Demi-finale : Combat n°1 - César vs Zvezdan

Évidemment qu'il fallait que ça finisse par arriver.

Je me doutais qu'il irait loin dans ce tournoi. Mon doute, c'était surtout de savoir si les Ligures décideraient de le disqualifier ou non, après les... échauffourées précédentes. Ils ont décidé que non. Soit. Pour tout dire, je m'en fous un peu : César aurait pu être privé de tournoi que ça ne m'aurait pas affecté. Pas plus que je suis affecté de savoir qu'il continue finalement de participer. Mais... Mais peut-être que je vais avoir matière à m'amuser, avec lui.
Peut-être que les choses vont devenir intéressantes.

Sûrement que les choses vont devenir pénible, par contre, au moins à minima. Sûrement qu'il a déjà sa petite réputation parmi les spectateurs. Le Berserker fou, sanglant. Tseh. Pour votre plus grand plaisir, foule de Camelot : deux engeances d'Arès lâchées dans l'arène, pour un combat au sang. Pas le leur, mais celui de leurs marionnettes. Vous vous contenterez de ça pour aujourd'hui.

Un bâillement, je m'avance le long du couloir qui mène jusque vers mon balcon, jusqu'à arriver sur place. J'y approche jusqu'à escalader la large rambarde, et m’asseoir en tailleur dessus. La joue au creux de ma main, l'autre main pend à ma cuisse, fermée. Doucement, elle s'ouvre pour libérer un orbe de lumière. Comme aux précédents combat : l'orbe descend de lui-même dans l'arène, puis finit par se muer, s'entourer de la brume sombre, se constituer jusqu'à devenir la silhouette rouge, la créature d'énergie. De ses yeux, la chose regarde en face d'elle. Moi, je regarde le balcon d'en face.

- Profite. T'as une chance d'inverser la vapeur pour une fois. Essaie de me donner au moins un peu envie de te sauver le cul, hm ?
Divertis-moi.

Cuirasse du Mushmahhu:

Pour la première fois depuis longtemps, je suis excité ! Je trépigne à l’idée de sortir de mon trou pour aller jouer. Le dernier combat n’a pas été aussi amusant que je l’aurais cru. Mais c’est le problème quand joue avec les aveugles, ils ne savent pas voir la lumière quand ils l’ont devant eux. Non. Mais ces cons de gardes ont pensé que ça me ferait peur de me retrouver contre lui. Ils ont cru que l’idée de me retrouver contre celui qui m’a éclaté la tête contre une table, celui qui tient ma vie entre ses mains me ferait peur. Mais c’est tout le contraire. Je ne sais pas quelle tête j’ai fait quand ils me l’ont dit, mais j’ai vu la leur. J’ai vu leur petit sourire narquois mourir dans l’instant. Si j’en avais eu quelque chose à foutre, j’aurais pu en tirer une forme de satisfaction. Mais mon esprit était déjà tout entier concentré vers notre rencontre. Difficile de se défaire de la mi-molle qui traîne. Alors c’est dans le silence qu’ils m’ont traîné dans la ville.

C’est amusant comme il cherche à ce que personne ne me voit. Comme s’il était possible de taire la rumeur. Comme s’il était possible que tout cela soit gardé en silence. Le bruit doit déjà courir. Je suis curieux de voir ce qu’il a fait. Mais je le saurais rapidement. Et nous arrivons une fois de plus dans l’arène. Le sang monte, j’ai si hâte de combattre contre Zvezdan. De devoir lutter avec lui sur un pied d’égalité. C’est la seule et unique fois que nos pouvoirs seront similaires. Il a toujours été devant et il le sera toujours. Après tout, je lui dois quasiment tout ce que je sais du cosmos. Il m’a fait, plus que Velya et Arès. Je l’ai vu toucher le fond et refuser de l’accepter. Je l’ai vu, se vautre dans ses chaînes comme un chien dans la merde. C’est triste. Il pourrait aller si loin et devenir vraiment libre…

Mais je vais lui faire un cadeau. J’appelle alors le dragon et je sens son excitation à lui aussi. Après tout, nous avons montré notre domination aux cardinaux. Alors, si nous la montrons au Pontifex. Le combat sera difficile. Douloureux ! Je laisse les plaques d’acier écarter ma peau et mes muscles. Je laisse le sang couler et prendre la forme du pantin. Cette fois, je m’y glisse plus profondément. Je renforce le lien qui nous unis, cette chose, extension de moi. Alors sa forme évolue. J’ai gagné en maîtrise et en contrôle. Nous ne sommes pas pantin, mais cette fois, nous sommes ce que nous devons être : le dragon. Le sang de durcie autour d’os salis. Saillant des pattes larges de la créature. Oh, nous ne sommes pas un dragon gigantesques non. Nous sommes un dragon de sang à taille humaine. Qu’il est étrange de marcher sur quatre pâtes plutôt que sur deux. Et nous poussons le vice. Des ailes de sang coagulé à la membrane déchirée. Pourrons-nous voler ? Et le sang devient alors muscle et les os lui donne sa structure. Je me demande ce qu’il pense de nous…



Alors je le vois, prendre la forme des ombres. Ce n’est pas étonnant venant de lui. Cette expression du monstre qui est en lui, cette expression de ses chaînes qu’il ne veut pas briser. Le dragon face à son ombre répond alors. Un rire étrange. Je ne savais pas que les dragons pouvaient rire. Oh oui, mon très cher Zvezdan, nous allons nous amuser.

« - Je vais rendre hommage à ton enseignement. Mais sauras-tu écouter ce que j’ai à t’apprendre. Pas d’échappatoire ici. Tu ne peux pas me faire taire en frappant fort mon crâne contre un mur. Oh, tu vas essayer, mais ici, disons que notre répondant est égal et que les affres du temps nous laissent jouer sans devoir accélérer ! »

Et nous marchons, moi et le dragon, en quelques pas autour de lui, à la jauger de notre museau. À renifler l’air qui sent le sable et la mort. J’ai hâte qu’il nous attaque, j’ai hâte qu’il frappe, j’ai hâte d’avoir mal !

- Je ne suis pas ici pour apprendre. Je suis ici pour passer le temps au milieu de cette mascarade trop ennuyante. Et tu n'es pas vraiment ici pour une raison différente, hm? Un sourire. Tu retournes dans ta geôle pas longtemps après ça. Savoure l'instant tant qu'il dure.

Tu n'as rien à m'appendre, César.
Ta vérité, elle t'appartient à toi et toi seul. Moi, j'ai forgé la mienne avec d'autres armes... Mais on est là tous les deux maintenant, hein ? Chemins différents, même finalité. Au finir de toute cette merde, on est dans la même arène, l'un face à l'autre, et ton dragon va affronter mon ombre. Un jeu de sang, de douleur, de macabre, pour le plus grand plaisir interdit d'une foule qui ne sait pas trop si elle doit être excitée ou apeurée.

Profite simplement du Spectacle, Camelot. Arès t'offre les jeux du Colisée de bonne grâce, pour aujourd'hui.

Le bras tendu, supporté par mon depuis ma position assise sur la rambarde, je lance une pichenette dans l'air, dans la direction de l'espèce de dragon de chair. Et bien assez tôt, le pantin de brume réagit : d'immobile et amorphe, il passe à vif et effrenné, une charge frontale à la vitesse de l'éclair, droit devant la créature. Une vélocité telle que le sol se dérobe en débris sous le point d'impact de cette accélération soudaine, la forme humanoïde file la distance qui la sépare de sa cible comme un missile, une traînée de fumée rouge sombre dans son sillage. Au final, tout ne dure qu'une fraction de secondes. Une fraction de secondes, et elle est dans la garde du dragon. Une fraction de secondes, et sa forme se désolidarise, se confond dans la brume qui devient plus opaque et englouti le grand reptile, le traverse. La brume brûle, douloureuse, insupportable, elle s'amasse autour de l'animal et semble comme chercher à l'investir, l'envahir. Dans sa bouche, ses naseaux, sous sa chair à nue et sous ses griffes, la fumée volcanique s'infiltre et fait son œuvre de destruction. Juste une poignée de secondes, à envahir le monstre, et la forme d'ombres se re-matérialise dans son dos, une dizaine de mètres plus loin. Le Dragon a peut-être encaissé, s'est peut-être dérobé... Mais s'il ne l'a pas fait, alors il sentira la brûlure. L'infection, sous sa peau, la chaleur, dans sa carcasse, qui brûle de l'intérieur. Il pourra aussi sentir les petites formes d'ombre sur sa silhouette, qui grignotent sa chair, voraces.

Il pourra sentir sa douleur. Comme il le voulait.
Je te donnerai ce que tu veux auujourd'hui, César. Sois en assuré. Moi ? Moi, je n'en demande pas beaucoup. Trompe l'ennui, et montre-moi que je n'ai pas totalement gaspillé ces années à te former. Montre-moi que j'ai gagné au moins un petit quelque chose, à ne pas te tuer sur le champ.

Montre-moi ce que tu vaux.
Une nuisance, certes, mais une nuisance utile... Mais assez utile ?

Même sous cette forme il est puissant. Oh, j’aurais été étonné qu’il ne soit pas aussi bon que moi pour la maîtrise de cet objet. Il veut imposer son rythme, dicter ses conditions. Bien. Je suis celui qui reçoit plus que celui qui ne donne. Alors nous le laissons venir, nous le laissons frapper. Qu’il s’amuse dans l’ombre et le sang. Nous laissons la brume passer, nous l’inspirons à plein poumon et nous savourons doucement sa violence ronger nos entrailles. Si seulement il pouvait faire ça pour de vrai. Cette douleur, bien que jouissive, ne vaut pas le fait d’être battu à mort et laisser sur une pile de cadavre ou de voir exploser mon crâne sur une table. Mais nous c’est là ma seule chance de ne pas seulement recevoir mais aussi de partager ! Alors notre sang et notre chair se mettent à bouillir. À la base de notre cou, une nouvelle tête semble naître, déchirant les chairs et surtout la peau qui se forme. Doucement, elle prend naissance et suit le mouvement de l’ombre, se tournant dans une autre direction.

Et de nos nouveau yeux, de notre nouveau nez, coule le sang qui tombe à grosse goûte sur le sol. Le sang prend vie alors et s’anime. Monstre contre monstre, poison contre poison, folie contre folie. Mes bêtes de sang vont alors dévorer les bêtes d’ombres qui semblent vouloir me ronger les chairs. Elles chassent ce qui reste de brume. Mais le vice est déjà là et je sens couver, près à répondre à mon appel. Alors, je ne le fais pas attendre longtemps. D’un large mouvement d’aile qui chasse la brume et fait décoller le sable et la poussière, les bêtes de sang qui avaient entre temps perdu leur vie s’animent de nouveau. Leur vie est courte, mais ils ont plusieurs. D’abord, les bêtes prennent des formes étranges et disparates. Petits monstres infâmes dont la vision révulse le coeur des spectateurs. J’entends le dégoût des gardes autour de moi. Et nous rions, le dragon et moi. Pendant que nos premiers enfant fondent sur l’ombre de Zvezdan pour le dévorer. Faire couler son sang et que nous puissions ainsi nous unir dans le sang versé ! L’autre tête du dragon, celle tournée vers son véritable lui ouvre alors sa bouche.

« - Tu sais, Zvezdan. J’ai compris quelque chose là-bas, parmi ces connards à la cervelle atrophiée qui se disent rois. J’ai compris qu’ils n’étaient pas aveugle. On ne les a privés de rien. Ils ne sont juste pas capables de comprendre. Il leur manque le sens que nous possédons tous les deux. Celui qui offre la lumière sur le monde. Alors, pourquoi t’obstines-tu, mon tendre ami, à refuser ce sens ? Ce qu’il t’offre ne te plaît il pas ? »

L’autre tête souffle alors par ses naseaux et une nouvelle gicler de sang à moitié coagulé viens s’écraser sur le sol de l’arène. À peine se sont-ils mollement écrasé sur le sol qu’ils prennent de nouveau vie. Comme leurs frères et sœurs d’avant. Ou plutôt non, fort de leur propre vie à eux. Ils deviennent expression des écailles et des griffes. Parties des crocs et des cornes du dragon. Assortiments d’excroissances tout aussi répugnantes que les précédentes mais plus solide. Et de nouveau, nos enfants fondent alors sur l’ombre qui nous fait face pour déchirer ce qu’il y a à déchirer et surtout, se vautre dans le stupre du carmin. Car bien qu’il ne puisse peut-être pas saigner, le sang appel le sang, toujours. Le sang fait naître le sang. Toujours. Qu’importe sa couleur et qu’importe qu’il coule. Ce qui vit saigne.

Tu as toujours eu la science du macabre.

Un regard neutre, ni impressionné ni choqué, pour observer le spectacle plus bas. La tête qui pousse, les créatures qui naissent, les chairs qui se retournent, les pantins des pantins qui s’entre-dévorent. Grotesque scène sanglante, comme il les aime. Tseh.

J'écoute. J'écoute ses mots, tandis que ses bêtes de sang attaquent l'Ombre. Et un instant, l'ombre se laisse dévorer. Amorphe, immobile, c'est comme si elle était éteinte. Pourtant, les deux points blancs qui lui servent d'yeux ne mentent pas. L'ombre fixe son adversaire. Le solide derrière la forme de brume se craquelle doucement, mais elle ne bouge pas. Ne craint pas. Elle s'illumine un peu plus, au fur et à mesure des secondes qui passent. Le lumineux des yeux et des fissures s'intensifie.

- Celui qui fixe la lumière n'est pas éclairé, il est aveuglé. Et ça fait longtemps que tu ne vois plus, César. As-tu jamais vu, à vrai dire ? J'en doute. Tu vis ta vie derrière les yeux d'un homme qui ne se soucie de rien. Ou qui se persuade qu'il ne se soucie de rien. Rien d'autre que ses petites lubies folles. Tu joues le rôle si bien et depuis si longtemps que tu t'es persuadé.

La lumière s'intensifie, toujours. Comme si l'ombre cachait un fragment de soleil dans son corps brumeux.

- Tu me parles d'un monde qui ne comprend pas, « d'autres » qui ne voient pas. Mais as-tu jamais vu le monde au travers des yeux de quelqu'un qui a quelque chose à perdre? Des mots lancés sans affect. La joue au creux de ma paume, une paresse dans mon attitude, je suis là, perché sur mon rebord de balcon, assis comme un pacha. Et je questionne, simplement. As-tu jamais réellement possédé quelque chose, pour savoir ce que ça fait de le perdre ? Un soi sans valeur, au milieu d'un monde sans valeur. La vie est plus facile dans un monde comme ça, hm?

Et elle est tentante parfois, la solution de facilité. Même si ma solution de facilité à moi, elle serait drastiquement différente de la tienne. Mais je ne m'y résous pas. Pas encore. J'y ai déjà goûté, je l'ai déjà touchée du doigt, plus d'une fois. Abandonner, s'abandonner. Laisser l'humanité derrière soi, comme une espèce de gêne encombrante, et n'écouter que ce murmure qui me siffle les pires vices à l'oreille. N'écoute que les envies du corps, de l'instinct et de l'Ego. Ça, et rien d'autre, absolument rien d'autre. Aucun équilibre, aucun compromis, aucune réserve.
Embrasser l'extrême, et s'y perdre, s'y noyer. Y perdre pied jusqu'à ce que ça devienne plaisant, cette sensation de perte de contrôle. Parce que s'il n'y a rien à contrôler, alors il n'y a rien à ce soucier, hm ?
Tsh. Oui. Oui, j'ai failli m'y perdre définitivement. Mais...

- Mais je n'ai pas cette vie. Continue donc de vivre la vie facile, César. Bien assez tôt, elle te tuera, et tu le sais déjà. Moi, je te survivrais pour continuer d'avoir quelque chose à perdre, à gagner. Et si un jour je sombre, tu ne seras sans doute plus là pour le voir.

En attendant, laisse-moi te donner un peu de cette lumière que tu convoites tant.
L'Ombre n'est plus ombre. Au milieu de la brume, un flash lumineux, de petits bruits de créatures qui se meurent. Partout dans l'arène et jusque dans les gradins, une chaleur étouffante qui émane depuis cette manifestation. Autour de la créature, le sol noirci à vue d'oeil. Une couche de brûlé se propage, les grains de sable deviennent noirs mètre par mètre. Dans l'air, cet espèce de grondement, comme une énergie qui tonne, qui se rassemble.
Puis tout s'arrête.

Et tout explose.
Des centaines d'éclairs rouges s'abattent d'un coup dans l'aire de combat, furieux. Partout, leur lumière s'abat, leur impact marque. Partout, la foudre frappe deux, trois, quatre fois au même endroit. Et au milieu de ce Maelström grondant, une silhouette qui file dans l'air.

La forme de brume, parsemée de cicatrices lumineuses, qui fonce avec une traînée de brume dans son dos, mais aussi avec un flash blanc. En l'espace d'un clignement d'oeil, elle est sur le dragon, sur une de ses têtes, et elle plante ses griffes dans les yeux de la créature. Elle plante, frappe, puis s'y maintient, brûle de sa chaleur jusque dans les chairs, pour finalement glisser. Une ruée sur le côté, pour arriver sur le flanc du dragon, sans sortir ses griffes de la chair malmenée. Elle force sur ses bras pour progresser dans les entrailles du dragon, et laisser une énorme entaille tout le long de ce corps : des yeux de la bête jusqu'à son flanc.

Et elle reste accrochée. Elle ne s'éloignera pas, cette fois. Elle partagera sa chaleur, sa lumière et son ombre.
Elle se consumera, et consumera l'autre dans le processus.

Un choix de mot intéressant. Une façon de prendre le problème presque convenable. Presque juste. Mais comme à chaque fois, il est presque juste. Il lui manque toujours ce petit pas qui l’empêche de vraiment s’accomplir. De vraiment me rejoindre. Ce petit pas qu’il se refuse de faire. Oui. Celui qui regarde la lumière est d’abord aveuglé, mais après, ses yeux sont brûlés et il est libéré de ce fardeau. Alors seulement là, il voit ce qu’il a vraiment à contempler. Ce que ni les ténèbres ni la lumière ne peuvent offrir : le vide. C’est là-dedans que j’ai posé mes yeux. C’est là que je me suis abîmé, dans le vide, dans le rien. Et c’est là que se trouve la vraie liberté, c’est là que se trouve l’accomplissement : dans le vide. Il comprendre un jour, trop tard, mais je pense qu’il comprendra. S’il n’a pas déjà compris et se fait plus bête qu’il n’est. Il est plus facile de cacher une vérité sous un mensonge que de lui faire face. Mais je n’ai pas laissé la lumière brûlé mes yeux moi, c’est là, notre petite différence. Je me les suis crevés moi-même.

Les deux dragons serpentent alors, ils ondulent comme des serpents qui rampent justement, dans le vide. Ils battent la mesure de ses mots, et répondent par un sifflement gutural que nous partageons. J’ai produit moi-même un son étrangement similaire à celui du dragon, je me suis entendu deux fois. Enfin, trois. Car déjà, comme un bouton plein de pus qu’on perce, déjà une nouvelle tête commence à naître sur la base de notre cou, comme pour marquer un nouveau chemin dans notre conversation. Nouveau sifflement et les deux têtes parlent en même temps, écho de nous.

« - J’ai connu ça, il y a longtemps. Mais je m’en suis débarrassé quand j’ai tué ma mère et que j’ai voulu savoir d’où je venais. »

La folie d’un empereur, un comble quand on sait d’où vient mon nom et pourquoi ils me l’ont donné. Et nous nous rejoignons enfin. Cet épisode avec ces idiots crasseux consanguins enculeur de chèvre de Ligure aura eu le mérite de briser ma dernière chaîne. Je l’ai compris quand finalement, il n’y avait plus que moi et le bruit de mes propres pensées. Quand il n’y avait plus rien que la douleur. Ils ont brisé ma dernière chaîne. Je n’ai jamais eu peur de la mort, mais je ne l’avais jamais désiré pour autant. Maintenant… je vais la baiser comme une chienne et lui faire hurler mon nom à cette putain ! Et la nouvelle tête du dragon, qui vient de naître, encore pleine de sang et peau déchirée :

« - Alors tu repenseras à moi. Et tu te diras que j’avais raison. Que je t’avais offert la liberté et alors, tu la savoureras pleinement. »

Alors je le laisse frapper. Nous ne bougeons pas. Nous restons parfaitement immobiles. Seul tremblera notre corps du plaisir qui y naît. Et le gémissement animal des trois têtes du dragon qui raisonnera dans l’arène. Finalement, nous jouissons ensemble d’une différente façon. Tout ça ne fait simplement que couler le sang dans l’arène et du sang naît mon pouvoir, du sang naît ma force. Du carmin naît la vie que je maîtrise et que je forge. Alors répondant à mon appel, d’un mouvement des têtes qui commencent à danser et siffler dans un rythme obscène. Une chanson qu’il reconnaîtra peut-être. J’espère qu’il la comprendra. Les premières notes de la symphonie de guerre. J’espère qu’il y vibrera et j’espère que j’en mourrais bientôt.

Répondant à ma chanson le sang prend la forme de la cuirasse, puis, la forme modèle pour devenir Zvezdan. Ou plutôt, celui qu’il pourrait être. Libre et tout-puissant. Clairvoyant et sage. Ce parangon de l’espoir du sang se dresse et doucement avance vers le pantin. Vers l’ombre d’une ombre, copie d’une copie et ainsi de suite. Il ouvre alors grand ses bras, et donne naissance à son tour. Du sang qui l’a fait naître, continue la vie, continue les monstres. Des goûtes de sang tombent et prennent vie avant même de s’écraser comme des fétus avortés sur le sol. Nos enfants s’avancent alors et de nouveau, cherche à faire ce qu’ils savent faire de mieux : détruire, dévorer, souiller. Le troupeau fond alors sur le pantin, mordant, griffant. Nous allons nous unir. Ton cosmos dans le mien et le mien dans le tien… Peut-être alors que tu arrêteras de te cacher, Zvezdan. Peut-être…

- Je doute que tu aies jamais vraiment connu ça, non.

Une pauvre âme malade dés qu'elle s'est manifestée au monde. C'est tout ce que tu es.
Pas un mot de plus, pas une considération supplémentaire. Rien, si ce n'est mon regard qui se concentre sur le combat en contrebas. Je n'ai pas l'intention de m'éterniser. J'ai assez entendu tes non-sens teinté de vérités, j'ai assez démêlé le vrai du faux, je connais assez ta réthorique du fou. Et ça fait bien longtemps maintenant qu'elle a cessée de m'intéresser.
Bats-toi. Bats-toi et goûte à la mort en avant-première. Bien assez tôt, tu la recontreras pour de vrai.

Creuser la chair, creuser le sang, au travers de tes têtes qui poussent et de tes discours sans queue ni tête, au travers des beuglements de ta créature. Creuser la mort, creuser à coup d'ombres dans ton grotesque Dragon. Finissons-en vite.

Tu peux bien invoquer un Faux-Moi né de ton esprit malade. Tu peux bien t'infiltrer, t'immiscer, tu peux bien retarder la fin... Tu peux bien faire tout ça, oui. Fais-le, tu as ma bénédiction. Tu auras droit à tes quelques minutes de plaisir avant de retrouver le froid ennuyeux de ta cellule. Au jeu des artifices et des copies, tu es un novice, César. Mais je veux bien jouer avec toi, quand même.

Le sang et ses créatures, encore. Ses choses qui attaquent la créature brumeuse, qui craquèle, qui s'ouvre. Un peu plus de lumière, au fur et à mesure des morsures, des assauts. Puis de nouveau, la forme physique du pantin se désolidarise. Elle se confond dans la brume, qui gonfle, plus opaque, plus grande, parsemée de fragments de lumière disséminés dans sa masse. Une espèce de nappe de rouge sombre, parsemée de petits globes lumineux qui dansent... Comme un ciel de nuit d'Apocalypse, qui joue autour de la forme du Dragon. Et les traînées de brûlure reprennent, le cosmos s'infiltre sous la peau et dans les naseaux de la bête. Attaquée à sa surface et dans ses entrailles, dans son essence, c'est comme si elle était grignotée par la nappe de rouge. *

Le Pantin ne cesse de craqueler, oui, ne cesse d'encaisser. Comme auparavant contre ce Saint, arrivé un moment, le Pantin brisera. Mais lorsque le pantin tombera, alors le Dragon aussi. Il tombera dans un puit sans fond qui l'engloutira.

Et pendant qu'il disparaîtra à tout jamais, l'Ombre réapparaîtra.
Bien assez tôt.

Tu peux voir un mélange d’émotion se dessiner sur les têtes du dragon. Nous sommes trois pour le moment et déjà, je peux sentir les chairs se déchirer de nouveau à la base de nos nuques. Une nouvelle tête bientôt à naître. Mais nous montrons un mélange d’amusement, de tristesse et de déception à ta réponse. Voilà ce qui nous sépare vraiment toi et moi, Zvezdan. Juste que tu refuses de mettre les mots dessus. Mais je pense qu’au fond de toi, tu le sais bien. Tu te caches dernières ces liens et ces choses auxquelles tu accordes tant d’importance mais tu sais quelle est la vérité. Tu sais que tout ça ne tient qu’à ton égo. Au fait que tu ne sais pas recevoir un non. Au fait que tu ne supportes pas que quelqu’un puisse vouloir quelque chose d’autre que toi. Tu n’es qu’égo Zvezdan. Tu es égoïste. Tu te caches dernières tout ça pour refuser la vérité de la vacuité. Tu sais le vide et sa libération et tu la refuses, car tu as trop d’égo pour ça. Moi, je n’en ai plus, plus une goûte. Je m’en suis séparé depuis longtemps. C’est une chaîne des plus entravâtes, mais, je te l’accorde, des plus difficiles à briser.

De nouveau la brume et de nouveau, j’en inspire des grandes goulées avec plaisir. Je sens la brûlure de son énergie à l’intérieur. Je sens sa présence dans mes entrailles. Les langues du dragon pendent déjà et une tête nouvelle naît de cette fusion. Elle laisse tomber alors sur le sol une large couche de sang et de peau. Une membrane de peau se déchire, forme de placenta étrange. Cette dernière alors commence à se tordre sur le sol et à se dévorer elle-même. Voilà un nouvel enfant qui se gorge de ton essence de mon sang. Mais il se dévore et ne s’arrête pas. Les bruits répugnant de son festin arrache des cris de dégoûts au public et doucement, la nouvelle tête du dragon va lécher son petit pour le libérer ou plutôt, pour l’aider à mourir. Car il se mange jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien si ce n’est l’essence de nos cosmos mélangés à travers ce pantin grotesque. Mais notre danse n’est pas terminée.

Déjà, deux de nos nouvelles têtes décident alors de te frapper. De planter leurs crocs dans la chair évanescente de ton pantin. De goûter de nouveau ton sang ombrageux et de l’ajouter aux nôtres. De nous recevoir cette énergie qui est la tienne. Pas de finesse, pas de subtilité. Nous frappons le sable et le sol avec violence. Rajoutant à ton propre nuage, celui du sable chargé de sang et violence. Puis de nouveau, notre cosmos s’anime. Notre énergie s’étend. Et le sang commence à s’animer. Il est légion maintenant dans le sable, à se mélanger et à devenir de la boue. Bientôt nous serons légion encore. Je sens déjà la suite de notre évolution. Notre nouvelle tête à naître. Mais maintenant, des enfants nous attendent et j’entends déjà leur hurlement. Et ils se lèvent alors, de pur carmin, débarrasser de la souillure de l’arène. Nos petits êtres, nos créatures affamés. De formes de plus en plus ignobles. Nous devenons bon à ce jeu. Je me demande comment Velya trouverait tout ça. Je me demande si sa chair goût autant que son sang…

Et nos enfants passent alors à l’assaut. Ils cherchent à leur tour le pantin, pour le saigner et fusionner de nouveau avec son essence. Ces enfants cherchent une partie de celui qui les a faits. Après tout, je suis ici en grande parti grâce à toi Zvezdan. Nous sommes là en parti pour toi. Tu es celui qui nous a formé, celui qui a fait de nous des guerriers aiguisés. Combien dans ton armée pourraient me tuer ? Peu. Toi seulement n’est ce pas ? Tu le sais si bien. Mais je ne garderais pas ma tête sur mes épaules longtemps. C’est dommage. J’aurais aimé goûter leur sang et déchirer leur chair. À qui ? Je ne sais pas bien, à tous. Oui. Leur montrer alors notre amour et ensemble, créer de nouveaux enfants.

Le rythme finit par devenir assez prévisible.
Attaquer, encaisser, mais faire plus mal. Les crocs, les griffes ,les ombres et le sang, les pantins de pantins, les créatures d'ombre ou de rouge, la confrontation entre les deux. Le dragon qui respire la fumée brûlante, puis crache son sang, encore et encore, sans s'arrêter, comme une toux mortelle, comme une infection. Il offre son joli petit spectacle macabre à la foule mi-horrifiée mi-fascinée par le combat sous leurs yeux. Ils voulaient du spectacles ? Soit, prenez. Prenez votre divertissement. Mais n'oubliez pas que vous assistez à un combat entre deux Berserkers.
Si vous vous attendiez à l'honneur chevaleresque des Ligures, vous allez être déçus.

Non, pas de ça, ni de grande finesse non plus, en fait. Juste de la chair déchirée, attaquée, de l'ombre grignotée, craquelée, fissurée de part et d'autres pour dévoiler toujours un peu plus de son cœur lumineux. Comme une énergie surpuissante : plus la créature souffre, plus ce cœur de puissance brille. Alors les deux têtes mordent et s'accroche, oui. Mais quand les pantins de sang approchent, le nuage s'intensifie. La brume volcanique gagne en puissance, en envergure, si fort et si vite que ça suffit à balayer les petites choses par la seule force de cette brûlure soudaine. L'énergie concentrée, le corps meurtri, mais meutrier, la créature d'ombre est prête à de nouveau relâcher son explosion... Et c'est ce qui arrive.

Les éclairs tombent dans l'arène, s'abattent sur le sol et la carcasse du dragon. Et tandis qu'ils tombent, le pantin gesticule, pris entre les gueules de la créature. Juste un instant, sa forme devient totalement brumeuse, totalement intangible, pour se soustraire à la force de leur mâchoire. Puis, quand l'ombre se reforme, l'un de ses bras a la forme d'une lame. Une grande lame qui prend toute la taille du bras, tranchante. Rouge sombre, parsemée des fissures de lumière, elle semble pulser d'un Cosmos particulier... Mais le pantin ne laissera jamais la chance ou l'occasion de s'y attarder.

Une fois libéré, le pantin se rematérialise au-dessus des têtes qui l'ont meurtri, prés de la base de leur cou. Un large, ample coup de taille pour trancher, qui vise la nuque. Une puissance certaine dans l'assaut, la poussière se soulève dans le sillage du coup, un vent souffle pour accompagner sa force. Précis, il vise pour décapiter.

Il n'aura pas toutes les têtes. Mais j'espère qu'il en aura quand même une ou deux.

Nous rions, nous jouissons, nous mourrons. Ses éclairs frappent notre corps et ne font que déchirer les chairs de notre corps partagé. J’en tremble, tant de sensation nouvelle à ressentir. Nous sommes quatre après tout dans cette aventure. Il y a moi, César, qui attend simplement l’heure de sa mort et ne fait que tuer le temps. Une mort qui viendra bientôt. Une froide vérité qui m’a embrassé et que j’ai acceptée. Une vérité qui m’a fatalement accordé la liberté absolue que j’ai toujours cherchée. Elle était là, ma dernière chaîne, la peur de la mort. La volonté de rester en vie pour justement, profiter de cette liberté. Mais je l’ai trouvé. J’ai compris. Pour la prendre, la posséder comme un putain, il faut s’y abandonner tout entier. Il faut payer le prix du talent et de la propreté. Le prix du sang, en somme. Le prix de la vie. Alors il ne me reste qu’à attendre que ma tête roule. Que ça soit de la main du deuxième ou de ces enculés de Ligure. J’aimerai mieux que ça soit lui, mais ça n’a plus vraiment d’importance.

Il se débat, lui, ce deuxième acteur de cette extase douloureuse. Alors je me laisse emporter par sa musique et ses mouvements. Je laisse ses goûts s’écraser sur mon corps et la lame étrange de son pantin déchiré la nuque de notre troisième amour. Le dragon à sept têtes qui couvre mon corps et dont les plaques de métal vivant bougent sous ma peau. Il aime cette liberté. Il aime montrer à la voix de son maître ce qu’il est devenu, ce que nous avons accompli et ce qu’il nous reste à accomplir. Il ne se plaît que dans la peau déchiré et le sang volé sanas consentement. Il se plaît dans l’infâme et moi, je m’y confonds. Et, il reste le dernier acteur : le sang. C’est maintenant son tour. À mesure que la tête tranchée s’écrase sur le sol, un sourire mauvais déchirant la gueule brisée du dragon. Déjà, le sang qui jaillit de la blessure prend vie.

D’une façon, peut-être encore plus immonde que nos enfants plus tôt. Le sang devient solide, comme un organisme vivant, une amibe de carmin. Et ce dernier commence alors son grand rassemblement. Tout le sang présent dans l’arène commence à s’élever, réponse à notre cosmos qui explose. D’abord, c’est la tête tranchée qui retrouve sa place, pendant que perce alors la cinquième qui se joint à la danse des autres têtes. Chacune suivant un rythme précis. Guerre, mort, pestilence et famine tout d’abord. Puis celle à naître commence à suivre le rythme du dragon, son rythme. Celui de la peau déchiré. Une partie du sang nous retourne et commence la chanson au rythme des bruits gutturaux du dragon. Et de cette nouvelle chose vivante, des enfants naissent de nouveau pour aller infecter le pantin de ses miasmes. Mais ce n’est pas là le but final de cette chanson. Oh non. Et tous pourront la vivre et l’entendre, en particulier toi. Je ne sais pas vraiment l’effet que ça aura sur les autres, sur le public. Après tout, c’est la première fois que je me sers de ça. Il fallait que ça soit contre lui après tout.

Alors, de son corps, sera craché une quantité énorme de sang. Une quantité de sang qui tuerait à n’en pas douter un mortel normal ou la vermine incapable de se défendre. Alors, que dire des spectateurs ? Je ne sais pas. Je m’en tape. J’espère que les Ligures ne sont pas aussi con qu’ils en ont l’air c’est tout. Car déjà mon esprit s’abîme et je perds le fils de mes pensées. Ne restent que les chansons à naître. Déjà, je sens la prochaine venir et celle à naître. Une chanson que je n’ai pas entendu depuis longtemps, mais une chanson qui fait sens, bientôt viendra la chanson de l’araignée et commencera alors la véritable chanson quand viendra la septième. Le sang s’anime alors, créature abjecte et doucement, rampe vers son maître. Avec affection et amour, elle commence à m’absorber, m’engloutir, m’avaler. Ensemble, nous allons renaître de nouveau. Et continuer notre chanson. Continuer d’attendre de voir ma tête rouler sur le sol, que je puisse enfin profiter de l’insaisissable liberté…

Tseh. Évidemment qu'il fallait que tu finisses sur une explosion sanguine.

Je ne suis pas surpris. Je ne suis pas plus surpris de voir les plaies qui se referment, les têtes qui repoussent. Tu n'as pas réellement exploré de nouvelles pistes avec ce pantin, hm ? Ce n'est qu'un corps pour que tu puisses t'exprimer au travers, un simulacre de cette Cuirasse que tu portes sur les épaules. Ce n'est qu'un Toi caché sous les traits d'un Dragon difforme. Alors fatalement, je ne suis pas surpris, non. J'ai vite compris, en regardant tes autres combats. Je savais où est-ce que l'on se dirigeait, dans ce combat-ci.

Tu pourrais être précieux, si tu n'étais pas si César.
Ta force pourrait te payer une place tellement plus haute, si ton esprit n'était pas malade. Tu pourrais mener, mais mener ne t'intéresse pas. Tu pourrais jouer le jeu des guerres et servir tes propres intérêts et ambitions, depuis une place de Cardinal. Mais tes intérêts et ambitions sont celles de l'instinct, de l'immédiat, du sang. Si tu savais mener, tu pourrais être parmi ceux-là. Mais même si tu savais mener... tu es toi. Tu es César.
César qui exécute et subit, qui donne et reçoit. Les blessures, mais pas les ordres. Eux, tu ne les reçoit qu'à moitié, et tu les donnes encore moins.

Du caviar à un cochon surdoué. C'est ce que je t'ai offert, en te formant. Tu as appris vite, tu as appris bien. Mais tu n'as jamais cessé d'être un porc, et tu ne seras jamais rien d'autre. Un porc savant, mais un porc quand même. Et tu sais comment finis le porc à la fin de l'histoire, hm ?
Saigné et roti.

Alors vas-y. Parasite mon pantin, explose dans ton sang, dans cet espèce d'éclat rouge. Le pantin te répondra bien vite... Dés maintenant, en fait.
Parce que les fissures continuent de danser sur la surface de sa forme brumeuse. La lumière sous la silhouette d'ombres brille comme un Soleil. Et peu après que le sang ait frappé, il y a un bruit qui perce les gradins.
Un bris qui perce le pantin.

Comme il l'a fait au combat précédent, le pantin brumeux explose dans une large détonation. Un flash lumineux, fort, puis aussitôt englouti par le néant de la brume sombre rougeâtre qui s'étend dans l'arène. Comme un dome opaque, étouffant, brûlant. Là, à l'intérieur de la chape de brume, l'air carbonise, l'air étouffe, l'air s'infiltre. Tout cherche à s'infiltrer dans la forme du Dragon, pour le cramer de l'intérieur, de l'extérieur, du corps comme de l'esprit.

Là, à l'intérieur, c'est comme un horizon de nuit d'apocalyspe. Des formes qui sortent du néant, des choses qui se matérialisent dans le vide sanglant. Une scène, qui se rejoue, en fait. Dans l'obscur, deux silhouettes humanoïdes, d'abord difficilement distinctes, puis peu à peu reconnaissables. Un Moi d'ombres, penché au-dessus d'un César d'ombre couché au sol, sur le dos. Et comme dans un fragment venu du passé, il y a ces coups. Il y a ces poings qui s'écrasent, cette violence silencieuse, sans aucun bruit dans le silence du nuage. Simplement l'impact étouffé de coups qui portent, de sang qui gicle, de chair déformée, écrasée, d'un visage qui perd de son concret pour devenir une bouillie organique. Tout autour, l'air devient plus que brûlant, il devient irrespirable, lourd, parasite. Il prive le Dragon de sa force, de ces plaies à refermer, de tout.

Consumer.
Consumer et ne rien laisser, ne rien donner, si ce n'est cette douleur.
Et tout te prendre. Même cette espèce de bénédiction que tu arrives à soutirer de la douleur. Aujourd'hui, ici, tu ne renaîtra pas dans le sang, par le sang.

Aujourd'hui, le sang ne sera que ça. Chaud, amer, âpre. Sans ses bienfaits, sans le reste.
Là, dans le noir, il n'existe que la brûlure, la douleur, les images et le néant.

As-tu une autre tête à ton arc, César ?

Bien sûr, le cocon de sang se fissure, je ne pensais pas qu’il allait me laisser aller jusqu’à m’en servir. J’aurais été dessus qu’il ne brise pas cet arcane. Oh, elle a ses faiblesses, et il en fait parti. Mais rare sont ceux capable de comprendre le fonctionnement de cette dernière. Mais j’ai en face de lui l’homme qui m’a appris à utiliser le cosmos après tout. Celui qui a fait de moi le guerrier que je suis devenu. Je serais curieux de savoir ce que tu penses de ça, Zvezdan. Je serais content de t’entendre cracher ton mépris à mon visage, j’en tirerais du plaisir. Beaucoup trop de plaisir. Je me souviens de ces moments que nous avons passés ensemble néanmoins. Ils sont risibles maintenant, quand voit l’un comme l’autre ce que nous sommes devenu. Moi, qui me suis enfoncé sur mon chemin, touchant enfin véritablement des doigts la véritable liberté. Toi, qui t’enfonce encore plus dans tes chaînes alors que tu sais que tu ne seras jamais libre mais toujours esclave de quelque chose. Alors qu’est-ce qu’il vaut mieux ? Être libre ou esclave sans chaîne ? Moi j’ai choisi, et toi aussi, tristement. Tu aurais été le plus bel homme libre qui fût. Celui qui a le pouvoir de libérer le monde. Mais tu ne seras rien qu’une poussière que le temps oubliera.

Oh, je ne suis pas mieux, mais j’aspire à l’oublie, il fait parti de la liberté. Alors je te laisse exploser et je laisse ton souffle puissant balayer mon corps. Je sens qu’il est à sa limite et, bien que la mort soit fatalement ma solution à terme, pas question de mourir. Car ici, cette arène est celle du jeu et je dois avouer m’y être pris, à ce jeu du sang et du sable. Nous bougeons dans le nuage, cherchant à nous en échapper. Il ne faudrait pas grand-chose pour que nous mourions et que nous nous écroulons. Le dragon déjà fait pâle figure. Mais je peux sentir son contentement d’avoir montré à la voix de la guerre qu’il existe et qu’il est puissant ! Je le vois rejouer la scène avec ses ombres. Oui, ça aurait été une fin agréable, de voir mon crâne fracassé et brisé sur le sol sombre de cette forêt, les entrailles encore en frac après qu’elles soient sorties de mon ventre. Cette pute aux papillons. Mais il en faut plus pour tuer le roi des cafards et tu le sais, Zvezdan.

Alors, mes têtes arrêtent de danser et se braquent toutes vers mon formateur. Déjà, je sens la douleur monter et m’y perds. Je m’oublie dans cet abîme de souffrance et elle devient si forte et obsédante que je ne ressens plus que ça, plus qu’elle. Ses miasmes qui rongent mon corps, son cosmos qui brûle mon esprit ne sont rien comparé à la douleur avec laquelle je vis et que je n’ai qu’à embrassé pour libérer mon esprit. Qu’est-ce que je risque, après tout, devenir fou ? Alors, une nouvelle tête vient de naître. Six. Celle qui apporte à la symphonie la chanson de l’araignée. Et c’est à mon tour de jouer. C’est à mon tour de lui montrer et déjà, le sang prend forme. Des ombres pour le reste du monde, mais des gens qu’il doit parfaitement reconnaître lui. Il ne peut en être autrement. Et se lève l’abjecte famille de sang à laquelle on a voulu m’adjoindre.

Une petite forme de sang, tant humaine qu’arachnéenne. Peut-être la plus ignoble de mes enfants de sang, mais c’est là l’écho d’Esther. Autre forme sanglante, celle d’un homme informe, qui ne représente pas vraiment quelque chose d’humain mais plutôt une forme fongique, un parasite dont on cherche à se débarrasser. Celui qu’il déteste tant, celui qui sape à sa façon son autorité. Velya, le vieux fou. Lui aussi, a du passer trop de temps à Camelot, parfois, il me fait penser aux Ligures, enfoncées dans ses principes idiots. Et une troisième forme, brisé et grouillante. C’est moi, mais avec quelque chose de différent, que même moi j’ai du mal à identifier. Une chanson nouvelle. Ma propre chanson ? Et nous devisons, nous complotons et nous nous vautrons dans une infâme orgie de sang où les formes s’unissent dans ce vice étrange. Oui, nous sommes les enfants du sang d’un vieux dragon qui se prend pour un dieu, une sinistre équipée. Mais je lui montrerais à lui aussi, par amour, le prix de la liberté !

Alors le sang continue de se mélanger et les formes continuent de se mêler, de fusionner. Pour s’abîmer l’une dans l’autre et finir par se fragmenter. Pour donner naissance encore et toujours à de nouveaux enfants. Mes créatures fondent alors sur son ombre, pour tenter dans un ultime soubresaut de le dévorer pendant que d’autres essaient simplement de lui faire partager notre union et notre souffrance. Vois, Zvezdan, ce que tu as fait de moi. Vois, ce que je suis devenu.

Tseh. Sale petit cafard persistant.
Tu ne sais pas mourir quand il faut, hein ? Tu pourrais tellement te simplifier la vie, pourtant. Mais non. Dans cette arène tout comme là-dehors dans le monde réel, tu persistes. Tu t'accroches à cette vie que tu n'hésite pourtant pas à lancer au charbon. Tu t'acharnes.
Un cafard, oui. Un nuisible qui survit bien plus qu'il ne le devrait.

Et moi je n'ai plus les forces. Plus les forces de continuer, d'encaisser. Je pourrais bien te souffler d'une dernière attaque, mais... Mais le sablier de ce match est déjà bientôt terminé. Alors je te vois attaquer, je vois tes créatures difformes, tes parodies malades. La grande brume de l'arène se concentre : tout est comme siphonné en un point au centre de l'aire, et la forme humanoïde du pantin revient... Brisée. La lumière qui s'échappe d'entre les craquelures de sa silhou

ette est plus faible, vacillante. Crépusculaire, plutôt que solaire.

Il attaque, et la silhouette bouge à peine. Tout au plus, un dernier coup de chauffe pour briller un peu plus, et brûler les créatures pour les repousser un peu. Mais elle ne bouge pas. Ne bouge plus. Barrée de parts et d'autre de ces bris dans la carapace, l'énergie filtre d'entre ces failles, comme un sang volatile, brumeux. Un drôle de sifflement dans l'air. Oh, son Dragon est en bien sale état, lui aussi. Deux pantins au bout de leur essence, finalement. Encore assez de force pour tenir debout, mais sans doute pas assez pour attaquer dans les temps.

Depuis mon perchoir, j'observe. Doucement, un sourire. Puis je m'étire.

Cafard un jour, cafard toujours.

Mais aussi résistante soit cette créature, ce petit truc qui survit à presque tous les aléas d'une nature qui blesse parfois sans le vouloir...
Quand on fait l'effort de se pencher dessus, et d'écraser avec l'intention de tuer, même le cafard ploie.

Simplement une question de temps. De quand, de qui et de comment.

Tu vois, Zvezdan. Quand ton pouvoir n’est pas plus grand que le mien, il n’est pas si facile de me tuer. Oh, tous les deux avons joué sans certaines cartes dans nos manches, toi bien plus que moi, je te l’accorde bien volontiers. Mais tu as pu voir, tu pas ressentir le pouvoir de mon sang et sa valeur. Et tu seras alors le tout premier à l’entendre. J’espère qu’en tant que voix, tu comprendre. J’espère vraiment que tu vas voir ce que je peux faire vraiment, ce que j’ai à t’apporter. Tu le verras, mais tu cracheras dessus. J’espère que c’est ce que tu ferras. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose que je sorte cette chanson qui commence à naître dans ma tête. Chaque artiste à un moment est possédé par son chef d’oeuvre. Par l’oeuvre ultime qu’il veut laisser derrière lui. Par cet ultime Requiem. Cette messe aux morts, mon hyme à la liberté. J’espère Zvezdan, que tu ressentiras ce que je ressens à la venue de la septième tête du dragon.

Je sens que tu as encore la volonté et le courage. Même la force de me tuer. Mais voilà, j’ai survécu plus longtemps. Le temps fatalement, c’est ce qui m’a sauvé dans cette affaire. Je pense que nous avons tous les deux fais des erreurs là-dedans et que tu t’es occupé de mon sang avec trop d’attention. Il t’a fait peur n’est ce pas ? Mais ce n’est pas là l’objet de notre union partagé. Profite de ce moment où la souffrance raisonne dans le fond de ton crâne et où ton sang est le mien ne sont pas une notion si éloigné pour écouter naître la septième tête ! Du dragon qui déjà commence à mourir, naît alors sa dernière entité. Cette tête final, la plus importante car, bien que les autres battent des mesures connus celle-là apporte un tout nouveau rythme. Tu peux le reconnaître, Zvezdan ? Ce rythme ? Non. Mais réagiras-tu à ça ? Voilà qui me rend curieux.

Si tu écoutes, tu pourras entendre, peut être même ressentir ce qui pourrait émaner d’une cuirasse lointaine ou plutôt, d’une cuirasse à venir. Voilà la première pierre de ce que je pourrais faire. Ce séjour chez les fous aura eu du bon au moins. Celui de me permettre de réaliser cette vérité que le Dédale a étouffée. Cet endroit doit mourir pour que la musique puisse briller. Il joue son propre rythme trop fort. Tu vois Zvezdan, ma cuirasse de la douleur. Celle qui je ferais naître de mon sang et sûrement de ma mort. J’espère vraiment que je ne me suis pas trompé sur toi et que tu peux comprendre ma chanson. Mon dragon lui, la comprend. Il ne l’aime pas trop. Il sait qu’il sera remplacé et il à beau avoir dominé la pestilence comme une petite pute et montré à la voix qu’il faut composer avec lui, il sait la place qu’il attend. Le remplacement et le rebut. Mais il existe à travers moi. J’ai fait de celui l’entité capable de dominer les cardinaux.

Mais le jeu est terminé et je me redresse alors, toujours à moitié lié à mon dragon et je te fixe vêtu de ma cuirasse. Je sais que tu vois mon visage, que tu peux ressentir encore. Vois, Zvezdan, voit celui que tu as fait. Le fruit de ton éducation, de ta formation, de tes talents. Après toi, qui plus que moi peut se traquer d’avoir toujours été dans ton ombre et ton influence. Tu n’es peut-être pas si bon professeur que ça au final…

César est qualifié pour la finale du Tournoi !