[Mars 553] Une rencontre difficile (Rowena & Célestia)

La rencontre avait été sombre. La pluie tombait dehors, porteuse d'un souvenir qu'on aimerait déjà oublier. Python quittait cette auberge en se disant que les choses étaient déjà plus simples, et, surtout, personne n'était mort. Les deux ombres arpentaient les ruelles depuis quelques instants, dans le silence. Soudain, alors qu'ils étaient assez loin, l'homme se tourna vers Céléstia.

Une certaine tristesse émanait de lui. S'adossant alors au mur, il vit un rat passé par là afin de fuir cette présence étrangère que les deux Oracles représentaient.

Voilà une chose de terminée... Sache que tout cela était nécessaire... La vie de tous en dépendait.... Même si je n'aurai pas fait les choses de la même manière que toi, tu as crevé un abcès d'une certaine façon. Maintenant, nous allons devoir assumer notre propre poids de tourment. Se tournant vers l'Eminence. Son cosmos se répandit un peu dans l'air, comme une peinture, et le geas se leva. Il était clair que cela ne devait plus rester.

Je te libère du geas... Te punir devant Zvezdan était une nécessité, mais, je ne crois pas que tu aies fait une faute suffisante pour te punir ainsi.

Célestia risquait de ne pas comprendre certains aspects de son comportement. Python voulait clarifier son sentiment sur ce point.

Tu es une artiste, la tragédie est l'un des arts que l'on pratique le mieux et nous nous devons de démontrer nos talents, quand le besoin s'en fait sentir. Même contre nous même.... J'estime que nous vivons dans une pièce de théâtre ou tout n'est qu'artifice, la vie, la mort, la haine, l'amour... Tout cela n'est qu'artifice permettant de peindre la fresque de l'histoire. J'espère que tu as compris ce que nous venons de peindre ce soir ?

Et qu'avions nous peint ? Python n'y répondait pas lui même. D'une certaine manière, cette algarade avait rapproché les Berserkers et les Oracles, comme au bon vieux temps. Cette fois, ces derniers seraient dans l'ombre mais n'était ce pas la place qu'il préférait après tout ? L'Augure voulait continuer son chemin, avancer sans regarder en arrière.

Alors que la pluie tombait sur eux, couvrant leurs angoisses et leurs larmes...

Maintenant, il va falloir que je vois des choses avec Rowena... Avec toi, elle est la plus expérimentée de la Tour. Je ne peux t'envoyer là bas, je ne veux plus que tu revois Zvezdan de près ou de loin. Vos relations sont ce qu'elles sont. J'aimerai tes conseils en la matière ? J'aimerai aussi savoir ton sentiment sur tout ceci ! Crève cet abcès... Si j'aime les faux semblants, elle ne doit pas exister entre nous.

La pluie tomba encore plus, comme si elle couvrait les voix venant de cette ruelle. Les dieux voulaient certainement que les deux Oracles devisent et échangent en paix sur leur futur. Quelques instants de tranquillité...

Alors que le fiel dansait au rythme d'un printemps salvateur, les bras de Python entourèrent la jeune femme avec tendresse. Il la laissait pleurer en son sein, il laissait sa chaleur l'entourer et lui donner le peu de force qu'il lui restait. Le clair obscur les entourait et la pluie ne comptait pas s'arrêter en si bon chemin.

Je vous déteste

Ces mots avaient été une flèche dans son âme. Il avait agi pour le bien en faisant le pire des maux à celle qu'il devait protéger. Alors qu'elle était entre ses bras, ses lèvres se libérèrent.

Les fées ont beau nous tourner le dos, ne t'inquiète pas, personne n'est condamné. Continue à être cet ange qui protège le coeur des hommes, qui dessinent l'espoir d'un demain meilleur... C'est la raison de l'existence de nous avons sur cette terre.

La pluie fut la suite des paroles. Les souvenirs encore sombres assassinaient l'âme de l'Augure. Trop de bruits, trop de maux, trop de silences... La douleur était une chose digne des plus grandes scènes, elle devait accepter son rôle dans ce monde. Un jour, rêveuse, un soir, victime, le lendemain dans le rire, la veille dans la mort. Alors que ce moment ne semblait pas avoir de fin, il termina son propos avec un simple mot.

Pardon.

En vouloir à la terre entière était une chose normale, surtout au vu de ce qu'elle avait connu. Cependant, elle était une Oracle. Elle devait s'élever devant les gens afin d'être ce pont entre le ciel et la terre. Elle devait retrouver cette force que les Oracles offraient au monde par leurs spectacles et leurs arts. Ils étaient leurs propres ennemis, leurs propres faiblesse, mais elle devait arrêter d'en vouloir au monde des turpitudes des guerres qui les enlaçaient tous et toutes.

Son étreinte se libéra.

Il recula de quelques pas et se tourna. Ils devaient y aller si quelqu'un passait ici, ce serait dangereux. Les Berserkers étaient qu'à quelques rues d'ici après tout. Il laissait célestia vider son âme de ses tourments, c'était ce pas qui lui permettrait de retrouver sa lumière et cela était son rôle comme Augure.

Vendre Adalrik.

A ces mots, le jeune homme interrompit sa marche sous la pluie, afin de se retourner vers la source de cette assertion. Non pas qu'elle avait tort au premier abord mais elle faisait totalement fausse route sur deux points. Réfléchissant un moment, il prit la parole après s'être remis les cheveux en arrière. Cette satanée pluie tombait de plus en plus fort, le temps breton n'était pas fait pour lui très clairement.

Tu fais erreur au sujet d'Adalrik ! Nous avions deux choix, soit ne rien dire et laisser Zvezdan partir en chasse contre lui ou, lui donner quelque chose à manger qui calme ses ardeurs. Ne rien dire valait le laisser face au Pontifex et, vu sa situation, il aurait eu du mal à se défendre tu en conviendras.

Il ne releva pas la suite. Il voulait mettre au point tout cela avant de voir Rowena. Elle faisait erreur en pensant que le monde était blanc ou noir. Et, malheureusement, elle était en train de s'en rendre compte et elle se sentait désarmée. Il comprenait ce sentiment, oh oui qu'il le comprenait. C'était un mal puissant qui ravageait les intestins, une couronne qui alourdissait l'esprit au point d'en devenir fou. Célestia était dans un état similaire, dans un état qu'il avait connu jadis.

Mes actes prouveront que ce qui a été fait aujourd'hui sera pour le bien de tous. Tu verras. Mais, si tu n'avais pas de doute, si tu n'acceptais pas cette part d'ombre, tu ne serais pas digne de ta Chlamyde. Les Eminences sont des êtres à part, leur lumière est celle de la vengeance et de la colère d'Apollon. Garde là en toi, puissamment. Même si j'en suis victime, elle doit te donner la force qui te permettra de punir ceux qui ont offensé Apollon.

Quand à mes actes, je les prouverai.

Il reprit alors son chemin et arriva devant l'auberge. Il entra et salua l'aubergiste. La pluie dégoulinant sur sa tunique, il était dans un sale état. Il s'approcha de la cheminée afin de se réchauffer un peu, déposant son manteau. Il sentait qu'il avait fait la bonne chose, il savait qu'il serait un astre incompris pour le moment. Les planètes tourneront un jour autour de lui mais, pour l'instant, il n'était qu'une comète traversant brutalement la vie bien délicate des enfants d'Apollon.

Aubergiste, dame Rowena est elle là ?

D'un signe de la tête, ce dernier montra l'étage du dessus. Il fit signe à quelques gardes de la Tour venus avec lui et Diogène d'aller la chercher. Le temps d'une autre discussion, tout aussi difficile, allait commencer.

Soupirant, il se disait que la politique était décidément un cadeau empoisonné...

Le soir n’était pas encore venu, mais le ciel était sombre. Sombre de nuages gorgés de pluie, et les éclairs ne tarderaient pas à venir s’abattre dans un orage, noyant Camelot sous son eau. Un spectacle que le Cygne observait depuis la chambre de son auberge, sans but précis en tête ces jours-ci. Elle avait revu un certain Berserker à l’occasion, mais ses pensées demeuraient tournées vers l’Augure nouvellement arrivé, et ce qu’il allait advenir par la suite. Sans doute devrait-elle retourner à la Tour, ou tout du moins voir cette nouvelle pour la première fois. D’une certaine façon, la pensée lui tordait un peu le cœur, comme l’idée de revenir dans une cage qu’elle avait enfin réussi à quitter. Si le sang, les larmes et les vies de tous ceux qui avaient péri dans la guerre restaient d’une tristesse lourde à son cœur, la chute de l’ancienne Tour avait néanmoins brisée une part de ses chaines, et elle craignait qu’en y retournant, elle retrouverait celle-ci. Cette part d’elle, associée à la force et l’énergie du Cygne lui faisait aspirer à plus de liberté. Au ciel immense comme terrain de jeu et une terre à découvrir, voir de nouvelles choses. Et en profiter également pour trouver les nouvelles recrues à leur ordre, dénicher les artistes qui sauraient inspirer les muses… Se faire messagère d’une parole de lumière, plutôt que revenir à l’ombre de la Tour.

Mais la pensée sombre ne pouvait rester, et elle se fustigea quelque peu de voir l’avenir sous un angle aussi peu flatteur. L’arrivée de Python était certainement annonciateur de grands changements, bienvenus pour faire bouger les choses redonner un peu plus vie à leur ordre. C’est ainsi tout du moins que Rowena l’espérait et laissait ses songes se promener, lorsque quelqu’un vint taper à la porte de sa chambre. Elle en fut quelque peu surprise mais se leva pour accueillir le visiteur qu’elle ne reconnue pas, lorsqu’elle ouvrit la porte.

« Socrate voudrait vous parler en bas, dame Rowena.
-Oh bien merci, je descends. »

Elle laissa à elle ses pensées et passa devant le garde avec un petit sourire avant de refermer la porte derrière elle et descendre vers la pièce principale de l’auberge. Elle ne s’attendait justement pas à une visite de l’Augure, mais il n’y avait pas de hasard à cette rencontre. Elle le repéra rapidement, ainsi que la crinière dorée de Célestia un peu à côté du foyer. Elle semblait tournée vers le feu, les cheveux dégoulinants, tout comme Python d’ailleurs. Elle adressa à ce dernier un léger sourire, doux, en voyant cette malheureuse apparence.

« Socrate, Célestia, c’est bon de vous voir. A quoi dois-je votre visite ? »

Il y avait sans doute une raison à ce que les deux se présentent à elle ainsi. Quelque chose dans l’attitude un peu sombre de Célestia l’intriguait, un quelque chose de froid qui lui remontait dans le dos, un frisson.

La question ne s'est pas posée...

Le ton fut ferme. Python ne souhaitait pas répondre à des questions sur des "peut-être", cela ne faisait jamais avancer un débat de toute façon. Personne ne saurait comme l'Augure aurait réagi selon une autre situation, lui non plus certainement. Alors que Rowena s'installait, un repas se posait sur la table. Comme un soir ordinaire, tout n'était qu'une scène préparée afin de recevoir les deux jeunes femmes sous le meilleur des auspices.

La situation n'est pas facile chere amie. Il prit une lampée de vin avant de reprendre le fil de ses pensées. Dans un sens, Célestia a libéré notre faction d'un poids qui aurait pu nous briser en d'autres circonstances... En effet, j'ai appris que les nôtres connaissaient un secret qui a été la cause de notre propre affliction mais aussi de celle des Berserkers. Il existait un traitre parmi eux, on le savait, on a rien dit. En tant qu'Augure, je prends aussi la charge des fautes du passé, c'est ainsi et je dois avouer que j'aurai aimé commencer sous d'autres horizons. Son verre revenu à ses lèvres, il constatait que le gout était légèrement amer, lié certainement à la situation présente. Le Pontifex Zvezdan a donc demandé des garanties avec un échange d'ambassadeurs. De tous les membres de notre faction, tu es la plus ancienne avec Célestia. Vous êtes nos piliers et je ne peux décemment pas envoyer Célestia... Ses relations avec le Pontifex ne sont pas au mieux. Voilà comment vont les choses... Rowena.... Avec cette mine de circonstance, je souhaite te proposer cette ambassade en notre nom. Tu auras moyen de nous contacter régulièrement ?

Python était bien contrit. Il aurait aimé réunir les siens dans une situation apaisée mais ce n'était pas le cas. Il fallait encore nettoyer les errements de l'ancienne Ere, c'était le prix à payer pour leurs propres erreurs. Dans un profond silence où on entendait plus que le crépitement des flammes dans le brasier incandescent.

En outre, je tiens à vous révéler quelque chose. Les événements de Reims... Il existe quelque chose de plus profond que je tiens à vous apprendre. Mais... Il fit signe à Célestia de se rapprocher afin de pouvoir parler discrètement. Il est indispensable que personne ne sache jamais ce secret, il en va de notre sécurité. Rome n'est plus notre royaume depuis l'action de votre équipe à Reims... Le coeur de notre action va s'éloigner de Rome, je veux que notre influence passée dans l'église retrouve sa Foi. Célestia, tes contacts dans ce domaine seront fort utiles. L'art est une chose, la politique en est une autre. L'église est le socle de tout art en cet Ere, nous devons le dominer ! Je suis ouvert à vos propositions !

Les deux débats étaient lancés.

Il ne faut pas beaucoup plus d’un regard pour deviner que quelque chose de grave est arrivé. Le ton sombre de l’Augure, et ce rassemblement qui se fait autour de la table avec peu de mots dans un premier temps. Si le Cygne garde en grande partie son regard sur Python, elle ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil à son amie, restée en retrait. Bien vite, elle finit par comprendre pourquoi. Les lèvres pincées et l’air grave, son corps se tend à chaque mot qui tombe de la bouche de l’Augure. Tout n’est pas clair, mais elle saisit l’essentiel et son cœur se tord. Une douleur sourde qu’elle rattrape et musèle de toutes ses forces. Elle tue ses pensées, car elles font trop mal et elle ne veut pas encore y penser trop clairement. Un luxe qu’elle ne garde pas longtemps, quand Célestia vient enfin se joindre à la conversation. Sa chère amie, la gorge marquée de rougeurs qui tournent vers un bleu sombre. Une couleur intense qui ne laisse guère place au doute quant à leur origine. Mais elle espère, Rowena, que ce n’est pas ce que ses pensées premières pourraient croire. Elle ne veut pas ça. Elle refuse.

A nouveau, on ne lui permet pas d’en douter.

Car Célestia raconte. Elle raconte toute l’histoire, de son origine, des décisions prises et des mensonges gardés, des épreuves subies par son amie et l’entièreté de cet entretien avec le Pontifex. Avec Zvezdan. Elle remercie sa nature plus solide et discrète qui lui permettent de masquer l’émotion à cela, mais les couleurs quittent un peu son visage face à cette conclusion : Ambassadrice chez les Berserkers ? Elle ? La perspective aurait pu être si plaisante en d’autres circonstances, mais il n’en est rien. C’est un choix imposé aux siens. C’est une affaire politique risquée. C’est la conséquence d’un mensonge et d’une ultime chance donnée aux siens, malgré toute l’humiliation. Comment pourrait-elle mener à bien cette mission, après ce qu’elle a connu avec Zvezdan ? Un temps, elle ne répond à ses deux compagnons qu’avec un silence tendu, les yeux presque clos à s’empêtrer dans ses pensées. Puis finalement un soufflement de nez, une respiration pour répondre :

« Je vois. Je comprends et je ferais ce qu’il faut pour mener à bien cette ambassade. Je possède en effet un moyen de vous contacter rapidement. » C’est une réponse courte, un peu froide pour le Cygne pourtant si doux. Mais ce n’est en rien tourné vers son Augure et son amie. D’ailleurs, elle relève vite les yeux vers elle, tend une main par-dessus la table et touche celle du Héron, froide comme sa peau. « Merci de m’avoir tout dit. Et rassures-toi, je ne t’en veux pas. » Les choses qui sont arrivées autrefois ne peuvent plus être changées. Et malgré la faute de Célestia à l’époque qu’elle reconnaît comme grave - ou plus inconsciente - c'est le désir de silence d’Adalrik qui la laisse la plus perplexe. La grosse erreur est ici, et les choses n’auraient pas eu à se passer ainsi, si le secret avait tout de suite été révélé. Pourquoi ? Pourquoi causer tant de souffrance ? Des questions difficiles à répondre désormais, mais qui n’en laissent pas moins le cœur du Cygne tourmenté.

Et heureusement que nombres d’autres pensées et sentiments sont refoulés au plus profond d’elle-même, en cet instant. Elle a de quoi penser à autre chose pour l’instant.

Prise dans la confidence de l’Augure, elle ne peut s’empêcher pourtant de laisser paraître un brin de surprise à la révélation de celui-ci. La chose est inattendue, assurément. Et un peu incompréhensible et visiblement, elle n’est pas la seule à le penser.

« Et où serait notre nouveau royaume ? » Demande-t-elle plus posément, même si elle a un soupçon de réponse. A dire vrai, c’est peut-être trop évident après ce qu’ils ont fait.

Donner des conseils sur l’Eglise et l’art… là-dessus, Rowena a peu de choses à apporter. Malgré toute sa vie passée à Rome, ou du moins dans la Tour, elle n’a jamais porté beaucoup d’attention à la foi chrétienne. Elle sait que les oracles ont usé autrefois de leur influence pour s’infiltrer dans les réseaux de cette Eglise, mais elle-même, en observatrice lointaine n’avait pas tant porté son intérêt là-dessus. Pas plus que l’art d’ailleurs, même si elle savait l’apprécier. Cette nouvelle génération d’oracle se revendique bien plus artiste qu’elle ne l’était elle-même. Juste un guide, une lumière à travers ses chants entre les deux mondes, mais jamais plus. Elle n’était qu’une oracle de cette ancienne génération. Éloignant ses pensées à nouveau, elle ne fut guère surprise du ton un peu fort de sa sœur d’arme envers l’Augure. Si elle en croyait ce que lui avait dit Célestia plus tôt, il y avait de quoi être en colère. La punition devant le Pontifex n’était qu’une autre humiliation terrible pour le Héron qui n’en était pas à sa première fois. Elle soupira néanmoins un peu, sans arrêter la jeune femme comme elle l’avait fait la première fois face à Python, et se contenta d’apporter son maigre avis à ce sujet :

« Je suppose que la montée toujours plus grandissante de l’Eglise est une occasion pour notre ordre de faire passer nos valeurs et ce pour quoi nous nous battons, sans pour autant dénaturer la Foi qu’il y a pour les croyants. » Amener l’humanité à se transcender vers une forme de perfection. Produire de grandes choses pour permettre à un nouveau cycle de grandir. Et un jour peut-être s’éteindre. Une vision un peu triste aussi parfois, songe-t-elle, mais nécessaire pour ne pas laisser le monde se figer dans une seule et même existence, jusqu’à souffler la moindre parcelle d’individualité et d’imagination. Elle a un regard vers Célestia, un peu comme jaugeant si elle doit dire ce qu’elle pense, trahir sa vision des choses à elle… mais toutes sont-elles, elles ont certainement une vision différente des choses. Aussi elle finit par se tourner vers l’Augure. « Peut-être pouvez-vous entrer en contact avec l’ancien Grand Mécène des arts de la Tour, Marcus. Il réside également à Rome. La basilique. » Même si en aucune façon elle n’approuve ce qui a pu se passer entre Célestia et Python, ce n’est pas à elle de juger.

Je ne remets pas en cause la Foi des croyants... Les mortels ont cru au "sol invictus" en le liant au Christ. Etait ce un manque de Foi ou de déraison ? Non, c'était simplement la volonté d'une force supérieure à celui que les hommes appellent Christ. Prenant une inspiration pour se laisser quelques secondes, il reprit. Rome est Rome. Nous créons des civilisations, les accompagnons et nous la laissons choir. C'est ainsi. Rome n'est donc plus ce qu'elle était. Le futur est à Reims, c'était là la volonté d'Apollon et vous l'avez mené à bien Celestia. Nulle volonté de remettre en cause la croyance des gens. Même ici, nous avons entre nous des divergences sur la nature de notre Foi. C'est une vision intime que nous gardons pour nous, à cause de notre histoire, de notre naissance et aussi de nos blessures...

Il répondit à Celestia en chuchotant lentement, comme si c'était pour lui une évidence. Il avait connu les pires atrocités entre les mains de Narsès. Il savait ce que la Foi pouvait créer.

La Foi peut aussi conduire aux pires des hommes...

Il chuchota encore.

Conscient de ce que l'homme pouvait faire par Foi ou par devoir envers son dieu, il savait qu'il ne fallait pas laisser les hommes croire de trop. Il prit le verre et le porta à ses lèvres, le nectar de raisin dévalait ses lipes afin de satisfaire ses peurs et ses craintes quand à l'avenir. Arès les tenait. Athéna n'avait jamais été aussi puissante et les Marinas enfermés dans leurs propres querelles intérieures. Consumé par le doute, il savait qu'il n'avait pas le droit de le laisser s'installer dans son coeur.

Je te remercie Rowena. En effet, je ne compte pas m'opposer à la croyance des gens, juste que Rome n'est plus. C'est ainsi. Le regard de notre Dieu s'est porté sur ce peuple qu'on appelle les Francs. Il a même béni l'un de leurs rois à ce que j'ai cru comprendre, un certain Clovis. On aurait vu une colombe montée au ciel le jour de son baptême. Il regarda Célestia et Rowena. Vous avez vu une colombe pendant votre affaire à Reims n'est ce pas ?

Il prit acte de la proposition de Rowena au sujet de Marcus. Il ne le connaissait pas trop, juste vu le temps peu de temps avant son départ pour Camelot avec Diogène.

Je le connais mal. Je note quand même au sujet de Marcus.

Il posa son verre sur la table.

La réponse ne la surprend pas réellement. Reims, nouveau bastion de la Tour des Vents des oracles. La nouvelle civilisation qui serait sous la protection ailées des ouailles d’Apollon. Tout prenait sens désormais, du pourquoi de cette mission il y a quelques années, et de quelle façon ce couronnement avait fait renaître une nouvelle Tour pour eux. Comme il en avait toujours été, les choses changeaient, les cycles nés il y a plusieurs siècles prenaient fin, pour donner leur renaissance à de nouveaux. Encore et encore et encore…

Il n’y a cependant pas grand-chose à ajouter à tous ces discours. Les réponses aux autres questions restent floues, et le Cygne à la sensation que les confidences ne sont pas toutes données. Un manque de confiance de la part de Python ? Elle n’en sait pas trop, mais cette intuition ne fait pas desserrer les lèvres de Rowena qui se contente d’observer un peu les échanges, prenant quelques fois la parole avant de retourner dans le silence. Les pensées en elle tourbillonnent, s’inquiètent, se questionnent. Une part d’elle n’est pas mécontente de ne pas avoir à retourner à la Tour immédiatement, de retrouver les murs trop parfaits de ce lieu, quand bien même ont-ils changés. Mais une autre part d’elle frisonne de ce qu’elle a apprit un peu plus tôt, de cette alliance nouée sur des révélations terribles et des coups violents. Elle à la chance de ne pas s’être fait trop d’illusions jusqu’ici. La bulle a éclatée, c’est certain. Mais cela devait forcément arriver.

Sans que les bavardages s’éternisent, l’Augure secret décide de prendre congés des deux Eminences. La tension, certainement pas voulue par le Cygne, avait néanmoins commencée à se faire oppressante entre eux trois. Une amertume visible chez Célestia, et une inquiétude en elle-même qui enveloppe son aura. Quand l’oracle salut de quelques mots agréables Python, elle attend que celui-ci quitte l’auberge pour enfin se tourner vers sa consœur. Elle n’a pas besoin de lui demander pour lire le trouble et la douleur dans ses traits. Elle n’a pas besoin de pousser les questions pour voir sur sa gorge les traces rougies de la violence qu’elle a subi. Et si elle en croit ce que le Héron a dit plus tôt, la violence n’a pas été que physique…

Quelques secondes de silence, et une main délicate qui se glisse sur celle de Célestia. La peau de Rowena n’a jamais été très chaude, mais le geste se veut rassurant néanmoins, et la petite courbe de ses lèvres se lève en un calme sourire, bienveillant.

« Vient avec moi, tu as besoin de te réchauffer et te reposer un peu. »

Sa main ne quitte pas la blonde, elle vient juste serrer ses doigts sur elle, attendant son accord avant de la tirer doucement et la guider vers sa propre chambre dans l’auberge. C’est presque réconfortant, quand Rowena ferme la porte derrière elles, coupant les sons un peu bruyants de la salle en bas. Tout à coup, il n’y a qu’elle d’eux, et le souvenir difficile de ce qu’il vient de se dire en bas. Les chaises près de la table sont libres, mais c’est au bord du lit qu’elles s’assoient. C’est plus doux. Plus intime. Plus rassurant aussi, surtout quand le Cygne voit toute cette tension chez le Héron. Elle ne dit pas grand-chose, pas tout de suite, mais ses yeux ne quittent pas son amie, glissant de son visage à son cou de temps à autre. Puis finalement.

« Comment te sens-tu ? Est-ce que tu as mal ? » Elle s’en veut un peu que sa question soit si évidente. Mais elle veut aider cette amie, dont le regard semblait si sombre à son arrivée un peu plus tôt. Non sans raison, se dit-elle. « Puis-je ? » Une voix douce, une main qui se lève prudemment en direction de cette gorge rougie et abimée. Une attente dans le mouvement, dans un souhait de ne pas dépasser dans l'espace de Célestia si elle ne le veut pas.

Non bien sûr, la vraie blessure n’est pas celle laissée par les marques d’une diplomatie houleuse. La vraie douleur est celle laissée par quelqu’un censé porter la confiance et le soutien, et qui n’avait répondu que par l’humiliation. Un instant, les prunelles de Rowena croisent celles de Célestia, faisant glisser son très léger sourire vers quelque chose de sincèrement désolé. Un regard qui néanmoins comprend.

« Une bien maigre compensation. »

Les mots passent ses lèvres dans un murmure, et le ton ne porte ni amusement ni légèreté. Bien sûr, elle a en mémoire la précédente punition de Célestia, arrivée justement lorsque l’ordre de ne rien dire sur la marque d’Athéna aux Berserkers s'était produite. D’une certaine façon, elle payait chèrement deux fois pour une même chose, pour une même erreur qui aurait d’ores et déjà dû être pardonnée. Mais elle n’en sait que trop bien, le Cygne, que le pardon n’est pas chose facile à obtenir. Elle le sait de première main.

Sans forcer, elle baisse la main après sa question, ne recevant pas encore l’autorisation de sa consœur pour la toucher à cet endroit. Elle la voit, porter les doigts jusqu’aux marques qui rougissent sa peau et marquent son cou gracile. Et une seconde, elle se prend à penser que les choses auraient pu être bien pires, aux vues de la nouvelle apportée et ce qu’elle soupçonne être du caractère du Pontifex. Si la situation avait dû lui être raconté de la bouche d’un autre, elle aurait pu craindre pour la vie de Célestia. Bien sûr, en aucune façon elle n’est ravie de ce qu’elle voit sous les yeux. Respectueusement, elle écoute le Héron, comprenant finalement son désir de porter les signes de son erreur, de laisser le temps en effacer les preuves tout en sachant qu’elles resteraient là, gravées au moins dans la mémoire. Pourtant, la fin de ces mots fait froncer les sourcils du Cygne, une inquiétude piquante dans le fond de ses iris d’azur.

« Les coups de fouets ? » La voix n’est pas forte, elle n’ose pas vraiment insister si ce n’est pas le désir de son amie d’en confier plus, mais elle saisit malgré tout avec douceur la perche tendue. Si elle doit lui échapper dans un mouvement de rétractation, elle la lâcherait. « Je comprends ton désir de porter le poids de tes erreurs, vraiment. Mais ne te blâmes pas trop lourdement pour quelque chose qui t’a été ordonné, et surtout avec la punition que tu as eue alors. » Sa voix retirée par Apollon lui-même pour en avoir justement trop dit. Comme c'est là un jeu cruel du destin de la condamner ici également d’en avoir pas dit assez.

Quand l’autorisation lui est donné de toucher, c’est avec délicatesse et retenue que le Cygne laisse ses doigts parcourir la chair abimée, son contact aussi léger qu’une plume d’oiseau. Elle n’ose pas trop appuyer, de peur de blesser Célestia, et finalement elle se lève pour aller vers la bassine posée sur une commode. Elle prend un tissu qu’elle humidifie dedans, usant d’une légère poussée de cosmos pour simplement refroidir le liquide et revenir vers son amie. Elle a déjà vue ce genre de marque, et même si elle n’est pas médecin, elle sait que cela soulagera un peu la douleur. Avant qu’elle ne revienne à ses côtés, elle intercepte sa question, laquelle la laisse une seconde silencieuse et immobile. Elle n’est pas certaine de savoir pourquoi cette interrogation, et quand elle se retourne vers le Héron pour s’assoir sur le lit, elle l’observe sans trop savoir quoi dire. Elle lâche un soupir, le tissu commençant à frotter avec une extrême douceur la peau de la jeune femme.

« Pourquoi partirais-je sans un… » Et puis, elle y pense, c’est si récent. Esmelia. Lykeios. L’une partie littéralement sans un mot, sans une parole pour ses amies, sans même donner les signes avant-coureurs d’un potentiel départ. Et un autre, tristement disparu sans laisser la moindre trace. « Oh je vois. » Etrangement, l’inquiétude de son amie la fait sourire, très légèrement. Il est vrai maintenant qu’elles vont être séparées, pendant un long moment sans doute. « Je ne partirais pas sans un mot Célestia, je te le promets. » Et comme une pensée qui la traverse, comme une pique qui lui traverse le cœur. « Je ne partirais pas. » Même si elle l’avait voulu… Une sombre réflexion qui fane légèrement son regard, mais ça ne dure pas longtemps. « Je pourrais venir vous voir je pense. Comme je l’ai dit à Python, j’ai les moyens de venir facilement, même si ça ne sera pas vraiment en personne. Et puis, je n’ai aucune raison, si le devoir me rappelle, de rester chez les Berserkers. » N’est-ce pas ? Les derniers mots se veulent sur un ton un peu plus léger mais… A nouveau, bizarrement, la pensée lui fait mal. Elle est plus vaillante, cela dit, à garder un sourire alors qu’elle se concentre sur son amie et son cou meurtrie.

Le sérieux des mots du Héron font lever les yeux du Cygne vers elle, une forme de désolation dans le regard. Comme elle semble ternie, la belle lumière de Célestia, par des pensées si sombres qu’elle semble parfaitement croire en ce qu’elle dit. Créée pour supporter la douleur d’autrui ? Ce serait un destin si cruel et en même temps, Rowena peut comprendre comment quelqu’un pouvait en finir par croire ce genre de chose. Ne le faisait-elle pas elle même avec sa propre destinée et celle de ses filles sacrifiées à son égoïsme ? Pourtant, elle ne veut pas laisser sa jeune amie penser une telle chose d’elle même, elle ne veut pas que ses propres songes ne soient plus formés de cette douce lueur d’espoir. Et puis, c’était peut-être un peu présomptueux de la part de l’Eté de penser être la seule à souffrir, mais cela, l’Automne n’en fit mot, alors que sa main délicate venait saisir celle de sa consoeur.

« Ce serait bien cruel tu ne crois pas ? Et quand bien même, tu peux décider de mener cette vie qui est la tienne comme tu l’entends, ne la limite pas à ce que tu crois avoir été faite pour, d’accord ? » Un doux sourire, purement maternel, vient traverser les traits du Cygne, qui continue doucement mais fermement. « Tu n’es pas seule Célestia, ne l’oublie pas, nous pouvons tous prendre cette douleur. Au fond, nous la portons tous d’ailleurs, d’une façon différente. » Peut-être pas celle des erreurs récentes, ou peut-être pas le poids des punitions injustifiées que le jeune Héron avait reçu, mais des oracles de l’ancienne génération ou même de la nouvelle, Rowena était persuadé que chacun avait sa propre douleur passée ou futur à porter. Tout ce qu’elle espérait désormais, c’était que Célestia puisse souffler un peu et retrouver sa lumière peu à peu. Elle n’était pas comme le Cygne, d’ores et déjà plongée dans l’ombre du Soleil, marcheuse d’entre deux mondes, ceux des vivants et des morts.

S’occupant des bleus marquant la peau de sa consoeur, Rowena écouta celle-ci et les confidences qui sortirent de sa bouche. Sa proposition de se libérer de ces sombres souvenirs à demi-mots semblait avoir été reçu, alors silencieusement, elle se fit oreille attentive, percevant néanmoins des non-dits qu’elle ne forcerait pas cette fois. Si son amie les avaient passés sous silence, elle supposait que ce n’était pas sans raison. Ce qu’elle révélait suffisait de toute façon à se faire une image des moments difficiles et horribles qu’elle avait passé pendant son Itinérance. Sur la fin, les gestes du Cygne ralentirent, avalant difficilement cette conclusion : un esclave donc, et des coups de fouets marquants son dos. Qui sait ce qui avait pu être également fait à une pauvre jeune fille à l’apparence si belle et si démunie qu’à ces instants. Elle pourrait en frissonner à la pensée mais conserva son sang froid, terminant d’abord ses soins. Quand elle déposa sur le côté du lit le linge qu’elle avait utilisé, elle tourna à nouveau son regard vers le Héron, des questions au fond des prunelles, mais surtout de la compassion.

« Tu as du beaucoup souffrir tout ce temps. Je suis désolée, si avoir demandé t’a rappelé de mauvaises choses. » Elle caresse ce cou un peu blessé et ces marques récentes qui resteraient avec la douceur d’une plume. Une forme de soutien qu’elle veut lui apporter, une geste que la jeune fille ne serait pas seule pour ces maux là même si elles devaient bientôt être séparées. Puis doucement, un murmure lui revient « Pourquoi garder ces blessures là ? Le fouet je veux dire. Tu n’étais coupable de rien ici. » Une façon de garder en mémoire ces instants d’horreur ? Les pertes encourus à la suite de la défaite des oracles ? Une forme de.. vengeance ? Elle même ne sait pas trop comment elle aurait réagit, face à une telle situation.

« Ne t’excuse pas, ce n’est rien. Nous avons perdus encore des amis, c’est normal de s’inquiéter. » C’est normal d’en souffrir, murmure son esprit, mais les mots ne passent pas sa bouche. Ceux du Héron sont cependant bien entendus, et éveille un petit sourire chez le Cygne, à nouveau quelque chose de doux et maternel, le coeur touché par ce qu’elle voit. Au fond d’elle, elle a la sensation qu’elle n’a pas eu de véritable amie comme Célestia depuis bien longtemps. Peut-être même jamais. Bran, à sa façon avait été un proche, mais pas avec cette même lumière bienveillante que Célestia donnait, malgré ses inquiétudes et sa propre souffrance. Doucement, elle vient enserrer la jeune femme dans une étreinte calme. « Merci à toi aussi d’être là. » Et pardon de ne pas pouvoir tout dire. Tous les secrets ne sont pas bons à prononcer. Comme celui qui l’empêche de croire que son séjour chez les Berserkers sera aussi terrible qu’elle devrait l’imaginer. Comme cette douleur de devoir néanmoins faire ce qui doit être fait… A nouveau, elle s’éloigne de Célestia, gardant néanmoins une certaine proximité. « Veux-tu rester ici ce soir et te reposer ? Je veillerais sur toi, si tu le veux. Tu as besoin de repos. » L’air si terrible dans le regard du Héron demeure, et non sans raison. Elle ne veut pas laisser la jeune femme plus à ses démons, si elle peut l’y aider.

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Fin pour moi, merci pour ce doux RP :3