[Fin mai 553] Panser les plaies d'une guerre de sang

J'ai mal.
Voilà la pensée qui me vient alors que je retrouve enfin la splendeur rassurante du Sanctuaire, après des semaines d'absence.
J'ai mal.
Sans blessures sérieuses, pourtant. Quelques marques de mon combat face à Morrigan peut-être, mais rien que le temps ne guérira pas. Le physique se remet toujours avec les bons traitements.
Mais j'ai mal. Au cœur, à l'âme. La disparition d'Euryan me pèse. Et une vague de culpabilité me voûte les épaules. Elle aussi finira par passer. Mais voir se perdre un frère d'armes n'est jamais plaisant. Surtout sous ma vigilance.
Le visage austère, les pensées obscures, je regagne ma demeure afin d'y déposer ma besace. J'ai besoin de repos, d'un bon bain, d'un repas. Mais mes yeux se lèvent vers les hauteurs, presque malgré moi.
Childéric me fera convoquer une fois qu'il aura pris connaissance de mon rapport de mission, c'est évident. Mais une autre présence m'est nécessaire à l'instant. Une épaule. Un sourire.
Sans me soucier de mes besoins de l'instant, je repousse la fatigue lancinante et entreprends d'avaler les quelques marches qui sépare le temple du Verseau de celui des Poissons.
Nimue est-elle là ? C'est peu probable. Ma soeur n'a pas participé à la guerre. Il faut bien des vigies pour garder le Sanctuaire. Mais son absence me pèse.
Je la revois encore sous les traits de Morwenna, ce fantôme aigri à faciès masqué. Elle est revenue à la vie depuis. Et moi... J'ai obtenu le pardon d'Athéna.
Nous ne sommes plus ceux que nous étions lors de notre première rencontre.
Et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Une fois le parvis dépassé, je me glisse dans l'obscurité de la demeure familière et amplifie légèrement mon cosmos, en guise d'appel.

Mor... Nimue ? Tu es là ?

Je grimace en entendant l'espoir sous-entendu dans le ton que j'emploie malgré moi. Décidément, je deviens un vrai coeur sensible...
C'est surement pour cela qu'un mort me cause tant de mal.

Elle est là.
Son apparition me fait soupirer d’aise, et j’ouvre mes bras pour qu’elle s’y jette dans un élan fraternel, empli d’amour et d’affection. Sa lumière repousse aussitôt les ténèbres qui me hantent et je m’abandonne brièvement à cette douce étreinte qui me nourrit.

Qu’il est bon de te revoir…

Un sourire radieux vient percer l’austérité de mes traits creusés par l’épuisement, et je me recule d’un pas afin de dévisager le visage de ma soeur.

Ta robe ?! Elle est déchirée.

Une pointe d’amusement perce dans ma voix, alors que je constate l’étendue des dégâts. Qu’il est loin le temps de l’ombre. J’ai face à moi une rose resplendissante, qui se moque bien de son apparence tant elle se sait vigoureuse.

Je ne te réveille pas, j’espère. Je rentre à peine au Sanctuaire… Et je tenais à venir te saluer avant toute autre chose.

Mes lèvres se posent délicatement sur son front, et je la libère de mes bras affectueux.
Depuis notre traque des suivants de Narsès, nous n’avons pas vraiment eu l’occasion de nous retrouver. Le poids de nos devoirs respectifs ne laisse que peu de temps disponible pour nos proches. Aussi mon repos pourrait bien attendre.

Tu as bonne mine. Comment vas-tu depuis notre petit périple ?

Est-elle au courant du pardon que m’a octroyé notre déesse ? Probablement que oui. Au vu de leur intimité, Childéric ne doit pas cacher grand chose à ma soeur. Et la nouvelle mérite bien de lui être connue. Nimue comme moi avons enclenché un nouveau départ. Un renouveau.
Elle n’est plus une fleur mourante.
Je ne suis plus un assassin perdu.
Et nous avons désormais tout le temps de découvrir qui nous sommes aujourd’hui. Et qui nous serons demain. Le principal étant que notre lien semble plus fort que jamais.
Une famille.

Une accalmie.
Oui, le terme est juste. Entre deux guerres, il est nécessaire de profiter d’une pause bien méritée, car nul ne sait ce qu’il adviendra de demain.
Savoir que ma soeur goûte à un temps de paix en compagnie de l’homme qu’elle aime me mets en joie. Autant elle que Childéric n’ont pas volé un brin de légèreté.
Son regard intense me fait soupirer, car je devine qu’il me sera impossible de m’en sortir avec une pirouette.
Nimue est abrupte, et va droit au but, comme à son habitude. Une différence marquée avec ma propre timidité. Son émotion à mon contact me touche et me réchauffe le coeur, en ces heures tristes. Aussi, je ne m’étonne pas qu’elle soit déjà au courant du drame auquel j’ai été témoin.

A quoi bon en parler ? Je suis probablement devenu trop sensible, c’est tout. Les pertes en temps de guerre sont monnaie courante… Et j’avais à peine échanger quelques mots avec ce jeune chevalier…

Pour autant, je me sens en partie responsable… De mon incapacité à le sauver.
Un sourire triste me surprend aussitôt par sa spontanéité.

Peut-être que je viens de tout simplement de chausser les sandales de Childéric, par cet incident. Du haut de son trône, il est condamné à nous envoyer à la mort et de porter stoïquement le fardeau que son devoir lui impose.

Cette perspective me pousse à me reprendre en main et à ne pas tomber dans les plaintes vaines. Nous avons tous un rôle à jouer et en endossant nos armures, nous avions bien conscience que nos vies seront probablement courtes. Euryan le savait, lui aussi.

Heureusement que tu es là pour le soutenir, comme tu le fais avec moi.

Une gratitude bien méritée. Sans ces liens indéfectibles qui nous unissent, comment supporter de se voir affliger de la sorte ? Quelle épreuve de survivre là où tant de proches périssent, les uns après les autres. Mon regard se fait plus lointain, observant une scène déjà vécue.

Les Berzekers n’en resteront pas là. Cette guerre… J’ai l’impression de revivre le conflit en Italie. Une véritable boucherie… Et si…

Ma question se fige aussitôt sur mes lèvres. Ce cauchemar d’un futur apocalyptique. Dois-je l’évoquer auprès de Nimue ? Car j’ai devant moi la cause de ce drame hypothétique. Comment lui faire peser l’angoisse d’un avenir où le sang atlante coulerait à flot sur les marches du Sanctuaire, en raison des élans de son coeur ? Je m’y refuse.

Ma soeur est décidément en grande forme, et me voilà secoué comme rarement.
Face à son flot de répliques, un sourire amusé prend forme sur mes traits épuisés, et je préfère rapidement lever les mains en guise d'apaisement.

Je me rends ! Préserve donc mon pauvre fessier...

Autant tenter de faire refluer un tsunami.
Un soupir quitte aussitôt la frontière de mes lèvres.

Tu dois avoir raison... Je vivrais ce deuil sans chercher à le minorer. Et quoi de mieux qu'un verre à lever pour honorer un frère d'arme tombé au champ d'honneur ?

Mon estomac émet alors un grondement digne d'un monstre mythologique.
Rouge comme une pivoine, je porte la main à ma taille avant d'éclater d'un rire léger. Tout est dit.
A sa lueur résolue, je réponds par une même profondeur. Nous ne sommes pas liés par le sang pour rien.

Je crains que tu ne doives l'accepter pourtant. Tant que Childéric et moi seront là, pas un Atlante ne touchera à un seul de tes cheveux. Mais avant d'en arriver là, ne pouvons-nous rien faire pour les apaiser ? La guerre est peut-être évitable.

Le souvenir de mon cauchemar revient aussitôt me faire frisonner. Ce futur ne doit pas advenir.

Maintenant que tu as retrouvé ta vitalité et retiré ton masque, ne serait-il pas judicieux de jouer franc-jeu avec eux ? La politique permet parfois de faire avaler les pires couleuvres. La nouvelle de ta survie finira bien par leur arriver... Ne devrions-nous pas anticiper cela et leur proposer une compensation quelconque ? Un renforcement de notre ancienne alliance ou que sais-je ?

Voilà bien un sujet qu'il me faudra aborder avec Childéric. Même si je me doute qu'il a déjà pensé à tout ceci. Pour autant, je refuse de rester inactif face à la fatalité.