[Mi-Mars 553] Premières impressions [PV Silas + Libre]

Dans les rues de Camelot, tout proche des Lanternes, une voix douce et ferme s'élevait. Ces quartiers n'étaient pas déserts : une petite populace continuait à déambuler librement dans les allées dallées de ces rues légendaires. Un peu plus à l'écart, Ryme avait trouvé refuge sur un banc, seule. Présente depuis quelques jours entre les murailles de la villes aux Ligures, la jeune femme commençait à prendre ses marques. Il était vrai que son humeur général n'était pas au beau fixe. Depuis son retour de mission, elle avait une sensation de malaise. Comme un décalage subi en ce territoire des plus dépaysants. Toutefois, la présence de ses frères d'armes avaient eu raison de ses premières réticences. Il fallait aller de l'avant. Aller au-delà de ses préjugés.

Et prendre du plaisir...Quand la Sainte le pouvait. Le parchemin et la fleur qu'elle tenait dans sa main montrait que Ryme était à mi-chemin entre une lecture assidue et un nouveau passe-temps improvisé.

"Demander des renseignements à Childéric et se prendre un vent ? C'est fait."

Camelot n'était pas un endroit propice pour y trouver la tranquillité d'un arbre et partager des potins en tout genre. Les murs avaient des oreilles et les Eglises, des Berserkers à moitié nus en leur sein...

"Rencontrer une personne inattendue ? Hm. C'est fait.."

Célestia. Quel étrange ironie du sort, que de voir une vieille connaissance prendre les traits des ennemis traqués de son Sanctuaire...

"Aller parler à Paros ? Haha..." Un silence s'imposa. Le ton de sa voix se fit plus posé. "C'est fait."

Les Tavernes. Enchaînées les unes après les autres. Et on ne lui reprochera pas d'avoir une sacrée gueule de bois la veille du bal...Néanmoins, avec un peu de recul, Ryme ne put s'empêcher de sourire face à cette promesse tombée du ciel. Leur première rencontre en tant qu'apprentis du Sanctuaire n'avait pas été placé sous les meilleures auspices. Leur seconde, en revanche, voyaient là deux Chevaliers échangés leurs déboires de mission.

"Perdre à un tournoi de marionette ? Bah..."

Ses doigts dévalèrent le long de la marguerite dont elle venait d'enlever les pétales. D'ores et déjà inutile, la tige vint se fracasser au sol sans aucune forme de respect. Mollement, son menton vint trouver refuge dans la chaude paume de sa main. Sous son masque marqué par deux crocs carmins, l'on devinait un regard songeur et évasif.

Un état d'esprit bien loin des habitudes de la jeune femme...

Avec surprise, elle vit le Chevalier des Gémeaux s'approcher d'elle. Dans un sursaut, Ryme resongea aux apparitions de Nauplie. A ses révélations mi-chimériques, mi réelles. Plus précisément, sa présence souleva en elle autant de questions que de réponses. L'instant suivant, Tharros apparut dans son esprit et ne la quitta pas d'une semelle. De nouveau, il hantait ses mémoires. Quoique ce fantôme avait pu réveiller, cela lui creva le coeur. Ne lui avait-il pas rappelé, avant de partir en mission, qu'il était lui aussi devenu l'apprenti d'un Chevalier d'Or en particulier ? Troublée, la Sainte voila pourtant cet état sous son masque blême et une fatigue apparente.

Ce Silas ne l'attaquerait pas.

Ou, probablement pas.

Il ne la menacerait pas avec le corps de son meilleur ami.

"Non...Non je n'aurais pas pu parler de toi comme ça, voyons. A vrai dire, je ne savais même pas que t'étais ici alors..."

Avec flegme, Ryme se leva de son dossier improvisé. Elle ne répondit pas au fou rire du Saint des Gémeaux. De toute évidence, l'humeur n'y était pas et ce, depuis leur arrivée dans ce panier à crabes grandeur nature.

A Camelot, la jeune femme ne s'y sentait pas à sa place. Elle détestait, haïssait cette sensation d'inachèvement. Le secret bien caché de sa dernière mission résonnait en elle comme un poids lourd; une page non tournée à bien des égards.

À cela, plusieurs raisons : Ryme n'avait pas pu en parler à son Maître. Elle n'avait pas pu se confier. Son ennui trancha, ponctua, intensifia ses paroles, le tout, relevé avec une pointe d'agacement envers son quotidien en lui-même.

"Je n'ai pas le choix, il faut bien que je trouve de quoi me divertir avant le bal... "

Les bras croisés, sa moue s'amplifia et le plus petit mouvement de son corps traduisit une forme particulière de... Mélancolie ? Elle même n'aurait su dire.

Sortie de son terrain de chasse et du tournoi, son humeur se faisait massacrante. Pas de sac de frappe pour s'évader dans des sensations autrement plus concrètes qu'un ressentiment. Rendre le sourire, chasser les fantômes, les mauvais souvenirs et rapporter sa joie naturelle relevait presque en cet instant d'un exploit surnaturel...

Alors, forcément, avec un tel d'esprit, la question du pauvre vétéran ne put que recevoir un accueil mitigé...

"Mouais. Perplexe c'est le mot. Que me veux-tu ?"

Son laconisme tomba. Chasser le naturel, il revenait au galop.

Sans dire mot ni s'attendre à un consentement décent, Silas entraîna Ryme dans une taverne pour discuter sur sa défaite. Sur autre chose également. Elle en avait le pressentiment. Si cette excursion forcée la rendit temporairement de mauvais poil, la jeune femme n'en dit mot pour autant. Depuis Nauplie, exercer un minimum de contrôle sur elle-même et son entourage était un cadeau précieux dont elle prenait désormais goût à chaque seconde de sa vie. Finalement, c'était peut-être à ce genre de réaction, qu'on reconnaissait un débutant.

Confortablement logée dans son siège après avoir salué le maître de ces lieux et admiré les façades en bois de conifères, Ryme s'attarda sur l'hydromel qu'elle venait de commander. Une première en Camelot. Si les tables celtes surmontées de quelques pièces de viande et de pintes remplies à ras-bord étaient désormais un terrain de chasse connu depuis son excursion avec Paros, elle se félicita néanmoins d'en avoir profité jusqu'au bout. Défaite ou pas.

D'ailleurs, son collègue semblait être du même avis...En levant le verre, Ryme suivit l'initiative des Gémeaux, un sourire aux lèvres.

"Santé ! Mais pas pour la défaite. Je m'en voudrais de rester sur cette note..."

Les pintes s'étaient à peine entrechoqués que chacun but au goulot leur liqueur. Un bruit tout droit venu des Enfers la surprit alors qu'elle avait le nez fourré dans son verre. Surprise, une gorgée maladroite vint sceller sa première boisson, quand les toussotements compulsifs ne signaient pas déjà la fin de sa vie...

Par encouragement plus que par geste patriotique, son poing frappa le haut de sa poitrine, dans l'espoir de faire passer la douleur.

"...Je vais rien dire." Sa voix était étranglée. Plus doucement, elle reprit une gorgée afin d'atténuer la sensation douloureuse qui irradiait sa gorge. Mieux. De toute évidence, les questions ne manquaient pas à l'appel. "Tu connais Célestia ?"

Plus les jours s'écoulaient, plus Célestia semblait être une star locale en ces lieux. Tout le monde la connaissait, ou semblait la connaître. Qui eut crû qu'une jeune femme ayant aidé par le passé une simple petite voleuse puisse être une personnalité retenant toute l'attention des anciens ? Par curiosité, Ryme était curieuse de comprendre le point de vue de Silas qui, visiblement, ne la portait en grand ponte.

"Je crois savoir pourquoi elle ne portait pas les Saints dans son coeur, maintenant..."

Son ironie fut palpable de ses mimiques jusqu'à son masque. La petite blonde n'était pourtant pas un être particulièrement belliqueux. La table déliait les langues, mais le sujet suivant balaya sa bonne humeur. D'abord silencieuse, Ryme vit en Silas toute l'inquiétude d'un maître à l'égard de son nouveau protégé.

Tharros.

Ryme savait que l'annonce serait délicate. Ses doigts jouèrent avec ses mèches d'herbe, pour finalement disparaître dans sa crinière un peu lâche.

"On peut dire que tu perds pas de temps pour aller droit au but." Un coup d'oeil sur la droite puis sur la gauche, Ryme déroula le fond de sa pensée quand elle eut la certitude que la quiétude de la taverne ne la mettrait pas dans de beaux draps. "Je n'ai pas encore complété mon rapport, mais je pense que...S'il n'est pas là, tu as déjà un indice de ce qui s'est passé. Il ne reviendra pas. Ou probablement pas."

Ryme avait été témoin de la détresse de l'armure du Petit Lion lorsque le cosmos de Tharros s'était éteint. Elle ne voulait plus y repenser.

"Je sais que tu es devenu son maître. Il me l'avait dit avant de partir. Il en était fier aussi. Je regrette de ne pas avoir su le protéger. J'avais pourtant pris mes précautions avec ma lionne..."

Ses yeux d'émeraude fixèrent le miroir de son alcool, dans l'espoir d'y trouver une source de diversion. Plus qu'en tout autre instant, la Lionne se sentait fautive de ne pas avoir su protéger son rival du Colisée et le ramener à son maître.

Méritait-elle des excuses ? La Lionne en doutait. C'était de sa faute, après tout. Et maintenant, tel un fauve, sa culpabilité rongeait sa patience. Elle attendait le moment propice pour la mordre à pleines dents. Le regard fuyant, Ryme remerciait silencieusement l'anonymat de son masque, sans desserrer ses dents contre ses lèvres. Sans prévenir, la détresse de l'armure du Petit Lion lui revint à l'esprit. Cette mémoire suffit pour attaquer ses esprits.

"Je n'ai pas grand chose de plus à ajouter." Et c'était vrai. Tout tournait autour d'un obscur adversaire dont elle ne savait rien. "En réalité, je pourrais tout aussi bien te dire que j'ai été en mission, et que nous avons été attaqué. J'ai perdu sa trace, et il est tombé."

Ses lèvres scellées, le silence s'installa. Il régna en maître, et aurait pu continuer à prendre possession de leur table. par chance, le tournoi changea les idées de la jeune femme.

"Eh bien, j'ai participé au tournoi et...C'est à peu près tout. J'ai plus combattu que je ne me suis intéressée aux autres adversaires.", souffla-t-elle, claire et sincère dans ses aveux. Silas comprendrait aisément que les autres combats avaient été menés d'une façon similaire, mais similaire. "Toutefois, c'est une stratégie qui s'est appliquée à plus d'un combat, tu sais."

Un sourire aux lèvres, elle omit bien d'avouer que son combat s'était déroulé de la même manière. Tout en se redressant dans sa chaise, Ryme étira paresseusement un bras, puis l'autre. Quand la situation l'empêchait de penser correctement et nouait ses muscles, cette manie parasitait un vague effort pour gagner en confort et en éloquence sur un sujet à débat : Célestia. Célestia et son histoire, Célestia et ses expériences. Célestia, l'omniprésente. Ainsi, le réveil du dieu de la Guerre n'était pas chose inconnue pour la petite blonde...

"Childéric m'a vaguement parlé du réveil d'Arès et de sa mission à Kiev, oui. Mais j'ignorai que Célestia avait été mêlée à ces soucis, autrefois..."

Autrefois. Trois années avaient pris les allures d'une décennie. La question de son frère d'armes l'intrigua et, n'y tenait plus, désireuse de mener au mieux son récit, son menton trouva refuge sur le dos de sa main.

"Je l'ai rencontré avant de devenir Sainte. Avant la guerre, pour faire plus simple. J'avais faim et elle m'avait aidé à trouver à manger." Quand elle était enfant. Quand Célestia se souciait de l'avenir de son propre foyer. A l'époque où il lui semblait si facile de classer les personnes dans une catégorie plutôt que l'autre, ce dont reprochait visiblement le Chevalier des Gémeaux à l'Oracle. Le temps passait si vite. Comme interpellée par les anecdotes à peine délivrées sur la jeune femme, ses yeux scrutaient le fond de son verre, cherchaient désespérément un semblant de vérité. "Et pourtant, il n'est pas donné à tout le monde de revenir d'entre les morts...Ca fait quel effet de mourir, à ton avis ?"

Tharros n'avait pas quitté son esprit. Il ne le quittait même jamais.

La taverne ne se préoccupait pas de leur funeste conversation : les troubles-fêtes continuaient à pépier en sein, leurs mots ne faisant plus que rebondir entre les planches en bois qui constituaient les murs de la bâtisse. Et sur leur table, Ryme songeait encore à Tharros. A la mort aussi, tout aussi dérangeant que soit la thématique. La perte d'un frère d'armes hantait ses rêves, parasitait ses journées. Elle n'était pas certaine d'être de bonne compagnie, et espérait sincèrement ne pas gêner le Chevalier des Gémeaux.

"Je m'excuse, cette conversation n'est peut-être pas de très bonne augure. J'ignorai pour ton frère, et pour la douleur que tu as pu éprouver." Et pourtant, Ryme aurait voulu porter un message positif... "Il faudrait que tu me racontes un jour. Je veux dire, à propos des chevaliers du passé, et peut-être même de cette Sunilda."

Quant à Célestia, la réflexion de son camarade lui tira un sourire aux lèvres et un roulement d'yeux. L'indifférence que lui portait Silas marquait-il le retour à l'ordre des choses, quant à la fameuse rivalité qui marquait les relations Saints-Oracles ?

Se faisant, Ryme se redressa dans sa chaise, et porta un regard plus ouvert.

"Je ne suis pas préoccupée par nos ennemis, mais bien plus par les nôtres. Je suis inquiète, à l'idée de ne pas être suffisamment forte pour protéger les nôtres ou ceux dont nous avons la garde. Plus que jamais..."

Etait-ce ce que Childéric avait déjà pu vivre, auparavant ? La Sainte était persuadée que ces soucis et ces doutes étaient intemporels, et que la génération d'auparavant ressentait, tout comme elle, les mêmes conflits internes, avec la même intensité.

Des soucis. Durant le bal, on lui avait dit qu'un prince portait le même nom, non loin de la Bretagne. Pryderi ? C'était bien ce nom.

Quelle ironie, que celle d'y songer en observant le carmin de son verre et la timide surface de sa liqueur.

Ô oui. Qu'il était simple, d'éprouver du souci désormais...

Ryme releva les yeux pour mieux observer le vétéran. Plus expérimenté qu'elle ne l'était, les pertes avaient illustré ses guerres et ses combats à n'en pas douter. Ces morts ne les quitteraient probablement jamais. C'est dans son verre et la surface de son vin qu'il lui semble voir un semblant de vérité.

"Je sais, je dois tenir bon. Etre forte. C'est ce qu'on attend de nous, depuis toujours."

Ce devoir, il le rappelait fort bien. Le Sanctuaire était devenue une experte dans la promotion du code du bon chevaliers, paré de valeurs toute plus différente les unes que les autres. Le Saint devait devenir cet être que l'on prêtait à l'imaginaire: immaculée et inébranlable, passant du Achille héroïque jusqu'au valeureux Héraclès. Trop souvent, on oubliait qu'il y avait derrière cette image un homme affaibli par la vie et marqué par un trop grand nombre de blessures.

Silas, pourtant, n'avait pas l'air d'être de ces hommes à double revers.
Ou peut-être se trompait-elle?
Tout devenait si confus, que même un ami proche aurait pu devenir un grand inconnu pour la Lionne d'Or.

"Tu sais, je crois que ce dont j'ai le plus peur, c'est qu'on m'en veuille de ne pas avoir su le protéger." Son emprise se raffermit sur son verre sitôt qu'elle y songea davantage. "Ca vaut pour toi. Ca vaut aussi pour Paros..."

Après tout, n'avait-il pas formé un trio ?
N'avait-il pas sué sang et eau pour obtenir leur armure ?

Il y avait des expériences comme celle-ci qui jalonnaient sa vie d'une marque indélébile. Peinée, la jeune femme termina son verre cul-sec et le fit claquer contre le bois de la table. Elle ne se sentait pas prête de lui parler de Childéric et de ses mensonges. Et, comme pour annoncer son ultime aveu, sa tête dodelina, chassa sa réponse et présenta un sourire navré à Silas.

"Je dis de la merde. Excuse-moi...je pense avoir besoin d'être un peu seule, encore."

Se levant, Ryme étira très légèrement ses bras engourdies, recomposa sa silhouette et la cape noire qu'elle portait sur son dos, non sans laisser quelques pièces derrière elle. Prestement, la Sainte quitta la taverne.