[Mai 553] A la rencontre d'un roi

Les murs de la cité franque étaient désormais visibles. Bien que moins hauts que ceux de Rome, ils étaient pourtant plus modernes : plus épais, plus solides. De nombreux soldats en armure le patrouillaient et surveillaient les porte de la cité, témoin de la puissance militaire de ce nouveau royaume. A l'entrée, avant le pont enjambant la rivière de la Vesle, c'était une véritable village de tente qui s'était installé, avec de nombreux marchands qui avaient ouvert leur boutique, de musiciens et d'artistes qui montait leurs spectacles. De nombreuse fois, les voyageurs venus de Rome se firent alpaguer pour manquer de se faire vendre quelque chose. Les lieux étaient des plus animés!

Une fois la taxe payée, il fut possible à la jeune Oracle et à sa compagnie de pénétrer dans la cité, où une activité semblable régnait. Des troubadours contaient en musique les histoires venant des quatre coins du royaume, des processions religieuses traversaient les rues, et des enfants jouaient, nombreux et heureux à tous les coins de rues. Cependant, à cette joie et cette vie qui pulsaient dans Reims, une face plus sombre demeurait. Nombreux étaient les mendiants qui faisaient l'aumône dans les rues, et certains dans la population semblaient affectés par de sinistres malades : des plaques rouges leur déformaient le visage, et ils toussaient à s'en faire saigner la gorge. Les enfants, aussi innocents que cruels, se moquaient d'eux en leur jetant des cailloux pour les faire décamper.

Désormais à l'intérieur de la ville des Rois, il appartenait à Tumaini de décider comment s'y prendre pour remplir au mieux mission qui lui avait été assignée : établir la présence de son ordre dans la capitale du royaume, et réunir des informations à ramener à Rome. Pour cela, de nombreuses possibilités s'offraient à elle.

Le plus évident serait de se rendre dans le quartier des artisans, au sud-est. Dans ce labyrinthe de maisons, assemblage hétéroclite d'architecture latine et barbare, les guildes prospéraient. Corporations de tisserands, maçons, forgerons, s'y trouvaient. La compétition était rude, et les auberges rares et chères.

Le quartier du sud-ouest aurait également été un bon début. C'était le quartier des commerçant, celui où la loi de l'argent régnait en maitre. C'était également là que se trouvaient la plupart des auberges. Mais c'était également selon les rumeurs, le quartier où bon nombre de rapines et autres crimes avaient lieu, dans les allées mal éclairées.

Au noerd-est, sur une colline de la ville, se trouvait le quartier des Bouchers. C'était là la zone la mieux gardée de la ville, car s'y trouvait à l'angle des murailles le château où résidait le Roi Clotaire 1er. C'était là, dans les fours et réserves de nourriture de la ville, qu'on stockait toutes les provisions nécessaires à la vie de la capitale naissante.

Ou la jeune fille allait-elle braver ses peurs, et aller au nord-ouest? C'était le quartier de la cathédrale, où l'église chrétienne avait la mainmise sur les beaux arts, et dispensait son aide aux plus démunis dans des auspices. Son ordre avait de l'influence auprès d'eux... Mais y serait-elle pour autant la bienvenue?

Au nord, de l'autre côté des douves, on disait également que se trouvait un quartier supplémentaire. Le quartier juif, où bon nombre d'étrangers venus de terre lointaine séjournaient. C'était un lieu plein de mystère, que les bonnes gens conseillaient d'éviter, car ceux qui y pénétraient n'en ressortaient pas toujours...

Spoiler:

La vie à Reims était intense et, parfois, fatiguante. Toute la cité bourdonnait telle une ruche en train de croitre en permanence. Certaines vieilles bâtisses étaient rasées pour que de nouvelles prennent leur place. Des convois de marchands et de voyageurs passaient chaque jour les portes en nombre, apportant de nombreux biens et une très vaste main d'œuvre pour les chantiers. La concurrence était donc rude, pour Tumaini et la compagnie Mesektet. Ils avaient cependant l'avantage de l'exotisme : bien peu étaient les marchands venus d'aussi loin, et leurs biens comme leurs expositions attiraient l'oeil. Cela était autant un avantage... Qu'un inconvénient.

Depuis plusieurs jours, la jeune Oracle de Xoana pouvait se sentir observée. Les autres membres de sa troupe, certains versés dans les arts de la roublardise, l'avertirent que des hommes en bure à l'air suspect, semblable à des moines, les suivaient parfois. Cela allait même jusqu'à surveiller l'auberge où ils séjournaient. Mais rien de grave... Pour l'instant.

Tumaini et d'autres de ses compagnons avaient dressé leur étal dans une grande avenue du quartier des artisans. C'était malheureusement pour le moment leur seule option : malgré les fonds que Rudjek lui avait confié, personne n'avait accepté de vendre sa boutique à des étrangers venus d'on ne sait où. Les corporations qui contrôlaient ce quartier influençaient surement là-dessus : pour empêcher l'apparition d'une concurrence sérieuse, il suffisait de les priver d'atelier. Heureusement, la compagnie Mesektet était habituée à travailler avec peu, et parvenait donc à créer quelques pièces correctes.
Ce jour-là, vers la fin de la matinée, des trompettes se firent entendre en provenance de la porte sud-est de la cité. Bientôt, des hommes à cheval arrivèrent dans la rue, écartant marchands et passants. L'un d'eux portait haut une bannière représentant trois grenouilles noires sur fond jaune doré. En soufflant dans leurs cors, ils criaient par intermittence des avertissements à ceux qui trainaient trop à s'écarter.

« PLACE! FAITES PLACE POUR LE ROI CLOTHAIRE, PREMIER DU NOM! »

A ces mots, la plupart des civils se hâtaient de libérer la voie pour la troupe à cheval qui approchait.
De nombreux cavaliers ne tardèrent pas à se dévoiler, avançant deux à deux en une longue colonne. Beaucoup portaient des armures de belle facture, aux étendards divers et colorés. Le Roi était visiblement de retour d'une expédition au sud, disait-on. A en croire les murmures de la foule, il était allé sur les terres des Burgondes pour écraser une révolte sur ce territoire conquis depuis peu. Ses chevaliers et Paladins seraient les premiers à entrer en ville. Les troupes d'infanterie avaient, quant à elle, un camp à l'extérieur des murs, et n'arriveraient que plus tard.

Arriva finalement une troupe de chevaliers plus dense que la normale, marqué par de nombreux drapeaux flottant au vent. Au cœur de ce groupe, un homme chevauchait à visage découvert. Il semblait d'un âge mur, comme en témoignait sa crinière d'argent et sa moustache finement taillée. Il devait bien avoir la cinquantaine, voir la soixantaine... Mais malgré un âge vénérable pour l'époque, le port altier et gracieux de ce noble lui faisait parraitre surement moins que son âge réel. Ses traits élégants et les vêtements resplendissants qu'il portait le démarquaient de ses compagnons. Lorsque le commun des mortels posait les yeux sur lui, son aura imposait à tous une seule pensée : il était un Roi parmi les rois.

Lorsque l'entourage de Clothaire 1er arriva à leur hauteur, les habitants du quartier l'acclamèrent. Le roi franc laissait aller son regard sur son peuple, levant la main pour le saluer en retour et le remercier de leur accueil. Son regard glissa sur l'étal de la compagnie Mesektet... Et s'immobilisa.

« Arrêtez le convoi. »

Le roi tira les rênes de son cheval. Pris de court par l'ordre de leur suzerain, les chevaliers créèrent un peu de désordre en forçant leur montures à stopper le pas, mais bien vite reprirent le contrôle de la situation. Des cris se répercutèrent à l'avant et à l'arrière du convoi pour prévenir tous les hommes de l'arrêt de la marche. Le Roi, lui, ne se préoccupait pas de tout ceci.
Clothaire se laissa agilement glisser au sol depuis sa grande monture. Sa longue cape d'un bleu profond et faite de la plus belle des étoffes le suivit. Il s'avança au milieu de ses hommes, qui hâtivement l'imitaient, pour se diriger droit vers le petit étal de la compagnie Mesektet. Là, son regard passa sur les tissus et sculptures proposées par leur troupe, jusqu'à s'immobiliser sur une des œuvres récentes de Tumaini. Délicatement, ses fins doigts gantés saisirent l'objet pour l'observer sous différents angles. Il se tourna finalement vers la jeune Oracle pour s'adresser à elle.

« Vous, jeune fille. D'où viennent ces sculptures? A quelle guilde appartenez-vous? »

Ses deux yeux étaient bleus clairs, et malgré l'aura rayonnante de cet homme, ce regard semblait froid, distant. Cet homme régnait au-dessus de la populace. En tant que tel, il ne pouvait que regarder de haut tous ceux qui l'entouraient. C'était là plus que de l'arrogance : c'était un état de fait, aussi naturel pour lui que de respirer.
Si, indéniablement, il y avait un fragment de l'astre solaire en ce Roi, Tumaini avait pourtant l'impression de sentir en léger frisson dans son dos alors qu'il l'observait.