[Début juillet 550] Qui le pantin et qui le marionnettiste ? [PV Asher]

Le rassemblement qui s'était tenu au cœur du palais d'Odin déconcertait Alvis. Outre les nouvelles rencontres présentées sur le pouce -Haldor et la blondinette qui l'accompagnait-, les presque bagarres pour prouver lequel avait la plus longue griffe, le changement d'attitude d'Eirwen le minait. Plus qu'avant encore, l'envie de la suivre oscillait sans jamais pencher d'un côté de la balance ou de l'autre. A leur première entrevue privée, elle semblait douce et très attentive au bien-être de ceux qui l'entouraient. Maintenant, elle voulait la guerre et la vengeance. Ses arguments tenaient la route en ce qui concernait ses motivations, mais ceux-là même dictaient à l'adolescent de freiner des quatre fers.
Sa vie se résumait à justement ne pas répondre à ces provocations, à ne pas s'attirer les foudres d'ennemis toujours plus nombreux et plus puissants, au risque de s'y casser les dents. Les insultes, les offenses, quelle importance en comparaison d'une vie, voire de plusieurs ? Car en l'occurrence, elle leur demandait, à eux "ses" guerriers, d'aller verser leur sang et éventuellement de mourir pour son honneur. Rien de plus. Et le jeune homme ne souhaitait pour rien au monde commencer à prendre ce genre de risques.

Décidant de se changer les idées, le petit brun se dirigea vers la bibliothèque. Peut-être qu'apprendre de nouvelles choses pourraient l'aider à mieux comprendre cette fascination que nourrissaient les barbares d'Odin pour l'écrasage de Saints et de marinas. Et aussi qui étaient ces mêmes gens dont il ne cessait d'entendre parler sans vraiment savoir pourquoi on leur en voulait autant.

Au détour d'un couloir, les sens aux aguets du jeune serpent lui indiquèrent qu'on le suivait. Un pas léger, rapide et assuré. Quelqu'un tâchait de le rattraper sans s'en donner l'air, et il n'aimait pas cela. La bibliothèque n'était plus très loin, mais il prit le parti de s'en détourner afin qu'on ne connaisse que vaguement ses petites habitudes. Il se détourna plutôt vers une partie du palais de glace réservée à la vénération d'Odin, puisque la grande statue au-delà qui dominait la vallée était un accès privilégié pour la prêtresse et les guerriers sacrés uniquement. Alvis accéléra le pas sans produire plus de bruit que d'ordinaire -une aptitude acquise à force d'échapper à ses poursuivants- et se percha dès qu'il le put en hauteur, sur une corniche décorative. Même si son suivant le repérait, il n'avait aucune chance d'être pris par surprise, mais plutôt de surprendre, et même d'offrir une sacrée frayeur à celui sur qui il allait tomber.

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La présence se rapprochait et bientôt l'étoile de Phecda discerna la présence de l'une des rares personnes sur qui il ne parvenait pas à se faire une opinion après tous ces discours et le temps passé parmi les guerriers divins. Tous semblaient se méfier de Delta comme de la peste, mais ses mots portaient pourtant du sens, mis à part le fait qu'il allait régulièrement trop loin dans sa conception des événements. Ne possédant aucune raison de se garder particulièrement de lui, Alvis le laissa avancer dans la pièce puis se laissa tomber dans son dos, presque sans bruit.

"Je voulais te parler justement, Dorana."

Il poussa un soupir d'agacement et s'approcha pour parler avec plus d'aisance, sans toutefois rogner sur la distance de sécurité minimale qu'il estimait nécessaire entre un étranger et lui-même.

"J'aurais préféré à un autre moment car je suis en colère, mais il est difficile de trouver les guerriers divins sans les déranger. Je n'ai qu'une question à te poser. Suivant ta réponse, je ne m'étendrai pas sur le sujet : j'ai entendu que tu étais le fils de Loki. Tu dois donc savoir que ton frère, Jör, est prisonnier de plusieurs sceaux posés par les dieux. Est-ce que tu sais où les trouver et comment les détruire ?"

La question filait enfin vers son destinataire, et le jeune Gamma espérait qu'il répondrait quelque chose de constructif, qu'il fournirait des indices, même si la chance que cela se produisît ne montait pas bien haut. Il croisa les bras avec impatience et en profita pour détailler un peu plus son interlocuteur : on voyait sans peine qu'il n'était pas taillé dans le même bois que les autres. Pas de musculature incroyable, pas de grosse épée dans son dos ni cette fâcheuse tendance à charger droit au-devant du danger. En revanche il partageait avec Hakon le goût pour la pique et l'offense, avec Toryald cette manie étrange de saluer, flatter et interminablement donner son avis sur un peu tout, même ce qui ne le regardait pas. Avec la prêtresse ? Pas grand-chose.

"Je t'écoute, maintenant. Va droit au but."

"Nj... ! Poséqui ?"

Emporté par le mince début de réponse d'Asher, Alvis se stoppa en pleine amorce. Le guerrier divin de Delta n'avait pas attendu sa suggestion pour lui lancer un nom qu'il ne connaissait ni d'Hel, ni d'Odin. Il dévisagea l'homme face à lui, ses pensées cherchant dans tout ce qu'il avait appris, sans succès.

"Le dieu de la mer, c'est Njörd... Qui c'est Posé... Posédon ? Posidon ?"

Il nota mentalement d'aller chercher à la bibliothèque. L'identité de ce dieu sorti de nulle part et la loi mentionnée par Toryald. Cela l'occuperait sûrement pendant quelques longues soirées, tandis que les guerriers d'Odin se réunissaient autour d'un tonneau de rhum ou dans les chambres des servantes pour faire ce qui leur plaisait...

"Au fond des océans... C'est plutôt profond. Je me renseignerai. Si Jör pense que je peux le faire, alors..."

Peu à peu ses questions trouvaient leurs solutions selon les Asgardiens qu'il consultait. En définitive, sa migration dans cette contrée semblait productive, malgré les accrochages avec les grosses brutes de service et les avis contraires de la prêtresse. Il était bien loin encore bien sûr, le moment où il choisirait de se battre pour Odin sans protestation, où sa vie serait misée comme celles des autres pour une cause qu'il exécrait jusque-là. Qu'ils n'aillent pas s'imaginer les uns et les autres qu'ils gagneraient sa confiance simplement de cette façon.

Détaillant toujours Asher pendant ses réflexions, l'adolescent se demanda ce qu'il en était de lui. A aucun moment le perfide calculateur n'avait cherché à se renseigner sur ses demi-frères, ou annoncé qu'il se mettait en route pour trouver un moyen d'y parvenir. Pourtant, s'il était vraiment le fils du dieu Loki, il devrait se sentir concerné, au moins un peu, se révolter... à moins qu'il ne songe à prendre les places de Fenrir et Jör pour se montrer sous un beau jour à son père ? L'exemple se faisait plutôt courant dans les familles de guerriers, l'aîné ou le plus fort héritant de ce qui descendait des parents, et Dorana n'avait semblait-il ni l'un ni l'autre de ces statuts.

"Qu'est-ce que tu voulais me dire ?"

Le Serpent écouta avec une grande attention ce nouveau schéma du monde qu'il découvrait, comme il avait pu le faire en découvrant la pierre d'Ouroboros pendant ses années d'errance. Il le savait, son horizon ne couvrait qu'une part infime de l'univers, et s'il voulait un jour en explorer toute la surface, il lui faudrait s'armer de patience et prendre toutes les connaissances qu'on lui donnait, les vérifier, les approfondir. Un travail long et rigoureux en somme, mais il n'avait pas choisi son prénom pour rien. "Celui qui sait" parviendrait à se tailler une place aux côtés des savants, et à porter un regard sur le monde que personne ne lui aurait dicté.

Ainsi donc, il existait des dieux d'origine grecque, et ceux-là régnaient sur la majeure partie du monde, mais Odin et ses guerriers préservaient contre eux l'héritage nordique, ses coutumes, son Histoire. La tâche pour délivrer Jör de sa prison risquait de se révéler plus ardue que prévue dans ce cas.

Asher recentra le sujet sur la réunion, sur le thème principalement abordé à ce moment-là : la guerre. Gamma le dévisagea un moment, pas tout à fait sûr de comprendre. Il réfléchit à la question posée, ignorant quelle pourrait être l'opinion du Serpent-Monde sur cette affaire.

"Je pense que tout ce qu'il veut, c'est qu'Odin le reconnaisse. Il n'a jamais parlé de Midgard..."

Comme piqué par le sentiment qu'on l'observait, Alvis tourna la tête vers la statue d'Odin qui trônait non loin d'eux. C'était pour cette divinité cruelle et injuste que Jör faisait des efforts, pour contrecarrer les tentatives des oracles de le faire passer pour un monstre. Si Ragnarök avait lieu un jour, le Borgne en serait responsable pour avoir traité aussi durement tous les enfants de Loki et avoir écouté tous ces fous lâches et peureux.

L'adolescent reposa le regard sur Delta, guettant un signe de sa part, quelque chose qui lui indiquerait ce qu'il voulait de lui en définitive.

"C'est ce que tu voulais me dire ? De penser à la guerre ? Je ne veux pas la faire. C'est une chose stupide, que des Hommes stupides ont inventé pour se venger d'autres Hommes. Je ne veux pas devenir comme eux. Et toi, ne deviens pas comme Odin. Ne pousse pas les gens à mourir. Sinon tu finiras comme lui. Et on te détestera comme lui."

Une certaine raideur assaillit Gamma aux mots suivants de son vis-à-vis. Implicitement, en reconnaissant qu'on le détestait, il avouait avoir poussé aux crimes, comme Odin, il avouait éliminer ses ennemis sans pitié, comme Odin, et ce même s'il y avait des dégâts collatéraux dans la foulée. Ce comportement de la part des autres guerriers était-il justifié ou alors la filiation d'Asher avec Loki jouait-elle contre lui ? Alvis commençait à avoir beaucoup de questions sur lesquelles réfléchir, sans réponse complète à apporter. Il résolut de s'arrêter là un moment pour réfléchir et chercher de lui-même l'exactitude des informations qu'on lui donnait.

La décision ne prit qu'un instant : quand il aurait quitté Asher, il partirait. L'atmosphère au palais l'étouffait et depuis le début il avait prévenu qu'il se considérait libre, que son soi-disant devoir envers Odin restait conditionnel pour le moment, qu'il attendrait de trancher pour savoir si oui ou non il acceptait cette responsabilité de longue haleine. Cela pourrait ressembler à une fugue, mais qu'importait après tout ?

"Entendu, j'y réfléchirai. Mais je ne promets rien. Pas plus que je ne suis un guerrier divin, on est d'accord ? Vos histoires ne me concernent pas."

Pas encore, ne put-il s'empêcher de penser. Il pressentait le moment où il ne serait plus capable de faire marche arrière. Eirwen avait su attiser sa curiosité, Toryald son respect -et ce n'était pas une mince affaire-, Asher pointait ses objectifs du doigt. En fin de compte, ce voyage ne comptait rien de fortuit. Jör l'avait préparé à vivre tout cela pendant des années. Sans doute là se trouvait la raison de son empressement ce jour-là. Le sceau le restreignait à la pierre, et il épuisait son pouvoir en communiquant chaque jour avec Alvis, mais la hâte qu'on le délivrât, la satisfaction d'avoir enfin trouvé quelqu'un et l'impatience de l'envoyer au bon endroit y jouèrent aussi pour quelque chose. Probablement.

L'adolescent avait donné sa parole et ne reviendrait pas dessus, et qu'il eut agi d'un stratagème ou d'un attendrissement sincère de la part du Serpent-Monde, les faits demeuraient les mêmes : écoutés, compris, l'un et l'autre se complétaient, se ressemblaient. Sans Jör, le jeune guerrier errerait toujours quelque part dans les glaces, gâchant son pouvoir pour rapiner de pauvres miches de pain et quelques brocs de vin. Ici, même si tout se révélait plus dur, une place l'attendait, sans préjugés ni railleries. En fait, bien plus violent encore, ce chemin menait tout droit au carrefour entre Helheim et le Valhalla. Mais ce chemin, aussi terrible fût-il, tournerait bien des fois, dévoilerait bien des paysages et jouerait avec bien des forces.

Une existence trépidante attendaient les élus d'Odin, Alvis.

Citation :

Fin du topic si tu n'as rien à ajouter

"NE TOUCHE PAS A CETTE ARMURE !"

Alors qu'il s'apprêtait à tourner les talons, Alvis avait rugi avec tant de spontanéité que la pièce lui renvoya l'écho de sa voix. Son regard devint tout à fait hostile et il dut se faire violence pour ne pas attaquer Delta aussitôt.

"C'est à moi que Jör l'a confiée ! C'est moi qui dois la garder et la porter ! Tu n'en voleras pas un seul morceau et je ne te les donnerai pas !"

Si jusque-là Dorana avait su ménager la méfiance du jeune sauvageon à son encontre, en quelques secondes celle-ci se renforça comme si on avait placé entre les deux hommes l'un des remparts des Jotunns. Non seulement par ces mots Delta prouvait qu'il ne portait aucune confiance ne fût-ce qu'aux soins que le jeune Gamma pouvait apporter à ses propres biens, certes maigres mais toujours entretenus, mais en prime qu'il gagnait un intérêt à proposer une telle "faveur". Si le devoir d'un élu d'Odin consistait à garder la pierre sacrée apportée par son armure, pourquoi priver un hypothétique frère d'armes de la sienne ? Autant dire tout de suite qu'il ne le reconnaissait pas comme un allié et qu'il préférait même l'empêcher d'avoir une dignité aux yeux du Père de tous.

Instinctivement le Serpent porta la main à la gaine de sa dague. Peut-être que Tête-de-Serpillère souhaitait une démonstration de son habileté, et constater par lui-même l'état toujours impeccable de la dague de Lala, malgré une dizaine d'années d'utilisation. Néanmoins, ce n'était pas la façon d'agir du jeune homme, qui se calma simplement en expirant bruyamment par les narines. Il recula de quelques pas sans lâcher Asher des yeux, comme attendant un coup de poignard s'il lui tournait le dos, puis il concéda à relâcher sa position agressive.

"Il m'en a fait cadeau. Personne ne me la prendra à moins de me tuer. Et je n'ai pas l'intention de me laisser faire."

Et sur ces mots secs, le petit brun quitta définitivement la pièce, les nerfs en pelote.