[Fin mai 553] Ohé Ohé Chevalière abandonnée (PV Dana)

« Arrête un peu avec tes conneries Proetus… Ça se saurait si la Vierge avait déserté. Le Pope aurait envoyé un autre Doré lui régler son compte, non ? C’est comme ça que ça se passe avec les lâches, non ? »

On était assis sur les marches du Colisée. Observer les apprentis se buriner le visage à grand coup de phalanges constituait l’une des occupations favorites des gardes et des chevaliers en permission. Faut dire. Le spectacle était bien souvent au rendez-vous. Que ce soit par des combats déséquilibrés où de jeunes freluquets envoyaient voler des golgoths de deux fois leur taille ou lorsqu’une jeune guerrière perdait son masque devant toute l’assemblée, on trouvait rarement à s’ennuyer.

Mais aujourd’hui, la question n’était pas là. La veille, Proetus et un de ses acolytes étaient de faction devant les portes du Treizième temple. Ils y avaient vu le sixième gardien y rentrer avec une colère sur le visage qui les avait dissuadé de s’interposer. Il était ressorti quelques minutes plus tard, avec la même détermination sur le visage et au matin, les serviteurs ne l’avaient pas trouvé sur les marches de sa demeure comme à l’accoutumée.

Les rumeurs avaient rapidement fait le tour du domaine sacré. Pourtant, il n’était pas surprenant qu’un chevalier manque à l’appel aux aurores, envoyé en mission urgente au creux de la nuit ou parti méditer dans un lieu inaccessible aux simples mortels.

Non, ce qui avait mis la puce à l’oreille des serviteurs était l’état de détresse de l’intendante de la Vierge, retrouvée le visage blafard et les yeux rougis d’une nuit sans sommeil, prostrée devant l’Autel où reposait l’armure. Mais bon… Si les larmes d’une femme suffisaient à tirer ce genre de conclusions hâtives, on n’était pas sortis de l’auberge !

Alors que mes compagnons continuaient à débattre sur le sujet à grand renfort de mauvaise foi et d’arguments invérifiables, une ombre fit son apparition qui me masquait le soleil. J’avais choisi volontairement cette place stratégique, en hauteur, pour pouvoir me chauffer le dos. Aussi, je me retournais avec mon air le plus affable sur le visage pour demander à l’importun de bien vouloir aller voir ailleurs si Athéna y était.

Portant ma main devant mon visage, je lui adressais donc une invective on-ne-peut plus claire.

« Bon… Vu que je ne suis pas dans un tonneau et que t’es certainement pas Alexandre le Grand, mais que dirais-tu de dégager de mon soleil ? »

Ainsi donc Kaleb avait pris sa décision et hâté son départ. Kalia avait fondu en larmes, Eireen tourné les talons après une étreinte affectueuse, et Dana... était restée interdite un moment. Pourquoi cette décision ? Elle avait bien entendu ses arguments d'échec en tant que maître, en tant que chevalier d'or et en tant que commandant, mais quelle avait été la goutte de trop ? Le fait que Xanathos soit mort par sa faute à elle ? Le fait que des soldats soient morts par sa faute à lui ? La mort de Silas ?

Dana se sentait présomptueuse de croire qu'elle avait été une mauvaise élève et que cela lui faisait claquer la porte au nez du Sanctuaire. Que la non-réciprocité de l'attirance qu'il lui avait avouée coupait court à sa façon d'être naturel. En fin de compte il ne s'était pas répandu en détails et elle ne saurait peut-être jamais. Lui aussi était un apprenti à sa manière, élève des lois du monde grec, de l'Empire et d'une déesse aussi froide et attirante que la rosée au matin glissait entre les doigts.

Elle avait fini par le suivre sur le seuil du temple et s'incliner profondément, lui souhaiter un bon voyage, de se trouver lui-même ainsi que son but et... qu'elle avait apprécié l'avoir pour maître. Même si ce n'était pas le plus évident dans son attitude.

Le besoin de quitter un peu "son" temple s'était vite fait sentir. Toujours consignée au Sanctuaire, elle ne pouvait pas vraiment aller faire un tour où bon lui semblait, et si elle souhaitait être impliquée dans les affaires de Britannia, elle devait faire preuve de compromission. Alors elle avait rangé son laboratoire, signalé une nouvelle fois que personne ne devait y entrer, même pour y faire la poussière, au risque de potentiellement déclencher un accident avec les substances stockées là-bas. Elle avait descendu les marches sans empressement jusqu'au Bélier, puis détourné sa trajectoire vers ce lieu où elle n'avait jamais étudié ce qu'était un soldat de l'Empire, et où les apprentis côtoyaient les élus. Peut-être pourrait-elle y trouver ce qui avait fait défaut à Kaleb.

Comme de coutume, elle commença doucement à arpenter les lieux, touchant les colonnes, les bancs de pierre, reconstituant à l'écho et aux odeurs le positionnement des lieux, des gens, de la structure. Elle était en pleine cartographie mentale aux plus rangs des marches quand elle entendit une voix dans sa direction. Les spectateurs étant assez éparpillés, elle songea que l'invective ne lui était pas destinée, mais un soldat proche -un qui l'avait accompagnée à Mediasch- lui tapota l'épaule pour lui désigner l'homme qui lui parlait.

Elle se redressa alors, nimbée de ce soleil qu'il recherchait, son armure éclatant sous le jour. Une lance et un bouclier en auraient fait, pendant une fraction de seconde, la parfaite icône d'une déesse guerrière auréolée de flammes, mais ce n'était que sa longue tresse qui glissait le long de son épaule. Dana tourna vers le jeune homme, la vingtaine d'années au timbre de sa voix, son masque enfin terminé par deux éclats de miroir incrustés aux emplacements des yeux, lui renvoyant ainsi son propre regard tandis que les ornements gravés dans le métal donnaient l'impression que des veines de puissance pure partaient des contours dans une explosion.

"Le soleil n'appartient à personne, et vous gagneriez du temps à me laisser continuer mon ouvrage plutôt que de m'interrompre."

Car ainsi elle demeurait dans la trajectoire précise de la chaleur sur le dos de cet homme.

"Quelle est cette histoire de tonneau et d'Alexandre ?"

« Tu ne sais pas qui est Alexandre le Grand ?! Ma parole, tu as séché les séances d’Histoire lors de ton initiation ou quoi ? Ou alors ton maître était illettré peut-être ?»

Sans blague ! A ces mots, je me levais pour mieux voir mon interlocuteur dont la voix féminine m’indiquait au moins qu’elle porterait un masque sur le visage. Lorsque je n’eu plus le soleil dans les yeux, mon éblouissement laissa place à une certaine incrédulité. Quand on parlait du loup…On en voyait le bout de la queue ! Après avoir jeté un œil à mes camarades qui observaient la scène, je pris mon air le plus bravache.

« Dana de la Coupe… La plumeuse de Phénix… Justement, on était en train de parler de toi ! Enfin, de ton maître plus exactement. La rumeur veut qu’il ait pris la poudre d’escampette… Mais ce ne sont probablement que des dires de servantes malveillantes et de gardes libidineux qui y prêtent une attention démesurée…»

Je posais un regard faussement sévère sur Proetus. Il était connu qu’il passait son temps à courir les jupons des demoiselles du Sanctuaire, mais pas jusqu’à se risquer à effleurer ceux d’une femme-chevalier.

Je dévisageais la femme qui me faisait face. J’avais entendu parler de Dana de la Coupe. Cette femme était revenue dans les bagages de la délégation à Camelot qui avait eu lieu pendant que je nettoyais le bordel laissé par cette enflure de Narsès en Italie. Kaleb de la Vierge l’avait trouvée et accueillie dans son temple. Elle venait de Britannia. Sans doute la raison pour laquelle elle ne connaissait pas le conquérant le plus célèbre de l’histoire grecque. Pour autant, c’est que son maître n’avait pas non plus bien fait son boulot !

« J’ai oublié de me présenter… Euryan de Persée… Alors, comme ça, tu sors en tenue d’apparat ? Tu sais que tu n’es pas obligée de porter ton armure en permanence, pas vrai ? A moins qu’elle ne fasse parti de ce mystérieux « ouvrage » que je suis censé avoir interrompu… Que fais-tu ? Tu comptes le nombre de grains que le prochain aspirant qui va mordre la poussière va soulever ? »

La demoiselle avait la réputation d’avoir du caractère. Il était temps de vérifier si ces dires étaient fondés ou non.

Le gaillard était donc de ces petites frappes provocatrices qui cherchaient à épater la galerie. Manque de chance pour lui, il était tombé sur la seule femme dont il ne pourrait pas faire briller les yeux. Et il avait choisi le mauvais sujet pour sympathiser. Mais peut-être n'était-ce pas du tout son intention.

"Mon maître n'est pas illettré. Moi si."

C'était simple à admettre, à partir du moment où la définition-même du lettrisme reposait sur la capacité première de savoir lire et écrire. Dana était handicapée, et cela n'était même pas une injure. En revanche s'il s'obstinait à calomnier Kaleb, le jeune homme allait avoir quelques problèmes. La druidesse savait à qui s'adresser pour dénoncer de tels comportements sans avoir recours à la moindre violence. Et puisque son nouveau surnom soulignait la réputation désastreuse que la décision de Childéric à son égard avait entérinée, il était bien plus sage de faire jouer ses relations en cas de litige.

"Vous feriez peut-être bien de vous éloigner de moi dans ce cas. Je ne voudrais pas vous plumer par accident."

Sans plus s'attarder, et puisqu'il préférait se moquer plutôt que de simplement répondre à sa question, Dana lui tourna le dos et longea à nouveau le banc, une main posée dessus. Elle l'entendit parfaitement se présenter et rajouter des sarcasmes à la liste déjà trop longue des propos agaçants qu'il avait déjà tenus. A croire qu'il faisait un concours de la pire première impression avec Myu.

"Je préfère compte les grains de poussière plutôt que de vous écouter juger sans savoir."

Et bien, moi qui voulait voir de quel bois se chauffer la calédonienne, je fus quelque peu déçu. Ce n’était pas un volcan qui s’éveillait mais une colère froide comme les vents du nord qui m’accueillit. Déception. La rouquine était loin de la flamboyance que j’avais imaginée.

Elle voulait jouer la carte de la répartie mais là encore, je ne pus que m’avouer déçu. Cela manquait de percussion, de répondant. Je pu quand même rebondir sur sa propre répartie.

« Désolé de te décevoir mais on ne me plume pas. Si tu as des pulsions de ce genre, je te suggère de t’adresser plutôt au chevalier Pégase. Moi, je donne plutôt dans le serpent, vois-tu ? »

Connaissait-elle seulement la mythologie classique ? Savait-elle seulement qui était Persée ? Ou même Pégase ? Je ne comprenais pas comment cette gamine était devenue chevalier sans avoir la formation militaire basique dont nous avions été abreuvés dès notre plus jeune âge. Qu’est-ce qu’Athéna cherchait à travers elle ? Surtout qu’elle portait… La Coupe. Pas l’armure d’argent de la mouche !

Mes petites remarques semblaient cependant l’avoir touché. Je n’étais pas là pour générer un esclandre ou manquer de respect à une sœur d’arme. J’avais sans doute dépassé les bornes. La situation lui était peut-être douloureuse. Se sentait-elle abandonnée ? Perdue loin de chez elle sans guide ? D’un geste, je fis taire les ricanements qui commençaient à poindre chez mes camarades de la garde. Puis, prenant un ton beaucoup plus sérieux, je décidais de m’excuser.

« Excuse-moi si je t’ai blessé…. C’était malvenu de ma part. Tu as peut-être raison. Je juge sans savoir. Mais dans ce cas-là, peut-être pourrais-tu éclairer ma lanterne pour que je sache au moins si ma sœur d’argent a besoin d’aide d’une manière ou d’une autre ? Mon cœur n’est pas de pierre bien que mon armure puisse laisser présager le contraire… »

Une occasion de vérifier si elle connaissait ses classiques.

« Plus sérieusement, c’est la première fois que je te vois dans les parages. Hors du temple de la Vierge, je veux dire… Laisse-moi une occasion de me faire pardonner mon indélicatesse. Tu sembles avoir besoin d’un guide. Peut-être pourrais-je me substituer le temps d’une matinée à ce garde qui se cache dans ton ombre ? Ça lui laisserait l’occasion de descendre au village boire un lait de chèvre. Qu’en dis-tu ? »

Une proposition honnête. A voir si elle était entêtée ou non.

Allons bon, un Xanathos cultivé qui allait lui tenir la cheville jusqu'à son départ. Elle soupira de lassitude, n'ayant même pas envie de s'énerver pour quelqu'un qui n'en valait pas la peine. Mais sa volonté d'avoir le dernier mot la gênait dans sa visualisation des lieux, faisant de l'image dans son esprit une carte brouillée, imprécise, inachevée. Etait-ce si compliqué de comprendre qu'elle avait besoin d'accoutumer ses sens à cet endroit de malheur sans qu'on la dérangeât pendant quoi, vingt petites minutes ? De plus, elle avait croisé Pégase, au départ en Transylvanie. Un petit gars volontaire, de ce qu'elle en avait entendu. Ce qu'elle avait été avant de partir pour cette mission inutile en Britannia, avant d'être injustement condamnée pour un imbécile incapable de se renseigner sur sa destination, de se défendre en combat d'équipes ou de tenir une promesse qui aurait être aisée aux yeux d'un vétéran de son espèce.

"Vous m'indisposez Euryan de Persée !"

Elle releva les paupières sous son masque et soudain son monde de flammes se superposa au réel. Le silence avait effacé l'importun, et à sa place se tenait la silhouette d'un fantôme étrange : une femme au regard ophidien, mais gracieuse et svelte. La peau parfaite d'une déesse, et des cheveux faits de serpents.

Aux yeux du chevalier d'argent, la rouquine venait tout à coup de s'arrêter, droite et raide, tournée vers lui, sa voix empruntant les accents d'une autre pendant qu'elle le regardait immobile.

"L'homme qui se servit d'un miroir pour refléter mon regard, puis se servit de ma tête pour figer ses ennemis. Pégase, né de mon sang, de ma mort, de sa lame. Le monde est petit, si petit, et ironique. Il ne comprend pas qui tu es, petite, il ne comprend pas d'où tu viens. L'inconnu fait peur, comme la pierre. Mais donne-lui une chance, petite. Tu n'es pas encore taillée."

Le monde de flammes et la fantôme se retirèrent alors, et les discussions assourdissantes envahirent le silence. De nouveau le noir, et Persée, la carte détruite. Dana ne bougea pas, fit semblant de rien. Ce n'était pas la première fois qu'un fantôme la prenait pour hôte afin de s'exprimer à travers elle, mais elle ne s'était pas attendue à expérimenter le phénomène dans un lieu aussi peuplé et en pleine conversation avec un vivant. Il la prendrait pour folle après cela. Tant pis.

"Personne ne se cache dans mon ombre. Je suis aveugle mais pas incapable. Tu me déranges avec tes histoires de tonneaux, d'Alexandre, de Pégase et de lait de chèvre. Vous m'énervez tous à vouloir me protéger comme une demoiselle en détresse plutôt que de montrer comment le faire seule ! A mourir pour ça ! Pour rien !"

Elle jura en celte de façon suffisamment explicite, et une vague de cosmos, très légère, fit frémir la terre sous leurs pieds, répondant à son agacement. Elle espérait ainsi lui faire comprendre qu'elle était parfaitement capable de se défendre et que sa fausse prévenance n'impressionnerait personne. Surtout après l'avoir associée à Xanathos.

Et puisqu'il avait ruiné sa tentative de se concentrer pour se familiariser avec les lieux, elle fit volte-face pour se diriger vers la sortie du Colisée. Inutile de s'attarder au milieu de toutes ces interférences.

Soudain, l’intonation de sa voix changea. Comme si quelqu’un d’autre venait de prendre sa place. Mais pas n’importe qui. Ce timbre doux et sifflant, je pourrais le reconnaître entre mille pour l’entendre dans mon esprit quand je conversais avec mon armure. Pour autant, c’était bien la première fois que c’était par mon ouïe et non mon sixième sens que je le percevais. La Coupe s’était figée comme possédée. Mais qu’est-ce que c’était que ce bordel ?!

Je conservais néanmoins mon calme là où les gardes qui m’accompagnaient avaient blêmi. Il fallait dire que ce n’était pas un spectacle qu’on pouvait voir tous les jours !

« D’accord… Donc tu rentres en contact avec les esprits… Intéressant…»

Passé la surprise, en revanche, ce fut l’exaspération qui prit le dessus. Elle voulait jouer les princesses ? Bien ! Elle n’allait pas être déçue du voyage !

« Et toi tu m’agaces, la rouquine. T’as fini de pleurer sur ton sort ? C’est bon ? A t’entêter à rejeter les mains amicales lorsqu’elles te sont tendues, elles vont finir par te revenir mais plutôt dans la gueule !»

Elle voulait de la confrontation, elle allait être servie. Je n’allais pas épargner sa susceptibilité.

« Alors, oui, on t’a envoyé en mission avec un bronzeux dont le niveau de compréhension stratégique est celui d’un résidu de fond de latrines. Oui, vous avez méchamment foiré. Oui, tu t’es fait taper sur les doigts par le Vieux Lion. Et alors ? Tu n’es ni la première, ni la dernière dans ce cas…Tu comptes bouder comme une gamine et en vouloir à tout le Sanctuaire encore longtemps ? On dirait juste une imitation de ce foutu piaf qui t’a accompagné en Britannia. « Laissez-moi. Je n’ai besoin de personne. Je peux me débrouiller seule ». Il ne te reste plus qu’à aller te trouver une masure isolée et à t’alcooliser à outrance pour compléter le tableau…»

De la provocation pour provoquer une réaction. Elle m’avait chauffé certes. Mais je voulais surtout voir de quel bois elle était réellement fait derrière sa froideur apparente. Je pris une seconde avant de résumer ma pensée.

« En réalité, ton plus grand handicap, ce n’est pas ta cécité. C’est ta fierté mal placée, Coupe. Il ne t’es pas venu à l’idée que les gens essayaient juste de tisser du lien avec toi? Ce n’est pas une faiblesse que de faire confiance aux autres. Ça ne fait pas de toi une impotente. Juste une personne censée en réalité…»

"A pleurer sur mon sort ?! Mais tu n'écoutes rien ma parole ! J'ai dit que je voulais qu'on me montre ! Qu'on m'explique ! Et personne dans ce fichu Sanctuaire n'est capable d'enseigner autrement qu'en jugeant de manière systématique ! Toi ou le Grand Pope, c'est la même chose ! Quant à ta main amicale, garde-la ! Si c'est pour calomnier mon maître ou ma personne sur la base de rumeurs de comptoirs, non merci ! La compagnie des fantômes m'est toujours plus agréable ! Je ne peux même pas explorer un nouveau lieu sans entendre de sornettes plus idiotes les unes que les autres !"

Tisser du lien, c'est ce qu'elle avait voulu faire en premier lieu. Avec Kaleb puis Merhy, Argus et Morwenna pour commencer. Résultat deux d'entre eux étaient partis peut-être définitivement, la troisième était si timide qu'il était difficile de tenir une conversation sur la durée avec, et la dernière avait si peu de temps pour elle que Dana ne l'avait jamais croisée dans son propre temple.

"Je sais faire confiance aux autres ! Mais les gens du Sanctuaire me le rendent très mal ! A commencer par un parjure alcoolique. Et ta manière de faire n'est pas bien meilleure, frère de rien du tout ! "Oh mais c'est que tu es illettrée en plus, tu ne connais pas Alexandre le Grand ?!" Comme si j'avais eu le temps d'apprendre vos mythes en partant en Britannia ou en Transylvania !"

Et lui alors, que savait-il des légendes celtes ? Sûrement rien, puisque depuis le début il semblait s'en tenir à son petit enseignement de l'académie.

"Mais puisque tu es si malin, tu dois savoir préparer un remède contre le manque de temps, la bêtise et l'insolence ! Ou au moins de quoi soulager les maux de tête, celui-là ton entourage doit en avoir grand besoin !"

« Et bien voilà ! C’était pas si compliqué, non ? Laisse-moi quand même te dire que tu t’y prends particulièrement mal pour demander…»

Pourtant, elle marquait un point. Aussi maladroite soit-elle, elle cherchait à priori à comprendre ce lieu où elle avait été propulsée. Malgré elle ? Peut-être. Il y avait comme une pointe d’incompréhension, de frustration sans doute derrière la colère. Si elle n’avait effectivement pas reçu la formation des aspirants, elle ne devait effectivement pas saisir les mille et une subtilités de la vie ici. Un lieu probablement très éloigné de ses contrées d’origine.

« Alors attends laisse-moi réfléchir… Ou ai-je donc bien pu mettre ma sacoche magique ? Alors pour ce qui est du manque de temps, malheureusement, je ne peux rien y faire. Pour la bêtise et les maux de tête, je connais deux formules qui ont fait leurs preuves : une bonne salade de phalanges et un grand verre d’alcool ! »

Je continuais sur ma lancé, soulignant avec humour sa réflexion sur mes manières.

« Oh tu sais, moi et les manières, c’est une vieille histoire de désamour. Je te dis juste tout haut ce que d’autres persiflent dans ton dos. D’aucun ici prétendent que des barbares n’ont rien à faire au service de la déesse. Je ne suis pas d’accord avec eux. Pour autant, j’aimerais pouvoir t’aider à combler tes lacunes pour pouvoir assister au jour où tu cloueras le bec de l’un d’entre eux. Pour l’instant, tes faits et gestes ont malheureusement tendance à donner du crédit à leurs propos. Mais je suis certain que tu peux changer la donne…»

L’esprit de contradiction. Voilà une piste à explorer. Vu le caractère bien trempé de la demoiselle, c’était tout du moins une carte à jouer. Et puis… Même si la méfiance vis-à-vis des peuples extérieurs à l’empire était largement moindre au Sanctuaire que dans le reste des provinces, il n’en restait pas moins que d’aucun exprimaient ce sentiment de supériorité de ceux qui appartiennent à la « civilisation » en opposition avec des cultures jugées plus « primitives ». J’en avais été copieusement abreuvé à grand renforts d’insultes et de moqueries lors de mon initiation.

Je pris néanmoins un ton plus sérieux et je la fixais droit dans les yeux. Ces remarques ne me touchaient pas. Elles étaient celles d’un animal blessé qui cherchait juste à se défendre. Lui tendre la main était plus constructif que de poursuivre ce jeu de provocation.

« Ecoute, Coupe… Quoi que tu en penses, je ne suis pas ton ennemi. Je ne cherche pas à t’humilier ou quoi que ce soit de ce genre. Je ne peux pas t’obliger à me croire bien évidemment. Sache juste qui si tu as des questions, besoin d’aide ou juste envie de frapper quelqu’un pour te défouler, je n’ai jamais refusé un service à un frère ou une sœur d’argent. En revanche, c’est du donnant-donnant. Un service pour un service.»

"Et toi particulièrement mal pour proposer."

D'autant que leur semblant de dispute avait provoqué des murmures en pagaille autour d'eux. Certains pariaient, d'autres hésitaient à les séparer avant qu'un combat éclatât et ceux qui restaient commentaient sans réellement prendre parti.

Dana tâchait d'ignorer ce mélange écœurant de "civilisation", en se demandant qui étaient les barbares dans l'histoire. Le respect et la confiance n'avaient rien à voir ici et en Calédonie. Le sacré, les liens de camaraderie semblaient être des notions abstraites, presque insolubles ici. Le cercle d'or relevait un peu le niveau, mais le départ de Kaleb allait à contresens de cette logique. Quel était donc le ciment de cette communauté si hétéroclite ? Le soi-disant Rêve d'Athéna ? Et où était-il donc ?

"Je n'ai pas besoin d'un corbeau pour me répéter ce que j'entends déjà très bien. Peut-être même mieux, en vérité, privilège de la cécité. Je n'ai rien à prouver aux médisants."

Lui inclus. Il était assez amusant de voir comment il s'excluait de plus en plus de la masse des apprentis et des indésirables, alors que quelques minutes à peine plus tôt il était le premier à piétiner sa réputation et celle de son maître. Un fait que la jeune femme n'allait pas laisser passer aussi vite. Des excuses seraient déjà un minimum bienvenu.

"C'est un peu tard pour prétendre ne pas vouloir m'humilier. Et je ne marchande pas avec les petits prétentieux comme toi qui profitent de la moindre occasion pour étaler leur prodigieux savoir. Je le répète, je ne suis pas ta sœur d'arme ou d'argent. Je ne te connais pas, je ne t'aime pas, et si tu veux vraiment me rendre service, alors fiche-moi la paix. J'en ferais de même, nous sommes quittes."

Elle notait la proposition pour se défouler, au cas où. Avec son tempérament provocateur il saurait assurément la faire sortir de ses gonds et soulager sa colère, mais pas aujourd'hui.

« Je n’ai jamais prétendu le contraire…»

Mais mon ton enjoué et mon sourire goguenard n’eurent pas l’effet escompté. Au contraire. Engoncé dans son orgueil, la Coupe rejetait à nouveau la main tendue. Bien. Il n’y avait plus qu’à prendre acte. Elle n’était pas le genre de personne à pardonner une maladresse malgré des excuses déjà prononcées ? Alors c’était la loi du Talion. Œil pour œil, dent pour dent.

« Ça tombe bien, je n’ai rien a te vendre. Mais c’est triste de constater que ta réputation de mégère orgueilleuse et hautaine n’est malheureusement pas usurpée… »

Je la fixais d’un regard aussi froid que ses paroles.

« Non, je ne te rendrais pas ce service. Comme je te l’ai déjà dit, si tu rejettes la main tendue, elle te reviendra en pleine figure. Ce n’est pas une menace. C’est une promesse… Si tu veux que je renouvelle mes excuses, viens donc les chercher comme une femme chevalier. Pas comme une demoiselle en détresse…»

Je reprenais exactement ses mots en espérant une réaction. Une manière comme une autre de la pousser dans ses retranchements. Elle voulait me défier ? Fort bien ! Dans le cas contraire, elle passerait aux yeux de tous pour une lâche doublée d’une emmerdeuse.

Je croisais les bras calmement en signe d’attente. C’était à elle d’esquisser le prochain mouvement. Les gens autour de nous se figèrent. La tension était clairement palpable. Et j’espérais bien qu’elle fulminait à l’intérieur bien que son masque comme son attitude ne laisserait probablement rien paraître.

Mon regard ne la lâchait pas. Je ne détournerais pas les yeux. Et si l’occasion m’était donnée de faire voler son masque, alors je ne m’en priverai pas. Elle voulait savoir ce qu’était réellement une humiliation ? Elle n’allait pas être déçue.

Mais où voulait-il en venir exactement ?

D'abord il l'apostrophait et l'arrêtait dans ce qui aurait dû être une simple visite à ce Colisée beaucoup trop vanté par les uns et les autres. Il s'en prenait à son maître avec des on-dits malveillants ridicules. Ensuite, il refusait de la laisser partir tranquillement de son côté, mettant ainsi fin à un échange stérile et puéril. Et maintenant qu'elle lui faisait face, il l'insultait à nouveau en parlant de main tendue ?

"Ah, c'est donc ça que tu veux. Depuis le début tu me provoques pour avoir un duel."

Quelle autre raison pour tourmenter ainsi une "sœur d'argent" qui n'avait demandé ni honneurs, ni pardon, ni querelle ? Il devait sans doute aimer la violence ou avoir un trop-plein à évacuer après une mission récente, un complexe de supériorité à assouvir.

Soupirant un grand coup -et cela fit retomber la colère en même temps-, elle se rapprocha cette fois de lui, vint se tenir à portée de bras, et tourna le visage de façon à tendre la joue bien en évidence. Elle l'avait pourtant dit : elle n'avait rien à prouver aux médisants. Qu'ils l'appellent donc lâche et hautaine selon leur bon-vouloir. Elle voulait simplement retourner à ses pénates, où enfin leurs babillements ne lui parviendraient plus.

"Vas-y donc. Frappe. Humilie-moi. Montre combien tu es fort, malin avec ton éloquence piquante, satisfais aux bruits de couloir dont tu aimes être le centre. Je te laisse carte blanche. Voyons ce que les beaux élèves du Sanctuaire ont à démontrer aux barbares. Qu'ai-je donc raté en n'étudiant pas ici ?"

« Non, si j’avais voulu un duel, j’aurais fait exactement comme ceci…»

Mon cosmos s’éleva, faisant reculer de plusieurs pas les gardes qui m’entouraient. Tournant le dos à la Coupe, je descendais lentement les marches sans jeter un œil par-dessus mon épaule. Aurait-elle seulement suffisamment d’honneur pour me suivre ? Ce n’était pas certain. Pour autant je me tenais prêt à toute éventualité.

Alors que les marches se succédaient, l’armure de Persée, attirée par mon aura comme un papillon de nuit par la lumière d’une torche, apparut et vint se poser sur une colonne aux abords de l’air de combat. Peut-être avait-elle senti un quelconque danger ?

J’atteignis enfin le sol poussiéreux du Colisée. Les aspirants présents s’écartèrent autant d’admiration que par crainte. Du respect ? Peut-être aussi mais après tout, je n’étais sans doute pas de ceux à qui ils rêvaient de ressembler, le soir, allongés sur leurs paillasses de baraquement.

Je me retournais alors vers le sommet de l’arène et prit la parole de manière suffisamment forte et distincte pour que la Coupe m’entende. Heureusement, elle était aveugle. Pas sourde. La méthode était quelque peu théâtrale. Il fallait l’admettre. Mais bon ! Un peu de spectacle permettrait aux plus âgés de se divertir et aux plus jeunes d’apprendre. Même si je doutais du fait que la demoiselle goûte l’expérience.

« Voilà ! Si j’avais voulu te défier, je me serais tenu exactement là! Et je t’aurais dit : « Dana de la Coupe, pour régler notre différend, je te défie aux premiers sangs !»… Mais pour cette fois-ci, je me contenterais d’une joute d’entraînement…Sans armure, ça va de soi…»

Je laissais planer quelques secondes de silence pour voir sa réaction. Tournerait-elle les talons ou oserait-elle me rejoindre pour me faire taire?

« Alors, qu’en dis-tu ? Si nous montrions à tous ces jeunes gens à quel point il est terrible de subir ton courroux et qu’il ne vaut mieux pas venir te provoquer ? Ou préfères-tu retourner te murer dans le sixième temple ?»

Je m’appuyais contre une colonne feignant la nonchalance. Aurait-elle le courage de relever le défi ? Ou se cacherait-elle à nouveau derrière son masque d’arrogance ?

Citation :

Euryan défie Dana en combat d’entraînement

"C'est bien ce que je pensais."

Pourquoi n'avait-il pas saisi sa chance de lui faire ravaler sa prétendue arrogance ? Il lui tournait le dos, puis la haranguait de nouveau, comme s'il dressait une chienne à le suivre sagement. Ce qu'elle était loin d'être. Elle si elle voulait écouter la fantôme qu'elle avait vue un peu plus tôt, mieux valait écourter le spectacle pitoyable auquel il se livrait devant la foule. Ne pas alimenter son fantasme d'être regardé et acclamé. Peut-être se rêvait-il chevalier d'or, loué de tous et respecté par chacun de ses pairs. Mais il n'était qu'un homme qui regardait la réalité à travers un miroir pour ne pas affronter les serpents auxquels il n'appartenait, de toute évidence, pas le moins du monde.

"Si tu l'avais voulu. Mais tu préfères un entraînement bénin face à une femme que tu viens d'offenser, qui ne connaît pas les us et coutumes de cette arène, pas plus que les mythes dont tu te vantes d'être le héraut. A la joue qui t'est tendue pour l'honneur, tu opposes un cirque dont l'issue est pleinement connue. Et pour quoi ? Pour des excuses légitimes sur des accusations infondées. Pour épater des petits camarades qui n'ont pas la chance de manier le cosmos comme nous le faisons. Pour rien. J'ai bien mieux à faire que de me donner en spectacle si tu l'avais voulu."

Elle farfouilla un instant dans sa sacoche de druidesse et en ressentit une fiole contenant un liquide rosé. Sans perdre le moins du monde son aplomb, elle s'approcha de l'un des aspirants qui avaient ricané précédemment, lui attrapa d'autorité le poignet et y déposa le contenant.

"Contre les maux de tête. Deux gorgées toutes les deux heures au maximum. Jusqu'à quatre fois par jour."

Oui, sans doute que son entourage en aurait grandement besoin.

Et sans attendre la réaction du sbire, elle profita du fait que Persée s'était éloigné pour enfin quitter le Colisée comme elle en avait eu l'intention depuis un moment déjà. Elle avait un repousse-monstre à perfectionner, un temple à nettoyer, une séance de méditation à rattraper, une Kalia à réconforter et une Eireen à distraire. Autant de tâches bien plus importantes.

Citation :: Dana refuse et quitte le Colisée

Donc tu choisis la fuite… La Coupe est pleine, j’imagine…»

Ainsi, elle avait une grande gueule mais ça s’arrêtait là. Pour ce qui était de jouer les offusquées, elle était là. Mais quand il s’agissait de passer aux actes, forcé de constater que ce n’était pas le courage qui l’étouffait. Je la regardais quitter le Colisée. Elle venait de perdre une occasion de prouver face à ceux qui faisaient le cœur de l’ordre à quelle point elle valait mieux que les bruits de couloirs qui couraient sur elle. Pire, elle venait sans doute de prouver en public que ceux-ci étaient loin d’être infondés. Tant pis. Il y aurait sûrement d’autres occasions.

Je restais néanmoins persuadé qu’il y avait matière à creuser. Que derrière ce masque de fierté mal placée, il y avait quelqu’un qui en valait la peine. Après tout, la Déesse l’avait choisi. Mais il faudrait sans doute plus qu’une provocation, fusse-t-elle publique, pour l’obliger à sortir de sa coquille.

Je me tournais donc vers les aspirants, laissant l’armure d’argent de Persée reposer sur la demi-colonne où elle s’était posée.

Bien, puisque ma sœur d’argent ne daigne pas vous faire la démonstration de ses capacités, vous pouvez reprendre les combats… »

Je passais les quelques heures suivantes avec les instructeurs, corrigeant une position de garde, donnant quelques conseils d’enchaînements, invitant les aspirants à aller chercher ce qui leur tenait à cœur dans le fait de vouloir les rangs des chevaliers d’Athéna.

Je jetais machinalement un regard vers le sixième temple désormais vide de son gardien. Au moins, si nous étions attaqués, il y aurait quelqu’un pour en interdire le passage. Tout du moins, il fallait l’espérer. Comment combattre aux côtés d’une personne qui ne vous faisait pas confiance ? Une question qui certainement me tiendrait éveillé tard. Mais à laquelle il faudrait bien trouver une réponse ou tout du moins une solution.

Citation :

Rp terminé. Merci

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