J'étais de garde au Dédale, pendant cette nuit d'assaut destiné à redessiner les anciennes frontières. Les forêts étaient étrangement calmes, comme si elles attendaient le dénouement du carnage pour s'animer à nouveau, fêter le triomphe ou entériner la défaite dans le froid des tombes. Mais ils ne sont pas revenus tout de suite. Le temps de consolider les forteresses prises, donner les ordres, affermir la conquête probablement. Alors il y a eu l'attente. Des familles qui réclamaient des nouvelles, parfois. Et puis les guetteurs ont fini par les repérer de loin et faire passer le mot.
Je n'avais pas particulièrement reçu de consignes en ce sens -et de qui ?-, mais puisque les rapports faisaient état de blessés, j'ai réquisitionné une poignée de gens pour libérer des salles assez grandes et y faire installer des lits de camp, des paillasses, des récipients d'eau claire, des bandages, de l'alcool et des outils qui pourraient servir aux médecins.
Ma rencontre avec Akir me laissait penser que je pourrais aider. Je pouvais, au minimum, cautériser des blessures, maintenir des fortes têtes qui s'agiteraient trop. Et puis il s'est avéré un peu plus tard, quand les cas les plus graves sont arrivés, que le Jij pouvait y trouver son compte dans les amputations. Dévorer la chair blessée, infectée, en quelques secondes, puis l'empêcher de saigner davantage.
J'avais un peu oublié le goût du sang et de la chair. La Bête n'était jamais loin pour me le rappeler, et je lui devais cette faveur après sa retenue exemplaire à Constantinople. Là où l'Homme avait pris le devant de la scène.