[Janvier 553 - PV Morwenna] Deux solitudes liées

J’ai un petit sourire qui en dit long. J’occulte sciemment ses questions. Pour l’heure, je n’y répondrais pas plus. Ma relation avec Childéric doit être préservée autant que Jack, mon enfant.
Je suis attentive à ses propos, la sonorité qu’ils revêtent. Il y a beaucoup de tristesse et de mélancolie. Un soupçon de détermination. D’où vient-elle ? Je penche la tête sur le côté pour mieux l’observer.
Physiquement, nous ne nous ressemblons pas vraiment. Je ne vois pas de traits communs avec Aoden. Je peux m’être trompée. Reste qu’il est de la famille. Et je me sens moins seule.

« C’est fort altruiste. Je ne m’y risquerai pas. Pas tout de suite en tout cas. Je ne voudrais pas avoir une déplorable réputation ! On m’en voudrait beaucoup de tuer des aspirants par inadvertance. »

Je ne cesse de l’observer pour capter les mouvements de son cœur et de son esprit. Ils s’accordent en une douce mélopée. Je regrette de l’avoir interrogé, j’ai touché une corde sensible.

« Tu es très dévoué à ta famille. C’est une qualité que je sais apprécier… » Moi aussi je me perds dans de douloureux souvenirs. J’aimerais tant pouvoir serrer mon enfant dans mes bras. « Aorlin, c’est lui qui s’est manifesté cette fois-là ? Et ta mère ? Où vit-elle ? »

J’ai des questions qu’il pourrait tout aussi bien ignorer, ce serait de bonne guerre. Alors, autant parler d’autre chose et de lui donner l’occasion de prendre une porte de sortie.

« Es-tu au Sanctuaire depuis longtemps ? Je gage que tu n’as pas visité beaucoup de tes confrères et consœurs, non ? » Je lui tire la langue, à défaut de pouvoir lui offrir un clin d’œil malicieux. « Je ne suis pas là depuis si longtemps et, plongée dans mon devoir... fleuri, je n'ai pas eu l'occasion de recevoir beaucoup ! On va finir par me prendre pour un ermite ! Dis, si on t’interroge sur mon compte, insiste bien sur le fait que je ne suis pas agréable du tout ! »

Je déploie un nouvel éclat de rire dans sa tête. J’ai mal aux côtes.

« C’est le but, je ne te le cache pas ! »

J’ai un glorieux sourire qui en dit long. Pour autant, est-ce que je pourrais éternellement jouer la comédie ? Rien n’est moins sûr. Ma nature est ainsi faite, je reste une capitaine pirate. J’aime diriger, aider, écouter et surtout boire des verres ! Souffrir de la solitude est une chose, souffrir d’une mauvaise réputation pour tenir les autres à distance… l’expérience fait que je le sais ; ce n’est pas une situation très probante sur le long terme. Ma rencontre avec Kilian me remet face à mon ancienne vie. Une vie dont je me suis libérée.

La suite de son discours m’émeut et je pose une main compatissante sur son épaule, avant de la retirer, par peur qu’un contact trop important lui soit difficilement supportable.

« Tu as fait ce que tu as pu. Tu trouveras une réponse et tu peux compter sur mon aide. »

Je ris. J’aime sa répartie.

« C’est de bonne guerre ! »

Puis je l’écoute parler, me raconter un fragment de sa vie. Dont certains morceaux ne me sont pas inconnus. Après tout, je l’ai déjà rencontré, une fois… En tant que Nimuë. J’hoche la tête. Des points communs, nous en partageons plus que tu ne le crois.

« Je… »

Je suis interrompue par le caquètement d’une poule. Une poule ?! Le côté incongru de la situation m’arrache un nouveau rire. Je me mets sur mes pieds, aux aguets, à la recherche de l’imprudent animal.

« Qu’est-ce que fout une poule dans mon Temple… en voilà un bien terrible ennemi ! Viens, chevalier ! Nous devons l’occire ! Pour Athéna ! »

Pouffant dans ma main, je remets en place mon masque et m’avance, avec précaution, dans la direction d’où provient le bruit.

Le mystère autour de cette poule s’épaissit. À peine Kilian eut-il le temps de m’expliquer que ce n’était pas la première fois qu’il entendait le gallinacé, qu’un bruit immense se fait entendre.
Ce n’est pas de bon augure et j’échange avec l’alchimiste, un regard alarmé -bien que caché derrière mon masque. Quelle galère ! Un espion ? Pourtant je ne crois pas avoir ressenti le moindre cosmos… Perplexe, j’essaye de presser le pas, surveillée de près par le Verseau.

Une fois sur place, je me fige. Nous découvrons la pièce totalement retournée. Tout est fichu… Mon cœur se serre et j’observe, navrée, le jeune homme. Tant de recherches perdues, du temps réduit à néant. Je vois rouge. Où est cette foutue poule ? Sur le point de m’entêter et de lui courir après, je me ravise, interpellée par les mots, gravés dans la pierre.

« Tempus Dicit ; Sapientia Audit ? » Du latin ? Les bras ballants, je ramasse la feuille de parchemin que je lis à haute voix : « Jeune alchimiste, jeune atlante, ne pensez pas que vos potions, de piètres qualités, pourront sauver le ci devant Chevalier. La source de vos expériences demande de trouver le creuset avant de passer à l'alambic. Continuez d'étudier, c'est bien... »

Je froisse le papier, hors de moi.

« Quel enfoiré ! »

Furieuse, piquée au vif par un autre caquètement, je file sur ses talons, mue d’une nouvelle force. Ce soir, croyez-moi, il y aura de la poule dans mon assiette !

« Saleté de piaf ! Je vais te foutre dans un creuset moi tu vas voir ! »

Je concentre mon cosmos et projette mon esprit pour trouver cette petite impudente. M'assurer qu'elle connaîtrait un sort bien moins enviable à celui qu'elle a réservé aux recherches de mon frère !

Rien. Il n’y a rien. Les cris de la poule ont cessé de résonner à nos oreilles, de nous narguer. Rien. Tout a été réduit à néant. Trois années de recherches, voilà ce que Kilian, mon frère, a perdu.
J’ai cessé mes recherches pour revenir sur mes pas. Je comprends les sentiments qui se bousculent. Je comprends son besoin de solitude. Je la respecte. Je note malgré tout ses hypothèses. Je dois faire un rapport à Childéric de la situation.

Si quelqu’un est parvenu à nous duper si aisément… Mes poings se serrent, je me retire en silence, accédant à sa requête. L’envie de rester, de le soutenir et de lui avouer quelques-uns de mes secrets m’a effleuré l’esprit. Je ne peux pas m’y résoudre et la culpabilité m’envahit. Rien. Il ne reste plus rien.

Le cœur lourd, je retourne seule dans mon temple, observe le champ de roses. Mon mystère, celui que je vais devoir percer un jour ou l’autre. Je suis tentée de reprendre mon entraînement. Ce serait inconscient. À la place je décide de dépoussiérer mon laboratoire, de faire germer de nouvelles plantes et de me plonger dans l’étude de la botanique. Bien décidée à l’aider. Le soir venu, avant d’aller trouver Childéric, je dépose devant le temple du Verseau, une rose blanche et un livre sur Jamir, accompagné d’un mot : « N’oublie pas que mon aide t’est acquise et que mon temple t’est grand ouvert. »

Ensemble, nous travaillerons de concert. Et j’ai déjà plusieurs idées et l’oreille attentive de notre Grand Pope. Lui saura sans doute nous éclairer ou au moins nous accorder de lever le voile sur tout ceci.

FIN DU RP