sacrifice. Je salis mes mains et mon âme pour que les vôtres restent propres. C’est le sacrifice de la couronne, ce qu’elle demande, ce que je lui offre. Si je pouvais faire autrement, je le ferais sûrement. Mais ce n’est pas possible. L’idéalisme n’a pas sa place dans ces décisions. Il en va, trop souvent, de votre vie ou de votre mort. »

Des décisions qu’il faut savoir prendre, des conséquences qu’il faut savoir assumer.

« - Combien d’oracle ont accepté de se sacrifier pour les mensonges de leur maître ? Nous nous posons des questions, nous savons pourquoi nous mourrons, l’objectif à long terme que nous voulons atteindre. Le reste, ce n’est que les nécessités du chemin. Il n’est pas toujours facile, mais il est parfois nécessaire de faire des détours pour arriver à destination. »

Childéric de se faire un peu plus silencieux, de regarder, quelques instants, les étoiles dans le ciel nocturne. Il pouvait entendre et sentir dans son corps les tourments de la bataille. Il était bête de guerre avant toute chose, elle faisait partie de lui et il n’était vraiment complet que dans le chaos du conflit. Quand il ne s’agit que de penser à une seule chose simple : vivre pour le prochain combat. Il lui manquerait toujours quelque chose hors de ce chaos.

« - Ça sera sale. La guerre l’est toujours. Je ne sais pas ce qui est le pire, entre le bruit et l’odeur. Le chaos où on ne s’entend pas vraiment penser et les odeurs de peurs, de morts, de sang et de merde. Ça te changera à jamais, Kaleb. Nous allons nous battre sur leur terre, faire face à leur sauvagerie et leur magie. Mais nous devons défendre ce qui nous appartient, défendre les portes de l’empire. Les fondations du Rêve ! »[/color][/center]

«Sans vouloir vous manquer de respect, Votre Excellence, je ne pense pas que nous soyons si déférents des dormeurs dans notre façon de ressentir notre Humanité. Tout au plus, nos sens sont-ils peut-être plus exacerbés, nos vices et nos vertus ont sans doute plus d’impact. Mais nous sommes faits du même sang et de la même chair. Quoi que l’on puisse en dire, je ne crois pas que nous soyons des élus au-dessus du lot. Il nous faut composer avec les même peurs et les mêmes doutes, les mêmes colères aussi. Nous avons juste un plus grand pouvoir et, de ce fait, de plus grandes responsabilités…»

Kaleb ne s’était jamais pris pour qui il n’était pas. L’orgueil, la vanité, la certitude d’être au-dessus de la masse, de la dominer ne faisait partie ni de son caractère, ni de son éducation.

«D’ailleurs, je ne crois pas que cela fasse de nous des exemples à suivre. Je suis persuadé que certains dormeurs possèdent bien plus de sagesse que nous n’en accumuleront jamais au cours de notre existence. Sinon, pourquoi notre Déesse se serait-elle attachée à la race humaine ?»

Lorsque Childéric évoqua les sacrifices que demandait le pouvoir, le Gardien du sixième temple l’écouta avec attention. Même s’il n’était pas d’accord avec le premier serviteur d’Athéna, il tâcha de se montrer constructif dans l’échange. Après tout, il ignorait ce qu’était d’exercer réellement un quelconque pouvoir temporel. En revanche, l’idée d’être infantilisé ne lui plaisait que moyennement.

«Et pourquoi ne pas nous laisser libre de choisir si nous devons nous salir les mains ou non ? Nous ne sommes pas des enfants, Votre Excellence. Rien ne vous y oblige. Tout du moins avec le Cercle d’Or. A moins que cet ordre ne vienne d’Athéna elle-même… »

Décidemment, le positionnement du Grand Pope l’intriguait. Bien sûr, il comprenait la notion de raison et de pragmatisme politique, mais il espérait que lorsqu’il s’agissait de la Sagesse, les bassesses politiciennes et les raccourcis n’étaient pas de mise. Il avait besoin d’en avoir le cœur net. Aussi, lorsque l’ancien Lion lui fit comprendre que la fin justifiait parfois les moyens, Kaleb fronça un sourcil.

«Ne croyez-vous pas que le chemin importe autant que le but ? Si nous semons les ténèbres pour apporter la lumière, alors je crains que nous ne nous fourvoyions dans notre mission et que le but que nous aurons choisi ne soit pas à la hauteur de nos prétentions. Le détour n’est pas la seule solution quand le chemin est obstrué. On peut aussi le déblayer…»

Il y avait de l’amertume et de la lassitude dans toutes ces paroles. Le poids d’une couronne non désirée ?

Childéric d’écouter ce qu’avait à répondre Kaleb. Il était amusant de voir comme à chaque fois, il se pliait avec diligence à l’étiquette. Ça devait bien être un des seuls parmi tout l’ordre et ce n’était pas forcément plus mal. Si certains des autres chevaliers pouvaient prendre exemple sur lui… Enfin, là, il était visiblement passé à côté de ce qu’avait vu dire le vieux lion quand il avait parlé du rôle des éveillés. Quelques petites précisions étaient donc nécessaires :

« - Ce n’était, ni ce que j’ai dit, ni ce que j’ai voulu dire. J’ai dit que nous étions des écorché et que c’était une condition nécessaire pour devenir ce que nous sommes. C’est peut-être notre point commun à tous. D’avoir été si violemment marqué soit par la vie avant d’arriver où nous en sommes, soit par notre entraînement. Et notre pouvoir naît de tout ça. On ne devient pas ce que nous sommes en restant tranquillement le cul vissé sur une chaise ! »

Et il explosa de son rire rugissement si caractéristique. Si la conversation était sérieuse et grave même, l’ambiance était plutôt bonne et le vieux lion appréciait cet échange. Le reste et bien, il sourit à Kaleb quand il parla de la sagesse des dormeurs. Les Hommes étaient loin d’être sages, justement et c’est ce qu’elle voulait pour eux. C’était l’essence même du Rêve, que de les guider vers cette sagesse, vers ce potentiel qu’il possède. Il en va de même pour ses guerriers, après tout, eux aussi font partie de cette humanité. Un soupir ensuite et une réponse simple à adresser à cette réalité. Oh, il aurait été plus simple de laisser à tout le monde le choix mais…

« - Mais il y a la raison d’État, Kaleb. Qui ne permet pas toujours à tout le monde d’avoir le choix. Certains choix aussi sont… difficiles et il faut quelqu’un pour les faire. Ce quelqu’un c’est moi. »

Il sourit ensuite à Kaleb. Il avait encore beaucoup de choses à apprendre et à comprendre sur l’empire, son fonctionnement et l’objectif profond de la déesse. Le vieux lion pouvait parfaitement imaginer la déesse répondre à cette question. Il avait une idée ou deux de ce qu’elle aurait pu répondre à cette question. Bien qu’il ne saurait dire avec exactitude qu’elle aurait été la réponse d’Athéna. Après tout, peut-on vraiment comprendre comment pense une divinité même si on incarne son verbe.

« - Tout dépend de ta destination. Regarde l’Italie. La guerre a été violente, difficile. Mais le résultat en vaut la peine. Des gens sont morts et d’autres mourront encore, mais nous avons amené le calme dans la région. Il y aura toujours des sources d’oppositions, qu’elles soient divines ou mortels à ce grand projet que nous servons. Des forces qui seront toujours nos ennemis. Et des ennemis, nous nous en sommes faits beaucoup. »

Le Sanctuaire avait beaucoup plus d’ennemis que d’allié, en réalité. Seuls les Bretons de Camelot comptaient parmi les soutiens officiels des forces d’Athéna. En grande partie par la présence d’un ancien de ses guerriers à leur tête.

« - Je crois profondément au Rêve d’Athéna. De guider l’humanité vers un âge de raison, loin de ses passions et ses pulsions. Mais pour arriver à tout objectif, il faut faire des sacrifices. Soit en faisant des détours, soit en déblayant la voie. »

S’il suffisait de parler du Rêve pour laisser tout le monde se convaincre, les choses seraient plus faciles, il est vrai. Mais si certains se sont laissé convaincre et servent cet objectif de toutes leurs âmes et leurs vies. Il y a ceux qui y sont farouchement opposés. Jamais Arès et ses guerriers ne se rangeront derrière le Rêve. Ils ont leur propre vision du monde, inconciliable et alors et bien il faut faire la guerre. Car c’est ce que nous sommes avant tout. Nous sommes les soldats qui protègent d’un bras le monde de leurs ennemis et de l’autre, nous construisons le futur. Mais nous faisons la guerre, à l’image de notre déesse. La sagesse demande parfois de lourds sacrifices.

Childéric avait raison. Il était certain que ce n’était pas en restant assis sur une chaise que l’on devenait chevalier. Quoi que, par le biais de l’armure de la Vierge, Kaleb avait pu découvrir que certain de ses prédécesseurs étaient loin d’avoir été des combattants hors pairs selon les critères du Cercle d’Or. Lui-même n’avait pas cette prétention. Mais ils compensaient ce trait par une énergie spirituelle conséquente qui les avait menés jusqu’à défendre le sixième temple. Néanmoins se fendit-il d’un petit mot d’esprit qu’il espérait à la hauteur du rire de Childéric.

«Rester assis sur une chaise n’est-il pas pourtant la plus haute distinction de notre Ordre ? »

Une remarque impertinente qui s’effaça bien vite face à des considérations bien plus sérieuses. La raison d’Etat ? Cette expression fit lever un sourcil songeur à la Vierge. Etait-ce ainsi que les choses devaient se dérouler ? Etait-ce le prix pour apporter la Paix aux dormeurs ? A entendre le Pope, le Domaine Sacré devait se comporter comme n’importe quel royaume, comme l’Empire auquel il était lié. Mais qui en avait décidé ainsi ? La Déesse ? En avait-il toujours été de la sorte depuis les temps mythologiques ? Kaleb se risqua à poser toutes ces questions.

«Est-ce Athéna qui en a décidé ainsi ou la contrainte de la réalité ? En tant que pouvoir intemporel, ne devrions-nous justement pas être au-dessus de ces considérations pour intervenir où bon nous semble et de la manière la plus juste sans considération pour les enjeux politiques ? Je crains que nous ne nous fourvoyions en calculs et autres ruses. N’est-ce pas d’ailleurs ce que nous reprochent nos ennemis ? De nous être abaissé à leur niveau ? »

Il repensa à ce que lui avait dit l’Oracle pervertit par Narsès. Ce dernier n’incarnait-il pas le manque de mansuétude et les errements qui semblaient être ceux de la guerre d’Italie ? Il n’avait pas participé à ce conflit. Mais il en avait entendu parler et en avait vu les conséquences. Etait-ce une si bonne idée que de se lier au pouvoir temporel au risque de se rendre complice d’atrocités qui, par la suite, pouvaient leur être reproché et brouiller le message ? Kaleb en doutait. Mais comme toujours, quand il n’avait pas tous les éléments, il se gardait bien de juger de manière péremptoire.

«Ce qui m’inquiète n’est pas l’objectif atteint, votre Excellence. Mais le prix payé pour l’obtenir. La campagne d’Italie nous a fait beaucoup plus de mal que le nombre de morts. La perception du Sanctuaire ne semble plus être celle d’un ordre bienveillant qui protège. Je crains que cela ne donne des flèches supplémentaires à nos ennemis pour nous abattre. En soutenant les perspectives expansionnistes de l’Empire, pour permettre la diffusion du Rêve d’Athéna, je me demande si nous ne nous isolons pas en nous privant d’alliance qui nous permettrait de consolider tout cela. Je ne suis pas un politicien. Néanmoins, il m’a semblé que nous étions particulièrement isolés à Camelot au contraire d’autres factions. Mais c’est sans doute mon inexpérience qui parle…»

La discussion se faisait plus sérieuse, plus avancée. Kaleb voulait savoir ce que Childéric envisageait pour l’avenir. Car il avait le sentiment qu’une lutte majeure était à leurs portes. Et qu’ils pouvaient clairement se retrouver seuls contre tous. Il espérait juste avoir tort.

Un rire de sortir une nouvelle fois des profondeurs de la poitrine du vieux lion. Il est vrai que son poste était l’ultime distinction. Une promotion qui ne couvrait qu’une poignée d’individus dans l’histoire de l’humanité. Une place qui est plus sélective encore que celles des chevaliers d’or. Bien qu’à travers les âges, la sélection avait eu quelques petits ratés, que ça soit pour le Pope ou les chevaliers d’or. La suite de la conversation néanmoins restée un peu plus sérieuse et, plus le chevalier de la vierge parlait, plus il remarquait quelque chose d’important. Nombreux devaient être ceux, comme Kaleb, récent venu dans l’ordre à en ignorer les détails profonds. Une chose qu’il faudrait corriger. Il écouta avec attention le sixième gardien et sa vision des choses. Idéaliste surtout, loin du compte, principalement.

« - Tu n’y es pas vraiment Kaleb. Depuis toujours, notre sort a été profondément et intimement lié à celui de l’humanité. L’homme est un animal politique et c’est à travers ces biais qu’il sera uniquement possible d’étendre le Rêve de la déesse. Diomède, Ulysse ou Achille, roi et héros de jadis étaient porteur d’armure. Et je ne te parle même pas de Rome et la succession des divinités qui sont derrière l’empire tout-puissant. Pourtant, dans ta vision Kaleb tu éloignes les hommes et place le Sanctuaire au-dessus d’eux. »

Sortir ces manigances, c’était sortir des sociétés et de la vie de ces hommes. Placer le Sanctuaire hors-sol en quelques sortes. Le mettre loin de sa vocation première, celle de guide. Mais parfois, il faut guider les hommes contre eux même. Les ennemis de la déesse avaient bien des choses à lui reprocher et eux seuls savaient à quel point ils lui en voulaient. Mais les problèmes qui naîtront de l’éloignement des affaires mortels du Sanctuaire seront considérable. Influencer les mortels est le propre des dieux. Les choses n’ont pas bien changé depuis le temps des temples anciens et les croyances nouvelle dans le dieu crucifiés ne sont pas bien différente. Un outil dans notre monde occulte. Le vieux lion gratta sa barbe en écoutant ce que Kaleb avait à dire sur la fin et les moyens. La question de l’Italie était un épineux problème.

Les soucis ne venaient pas de la guerre en elle-même. Le but premier était de ramener les provinces italiennes dans le giron impérial, qu’elles n’auraient jamais dû quitter. L’extension permanente était le moteur de la stabilité byzantine et surtout de la politique de Justinien. L’homme était intéressant, et le vieux lion pour le côtoyer plus ou moins régulièrement l’appréciait. L’histoire donnait le poids à Rome et la volonté de revoir l’occident s’élever de ses cendres. L’orient était compliqué et les Sassanides causaient de plus en plus de problème. Non le problème de l’Italie venait des hommes. Un en particulier, dont la tête avait roulé devant le vieux lion pour payer ses crimes, trop nombreux. Mais le problème de Kaleb était autre.

« - Nous ne soutenons pas l’Empire, Kaleb. Nous sommes l’Empire. Justinien décide bien de choses, mais ce genre d’extension passe par le Sanctuaire. Cette guerre était la volonté d’Athéna et sur le papier, nous y avons beaucoup gagné. Nous avons éliminé Apollon, mis fin aux restes de Rome et tenu les guerriers d’Arès affaibli. Pourtant, il est impossible de nous allier aux guerriers d’Arès. Leur idéologie est complètement antagoniste à la nôtre. Les oracles ont frappé le Sanctuaire et causé la mort de l’un de mes prédécesseurs, avec, justement, l’aide des guerriers d’Arès. Cette guerre ne s’inscrit pas sur rien et simplement la volonté d’écraser et de conquérir. »

Le vieux lion de se taire un instant pour laisser le temps à Kaleb de réfléchir à tout ça. Il est normal qu’il manque ce genre de détail dans sa perception de l’histoire. Peu sont ceux encore vivant ou présent pour s’en souvenir. Il n’y avait plus que lui, Silas et Nimue maintenant. Et encore, sa belle était à Atlantis pendant ces affaires.

« - Les soucis sont naît dans l’après et la trahison de Narses. Malheureusement, même la déesse ne peut pas tout prévoir... »

Même si le vieux lion l’avait averti à de nombreuses reprises des débordements dangereux du général italien. C’est ce dernier qui avait tué l’alliance du fer et du sang qu’avait fait naître Akrites avec les marinas mais Childéric caressait l’espoir de pouvoir peut être, un jour, en faire renaître les cendres maintenant que l’ancien légat, ouvertement hostile, avait trouvé la mort à Camelot. Mais des alliés, le Sanctuaire n’en aurait de tout façon jamais beaucoup. Leurs espoirs d’avoir une puissance amie venait du roi dragon de Logres.

«Je crains de ne pas être totalement en accord avec votre vision, Votre Excellence. Bien qu’il soit vrai que notre sort est lié en profondeur à celui des Dormeurs, nous ne sommes pas obligés d’en adopter les travers et les faiblesses. Si nous voulons les aider à s’élever, nous devons nous montrer exemplaires. Sinon, comment pourrions-nous prétendre les guider ? »

L’exemplarité. Le mot était lâché. Elle n’était pas une façon d’influencer les autres. Elle était la seule. En tout cas, la seule entendable lorsque l’on prétendait porter le Rêve de la Déesse aux yeux pers.

L’Axoumite jeta un œil à la voûte étoilée. Il n’avait pas le vécu de Childéric. Il n’avait pas affronté les horreurs et les difficultés que ce dernier avait dû traverser. Pas encore. Il espérait juste que son cœur ne se glacerait pas de cette manière, dans une attitude de calcul pragmatique et froid quand il s’agissait de porter le Souffle d’Athéna sur le monde. Pour autant, il ne le jugeait pas. Qui était-il pour prétendre comprendre ou savoir ce que la marche de l’univers requérait comme sacrifice ? La seule chose qui le souciait était la Vie et la manière de la préserver dans sa beauté et son innocence.

Le chevalier de la Vierge se redressa, écoutant toujours le Pope avec la déférence qui était la sienne. Il n’avait pas vu les choses sous cet angle. Bien évidemment, il avait entendu parler de ce que les oracles avaient fait au Sanctuaire. Mais la vengeance était-elle la façon d’agir de la Déesse ? Il ne pouvait l’envisager. Il chercha donc à mieux comprendre les paroles du Vieux Lion.

«Vous voulez dire que l’attaque de Rome a été une action en représailles à une attaque du Sanctuaire par les Oracles ?! Cela me surprend de notre Déesse. Mais après tout, je ne peux prétendre connaître ses pensées. Je ne l’ai jamais rencontrée en chair et en os. Je la pensais juste… Au-dessus de ce genre de considérations. Et puis, pour quel raison y avoir mêlé les Dormeurs ? Ne pouvait-on pas régler cela entre chevaliers sacrés ? Pardonnez-moi, Votre Excellence mais je dois vous avouer que je ne comprends pas bien les tenants et les aboutissants de tout cela… »

Si c’était réellement pour cette raison qu’Athéna avait mis la Cité éternelle à sac, il était clair que Kaleb pouvait s’estimer heureux de ne pas y avoir participé. La trahison de Narsès ? C’était donc l’argument avancé par Childéric. Soit. L’excès de zèle de l’homme aurait dépassé les intentions d’Athéna. Comment pouvait-elle ignorer les faits et gestes de l’ancien chevalier d’argent de l’Autel ? N’était-elle pas la Sagesse incarnée, la Déesse de la stratégie et de l’anticipation ? La Vierge fronça les sourcils.

«Il est clair qu’il a fait énormément de tort et terni durablement l’image du Sanctuaire. Il a abusé de la confiance de notre Déesse. Je ne pense pas que les Oracles soient si différents de nous. En revanche, je ne peux que vous rejoindre concernant les guerriers d’Arès. Ils sont esclaves de leurs passions dans le combat à ce que l’on raconte. J’imagine qu’ils seront les prochains à venir nous défier… La volonté de prendre leur revanche, sans doute…»

Un sourire amical de naître sur le visage du vieux lion. Kaleb avait sa vision de choses, sa vision du monde, sa vision de comment devait être le monde. C’était une vision noble, respectable, mais encore une fois, une vision idéale. Un pieu souhait qui est, au final, bien loin de la réalité dure et froide. Elle suppose que l’humanité entière avance dans un même but, elle suppose un même tout où sont niées toutes les individualités. La réponse du vieux lion serait alors simple :

« - Ne me disais-tu pas plutôt que nous ne devions pas nous considérer comme des élus au-dessus de lot, n’étions-nous pas des exemples à ne pas suivre ? Mais à rester trop loin de ceux qu’on veut aider, ont fini par en oublier qui ils sont. On s’isole, on ne comprend plus ce qu’ils vivent, ce qui les anime et surtout, dans quelle direction nous allons. »

Humanité et Sanctuaire, Empire et Saint, deux faces d’une même pièce. Du moins, si le Rêve de la déesse venait à se libérer. Un monde où la guerre ne règle plus les conflits, où la sagesse et la justice dominent. Mais un tel monde ne s’imposera jamais pas la paix ou l’exemple. La déesse le sait, son Rêve y est préparé. Les chaînes ne se brisent jamais dans le calme et dans la paix. Mais l’idéalisme de Kaleb était attendrissant. Le vieux lion en avait été pétri pendant longtemps avant que la réalité et son froid pragmatisme ne le rattrape. Il l’écouta ensuite parlé de Rome. Occultant la réalité du monde, ou du moins une partie, qui avait motivé cette attaque. Elle n’était pas simple vengeance mesquine. Elle s’inscrivait dans un grand tout. Un ensemble auquel le dieu de la Lumière avait souscrit, un grand tout qu’il avait vu et des soldats qu’il avait envoyé à la mort rien. Leur crachant ainsi au visage de toute la violence de ce sourire narquois qu’il avait adopté jusqu’au bout.

« - Parce que c’est ainsi que notre monde marche, Kaleb. Nous sommes l’ombre des dormeurs, mais ce monde est avant tout le leur. L’Italie n’est pas là simplement une vengeance. C’est une fin, un nouveau départ. Une nécessité géopolitique, stratégique et économique. Nous ne sommes pas les premiers à avoir commencé cette guerre, mais nous sommes ceux qui l’ont terminé. »

Le vieux de se taire et d’inspirer profondément.

« - Athéna est discrète oui. Elle se montre quand c’est nécessaire, mais elle surveille chacun d’entre nous et en sait toujours plus qu’elle ne veut bien le laisser croire. Elle punit autant qu’elle réconforte mais il est impossible de la cerner. Même moi, qui passe beaucoup de temps avec elle je ne commence qu’à percer les couches superficielles de sa personnalité. Est-il seulement possible pour un mortel de comprendre une âme comme celle d’Athéna qui naît et meurt indéfiniment ? »

Un nouveau sourire de se dessiner sur le visage du vieux lion.

« - Au contraire, nous sommes tout autant différents des oracles que des guerriers d’Arès. C’est d’abord ensemble qu'Apollon et Arès qu’ils ont construit la gloire de l’empire romain. La déesse n’est venue occuper une place dans la trinité que bien plus tard, en remplacement d'Aphordite. »

Et on ne pouvait nier la gloire civilisatrice qu’avait été l’empire romain. Même si la nouvelle Rome se voulait plus imposante, plus grande et plus éveillée encore que son aïeul.

« - Les premiers sont esclave de leurs passions, capables du meilleur sur le moment, mais de se désintéresser de leur création une fois cette dernière terminé. Comme le fit Apollon à Rome. Ils sont loin de la raison qui anime notre ambition profonde. Pour les Berserkers, plus que des monstres sauvages et idiots comme on les dépeints souvent, à tort, ils sont la liberté dans son aspect le plus pur. Esclaves de leurs pulsions plutôt que de leur passion. Ils se sont débarrassés, parfois, de la raison, de la logique ou de la morale. Ils sont la liberté brute, sans cadre et sans règle. Une autre forme d’idéale, antagoniste au nôtre. Les prendre pour des sauvages serait une erreur. Mais oui, bientôt, tu auras tout le loisir d’être témoin de ce qu’ils sont, en meilleur comme en pire. »

«Je vois… Nous avons saisi une opportunité pour élargir la sphère d’influence du Rêve de notre Déesse si je comprends bien… »

Une explication qui ne satisfaisait pas pleinement le chevalier de la Vierge mais dont il devrait certainement se contenter Après tout, il ne pouvait prétendre comprendre ce qui s’était passé durant cette campagne quand d’aucun tels quel Silas, bien qu’y ayant participé, peinaient à en saisir les tenants et les aboutissants.

Pour autant, l’Axoumite voyait les dégâts que l’occupation de Rome par Narsès et les exactions qui avaient suivi avaient fait. Pas seulement sur les Oracles. Mais davantage sur la réputation de l’Empire, du Sanctuaire, des chevaliers sacrés et sur le crédit que les autres éveillés pouvaient leur accorder. Narsès avbait fait preuve d’une barbarie vis-à-vis des serviteurs d’Apollon qui était indigne de serviteurs de la Paix et du Rêve voulu par Athéna. Néanmoins, il était désormais aisé pour quiconque de s’en servir comme argument pour chercher à montrer qu’ils ne valaient pas mieux que les Berserkers ou d’autres factions dans les méthodes employées. La folie d’un seul avait entachée la crédibilité de tous. Et cela, la Vierge avait du mal à l’accepter.

«L’infamie de Narsès a jeté l’opprobre sur notre ordre tout entier. Elle a généré de la défiance, de la colère et de l’incompréhension. Il faudra du temps pour réparer les dégâts causés. Plus grave encore, nous ne sommes plus perçus comme des personnes dignes de confiance. Cela nous prive d’alliés potentiels ou tout du moins d’une neutralité de certains. Comme Asgard… Je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a des forces obscures derrière tout cela. Et que les dégâts pourraient être, à long terme, bien plus considérables que la simple campagne d’Italie et nos rapports avec les serviteurs d’Apollon… »

Quand Childéric évoqua les différences entre Saints, Oracles et Berserker dans leur représentation du monde, Kaleb écouta attentivement. Après tout, cela pourrait se montrer utile pour cerner l’esprit des uns et des autres le moment venu.

«La liberté poussée à l’extrême en somme ? Elle mène à l’égoïsme et à l’inconstance selon moi. Car nos pulsions peuvent changer en fonction du vent. Sans pour autant les renier, je reste convaincu qu’il faut les apprivoiser. Sans quoi, aucune civilisation n’est possible… »

Un simple constat. Une évidence sans doute pour le premier serviteur d’Athéna.

La nuit commençait à blêmir. Le jour se lèverait dans quelques heures. Il était temps pour Kaleb de prendre congé.

«Je vais devoir vous quitter votre Excellence. Je ne crains que les Gémeaux ne tardent pas à s’éveiller. Nous reviendrons au Sanctuaire le plus rapidement possible. Puisque les tambours de la Guerre vont à nouveau résonner…»

A ces mots, la Vierge s’agenouilla à nouveau, puis se relevant, il regagna paisiblement sa tente.

Citation :

RP terminé, merci

Il n’était pas facile de résumer le jeu politique des dernières années en simplement quelques minutes. Pour comprendre la situation qui avait poussé à la guerre en Italie, il aurait fallu regarder les restes de l’empire romain et sa chute. La volonté de Justinien de restaurer l’intégrité de l’empire dont il est l’héritier. Les actions militaires des ennemis de la déesse contre son rêve et ses forces. Le sanctuaire avait été secoué par la guerre et les oracles avaient pris le tribut de la vie d’un Pope. Même si Bélisaire n’était pas vraiment le plus qualifié des deux dirigeants sous lequel le vieux lion avait pu servir quand il était un jeune fauve. Avait-il fait mieux que ces deux-là ? Il n’était pas juge de ses propres actions, l’histoire répondrait pour lui. Mais déjà, tous ces événements appartenaient au passé. Il ne restait plus que lui et Silas qui les avaient vécues. Alors, comment les autres pouvaient-il en avoir conscience ?

Pour le vieux lion, le chevalier de la vierge avait ce regard rafraîchissant de celui qui croit fondamentalement à la cause qu’il avait embrassé. Une bonne chose quand on est amené à mourir pour cette dernière. Cependant, il manquait de nuance mais l’expérience lui apporterait. L’ordre était loin d’être et d’incarner l’idéal qu’il décrivait. Apporter la sagesse et débarrasser l’humanité de ses superstitions demandaient des sacrifices qu’elle n’est parfois elle-même pas prêtre à faire. La déesse y était résignée. Le reste et bien, appartenait aux méandres des mythes et des oppositions entre les divinités. Jamais un guerrier d’Arès ne verrait un saint comme Kaleb voyait l’ordre. De même pour n’importe qu’elle autre éveillée, qu’importe son maître. Chacun avait son idéologie et personne n’était vraiment le gentil ou le méchant de l’histoire.

« - Les dégâts les plus lourds que Narsès a causés son vis-à-vis de notre diplomatie avec les guerriers de Poséidon. Avant lui, nous avions posé avec eux les bases d’une solide alliance mais… Je ne sais pas trop s’il reste quelque chose à sauver. Même si le pire avait été évité. »

Le général avait voulu déclencher une guerre entre les deux puissances et il s’en était fallu de peu pour qu’il ne réussisse dans ses ambitions. Il avait fait tout ça avec en-tête la suprématie du Sanctuaire et les victoires passées. Après tout, il y a seulement quelques années, ses forces armées avaient mis Atlantis à genoux. Alors pourquoi pas recommencer ? Mais la situation était bien différente et sa tête qui avait quitté ses épaules en était la preuve. Dans son fanatisme et sa vision idéalisée de l’ordre, il s’était éloigné de la véritable volonté d’Athéna.

« - Je te l’accorde. Mais peut-on vraiment prendre ces hommes pour des sauvages ? Il embrasse leur nature profonde de manière absolu et totale. L’opposé de la raison et de la maîtrise de ses pulsions que prône la déesse. »

Mais bientôt, le chevalier de la vierge aurait l’occasion de comprendre et d’apercevoir la complexité des armées d’Arès. De voir à quel point elles sont loin de l’image de soldat stupide et brutale qu’on en dresse souvent à tort.

« - Je compte sur toi, Kaleb. »

Et le vieux lion commençait déjà à disparaître.