[Début Novembre 550] Suivre sa voie [Entraînement Solo]

Elle se trouvait quelque part entre le rêve et la réalité. Une impression similaire à celle ressentie il y a quelque temps auprès du Lion d'Or. Un état de transe qu'elle avait trouvé aussi surprenante que confortable. Cela lui permettait de plonger dans sa propre psyché, d'y puiser assez de force pour s'approcher de la lumière entourant son enfant. Pouvoir converser avec Jack était une chose qu'elle se risquait à faire pratiquement chaque jour, sans jamais parvenir à aller jusqu'au bout. Sa volonté vacillait à chaque fois, alors elle trouvait refuge dans les hauteurs, à contempler l'horizon qui se confondait au loin. Le mouvement des vagues ne l'indisposait pas, pas plus que les cris, les chants ou les rires de son équipage en contrebas.

Seule, l'Hermite voguait au gré de ses envies, sans se soucier de sa destination. Pour le moment elle avait décidé de ne pas y penser. L'Ombre et la Lumière se confondaient une fois encore dans un imbroglio tel que la belle avait renoncé à le comprendre. Voyager sur le dos de la mer et des océans apaisait son cœur autant que son âme. Et chaque fois qu'elle fermait les yeux, elle trouvait la vieille Sorcière à l'attendre sur sa plage.

« Tu luttes de plus en plus pour ne pas venir me voir, Nimuë. M'éviter ne résoudra rien. » Un soupir, la Sirène se détourna pour marcher seule sur le sable chaud, sous ses pieds nus. « Je sais, mais j'ai d'autres sujets de préoccupation. »

Un coup de bâton sur le dessus de sa tête la fit gronder.

« Tu penses que les héros qui sont passés sous mes enseignements n'en avaient pas eux aussi ? »

Un ricanement pour toute réponses. Un silence et Nimuë, tout en se frottant le dessus du crâne, lui rétorqua, acerbe :

« Je suis loin d'être une héroïne. »

« Vraiment ? Tu es pourtant appelée à faire de grandes choses, comme toutes Sorcière Bleues. Comme ta mère avant toi et tes ancêtres. Tu as maîtrisé le Cri, celui qui te permets d'ouvrir les portes qui vont se dresser sur ton chemin. Libre à toi de décider de les enfoncer ou non. Ou de rester là. À ignorer les appels dans le lointain. À sauver ce qui doit l'être et détruire ce qui doit être éradiqué. »

« Cette discussion ne nous mènera... » Interrompue par la vieille femme qui faisait croître son énergie cosmique, Nimuë se mit en position défensive alors que Gae Bolga apparaissait dans les mains de la meneuse de héros. « Alors ça y est vieille morue tu veux enfin qu'on se mette des taquets toi et moi ? Attention, c'est que tu es plus toute jeune, je ne voudrais pas que tu te coinces le dos ! »

Railla t-elle alors que la Sorcière Bleue Originelle fermait les yeux, qu'un drôle de phénomène se produisait sous les yeux de la Sirène. Enveloppée d'un manteau de lumière, Scathach laissa cette force contenue dans la lance la frapper, la prendre et lui rendre son aspect d'autrefois. Le sable dansait furieusement tout autour d'elles, si bien que Nimuë, obligée de s'en prémunir, s'était recroquevillée et demeurait aveugle aux changements qui s'opéraient sur sa maîtresse. Sur ses gardes, les sens en alerte, la marina eut tout de même le réflexe de s'esquiver en sentant le danger arriver. Le bout de Gae Bolga siffla en ne rencontrant que du vide là où quelques secondes auparavant se trouvait la fille O'Bannon. Qui poussa un cri rageur, suivit d'un autre bien plus puissant.

« Bien, je vois que tu maîtrises les bases. »

Si la voix de la gardienne avait changé, le timbre restait identique. Toujours aussi ironique. Aussi mystique. Enfin, la jeune femme pouvait la distinguer parmi les grains d'or. Et sa bouche s'ouvrit sous le coup de la surprise. Une chevelure de feu s'agitait dans son dos comme une oriflamme, deux grands yeux perçants étudiait sa posture et un sourire flottait sur un visage exempt de la moindre rides. Nimuë reconnaissait la Sorcière grâce à ce regard, familier, semblable au sien. Déroutée, elle en avait oublié de se remettre en garde. D'un Cri adverse la Sirène Maléfique se retrouva au sol, à quelques mètres de là.

« Eh bien ! Qui entre nous deux se traîne maintenant ? »

Crachant un mélange de salive et de sable l'atlante se redressa, piquée au vif.

« T'es qui bordel ? »

Un silence. Une vérité éclata.

« La mère de ton paternel. »

Sa grand-mère.

« Tu te fous de ma gueule ? Tu pouvais pas me le dire avant peut-être ?! » Fit-elle en faisant un pas dans sa direction. Menaçante. « Qu'est-ce que ça aurait changé ? Tu te serais ravisée et tu serais partie ? »

Scathach ne cilla pas, loin d'être impressionnée par la Sirène Maléfique. Elle qui ne craignait ni rien ni personne s'amusait grandement de la tournure des événements. Quant à sa petite-fille, il en était tout autrement. La nouvelle ne semblait pas la réjouir, ni même apaiser ses ardeurs. C'était précisément ce que la Sorcière Bleue espérait secrètement, la faire réagir. Obtenir une réaction digne d'un O'Bannon.

« Tu n'es certes pas comme l'un des héros que j'ai pu entraîner dans ma prime jeunesse mais ça ne changera rien au fait que je suis ici pour t'enseigner ce que tu dois savoir. Que tu le désires ou pas. Ces quelques leçons je te les inculquerais. Tu n'as pas à discuter. »

Cette fois Nimuë laissa libre cours à sa colère. Dans un sifflement son Écaille, d'une simple pensée alla la revêtir. La seconde suivante Gae Bolga et Celtos se rencontrèrent et firent entendre leur chant métallique. Au dessus de leurs têtes, de lourds nuages menaçants pointèrent le bout de leur nez. Yeux dans les yeux, à l'instar de deux gouttes d'eau, elles se firent face.

« Nous sommes de redoutables guerrières. Crains par les hommes, choisies par la Sorcière Originelle. Nous sommes appelées à la servir et c'est ce que tu vas apprendre à faire ! »

On ne lui laissait encore une fois pas le choix. La Porteuse de Mort et de Vie répondait donc à cette nouvelle injustice par la seule façon qu'elle connaissait : en combattant. En se dressant contre cette absurdité. Cette révélation dissimulée. Ce secret. Ces non dits. Ballottée encore.

« Tout ce que je vois c'est que vous n'avez de cesse de vous amuser à mes dépends ! »

Une nouvelle passe d'arme.

« Il n'y a rien d'amusant à ça, crois-moi jeune fille ! C'est ton père qui s'entête dans sa connerie. Vouloir te préserver et te préparer en même temps... »

« Qu'est-ce que mon père vient encore faire là-dedans ! Vous êtes fatiguant tous les deux ! »

Un rire.

« Les chiens ne font pas des chats ! »

Nimuë envoya son Cri que Scathach esquiva sans le moindre mal.

« Tu te débrouilles bien avec cette lame ! Un précieux présent de ton Légat… à lui aussi tu dois beaucoup et tu lui tournes le dos ! »

Longtemps elles se mesurèrent l'une à l'autre sans montrer le moindre signe de fatigue. Nimuë ignorait si c'était dû au fait qu'elles se trouvaient dans un lieux à part ou parce que sa rage était telle qu'elle l'animait d'une fougue inépuisable. Chaque coup pourtant, finirent par être une véritable épreuve pour cette mère en devenir.

« Je dois bien admettre que tu as de la ressource… surtout dans ton état. Ta rencontre avec le Saint t'as été bénéfique, en fin de compte. Nous qui pensions qu'il te serait nuisible... »

Pour toute réponse, le cosmos de la Sirène Maléfique explosa. Surprise par ce regain d'énergie, la guerrière irlandaise due resserrer sa prise sur sa lance. Pendant ce très court laps de temps la belle fendit l'air pour se retrouver au plus près de la gardienne. Scathach perdit alors son sourire. Les choses sérieuses s'annonçait et elle sentait sa petite-fille sur le point de basculer dans cet état qu'elle désirait lui montrer. Elle n'en avait pas conscience alors mais Nimuë entrait en parfaite symbiose avec sa Scale. Était-ce en faisant mention de Cinead et des souvenirs lui étant associés qu'elle était parvenue à ce résultat ? La Sorcière Bleue n'aurait su le dire. Tout ce qui importait maintenant c'était de ne pas perdre le rythme, de la guider au mieux sur cette voie où elle s'était jetée à corps perdu. Sans le vouloir. Ou peut-être que si.

Aoden avait bel et bien eut tord de la préserver à ce point des secrets des O'Bannon.

« Nimuë ! »

Les yeux grands écarquillés, la grand-mère s'esquiva encore, s'effaça pour réapparaître plus loin. À la commissure des lèvres de l'atlante glissait un mince filet de sang. Elle allait trop loin. S'enfonçait trop profondément dans cet état de transe.

« Nimuë arrête ! Ton bébé… »

Mais elle n'entendait plus rien. Ses ailes d'or s'ouvrirent en grand, occultant le peu de lumière aux alentours.

Porteuse de Mort.

Elle n'avait plus la moindre minute à perdre. Chaque seconde passée dans cet état l'éloignait à jamais de leur réalité. Les yeux totalement perdus dans le vague, voilés, fixes, la Sirène frappait encore et encore se fendait pour tenter d'arriver à ses fins. L'allonge de Gae Bolga lui offrait une certaine marche de manœuvre mais la Sorcière devait bien admettre que plus d'une fois, si elle n'avait pas été des plus attentives et réactives, Nimuë l'aurait transpercer. Surprise qu'elle ait pu atteindre ce niveau aussi rapidement, ses soupçons ne faisaient que se confirmer. Elle l'avait mise en danger et se faisant, mettait en péril la vie de son enfant.

Scathach pesta. Ce n'était pas ce qu'elle lui avait promis. Son Cri rencontra celui de sa petite-fille, se heurtèrent avec tant de force qu'elles durent toutes deux soufflées dans des directions opposées. Plantant sa lance dans le sable, la vieille souffla, réfléchit à toute vitesse. À ce rythme là, elles allaient franchir un point de non retour.

Et alors tout serait perdu.

« Merde qu'est-ce que j'ai foutu ! »

Fit-elle en pestant contre sa propre personne. Elle avait fait preuve de négligence, elle avait été bien imprudente de la pousser à ce point. Soudain, un chant dans le lointain. Une voix que la vieille reconnut presque immédiatement.

« Comment est-ce possible ? » s'interrogeait Scathach en se laissant choir sur le sol, observant Nimuë se figer. « Nimuë ? Eh oh ma p'tite ?! »

Nulle réponse. Juste un glorieux silence. La voix s'en était allée. Juste quelques notes tournaient encore dans sa psyché brisée qui se reconstituait peu à peu. Alors enfin la pirate s'anima brutalement pour marcher dans la direction de la gardienne qui reprenait les traits d'une vieille femme. Une fois plantée devant elle, à la toiser de toute sa hauteur, elle lâcha, d'une voix blanche.

« Vous feriez mieux d'arrêter vos conneries maintenant et de faire les choses proprement. Je suis fatiguée par vos combine à deux ronds. »

Elle lui tendit sa main.

« Maintenant vieille morue apprends moi quelque chose d'utile. »

« Oui c'est bien mieux comme ça ! »

Constata le vieille Sorcière Bleue en voyant Nimuë parfaitement exécuter le mouvement qu'elle venait de lui apprendre.

« Mes anciens élèves n'étaient pas aussi douée que toi au maniement des armes. Je sens Gae Bolga s'animer en te voyant faire. Cela ne s'était pas produit depuis des siècles. Même ton père n'a pas eu l'honneur d'avoir éveillé son intérêt. Mais bon, il n'a pas les même prédispositions que toi. »

Le temps n'avait pas d'emprise ici et ce refuge plaisait à Nimuë Quand bien-même l'incident de tantôt l'avait ébranlé. Son âme et son cœur s'étaient tranquillisés, son esprit, focalisé sur l'apprentissage plus concret de la guerrière, apaisé, lui permettait de faire le point et le vide. Toujours affublée de son armure, l'atlante constatait que la Sirène l'aidait le plus naturellement du monde, comme si elles ne formaient plus qu'un tout. Ce fait-ci n'avait pas échappé à la vieille qui ne manqua pas d'y aller à son petit commentaire :

« Vous êtes toutes les deux liées d'une manière assez surprenantes… cela faisait bien longtemps que... »

« Je le sais déjà, Cinead m'a déjà parlé des liens unissant porteurs et écailles. Elles et moi sommes semblables, c'est pour cela que nous nous entendons si bien. »

« Je dirais que c'est bien plus que cela, mais je suis ravie d'entendre que tu en aies conscience. »

Toutes deux évoluaient sous le regard attentif de la gardienne de ses lieux.

« Le chant que j'ai entendu tout à l'heure… je l'ai déjà entendu avec Childéric. C'est le chant de la Sorcière Bleue actuelle. Je ne savais pas qu'elle était en vie, encore moins qu'elle appartenait au Zodiaque d'ombre. »

Scathach hocha de la tête, gravement.

« Je l'ignorais aussi... »

« Moi également. »

Fit une voix familière. Nimuë et la Sorcière, d'un même élan, se retournèrent vers la source d'où provenait cette voix.

« Ah tu étais encore là, toi ? »

Aoden, habillé de sa tenue sombre, se présenta devant les deux femmes avec un air sérieux et austère. Plus marqué que d'habitude. Ses traits étaient tirés et une lueur inquiétante dansait dans ses yeux. Il paraissait troublé, pire tourmenté par quelque chose qu'il voulait taire à tout prix.

« Oui, je vous observais. Encore une fois tu as décidé de ne pas m'écouter Scathach. »

Un soupir de la part de la vieille qui abandonna sa posture, planta sa lance dans le sable qui redevint un simple bâton.

« Tu pourrais faire un effort pour m'appeler maman. Ce serait la moindre des choses, après tout ce que j'ai fait pour toi. Fils indigne et ingrat. »

« C'est une question de point de vue. Faut dire que j'ai dû ne pas te coûter très cher en pâte à crêpes. »

Nimuë s'abstint du moindre commentaire, de rire, ni même de sourire. Mais par là elle comprenait pas mal de choses qui l'intriguèrent autant qui ne la mettaient pas en liesse. Était-ce donc de coutume pour les O'Bannon d'abandonner leur progéniture ?

« Si tu veux que je sois plus clair, je préférerai que tu évites de me dire comment éduquer ma fille. Encore moins d'aller à l'encontre de ce que je t'ai demandé. »

« Hm, à chacun son rôle pas vrai ? »

Les bras croisés, tous se regardèrent sans ciller. La tension était palpable mais dans ce même geste d'abandon, tous les trois poussèrent un long soupir.

« Je vais t'accompagner, Nimuë. »

Un sourire.

« Tu ne sais même pas où je désire me rendre. »

« Ce n'est pas important, je sais ce que tu désires. Et je te sens prête à l'affronter. »

Lucius.