[Janvier 553] La miséricorde d'un réfuge (PV Esmelia)

J’aurai pu rentrer en un éclair, mais je préférai marcher afin de rester discrète. Je me souviens encore de la destruction de la Tour des Vent et je crains que les attaquants ne soient encore sur place à espérer pouvoir nous traquer ou profiter de la moindre occasion pour réduire en miette les derniers d’entre nous, anciens comme nouveaux.

De retour à Rome j’ai une sensation étrange. Rien de cosmique, juste mon esprit qui me travaille. Ma résidence n’est plus, une partie de mes œuvres de même et mon amie disparue aux dernières nouvelles. Je suis parcourue d’un frisson. Seule dans cette ville peuplée de mauvais souvenirs je me sens maussade. C’est rare chez moi. D’habitude c’est la joie de vie qui m’anime, mais je me sens perdue. J’ai du mal à savoir comment faire ce que je dois faire. Par quoi et par où commencer ?

Déjà il me semble évident qu’il me faut un toit sur la tête pendant la nuit. Heureusement j’ai de nombreux amis encore dans le coin. Tous les Maîtres et apprentis avec qui j’ai pu travailler ou les clients que j’ai pu avoir sont susceptibles de m’apporter leur aide. Ma décision est prise. Je me dirige chez Maître Andrea. Je le trouve chez lui et lui explique ma situation dans les grandes lignes sans trahir quoi que ce soit à propos des Oracles. Juste la vérité mais uniquement celle qu’il a le droit d’entendre. Il accepte de m’héberger, me laisse même reprendre mon ancienne chambre. Si jamais je dois rester longtemps dans cette situation, je pourrais travailler dans son atelier le temps d’avoir de nouveau des économies.

Le toit sur la tête c’est fait. Le plan de secours aussi. A présent il est temps de chercher Célestia. Je me lève de bon matin. Je suis vêtue simplement de mon péplos et d’une cape épaisse pour me protéger du froid hivernal. Je me mets à parcourir les églises une à une demandant s’ils ont vu mon amie. Afin de m’aider, j’ai fais un croquis d’elle la veille au soir. Je fais pourtant chou blanc… J’essaie de ne pas désespérer, s’il le faut je ferai tous les marchés, toutes les auberges… Aaaaah vivement que je la retrouve !

L’heure de la messe sonne, cette fois je me contente d’aller m’installer sur un banc. Ça ne me fera pas de mal de prier un peu. Prier pour le sort de Célestia, pour celui des Oracles, pour que j’arrive à trouver les autres, ou qu’ils me trouvent peu importe ça revient au même… Tenir bon, ne pas désespérer… Où est passée la moi normale ? J’avais une vie paisible et tout est parti en vrille. Maintenant j’ai une Chlamyde mais je suis seule, ça ne me plaît pas !

La cérémonie commence et je sens une lumière inhabituelle m’éblouir. Je me tourne vers elle et mes yeux mordorés s’écarquillent quand je la vois. Enfin ! Mes prières ont été exaucées ! Nous allons avoir tant à nous dire… Je suis son geste du regard et comprends. Discrètement, en essayant de déranger le moins de monde possible, je me rends dans l’une des cabines du confessionnal. Il faut que je me retienne pour ne pas crier de joie. Heureusement qu’il y a une paroi en bois entre nous sinon je lui aurai sauté au cou pour la prendre dans les bras. Mais ça attendra un autre moment. Je murmure :


- Célestia tu es en vie ! Je suis trop contente de t’avoir retrouvée… Tu vas bien ?

Je suis tellement contente de la revoir ! Mais avec tout ce qu’il s’est passé, je me doute qu’il faut être prudent, je comprends lorsqu’elle fait référence à la Tour et le fait qu’on ne puisse en discuter plus librement. Je ne sais pas combien de temps elle peut m’accorder, alors tout en étant le plus discrète possible, je vais à l’essentiel.


- Je viens de revenir, je suis partie en Grèce à Tanagra et je ne reviens pas les mains vides. Je suis comme toi, comme vous… Si je suis revenue c’était parce que j’espérai y trouver l’un des nôtres, cela me semblait être le point de départ le plus logique pour des recherches. Sans cela… Et bien je crois que ça aurait été comme chercher une aiguille dans une botte de foin !


Ma main se pose sur ma poitrine à l’endroit du coeur, j’ai presque des larmes aux yeux à cause de l’émotion. J’ai failli tomber en proie au désespoir, moi qui pourtant est si obstinée. Le temps et les événement avaient érodés ma résilience. A présent je sens que ça va mieux, que je pourrais soulever des montages pour mon amie pour notre Dieu.


- Tout ce temps toute seule à penser à toi à la catastrophe à ce que tu étais devenue, ce qu’il t’était arrivé sans pouvoir faire demi-tour pour te chercher… C’était plus fort que moi je devais y aller, partir loin.


Je soupire. Je me doute bien que tout ne va pas rentrer dans l’ordre du jour au lendemain mais avoir retrouvé mon amie Oracle me faisait me sentir moins perdue.


- J’imagine que tu dois avoir des projets, des plans… Je souhaite t’aider, en faire partie, c’est mon destin aussi à présent. Il y a tant de choses que je ne connais pas… Il faudra trouver un moment pour que tu m’expliques ce que je dois savoir. Je n’ai pas envie d’être un poids à cause de mon ignorance et tu es la seule qui puisse me guider.


Je sais qu’ici et maintenant ce n’est pas possible, mais elle doit bien connaître un endroit, du moins je l’espère.


- Je me suis posée chez mon ancien Maître Andrea. Je ne savais pas où aller d’autre. Y a t’il un endroit pour les gens comme nous ici où l’on serait en sécurité ?

L’excitation qui m’habitait se calme quelque peu et je suis de nouveau pleine d’espoir et d’entrain bien que les événements de septembre pèsent toujours sur moi comme une ombre. J’écoute avec attentions les explications de mon amie. Servir Apollon ça c’était une évidence, je m’en doutais déjà avant et j’en avais eu la certitude lorsque j’avais épousé ma Chlamyde. J’opine simplement même si je ne suis pas certaine qu’elle puisse bien me voir à travers les trous de la fenêtre.

- Oui j’ai senti que c’était lui. J’ai dû réaliser une toile de Maître, un chef d’œuvre avec des éléments particuliers dessus représentant le temple solaire de Stonehenge, la déesse Iris et un arc en ciel. Bref, c’était très évocateur. Iris je l’ai trouvée sur un pot à Tanagra et Stonehenge je l’ai rêvé pendant au moins un mois… J’ai eu largement le temps d’en connaître tous les détails comme si j’y avais été en vrai. Et donc après ma toile a disparu dans un arc en ciel et à la place il y avait tu-sais-quoi.

Sait-on jamais des fois que les murs aient des oreilles, je préfère ne pas utiliser certains mots. Cela dit « toile qui disparaît » ce n’est pas franchement mieux j’avoue. Pour la suite j’opine de nouveau, un mauvais réflexe mais tant pis. Rester chez Andrea en attendant des nouvelles je pouvais faire ça.

- D’accord j’attendrais ton message alors. J’espère que la roue est en train de tourner et que nous allons enfin nous en sortir. Même si j’ai été très occupée personnellement là il est temps de trouver les autres, les anciens, les éventuels nouveaux pour aller de l’avant.

Parce que juste à deux ça allait être compliqué et il me semble qu’à l’heure actuelle elle n’a pas l’air d’avoir trouvé quelqu’un d’autre si j’en crois sa réaction. Je reste un peu silencieuse. J’aimerai lui poser plein de questions mais ce n’est pas le moment. A-t-on le temps de parler d’autre chose ? J’aimerai savoir ce qu’il lui est arrivé mais peut être qu’ici ce n’est pas le bon endroit non plus. Peut être qu’il vaut mieux attendre la prochaine fois que l’on se verra pour en parler. Quoi qu’il en soit, je suis heureuse de l’avoir retrouvée. Je me sens plus légère prête à soulever des montagnes. Je l’ai peut être déjà pensé ça, mais c’est tellement vrai…

- Où en est la messe ? On a encore un peu de temps tu crois ? J’aimerai que tu me racontes ce qu’il t’es arrivé. Comment t’en es-tu sortie ? Je t’ai cherchée des heures avant de partir...

Apollon, j’espère avoir l’occasion de le voir en personne un jour. Ce n’est pas possible pour le moment bien sûr mais j’aiderais à le chercher si on requiert mon aide. Pour le moment je reste dans le flou ne sachant pas quoi faire pour la suite à part espérer trouver d’autres Oracles ou avoir des nouvelles de Célestia après qu’elle se soit renseignée. Je ne sais pas trop pourquoi d’ailleurs elle semble intéressée par mon temple.

- Et bien c’est le temple dont je suis la Pythie. J’aimerai beaucoup m’y rendre d’ailleurs si l’on a pas d’autres choses plus importantes à faire. Ça peut attendre mais c’est un projet qui germe en moi. Je l’ai tellement rêvé… J’ai plus qu’une envie, un besoin de m’y rendre dans les prochains mois. Sinon que dire… Il se situe en Britania à ce qu’on m’a dit. Et il est orienté vers le soleil lors du jour le plus long de l’année.

Je ne vois pas trop ce que je peux ajouter sur ce sujet mais connaissant Célestia, j’imagine très bien sa réaction où elle m’annonce qu’elle a soudainement envie d’y aller aussi. Cette petite curieuse ! Mais d’ici là elle aura peut être d’autres chats à fouetter. L’avenir est quelque chose de tellement incertain. Pas forcément sur le « quoi », puisque si l’on décide fermement quelque chose de possible ça finira pas arriver, mais surtout le « quand » trop sujet aux aléas de la vie.

- Je ne sais pas trop quoi te dire de plus à part qu’il est composé de menhirs placés en un grand cercle et qu’il a une grande allée qui part de la rivière et qui mène jusqu’au temple.

Le reste ce sont des détails et je doute que le type de pierre ou la présence de fossé ait une importance capitale. Elle me dit qu’il ne nous reste plus que quelques minutes et m’explique brièvement ce qu’il s’est passé le jour fatidique. Il y a une dernière question que j’ai besoin de poser et qui reste en suspens. Je ne sais si elle pourra me répondre maintenant sans risque, mais je tente quand même.

- Qui a pris la Tour d’assaut ? Qui sont nos ennemis ?

Même si ma question reste pragmatique, je ne ressens pas moins de peine pour ce que mon amie a pu vivre ce jour là. Elle a survécu, c’est tout ce que je retiens. Les détails auront le temps d’être abordés plus tard. Je me sens mieux, cette discussion m'a fait du bien. Même si c'est à très court terme, j'ai quelques directives et objectifs. En fonction du temps que tout cela prendra, je pourrai peut-être envisager de me trouver du travail pour gagner un peu d'argent. Pourquoi pas au marché, faire du dessins à la demande ou vendre mes croquis qui n'ont pas disparus. Si j'en trouve le courage, je pourrais aussi aller dans les ruines de la Tour à la recherche d’œuvres encore entières, même si je crains pour leur conservation depuis ces derniers mois. Bref quelques idées plus ou moins bonnes.