[Janvier 546] La tempête des sables [PV Silas][Terminé]

« Non, toi, tu vas faire du repérage. »

Nos maigres bagages fraîchement déposés que cette voix insupportable m’oblige déjà à faire volte-face. Odieux et répugnant, comme à son habitude, ce salopard n’en rate pas une lorsqu’il s’agit de se montrer désobligeant, de se sentir puissant. Il me toise continuellement, alors même que je lui offre mon plus beau sourire de pacotille. À défaut de pouvoir le supporter, je m’autorise quelques moqueries ouvertes, incomprises de ses bons et loyaux services.

Rien dans la tête, rien dans les muscles. Toujours est-il que l’obéissance lui est due et que l’ancien surveille mes faits et gestes. Faut croire qu’il l’aime bien, au final, vu comme il le surprotège.

« C’est bon, c'est bon, j’y vais »

Une réponse lancée à la rapide, en voyant qu’il s’apprêtait à ouvrir la gueule pour répliquer. Mes jambes montrent des signes de fatigue, mais c’est toujours mieux que de rester à ses côtés. Respirer le même air que cet imbécile, c’est surtout ça qui m’épuise.

Le temps de jeter une œillade vers le vieillard, de gesticuler pour saluer Kashtiliah, et je m’en vais aussitôt en quête des villages situés à proximité. La marche dure un moment et l’avancée s’effectue à tâtons, avant d’apercevoir les premières maisons au loin. À leur vision, mes pas s’arrêtent et mon regard de fouine inspecte les environs. Des pierres, positionnées ici et là, me glacent le sang. Un truc glauque, j’en suis certain et, pourtant, voilà que cette direction m’appelle. Quelque part, ça m’interpelle autant que ça met mes sens en éveil, alors autant vérifier la nature de ces étrangetés. Qui sait, ça aura peut-être une utilité. J'pense pas, mais sait-on jamais…

On m’a dit de repérer, c’est c'que je fais. Alors, surtout, qu'on vienne pas me faire chier après.

C’est avec prudence que je m’approche ; a priori, ça n’a l’air de rien, mais j’ai appris à mes dépens que les rien cachent parfois quelque chose. Les hommes de la troupe sont pas vraiment cléments, faut dire, et les chemins par lesquels on passe, quant à eux, s’avèrent bien plus hasardeux qu’il n’y paraît. Sans oublier leur caractère menaçant. Quoi qu’il en soit, ce genre de rassemblements, j’en croise pas souvent, probablement parce qu’on bouge tout le temps.

J’arque un sourcil, m’interroge sans trouver de réelles solutions. De toute manière, ça m’inspire pas plus que ça. Alors, je passe d’une pierre à une autre, me glisse entre elles pour finalement m’accroupir. Immobile, mon attention se focalise sur les contours, la recherche d’une marque quelconque, tant est si bien que je ne sens pas l’autre qui arrive dans mon dos. Une voix me sort de mes réflexions, provoque un sursaut et, aussitôt je me retourne vers celui qui m’interpelle.

« Hein ? »

C’est la première réponse qui sort de ma bouche. Face à moi, debout, c’est un gars qui porte un tonneau qui ne manifeste. Je le regarde, hébété, penche mon corps – sans pour autant faire bouger mes pieds – pour voir un peu mieux ce qu’il trimballe et dénicher des indices sur sa provenance ou son appartenance. Pas grand-chose à signaler, on dirait.

C’est pas tant que ça me déconcerte, mais c’est comme s’il me parlait dans une autre langue. Un mouvement de recul, léger, mais suffisant pour être remarqué ; ce gars fait comme s’il me connaissait, sans raison aucune. Qui plus est, il est à côté de la plaque. Plutôt sévèrement à côté, même.

« Tu sais à quoi ça sert, ces pierres ? »

Lesdites pierres pointées du doigt, j’espère obtenir une réponse satisfaisante. Du reste, je préfère ignorer ses remarques, on verra bien ce qui en adviendra. Pour l’instant, autant se montrer prudent, quitte à faire preuve de réticence.

Des pierres pour construire des maisons. Certes, l’argument se tient, mais il ne m’explique pas pourquoi elles sont disposées de cette façon. Ça me paraît un peut trop solennel, mais soit. Je l’observe un moment, tête penchée, pendant qu’il me raconte des histoires dont je n’ai que faire. Cela étant, toutes les informations sont bonnes à prendre. Du reste, je ferai le tri à l’occasion.

Il s’approche d’un pas, je recule aussitôt ; pour l’instant, je sais rien de ce gars, alors autant garder un peu mes distances. Pas vraiment une question d’être effrayé, disons simplement que je tiens à mon espace.

Sans y prêter plus attention, il s’étire nonchalamment, comme s’il était en présence d’un vieil ami. J’arque un sourcil, lorsqu’il pose sa question. Elle n’est pas des plus claires, alors je tarde à comprendre de quoi il en retourne exactement. Pour autant, il me laisse pas vraiment le temps de répondre ; il enchaîne déjà et, visiblement, il ne brille pas par son intelligence.

« J’imagine qu’on trouvera un puits dans le village ou de l’autre côté. »

C’est tout ce qu’on peut affirmer, pour l’instant. Dans tous les cas, rien à signaler de ce côté.

« Je voyage, et j’viens juste d’arriver. »

Une manière comme une autre de poser les bases. Sans même l’attendre, je me dirige vers l’entrée du village pour chercher la source d’eau. C’est ce que l’autre débile attend aussi de moi, alors autant réunir les deux tâches chiantes.

« Bon, tu viens ou tu dors là ? »

Sinon, je me barre. C'est pas qu'il m'ennuie, mais il a l'air du genre bavard, sûrement trop pour moi, d'ailleurs. Qui plus est, j'ai suffisamment de Pépé pour me raconter des histoires invraisemblables.

Vraiment, je comprends pas ce gars. Il est là, déambulant dans le sable comme si tout lui appartenait, comme s’il connaissait la moindre parcelle de ce monde. Je sais probablement pas grand-chose mais, à mes yeux, c’est lui l’ignorant. Parce qu’il ne cesse d’interpréter, sans doute, d’imaginer à sa convenance. Ça me fatigue déjà. Pourtant, je ne montre rien et me pare encore de mon sourire de façade, le même que celui que reçoivent les adultes lorsqu’ils me parlent.

J’avance alors, m’enfonce dans les rues, lui demande plus concrètement de bouger. Soyons clairs, je ne veux pas avoir à l’attendre plus que nécessaire. On arrive après quelques minutes, et déjà le fameux Silas, comme il prétend se nommer, se jette sur l’eau. Il boit le premier, puis me le tend, comme la plus banale des actions.

« Pas vraiment, je voulais juste voir où c’était, ça, le marché, ce genre de trucs, quoi. »

Avec le groupe, on repartira bientôt sur les routes, alors il faudra faire le plein, mais pas trop non plus. Juste assez pour tenir jusqu’à la prochaine destination. J’observe les réparations d’un air distrait, ne restant pas suffisamment longtemps pour me sentir concerner.

« Et mieux vaut éviter. »

Éviter de perdre l’eau, pour sûr : c’est une denrée rare, dans le coin. Finalement, l’autre s’impatiente, recommence à me questionner. Il est indiscret, c’est sûr.

« Pas vraiment utile d’avoir le nom d’un gars que tu croiseras plus de ta vie, mais oui, un truc du genre marchand j’imagine. Toi, par contre, t’as l’air de connaître du monde, pour un gars de passage. »

Ce gars me dérange.

D’accord, donc ce gars n’est pas de passage, mais du coin. Qui plus est, il sait où sont les réserves d’eau et préfère quémander que s’y rendre. Il arrange pas son cas, celui-là. À vrai dire, il me dérange plus qu’autre chose. Cependant, s’il dit la vérité, ça me permet au moins de passer inaperçu. Enfin, inaperçu… C’est vite dit, avec un type comme ça, mais, au moins, avoir un local avec soi, ça aide un peu. Disons que le supporter, c’est le prix à payer pour ce qu’il va m’apporter.

« Je vois. Dis, on peut vraiment se servir comme ça, dans le puits ? Si jamais, je cherche aussi où acheter de quoi manger. »

Je jette un œil sur les environs, pendant qu’il me parle des soi-disant bienfaits de la région, puis hausse les épaules machinalement.

« Aucune idée, j’passe mon temps à chercher de l’eau pour les autres, alors pas trop eu l’occasion d’observer le paysage… »

Parce que, en plus, on reste jamais au même endroit. Ca aussi, c’est quelque chose que je pige pas, mais les autres affirment que c’est normal. C’est pas pour les gosses, qu’ils disent.

« Peut-être, j’sais pas trop si ça t’intéresserait. Comme dit, c’est juste un truc du genre et c’est les grands qui gèrent ça. On a pas l’droit d’y toucher, nous. »

Je lui réponds nonchalamment, un peu au hasard. Vu les interdictions, difficile d’être très précis. Toujours est-il que j’ai noté l’emplacement des réserves d’eau, ne reste que la nourriture.

« J’te laisse passer devant, vu qu'tu connais le coin. »

Je ralentis la marche, m’exécute en passant dans son dos, les mains qui se balancent.

Des marchands ambulants, logique. Par contre, on parle de quels villages exactement ? Il est bien mignon, celui-là, de me sortir ces informations, mais si tu ne me donnes pas plus de précision, comment tu veux que je fasse ? C’est un peu le problème, avec les gars comme lui : ils sont incompréhensibles. J’arrive pas à m’entretenir avec, ou, plutôt, j’ai pas envie de me les coltiner plus que nécessaire. Il est pas méchant, mais voilà, ça coince. Je suis pas le plus agréable du monde non plus, je sais bien. M’enfin, bref !

Finalement, mes pas s’arrêtent, le temps d’observer l’horizon. Dans cette direction, ou dans l’autre ? De toute manière, c’est trop loin, surtout si on repart bientôt. Alors, j’hausse les épaules, pour changer.

« Par là-bas ? Noté. J’vais y aller par contre, il commence à faire nuit, les autres attendent sûrement que j’revienne. J’te dis à la prochaine, si jamais on s’recroise. M'ci pour la visite. »

Un bon gros mensonge ; en dehors de Pépé et de mon frère, personne n’attend quoi que ce soit de moi, bien au contraire. Au moins, je me débarrasse d’un autre problème potentiel. Quant au fait de le recroiser, Meh.

D’un signe de la main, je m’éloigne sans un mot de plus. Il n’attend sans doute rien non plus. En repartant, je repasse devant cet amas de pierres qui m’interpelaient tout à l’heure, m’y arrête un instant et reprend ma route instantanément.

Des pierres de construction… Mouais, c’est tellement glauque, ça pue la mort.

Citation :

Sujet terminé pour ma part, merci !