[Début avril 553] Confidence pour confidence [PV Silas]

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Xanathos s’était éclipsé et Dana lui avait emboîté le pas. Comme s’ils étaient partis dans un jeu du chat et de la souris. Le Phénix ressentait sans doute le besoin de tester la Coupe pour voir avec qui il allait partir en mission. Silas et Kaleb avaient eu raison de différer le départ. Ainsi ces deux-là apprendraient à minima à se connaître. Générer des automatismes était une chance qui pouvait faire la différence lors de situations périlleuses. Eunoia le lui avait enseigné. « Connaît tes amis ». Un adage que la Vierge s’attachait à appliquer au pied de la lettre.

Et l’occasion semblait se présenter d’en savoir davantage sur les Gémeaux. Mais avant tout, ce dernier lui demandait son avis sur le chevalier de bronze qui venait de quitter la réunion. Tout en tendant un verre de vin au gardien de la troisième maison, Kaleb prit un instant pour choisir ses mots avec discernement. Il voulait être le plus clair et le plus juste possible.

«Je pense qu’il joue un rôle. Celui du solitaire. Celui de l’homme qui défie la hiérarchie. Mais je crois surtout que c’est un homme blessé, parce qu’il a déjà suivi les ordres d’un individu indigne de confiance et qu’il en a payé le prix fort. Je sais qu’il est un chevalier dévoué à la Sagesse. Sinon, l’armure du Phénix ne serait pas venue à lui lors de notre dernière mission. Mais, Dana a raison. Il a de la peur en lui. Celle de ne pas être digne du pardon qu’il a reçu, je pense. Pour autant, il fera tout ce qu’il faut pour mener la mission à bien. J’en suis convaincu. Pas toi ?»

Il finit de rassembler plusieurs victuailles sur un plateau. Si Silas voulait de la discrétion et de la confidentialité, il n’y avait que deux lieux dans ce temple où il pouvait les lui garantir. Et non, il ne l’inviterai pas dans ses appartements. Il lui indiqua donc de le suivre et ils franchirent ensemble les lourdes portes de bronze du jardin des Saules Jumeaux.

Le soleil doux de ce début de printemps leur permis de se poser à l’ombre de l’un des vénérables arbres. Kaleb invita son frère d’arme à se servir sur le plateau.

« Qui y’a-t-il de si confidentiel que tu ais besoin que nous soyons seuls à seuls pour l’évoquer ? »

Une inquiétude marqua le visage du gardien de la sixième maison. Qu’est-ce qui pouvait bien tracasser Silas ?

«Je l’espère aussi… Dans le cas contraire je crains que la solitude ne devienne une amie très envahissante pour ses missions futures…»

Car à force d’envoyer balader sa hiérarchie et probablement d’autres chevaliers, il risquait non seulement de se mettre à dos l’ensemble du Cercle d’or mais aussi les chevaliers d’argent et de bronze. Et les missions en solitaires étaient rarement un gage de survie. Tout du moins, c’était l’analyse que la Vierge avait pu faire des manuscrits de sa propre bibliothèque. Mais il ne prétendait pas pour autant avoir la science infuse.

Cependant, il n’était pas au bout de ses surprises. La demande de Silas était des plus… singulières. Ce qu’il savait sur les Gémeaux et sur lui-même. Deux choses distinctes. Il pouvait répondre à la première. Pas forcément à la seconde. Mais il essaierait néanmoins. Il prit un ton de récitation, cherchant à se remémorer les leçons d’Eunoia en les complétant avec ses propres archives.

« Le chevalier d’or placé sous la constellation des Gémeaux est empli de dualité. On raconte que généralement, il est l’un des membres d’une gémellité dont l’autre membre reste dans l’ombre ou a disparu. On raconte que chaque chevalier des Gémeaux possède deux visages : l’ombre et la lumière. Te concernant, je ne sais pas encore quelle face il m’a été donné de voir. Je sais également que tu maîtrise les arcanes dimensionnelles qui se transmettent de chevalier de la troisième maison à l’autre, de génération en génération…»

Il prit un instant de réflexion avant de poursuivre.

« Après, te concernant, c’est une question plus complexe… Je sais de toi ce que tu m’as raconté. Ton amour du vin et des vignobles, le fait que tu aies une sœur, que tu as eu l’occasion de vivre en Perse auprès de ton maître durant ta formation. Que tu sembles proche du Grand Pope, qui, je l’imagine, était comme un frère pour toi. La distance due à son rôle semble te peser parfois, même si tu essaie de le cacher. Si je devais utiliser mes capacités de chaman, je dirais que ta lumière est particulièrement tranchée et que tu tentes de contenir tes ténèbres…»

Après tout, Kaleb n’avait pas la prétention de tout savoir. Il ne connaissait Silas que depuis deux mois. Même si cela lui paraissait bien plus long. Il y avait chez lui quelque chose de familier et une entente à demi-mots qui s’était installée toute naturellement. C’était sans doute à cela que l’on reconnaissait les véritables amitiés.

Kaleb écouta calmement Silas se dévoiler. Comme lui, il venait d’une famille de notables, des personnes jouant un rôle prépondérant dans leurs empires respectifs. Celle de Silas avait semble-t-il opté pour les sphères politiques et militaires là où la sienne s’était cantonnée aux rôles d’érudits ou religieux.

Pour autant, ils avaient eu des enfances aux antipodes. Celle de la Vierge avait été heureuse dans une famille aimante et attentionnée. On lui avait transmis des choses, de la confiance en lui, de l’estime personnelle. Silas avait été rejeté, abandonné et avait trouvé le réconfort auprès d’Athéna. Deux trajectoires bien différentes somme toute.

Kaleb lui jeta un regard grave emplit de compassion. Qu’il devait être douloureux de savoir que l’on était le survivant. De se sentir amputé d’une partie de soi. Car la gémellité était presque symbiotique. Il essaya de trouver les paroles les plus réconfortantes possibles.

« J’imagine à quel point tu as dû souffrir de tout cela. Je ne peux pas me mettre à ta place, bien évidemment. Darius a dû être un père pour toi davantage que ton propre géniteur… J’imagine que, du coup, tu es particulièrement sensible aux relations que tu peux avoir avec le septième gardien…»

Diane avait laissé un sentiment mitigé à Kaleb. Il ignorait ce que Silas pouvait bien penser de l’actuelle porteuse de l’armure de son défunt maître. Et il se garda bien de poser la question ouvertement. Il était là pour écouter. Les Gémeaux semblait avoir besoin de parler. Alors, autant l’aider dans cette entreprise.

Il garda également son calme lorsque ce dernier lui parla du lien avec Childéric. Comme il l’avait pressenti, il y avait une blessure, comme un deuil à faire de ce qu’il avait pu partager avec l’ancien Lion devenu Grand Pope. Et cet amour disparu n’arrangeait sans doute rien. Cela venait surement frapper la peur de l’abandon qui l’étreignait depuis l’enfance. La Vierge essaya de se montrer délicat.

«Ce doit être difficile de voir son meilleur ami prendre de la distance du fait de sa fonction et voir la femme qu’on aime faire l’objet de suspicions quant à sa loyauté au Sanctuaire… Comment fais-tu pour continuer à avancer malgré tout ça ? As-tu réussi à dépasser ta blessure d’enfance d’abandon ?»

Il lui adressa un sourire bienveillant en lui tendant une nouvelle coupe de vin.

«Donc tu avais un aïeul chevalier d’or… Surprenant… Du coup, tu penses que l’Eveille est quelque chose qui se transmet ? Je veux dire les enfants empruntent bien des traits physiques à leurs parents. Si ton ancêtre a eu une descendance, il est possible que sa capacité d’éveil t’ait été transmis ainsi qu’à tes frères et sœurs ?»

Les questions de Kaleb se détournaient quelque peu de la situation de Silas à proprement parlé. Mais, il avait pu lire dans les archives de la sixième maison que cette situation n’était pas forcément isolée. D’autre chevaliers, au cours des siècles, étaient les descendants d’éveillés des générations précédentes. Le sang pouvait-il donc transmettre le cosmos ? C’était un point qui semblait important.

«A bien y réfléchir, cela ne me surprendrait pas. Le sang des chevaliers est bien utilisé pour aider leurs armures à se régénérer donc ce n’est pas impossible, qu’en dis-tu ?»

Mais le ton qu’il prit ensuite inquiéta davantage Kaleb. Un voile vint masquer la lumière des Gémeaux. Le Grand Pope avait un passé bien plus sombre que ce que la Vierge avait imaginé. L’envie de sang… C’était tellement loin de l’image qu’il se faisait du premier serviteur d’Athéna… Mais Silas le connaissait bien mieux et depuis bien plus longtemps que lui. S’il lui racontait ces choses, c’est qu’il en avait sûrement gros sur le cœur. Peut-être valait-il mieux l’aider à exprimer pleinement ce qu’il ressentait plutôt qu’à demi-mot. Même si cela signifiait danser au milieu des flammes. Le Gardien de la sixième maison essaya de prendre tout le tact nécessaire.

«Une envie de sang ? C’est tellement éloigné de l’image que j’ai de lui… Il t’a dissimulé des choses importantes, mettant à mal votre amitié ? Sa fonction doit parfois l’obliger à conserver la discrétion sur bon nombre de sujets, j’imagine… Il y est des choses qu’Athéna doit maintenir cachées… Le Savoir, le Pouvoir et la dissimulation vont malheureusement souvent ensemble…»

Et tant qu’à évoquer les sujets qui fâchaient, il voulait en savoir davantage sur Aina.

«Je sais que cela ne me regarde certainement pas, Silas, mais pourquoi Aina a-t-elle été accusée de trahison ? Comment l’as-tu appris ?»

Des questions délicates. Il espérait que le chevalier des Gémeaux aurait suffisamment confiance en lui pour lui raconter les tenants et les aboutissants de cette histoire.

Il noyait donc sa tristesse dans le vin. Un remède à double tranchant. L’ivresse permettait certes un oubli temporaire, mais elle favorisait aussi les cauchemars et l’expression des penchants les plus indignes de l’âme humaine.

Cependant, Kaleb tâcha d’alléger le propos par une douce ironie.

«Au moins, tu n’as cédé qu’à un seul de tes penchants. Tu as laissé les filles de joie de Rodorio en paix…»

«Véritable neveu ? Cela veut dire que tu en as des adoptés aussi ? Et qu’arriverait-il à ce jeune homme si personne ne le formait à l’utilisation du Cosmos ? Je veux dire, existe-t-il des Eveillés qui n’ont jamais utilisé leur pouvoir ou n’ayant jamais été détectés ? »

Une véritable question. Car Kaleb comptait bien sur le fait que Dana serait la première mais non la dernière de ses élèves. Après tout, si Athéna lui prêtait vie, il aurait l’occasion d’en former d’autres qui viendraient agrandir la famille. Lui-même avait toujours rêvé de fonder une famille mais sans avoir l’occasion de rencontrer celle avec qui concrétiser ce désir. Il eut un sourire pour lui-même. Passer près de dix ans de sa vie en ermite au sommet de l’Horeb puis deux ans en solitaire au sein du Domaine Sacré n’aidait pas vraiment à développer un réseau matrimonial.

Pour autant, il ne désespérait pas. Quoi qu’être chevalier d’or semblait constituer un frein supplémentaire. Silas en avait fait, à priori, l’amer expérience avec l’ancienne chevalier d’or du Bélier. Qu’une personne capable de réparer voir de forger des armures soit passée à l’adversité était une bien mauvaise nouvelle. D’autant plus si elle gardait une quelconque rancœur vis-à-vis du Sanctuaire.

«J’imagine bien que tu t’es longuement interrogé sur les raisons qui ont pu la pousser à tourner ainsi le dos à la Sagesse… Ce n’est pas une simple erreur d’appréciation, n’est-ce pas ?»

Un frisson parcouru l’échine de la Vierge. Il sentait la colère émanant de son frère d’arme. Et la description qu’il fit de Childéric notamment lors de la campagne d’Italie fit écho à ce qu’avait pu lui dire l’Oracle dévoyé par Narsès qu’il avait affronté. Le Grand Pope ne pouvait ignorer ce qu’avait fait Narsès. Il ne l’avait pas cru sur le coup. Et donc, il avait également caché la survie de Nimüe en la dissimulant sous l’apparence de Morwenna. Pour quelles raisons ? Les choses étaient bien plus complexes que ce que les Gémeaux laissaient percevoir et Kaleb sentait que le sujet était délicat. Il n’insista donc pas sur ce point, préférant apaiser son ami plutôt que de lui faire ressasser ces événements.

Lorsque Silas lui parla des filles de joie de Constantinople, Kaleb esquissa une moue dubitative.

« Ce n’est pas que je n’aime pas les femmes, mon cher ami, mais ce genre d’établissement n’est pas vraiment pour moi… Je trouve le corps humain superbe, particulièrement celui du beau sexe, mais, vois-tu, j’ai encore l’illusion de croire que je ne me donnerai qu’à des femmes que je n’aurai pas besoin de payer pour cela et pour qui je nourrirais des sentiments disons… réciproques… »

Kaleb allait certainement passer pour un rabat-joie. Mais tant pis. Il ne trahirait pas sa façon de voir les choses pour une soirée d’orgie. Fusse-t-elle dans la ville-monde. Mais il y aurait sans doute d’autres plaisirs à partager dans la capitale de l’Empire.

« En revanche, je me ferais quand même une joie de t’accompagner dans la capitale si tu as besoin d’un compagnon de soirée… »

«Ne t’avise jamais de me faire ce genre de proposition devant Kalia et Eireen. L’une t’arracherai les yeux tandis que l’autre s’occuperai de te couper la langue… »

Kaleb explosa d’un grand rire sonore. Il imaginait bien le regard que les femmes de la maisonnée lanceraient à Silas s’il osait lui proposer d’aller voir les catins de Constantinople lors d’un repas commun dans la salle des Banquets. Il valait bien mieux pour les Gémeaux qu’il ait fait cette proposition lors d’un tête à tête.

Pour autant, Kaleb restait ferme sur le sujet. Il avait trop de respect pour l’Amour qu’il soit émotionnel ou charnel, pour s’en jouer de la sorte. Bien que la proposition purement esthétique de Silas ne manquait pas de charme, il la déclina poliment.

«Je te remercie mais je pense que j’irai plutôt profiter de la vue sur le Détroit pendant que tu t’occupes de ces dames. J’aime voir la mer. C’est un spectacle dont je ne me lasse pas. Il faut dire que je n’ai pas eu l’occasion de souvent la côtoyer dans mon enfance…»

Il repensa à la première fois qu’il l’avait vue, lorsque l’envoyé d’Athéna l’avait emmené vers l’Horeb. Cet univers bleu où les navires disparaissaient à l’horizon comme autant de frêles esquifs au milieu d’une immensité tumultueuse.

Il écouta avec attention ce que Silas lui racontait au sujet de l’ancienne sainte du Bélier. Il décida de clore le sujet d’un simple acquiescement. Il ne voulait pas jeter des charbons ardents sur une cicatrice qu’il estimait encore vive et empli de fiel.

Il décida donc de se fixer davantage sur les neveux des Gémeaux. Un sujet sans doute plus léger et qui, il l’espérait, n’amènerait pas le même vague à l’âme au gardien de la troisième maison.

« Donc ta sœur a adopté le fils d’une de ses servantes décédée ? C’est très noble de sa part. Regulus… Un prénom peu commun. C’est toi qui l’a nommé ? Un hommage à ton amitié pour Childéric ? »

Kaleb savait qu’il s’agissait du nom de l’étoile la plus brillante de la constellation du Lion. Son père le lui avait appris lors de leurs nombreuses séances d’astronomie qu’Eunoia avait approfondie durant sa formation de chevalier. Mais pour autant, il ne perdit pas le fil de son raisonnement.

« Et donc, tu penses que Claudius a des dons latents ? Tu l’as dit à ta sœur ? Tu souhaiterais le former toi-même et qu’il serve à son tour la Sagesse ou au contraire préfèrerais-tu lui épargner la vie qui est la nôtre ? J’imagine que pour bien des gens, notre existence peut sembler extraordinaires mais nous savons toi et moi que les honneurs et le pouvoir vont de pair avec de grandes responsabilités pouvant aller jusqu’au sacrifice…»

« Oh ! Je vois ! Tu avoueras néanmoins que c’est une drôle de coïncidence… »

Et Kaleb avait tendance à ne pas considérer les coïncidences comme telles. La Chance ou le Destin, suivant la façon dont on voyait les choses, étaient une façon discrète qu’avaient souvent les dieux de nous passer des messages. Dans le cas de ce jeune homme, peut-être que ce prénom, bien qu’hérité de son père décédé, était une façon de le mettre sous le nez des Gémeaux ? La Vierge se contenta donc de poser une nouvelle question pour savoir si Silas avait pu percevoir quelque chose de particulier.

« Quand même le prénom de ce jeune homme… Tu es sûr qu’il n’a pas Le Don lui aussi ? Avec un prénom pareil, c’est au Sanctuaire qu’il pourrait être attaché… à la maison du Lion par exemple…»

Bien sûr tout ceci n’était qu’extrapolations. Cela faisait fi de tout lien émotionnel et de toute situation familiale. Kaleb avait appris que certains éveillés gardaient leur don sans jamais l’exploiter ou le mettre au service de quiconque. Et puis, ce serait une autre histoire que de convaincre la sœur de Silas. Surtout si elle ne connaissait déjà pas la mission de son propre frère.

« Je comprends… La Mascarade… Mes parents ne savent pas non plus pourquoi je suis parti précisément. A vrai dire, je ne les ai pas revu ou eu de contact avec eux depuis l’âge de dix ans… Je sais juste que je suis parti avec la bénédiction de ma mère et la désapprobation de mon père. Il aurait souhaité que je poursuive la mission qui est celle de ma famille depuis des générations… »

A chacun ses secrets. L’arche d’Alliance en était un. Son père avait espéré que Kaleb lui succèderait en tant que Gardien. Il avait été élevé dans la croyance de l’Unique mais c’était auprès d’Eunoia qu’il avait réellement développé ses dons en tant que chaman et remplacé cette croyance par celle en la Vie.

« Il sera sans doute difficile pour ta sœur de laisser partir son fils. Mais c’est surtout à lui d’en prendre la décision… Quand il sera en âge de le faire, bien évidemment…»

Lorsque son frère d’arme le questionna sur les étoiles protectrices, Kaleb esquissa un sourire en coin. Bien évidemment qu’il connaissait cette théorie. Enfin, il devait s’assurer que le gardien du troisième temple et lui étaient bien sur la même longueur d’onde.

« Tu veux parler de cette hypothèse selon laquelle chaque chevalier porteur d’une armure né sous la protection d’une étoile de la constellation qu’il représente ?»

«Je ne sais pas à quel âge l’on peut détecter l’éveille chez un individu… J’imagine que cela dépend des personnes et des hasards des rencontres. J’ai pris conscience de ma capacité à voir les lumières du vivant vers 5 ou 6 ans, je crois. Mais je les ai toujours perçues aussi loin que je me souvienne… »

Kaleb se souvenait parfaitement de l’occasion qu’il avait eu de prendre conscience de son pouvoir. C’était avec sa mère. Lors d’une banale balade sur le marché aux bestiaux. Il se souvint du regard interrogateur de cette dernière lorsqu’il lui avait soutenu que les animaux brillaient comme les étoiles et que donc, comme les humains, ils avaient forcément une âme. La perception de la lumière des plantes lui était venue plus tardivement, lors de son initiation avec Eunoia.

La question de Silas au sujet de la mission familiale était légitime. La Vierge réfléchit un instant. Devait-il lui dire la vérité ? Après tout, le secret était presque une seconde nature pour un chevalier sacré et Kaleb faisait suffisamment confiance à Silas pour garder cela pour lui.

«Ma famille est chrétienne. Le chamanisme est souvent vu comme une pratique archaïque à Axoum. Non… Il s’agit d’une toute autre mission. De génération en génération, un homme de ma famille a la tâche sacrée de veiller sur un artefact. Que sais-tu de l’Ancien testament des adorateurs du dieu unique ? »

La question avait le mérite d’être posé. Et Kaleb avait toujours trouvé logique d’avoir été formé au somment de l’Horeb, là où, selon la tradition, Moïse avait reçu les tables de la Loi. Une forme de clin d’œil du destin.

Et donc, Silas voulait connaître son étoile protectrice ? Il n’était vraiment pas loin. Kaleb l’écouta calmement, un sourire énigmatique sur le visage. Sans avoir le talet de son maître, le chevalier d’or des Gémeaux était relativement perspicace.

« Il semblerait que la nuit de ma naissance, selon mon père, Syrma brillait d’une lueur toute particulière. Quand j’intensifie mon cosmos, c’est elle qui prend le pas sur Spica ou sur les autres étoiles de la constellation. J’en ai donc déduis qu’elle était mon étoile protectrice… »

Il regarda à son tour son frère d’arme en fronçant les sourcils, se focalisant sur sa lumière intérieure mais surtout sur le cosmos qui se trouvait derrière. Puis, après quelques secondes de réflexion qui durent paraître une éternité à son interlocuteur, Kaleb déclara de manière catégorique :

« Almeïsan… Exact ?»

«Tu n’es pas très loin avec les Tables de la Loi mon bon ami… L’Arche d’Alliance pour être exact. Là où les Hébreux ont placé les commandements de Dieu selon les écritures. »

L’Arche du Témoignage si l’on en croyait la traduction littérale du Talmud, le livre sacré des Hébreux. Elle était considérée par les adorateurs de l’Unique comme l’une des plus anciennes reliques de la chrétienté. Pour autant, il y avait certaines choses que l’histoire ne racontait pas. Et Kaleb espérait bien surprendre Silas avec ce qu’il allait lui révéler

« C’est Menelik Ier, le fils du Roi Salomon et de la reine de Saba qui l’aurait amené à Axoum. Un des prêtres du temple de Jérusalem l’aurait accompagné. Lui et sa famille aurait été chargés de veiller sur l’artefact de génération en génération… Selon la légende, cet homme serait donc mon ancêtre. »

La Vierge savait depuis qu’il était devenu chevalier d’Athéna que le culte de l’Unique était une création. Mais pour autant, il s’interrogeait. Et si cette création n’était qu’une perception d’une puissance qui dépassait l’entendement de ses créateurs ou bien une vision erronée d’une puissance réellement existante ?

«Bien que le culte de l’Unique soit une création, ne crois-tu pas qu’il puisse relever d’une puissance qui dépasse celle des dieux ? Après tout, même eux ont été créés à un moment ou à un autre, non ? »

Kaleb s’était souvent interrogé sur cet état de fait. La création du monde, de la nature, des étoiles… Les légendes étaient bien souvent des inventions ou des perceptions détournées de la réalité. La vérité n’était pas toujours aussi simple qu’il n’y paraissait.

La relation de Silas à son histoire était complexe selon lui. Un point intéressant que la Vierge ne manqua pas de soulever.

« Complexe à cause de l’absence de ton frère ? Ou pour une autre raison ? Pardonne-moi, je suis curieux mais j’aimerai comprendre comment cela fonctionne pour toi. Moi, je le ressens dans ma propre émanation de Lumière et je suis capable de la percevoir dans le ciel du premier coup d’œil… »

En était-il de même pour les Gémeaux ? Et pour les autres chevaliers ? Il ne connaissait pas encore suffisamment Dana pour parvenir à déterminer son étoile. Mais cela viendrait sans doute avec le temps.

« Tu crois que ce phénomène ne s’applique qu’au cercle d’or ou qu’il est vrai pour chaque chevalier ?»

«Je ne saurais te dire s’il s’agit d’une force consciente ou non. Tout ce que je peux observer à mon humble niveau, c’est que la création est fine, consciencieuse, avec un souci du détail. Si c’est de l’ordre du hasard, nous sommes un présence d’un miracle à l’échelle du cosmos, tu ne crois pas ?»

Kaleb ne pouvait que rester admiratif de cette puissance créatrice, quelque soit sa nature. Car il voyait la Lumière qui habitait les êtres. Et il savait qu’il y avait cette part de divin, cette étincelle de vie dans chaque être vivant.

Pour autant, la source de tout ça, qu’elle soit consciente ou non était une puissance à ne pas négliger. Car toute création engendrait avec elle la destruction que ce soit de manière volontaire ou non. Il s’agissait des deux faces d’une même médaille. Ainsi en était-il de l’univers en général et des êtres vivants en particulier.

Silas ne faisait pas exception à la règle. Gémeaux ou pas. Peut-être était-ce seulement plus poussé dans le cas des Gardiens de la troisième maison ? La Vierge se montra des plus attentifs quant à l’expérience vécue par son frère d’arme. Lui aussi vait sa part d’ombre. %Même si elle était sans doute moins poussée que celle de Silas. Il tenta de le lui faire comprendre.

«Oh… Je vois… Je pense qu’aucun être humain n’est parfait. Dans le monde il n'y a pas d'un côté le bien et le mal, il y a une part de lumière et d'ombre en chacun de nous. Ce qui compte c'est celle que l'on choisit de montrer dans nos actes, ça c'est ce que l'on est vraiment. Je reste convaincu qu’il est illusoire de courir après la perfection.»

Kaleb voyait parfaitement le degré de luminosité des âmes des individus. Il savait aussi que les soucis, les émotions, les situations dans lesquelles se trouvaient un individu pouvaient altérer ou sublimer son étincelle personnelle. De manière temporaire ou définitive. Aussi valait-il mieux encourager et soutenir les individus plutôt que de les juger.

«Nous sommes des hommes avant tout mon cher Silas. Comme toi, j’ai ma part d’ombre. Tout chevalier d’or que nous soyons, nous ne sommes assis que sur notre séant et nous allons aux latrines comme tout à chacun. Nous devons juste être plus vigilants sur nos actes car ils ont des conséquences plus grandes que pour les dormeurs… »

Une évidence. Tout du moins, c’était ainsi que Kaleb le voyait.

«Embrasser notre nature humaine dans son intégralité est peut-être la chose la plus simple et la plus difficile à la fois. Surtout pour nous qui devons sans cesse faire le grand écart avec la puissance qui nous habite et le poids des responsabilités qui pèsent sur nos épaules…»

Être à la hauteur de la mission sans pour autant se déconnecter des dormeurs au risque de ne plus comprendre l’humanité et ses aspirations. Un équilibre que Kaleb considérait comme délicat mais qu’il devait maintenir à tout prix. Tout du moins c’est ainsi qu’il voyait sa mission.

Il laissa Silas mettre fin à leur échange dans un sourire. Si cela avait pu permettre aux Gémeaux de s’épancher un peu et de soulager son cœur, alors il n’avait pas perdu son temps. L’estime qu’il portait au gardien de la troisième maison ne se laissait pas ternir par cette part d’ombre que son ami lui avait dévoilé. Au contraire. Il fallait du courage pour se livrer ainsi.

« C’est à moi de te remercier, mon ami. C’est un honneur pour moi que de recevoir tes confidences. J’espère que tu pourras un jour me rendre la politesse si le besoin s’en fait sentir… »

Kaleb ne doutait pas que Silas saurait se montrer à l’écoute s’il lui venait, à son tour, d’être pris de doute et d’avoir le cœur lourd. L’évocation de la Francie le ramena néanmoins à des considérations plus pragmatiques.

«Il nous faudra peaufiner notre stratégie pour retrouver la grande Prêtresse. Je suis heureux de partir en ta compagnie pour cette mission. Cela promet d’être épique…»

Un sourire malicieux éclairat le visage de la Vierge. Ils n’avaient plus qu’à partir en chasse. En espérant ne pas revenir bredouille..

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Rp terminé. Merci