[Mai 553] Changement de décor.

La nuit avait été courte, comme toutes ses nuits récemment d’ailleurs. La guerre couvait à l’est et une attaque des chiens de guerre était à prévoir. Ces derniers auraient l’effet de surprise, du moins en partie. Alors l’Empire et le Sanctuaire devaient être près. Le plus difficile était de savoir s’il s’agissait d’une simple attaque visant à conquérir le terrain perdu. Une chose qui avait semblé beaucoup intéressée le Pontife de la guerre lorsque Childéric l’avait croisé à Camelot. Mais peut-être que d’autres partis étaient impliqué plus ou moins dans la lumière. Après tout, la construction de ces forteresses avaient été rendu possible avec l’aide du dieu des marchands et des voleurs. Le maître alchimiste était aussi digne de confiance qu’un arracheur de dents endetté qui vendrait père et mère pour son propre intérêt. Il regrettait que la déesse ait fait confiance à son frère sans contrepartie, mais qui était-il pour juger des décisions divines et du jeu que la famille olympienne se livrait sur l’éternité.

Alors, il avait profité de l’obscurité pour s’accorder quelques heures de sommeil et s’était levé avant l’aube pour continuer à régler les problèmes qui devaient l’être. Une armée aussi vaste que celle de l’empire demandait une administration quasi-permanente et, en tant que Pope, il était un maillon important de cette machine byzantine. Le danger de l’Est était toujours présent, et peut-être ne s’agissait-il là que d’une diversion… Le moment pour cette alliance fantôme entre Spectre et Berserker de s’animer ou pour les restes des oracles de frapper. Se défendre sans s’affaiblir, voilà le problème de l’empire et le problème d’un géant au pied d’argile. Il s’était installé dans l’un des réfectoires des gardes, avant même que ces derniers ne viennent se déjeuner. Il y serait tranquille. Cependant, un de ses hommes vint le trouver pour lui dire qu’une femme répondant du nom de Cassandre se présentait et qu’elle semblait être attendu.

Il avala sa surprise en même temps qu’un morceau de pain dans lequel il était en train de mordre et d’un simple signe de la main, comme si il était prévu que cette étrangère soit reçu, il demande au soldat de la faire amener. Il se leva lui-même et amené un peu plus de vivre sur la table. Sûrement avait-elle voyagé sans trop s’arrêter, possiblement la mort aux trousses. Il était temps de trancher cette question et de voir dans quelle direction cette histoire allée évoluer. Le vieux lion était tranquille installé et invita la jeune femme à prendre place quand elle rentra elle-même. Il l’attendait, mais certainement pas maintenant.

« - Bien, installe toi, le voyage jusqu’ici a-t-il été… tranquille ? Tu n’as pas eu de problème à passer les temples ? »

La jeune femme n’avait pas vraiment changé depuis qu’il l’avait croisé en Italie et à vrai dire, ce n’était pas vraiment un indice. Qu’elle se trouve ici voulait dire qu’elle avait finalement tout abandonné et qu’elle était prête à avancer dans une nouvelle direction. Celle de l’ordre et de la raison, loin de la passion.

Le vieux lion plante ses yeux dans ceux de la jeune femme. Un sourire avenant attaché sur le visage. Il devine la fatigue qui doit être la sienne. Ce voyage rapide de Rome a ici n’est pas de tout repos, même pour un éveillé. Il se souvient, pendant la guerre, du temps que lui prenait la navette qu’il effectuait entre le champ de bataille et le Sanctuaire. Et encore, il avait le temps et n’avait pas la mort aux trousses. Childéric avait appris à ne pas juger un livre à sa couverture, mais de ce qu’il connaissait de Cassandre, elle n’était pas la plus endurante ni la plus forte des guerriers sacrés. Bien que son cosmos soit déjà, plutôt impressionnant pour une recrue qui n’avait pas encore reçu de protection sacrée. Il opina du chef à son tour quand elle parla de sa traversée des temples, plutôt tranquille. Certains chevaliers étaient encore en mission et, à cette heure matinale, il n’était pas des plus étonnants de ne croiser personne. Mais au moins, aucune question n’avait été posée. Elle viendrait en temps et en heure et il appartiendrait à Cassandre de révéler ce qu’elle voulait révéler. Vers un nouveau mensonge ?

Pour le reste, il savait très bien pourquoi elle était venue. À vrai dire, il l’avait attendu. Peut-être pas maintenant, peut être pas si tôt, mais il était parfaitement certain qu’elle viendrait. Le vieux encore une fois de lui adresser un signe de tête signifiant qu’il savait pourquoi elle était là.

« - Tu as finalement décidé de faire le grand saut donc. »

Puis de se taire un instant. De laisser le temps au silence de s’imposer et aux idées de se rassembler. Il finit par reprendre :

« - Je ne remets pas en cause ni ta motivation, tu ne serais pas là sinon et tu n’aurais pas pris tous ces risques. Ni tes raisons, je sais déjà ce que tu as fait pour notre cause. Ma question donc simple : comment vois-tu notre avenir parmi nous ? »

Il y a tant de place à prendre. Un serpent tel que toi serait sûrement une reine des vipères dans le nid de cobras qu’est la politique impériale. Pourtant, il aurait été étonnant de la voir se contenter de ce genre de rôle simplement dans l’ombre. Mais le choix était entre ses mains. Si elle demandait à être éloignée des conflits et demeurer dans l’ombre et bien, le vieux lion lui devait bien ça. Mais on ne fait pas tout ce chemin et on ne prend pas tous ces risques simplement pour une retraite dorée. C’était important pour lui qu’elle décide au final. Quand il pouvait, et c’était trop rare, il aimait laisser le choix à ceux qui venait s’engager dans le chemin du Rêve. Souvent un chemin à sens unique et qui demande encore et toujours plus de sacrifices. Renoncer à sa ville, sa vie, ses proches et son précédent dieu n’était là que le début de ce qu’elle devrait abandonner. Comme eux tous…

Le vieux lion de lui adresser un petit signe de tête entendu. Cassandre avait déjà joué son rôle à merveille. Ces informations avaient été utiles et bien qu’elle ne fut pas la seule espionne dont disposé le Sanctuaire, son rôle avait été important. Mais la trahison est un redoutable jeu d’équilibriste. Aussi doué sois le funambule, il finit toujours par tomber. La jeune Romaine avait bien fait de quitter son monde pour venir ici. Au moins, elle n’aurait plus à marcher sur un fil et pourrait se reposer de cette pression mentale considérable qui avait dû s’accumuler. Cette méfiance de tous les instants ne laisse jamais complètement indifférent. Elle marque aussi sûrement que la violence du champ de bataille, la tripaille et le sang. Et la réponse à la question tombe. Elle a fait un choix et ce choix sera respecté. Bien qu’elle ne doit pas complètement se douter des conséquences de ce dernier.

« - Bien. Tes convictions sont toujours intactes. C’est une bonne chose, elles te seront utiles. »

Pour te dire que tout ce que tu as jeté aux orties ne l’a pas été pour rien. Childéric pouvait parfaitement comprendre ce qui avait poussé Cassandre à changer de camp et à se retrouver dans le Rêve d’Athéna. Comme il en avait parlé, ironiquement, avec le Pontifex, le respect minimum qu’on doit aux soldats, c’est de faire en sorte qu’il ne meurt pas pour rien. Or, Apollon avait vu la défaite à venir, il savait, maître du temps qu’il était. Pourtant, il avait envoyé tant des siens dans la mort sans trembler. La monstruosité des dieux dans toute sa splendide horreur. La suite lui arrache un sourire.

« - Le physique ne fait pas tout, en effet, surtout dans notre monde. »

Le géant à la barbe longue se releva, épousseta alors les miettes qui se trouvaient prises dans sa barbe. Il adressa un petit signe de la main à la jeune femme :

« - Suis moi. »

Il resta silencieux et conduisit Cassandre dans un nouveau couloir. Celui, central, qui conduisait de l’entrée du temple qui était sa résidence à la salle du trône où il siégeait. Il dépassa l’endroit sans même lui accorder un regard et s’engouffra dans un nouveau couloir derrière le siège officiel. Pas très grand, ce dernier donnait sur une grande pièce où se trouvait un dénivelé en marche qui faisait remonter la pièce vers des piédestaux. C’est là que se trouvait les armures qui se trouvaient au Sanctuaire et qui n’avaient pas de porteur. Toutes n’étaient pas présentes, certaines portées ou conservées ailleurs manquaient à l’appel. Mais au moins le reste de l’or se trouvait ici. Il avait une idée du potentiel de la jeune femme et peut-être que…

« - Bien, voyons s’il y en a une pour toi. »

Voir la réaction des gens qui pénètrent dans ce saint des saints a toujours quelque chose d’amusant. Lui-même avait réagi d’une façon assez similaire quand il y avait mis les pieds pour la première fois. Après tout, ici se concentrait le coeur de ce qui faisait un guerrier sacré : les armures. Chacun a une relation particulière avec la sienne et le vieux lion, pendant longtemps, avait entretenu une relation assez fusionnelle avec sa propre armure. Maintenant, il pouvait d’une façon assez étrange toutes les sentir vibrer, sans qu’aucune ne lui appartienne vraiment. Childéric observa, silencieux, la réaction de Cassandre. C’était un moment important pour elle. De savoir si elle était une élue ou si elle devrait choisir d’emprunter le chemin du rêve sans aucune armure. Le vieux ne doutait pas qu’elle trouve chaussure à son pied, restait juste à voir qui elle allait vraiment devenir.

Les yeux du Pope se fendirent comme ceux du fauve qui guidait ses étoiles. Il observa avec précision l’aura de la jeune femme. Elle la maniait avec habileté et il fut surpris d’y voir une claire trace de loyauté envers la déesse. La lecture du cosmos premier était un l’un pouvoir des rêveurs et il s’attendait, malgré tout, à voir une couleur plus nuancée dans l’aura de Cassandre. Mais elle semblait pleinement dévouée à l’ordre. Une recrue de qualité donc qui allait maintenant rejoindre les rangs de l’ordre. L’argent ? Ce serait honorable. Et que le lien entre elle et l’une des armures d’argent se fasse ne joua qu’à peu de choses. Mais elle continua son chemin et démontra d’une habile lecture des auras des armures. Un pouvoir rare et intéressant. Il faudrait qu’il s’intéresse plus en détail aux capacités de la jeune femme.

« - Oui, il était dévoré par la douleur et par lui-même, une triste histoire. »

Mais il n’a pas le temps d’en dire plus, même s’il n’y avait plus grand-chose à dire de cette tragédie. Une armure semblait avoir choisi la jeune femme et le jeu auquel les deux entités allaient se livrer était sur le point de commencer. Il fut surpris de voir l’armure d’or du cancer se diriger vers elle. Cette dernière avait souvent une appétence avec les âmes proches de la mort et capable de franchir la frontière. Mais peut-être que la Romaine avait des talents cachés Elle laissa alors aller son pouvoir et le vieux fut surpris de voir à quel point il était déjà développé. Une apprentie seulement ? Elle avait largement le potentiel de porter une armure d’or et il comprenait mieux maintenant le choix de l’armure et surtout, ce à quoi il assistait. Pourtant, dompter une armure d’or n’était pas une tâche facile.

« - Et bien, il semblerait que l’armure d’or du cancer a jeté son dévolu sur toi. Le reste maintenant t’appartiens. À toi de faire le choix d’endosser l’or et de finir de tisser ce lien avec les étoiles ou de refuser et de te lier avec une armure moins puissante, j’ai cru sentir qu’un lien pouvait naître entre toi et la chevelure de Bérénice ? »

Le vieux lion de se faire ensuite et d’avancer à son tour pour se rapprocher un peu de Cassandre et de l’armure du cancer.

« - Si tu rentres dans le cercle d’or, il viendra avec ce choix devoir et responsabilité, bien plus encore que ce que pouvait porter Éminences et Pythies dans le camp d’Apollon. À toi de voir si tu es prêtes et quel gardien tu désires. Si je peux te donner un conseil, l’armure du cancer est sensible aux frontières, elle est proche du voile qui sépare notre monde et celui d’en dessous. Pourtant, elle peut choisir un élu très différent de ces préférences habituelles. Bien que la frontière entre les mondes soit quelque chose que tu peux comprendre, je pense. »

Après tout, elle avait marché pendant longtemps entre son monde et celui d’Athéna. Entre le soleil et la sagesse la route est dangereuse et elle avait su survivre à la guerre et à son travail.

Les étoiles oui, jouent un rôle important dans la vie d’un guerrier sacré. Elles dictent bien des choses sur la façon dont est amené un vivre un chevalier. Mais est-il pour autant l’esclave de ses étoiles ? C’est un débat sans réelle solution et sans véritable réponse. La mesure du libre-arbitre dans et l’ampleur qu’on veut donner à ce dernier. Il est toujours plus facile de se cacher derrière une force qui nous auraient forcé vers cette destination. Parfois, il fallait se battre contre ses étoiles et c’est ce qu’avait fait le vieux lion. Il avait combattu la violence aveugle de ses crocs et de sa formation pour la canaliser. Il avait dompté cette faim, prix à payer pour pouvoir mordre et avait fait en sorte que la prochaine génération dévie des pas de la précédente. Mais on pouvait facilement embrasser ses étoiles et le destin qu’elle vouait aux mortels. Comme l’avait fait Silas avec son frère jumeau, par exemple. Au final, oui, le choix serait le sien. Subir le destin ou au contraire, en être le moteur.

« - Alors bienvenue à toi, Cassandre du cancer. »

Mais son choix était fait et il venait d’assister à la naissance d’un nouveau chevalier d’or. Une recrue de choix pour le cercle d’or. Mise à part les connaissances qu’elle avait déjà sur les oracles, Cassandre était une autre forme de diamant brut. Moins brillante que l’avait été Ryme, mais elle avait déjà un énorme potentiel qui avait été travaillé par sa formatrice dans le camp d’Apollon. Pourtant, il savait qu’elle avait encore des choses à apprendre ici et qu’elle pourrait aller encore plus loin et plus haut que là où elle se trouvait maintenant. La suite de la conversation vit un sourire amusé se dessiner sur le visage du Pope.

« - Oui, elles le sont. À toi de voir maintenant ce que tu ferras. Si tu choisiras de t’approcher du voile et du voyage qu’elle te promet ou si, au contraire, tu suivras un autre chemin. Disons que la proximité des âmes et des esprits devraient t’aider, mais tu dois pouvoir… apprendre, si tu le souhaites. »

De tous les chevaliers du cancer qu’il avait connu, et il en avait connu quelques-uns, Cassandre semblait être la plus normale du lot. Mais il ne faut jamais se fier à simplement la couverture d’un livre. Après tout, avait-il déjà pu constater l’étendue des pouvoirs de la jeune femme ? Pas pour le moment. Mais c’est une chose qu’il faudrait qu’il voie à l’avenir. Après tout, il la savait habile dans une Cour, espionne de talent, mais maintenant qu’elle avait rejoint l’or, elle aurait d’autres charges à remplir et parmi ces dernières, la protection de son temple, et donc, de la déesse.

« - Si tu veux, il y a des chambres ici pour que tu puisses te reposer. Si tu te sens de marcher encore un peu et bien, tu peux redescendre les marches jusqu’à ton propre temple, ta nouvelle demeure. La quatrième, ce qui... te fait un bon nombre de marches à descendre. »

Et le lion parti alors dans un puissant éclat de rire. Au Sanctuaire, on apprend rapidement à détester les marches. Surtout quand on est missionné de les nettoyer. Mais pour ça, le Pope avait un chevalier de bronze parfait pour la tâche !