Il ne les vit pas de suite, pour être tout à fait franc. Quelques présences disparates, presque invisibles, tant elles paraissaient anodines. Mais à mesure que Rome se rapprochait, ils se firent un peu plus nombreux. Si la discrétion paraissait être un don chez eux, ils ne pouvaient finalement pas se soustraire à la vue d'un dieu. Pas quand ce même dieu se concentrait pour cerner les présences qui semblaient le suivre depuis quelques lieux. L'esprit du serpent d'Esculape avait de toute façon confirmé ses doutes. On le suivait. Mais aucune intention hostile dans ce qu'il percevait. Pas d'animosité. Mais alors pourquoi se terrer ? Il lui fallait en avoir le coeur net. De toute façon, la nuit tombait. Il allait donc lever le pied et se poser ici. Le chemin semblait peu fréquenté. Et en dehors de quelques voyageurs et de marchands itinérants, il n'avait rien perçu de particulier. Ces ruines feraient parfaitement l'affaire.
D'abord, faire un feu. Ensuite, fermer les yeux et s'asseoir là, afin de formuler une prière en direction de son père, non sans rester vigilant à ce qui l'entourait. S'il n'avait pas senti de présences maléfiques, il ne pouvait pour autant pas laisser sa vigilance s'endormir. Les ténèbres envahirent les cieux. Se répandant sur la Terre. La nuit venue, Apollon n'était plus maître des lieux. C'était là qu'il était le plus vulnérable. Pas un bruit en dehors du crépitement des flammes. Il n'en fallait pas plus pour confirmer ses doutes. Toujours mains tendues vers le feu - les nuits paraissaient plus fraîches que dans ses souvenirs - il restait les yeux clos. Mais Esculape n'était plus sur son bâton. Il s'était installé sur ses épaules, aux aguets. Sa voix s'éleva alors dans les airs. Suffisamment forte pour qu'on l'entende à quelques mètres de lui.
- La nature n'est jamais aussi silencieuse. Sortez donc de vos cachettes, vous n'avez rien à craindre de moi.
Il attendit. Rien ne semblait bouger. Il avait fait l'effort, avait tendu une main secourable. S'ils ne prenaient pas celle-ci, il n'y pouvait rien. Mais enfin quelque chose bougea. Un jeune garçon sortit des fourrés, hésitant. Suivit peu après de quatre autres jeunes gens - trois filles, un autre garçon - tous avec la même morphologie. Un rapide coup d'oeil permit au dieu de la Médecine de déceler les détails les plus évidents de ces enfants - car ils l'étaient rien d'autre. Ils semblaient manger à leur faim mais les multiples contusions qu'il voyait sur leurs peaux dénudés démontraient qu'ils avaient l'habitude de barouder. Mais leurs regards étaient plus intéressants encore. Ils semblaient faire attention au moindre détails. Des espions en herbes ?
- Vous avez froid, c'est évident. Asseyez-vous donc. Profitez des bienfaits de ce feu.
Quelques-uns s'exécutèrent mais les autres restaient en retrait. Pas un ne parlait. Alors qu'un des enfants ne pouvait réprimer un bâillement, un détail sauta aux yeux d'Asclépios. Esculape le vit aussi, redressant sa tête reptilienne. Les choses étaient désormais plus claires. On lui avait arraché la langue. Et il lui paraissait comme évident qu'il en était de même pour les autres. Des espions, c'était maintenant une évidence. Et à en croire ce qu'il percevait, ils semblaient être à la solde d'Apollon. De ses Oracles, tout du moins.
- Je suppose que vous me suivez sans vraiment savoir qui je suis, n'est-ce pas ?
Il attendait de lire l'assentiment dans le regard d'une des jeunes filles. Les mots pouvaient masquer la vérité. Pas le langage du corps. Il eut confirmation. Il leur faisait peur, cela se voyait. Son regard y était pour beaucoup, Esculape sur ses épaules aussi. Mais pas seulement. Son aura. Elle n'était pas aussi commune que celles des autres appelés du Dieu solaire. Quant au châle qui lui couvrait le visage, cela n'aidait sans doute pas. S'agissant d'espions à la solde de l'armée d'Apollon, il pouvait se permettre de leur dire la vérité. Si la nouvelle de sa venue parvenait à Rome et à la Tour des Vents avant lui, ce ne serait qu'un bien. Mais avant, il se devait de s'assurer de leur filiation. En cela, Esculape serait son détecteur. Il tendit le bras vers le jeune le plus proche de lui. Il ne pouvait le toucher mais il vit le mouvement de recul. Il se récria de suite.
- N'aie pas peur, mon enfant. Je suis un envoyé d'Apollon. Esculape ici présent ne te fera aucun mal. Il va seulement s'assurer que tu es bien à la solde de celui que je sers. Laisse-le t'approcher. Il ne te touchera pas, aie confiance !
Le serpent glissa le long de son corps pour s'approcher doucement de l'être désigné. La peur était palpable. Mais il ne broncha pas. Plongeant son regard dans celui du garçon, Esculape semblait comme le sonder. Cela ne fonctionnait pas face à ceux possédant un pouvoir latent. Ici, il ne s'agissait visiblement que d'enfants de la rue. Des informateurs. Cela ne dura effectivement pas longtemps et lorsqu'il rejoignit son maître, celui-ci eut sa confirmation.
- Parfait. Tu vois, ce n'était rien. Je suppose que vous êtes les messagers, à la solde des Oracles d'Apollon. Le destin me sourit donc enfin. Vous m'êtes envoyé par Père, sans le moindre doute.