[Début avril 553] Un Patriarche pour les gouverner tous

Le Pilier de l'Arctique... Un bien étrange aimant à ennuis en ces temps troublés. Entre la mort du Léviathan et la disparition de son supérieur, la quasi-extinction de la famille Patricienne qui gouvernait la zone et le retrait de son Patriarche de l'Amirauté juste après un retour plutôt marquant, on pouvait sentir une tension lugubre dans l'air. Poser des questions. Lancer des rumeurs.

Calypso avait cependant besoin de voir au-delà, de dissiper le brouillard. Ou au moins, de pouvoir mener sa barque à l'intérieur afin de jalonner le parcours pour d'autres après elle. D'après ses renseignements les plus récents, l'ancien Antée avait retrouvé un manoir délabré, délaissé, sans le moindre serviteur. Il était donc peu surprenant qu'il ait refusé sa demande de la recevoir, surtout dans les circonstances actuelles qui étreignaient la ville... Cependant, la perspective de pouvoir tout de même toucher du doigt la situation dans la zone, via cette famille vassale qui l'avait contactée, avait réussi à lui arracher la satisfaction de toujours exercer un métier civil.
Puis, une fois arrivée devant la porte et reçue à l'intérieur, elle comprit. Comme à Camelot. Un intermédiaire. Une couverture. Elle ne put s'empêcher de se crisper. De recompter et resituer mentalement chacune des armes soigneusement cachées sur sa personne. Elle dut se retenir à plusieurs reprises d'en sortir une pour se rassurer au contact d'une lame froide. Ce serait donc elle, la lame froide.

"Seigneur Bjornaer."

Une salutation simple, légère inclinaison du buste. Mais de la même manière qu'il avait décidé de la recevoir en secret, elle se limiterait à la politesse minimale. Pas de cérémoniel officiel entre un Patricien et une noble de moindre importance ici.

"Pourquoi cette mise en scène ?"

Elle avait bien une idée, mais voulait entendre la version qu'il avait à servir.

J’étais là, assis. Installé tranquillement à un bureau. Les choses seraient plus simples si l’on pouvait se payer le luxe de l'honnêteté. Mais pas en ces temps troublés. Pas si l’on désire que le sang ne se retourne pas contre le sang. C’était l’exercice d’aujourd’hui. Elle avait longtemps vécu dans l’ombre de l’ancien Légat cette petite. L’homme avait ses défauts, ses gros défauts, mais il avait su s’entourer de fidèle. Une chose à porter à son crédit. Alors je pose mes yeux sur elle. Cette petite qui ne paie pas de mine mais qui a sûrement tremper dans les sales affaires d’Orpheus. Je lui réponds alors simplement d’un signe de tête en guise de salutation.

« - Dame Calypso. »

Puis, d’un signe de la main, après qu’elle eut posé sa question je l’invite à aller prendre place sur un des sièges installé devant le bureau que j’occupe. La pièce est relativement sobre. Un cabinet de travail à n’en pas douter. Et celui-là est de meilleur goût que le dernier dans lequel j’ai dû travailler. Je brise ensuite le silence pour répondre à sa question :

« - Vous avez demandé à parlé. Nous aurons ainsi le luxe du secret de la tranquillité. Pour parler tranquillement. Alors je vous écoute. Qu’est-ce que vous me voulez ? »

Je ne suis pas du genre à tourner autour du pot. Alors il vaudrait mieux pour elle qu’elle parle vite, qu’elle parle bien. Sinon je risque de pas lui consacrer beaucoup de temps…

Elle le détailla du regard, cet homme qui avait par deux fois porté l’Écaille, et par deux fois abandonné celle-ci de côté. Cet homme auquel Poséidon avait accordé sa confiance avant d'être délaissé. Qu'avait vu le dieu des Océans en lui ? Son Éveil et son sang peut-être, pourtant cela ne suffisait pas. Les Patriciens étaient loin de tous êtres des Marinas, autrement les rangs seraient plus remplis à l'heure actuelle. Et de la même façon les Éveillés n'étaient pas tous des Patriciens ou des Marinas là encore.

A l'invite, elle se positionna près d'un fauteuil mais sans s'asseoir. Mal à l'aise encore de se retrouver dans cette maison tierce à négocier, de cette façon trop similaire à celle de Camelot. Mais ici, nul Asgardien, nul garde du corps. Juste deux Atlantes aux avis divergents, à n'en pas douter.

"Je vais m'épargner les explications rhétoriques sur la situation actuelle d'Atlantis, que vous connaissez je pense tout aussi bien que moi. En tant que sénateur et membre du Conseil, vous m'êtes naturellement opposé, n'est-ce pas ?"

Calypso n'attendit pas vraiment de réponse. Sa loyauté aux Merinita datait de bien longtemps, et elle n'allait pas en changer par pur opportunisme. Même si ce n'était pas le cas, elle partit du principe que le Patriarche le savait.

"Malgré cet état de fait, vous et moi avons une mission similaire. Que dis-je, le Sénat et l'Amirauté ont une mission similaire : veiller à la sécurité et au bien-être de l'Empire. Or vous êtes en situation en faiblesse dans le grand tableau qui se dessine. Sauf erreur de ma part, pas de descendant, pas d'épouse, un domaine en friche, votre zone de gouvernance n'a même plus de Marina attaché à sa protection. Le Pilier de l'Arctique est sans défense en cas d'attaque. Et je doute sincèrement que Notre Tout-Puissant Seigneur agréerait au fait de perdre le dernier représentant de l'une des Huit Familles consécutivement à la négligence de Ses enfants."

Peut-être verrait-il venir ce qui suivrait, ou peut-être le surprendrait-elle. La Nymphe marqua un temps d'arrêt afin de bien saisir tout changement qui pourrait survenir dans son expression, sa gestuelle ou sa voix.

"Ma question est donc simple : pensez-vous être en mesure d'assurer votre protection et celle de l'océan Arctique dans ces conditions ? A un Dormeur j'aurais proposé directement l'assignation d'une garde personnelle, mais le fait est que vous êtes Éveillé, potentiellement même plus que fort que moi. Et que avez ramené la tête d'un Muien en guise de cadeau de retour à Atlantis après des années de silence... Un geste qui pourrait fort bien vous attirer des représailles de la part d'agents infiltrés."

Je reste silencieux face à elle. Le temps qu’elle parle, qu’elle réponde à ma question. Qu’elle me dise pourquoi elle souhaite me parler. Le chaos frappe à la porte de la cité, certes. Mais les tempêtes se couchent toujours. Il n’y a qu’à naviguer entre les vagues de cette dernière. Opposé ? Non, pas vraiment. Mais si tu désires voir les choses de cette façon, soit. Tu choisis le camp de la famille qui est ta maîtresse, plutôt que celui de la cité. Ta loyauté, petite, je peux la comprendre. Bien que je ne la partage pas. Orpheus a commis des erreurs, Cinead également. Ils ne sont que des hommes. Mais ils sont allés trop loin. Mais certains membres de ce conseil ne sont pas bien différents. Je l’écoute ensuite parler parler et mon visage se fait de plus en plus dur, de plus en plus fermé. C’est donc pour ça qu’elle m’a fait venir. Une fois qu’elle eut terminé. Je reste stoïque, silencieux même.

« - Bien. »

Voilà les seuls mots qui sortent de ma bouche quand le grincement du siège sur lequel je suis assis rompt une nouvelle fois le silence. Je me lève alors et me dirige vers la sortie de la pièce, sans un regard, sans m’intéresser à elle. Ses mots venaient d’achever toute tentative de conversation. Nous n’avions plus rien à nous dire. Du temps perdu. Heureusement qu’il y a encore des gens de valeurs dans cette cité…

Citation :

Dardanos s'en va, terminant le rp. Tu peux toujours essayer de le retenir, mais c'est très très très mal parti.

A voir son expression se fermer petit à petit, la Toreador devina qu'elle avait visé juste, profondément juste, au point où peut-être c'en était douloureux pour lui. La perte de sa famille, de son prestige, de ce que l'on idéalisait normalement chez un Patricien. Pourtant il avait toujours le sang et la vie, les devoirs qui allaient avec, et par défaut la garde du Pilier en attendant que quelqu'un d'autre prenne la relève, puisque lui avait abandonné l'Amirauté.

Elle ne cilla pas lorsque le silence vint, pas plus lorsqu'un son unique franchit ses lèvres, et moins encore à son lever. Par son silence il exprimait donc le refus de sa proposition, d'accord. Mais aussi la mise en danger de la partie du peuple sous sa protection, car Calypso savait qu'un homme seul ne pouvait pas gérer si grande surface, surtout sans Écaille. Coupable. Il devenait coupable de sa fuite, coupable de son silence. Patricien et Patriarche, grande gueule devant Emrys et Orphéus mais finalement lâche. Et suspect de surcroît puisqu'il n'avait rien de plus à ajouter sur cette tête, sur les Muiens.

La tireuse d'élite le suivit du regard jusqu'à ce qu'il la dépassât. Allait-elle se contenter de si peu ? Plusieurs jours d'attente et un simulacre d'entretien pour seulement quelques minutes de rien ? Autant tenter un dernier mouvement, et Poséidon serait de la mauvaise volonté de cet homme, ou pas. Elle se décala d'un pas afin d'avoir un angle de tir dégagé, sortit sans attendre l'un de ses couteaux et le lança aussitôt. La lame fendit d'air dans un souffle avant de venir se planter juste au-dessus de la poignée de porte.

"La vérité est-elle donc si dure que vous ne la nommez même pas ? Je viens avec une main tendue, Dardanos Bjornaer. Je viens vous proposer de l'aide. Avez-vous honte ? Avez-vous peur ? Si vous tenez tant à votre secret et aux apparences, nous pourrons trouver un prétexte. Mais est-ce seulement une question d'orgueil ? Vous résignez-vous à n'être qu'une cible alléchante pour ceux qui rôdent dehors ?
Je pense qu'Atlantis a encore besoin de vous. Que vous pouvez encore reconstruire, perpétuer, léguer. Vous portez en vous un sang pur de siècles, voire de millénaires d'histoire Patricienne. Vous vous en moquez ? Soit. La richesse ? Votre nom vous suffira à la retrouver petit à petit. Vous avez encore la santé, l'avenir. La gloire ? Vous avez l'occasion d'être un rouage de l'Histoire, d'aider à tourner une nouvelle page.
Et si c'est la solitude ou la douleur qui vous minent, dites-vous bien que ce n'est pas en portant votre regard ailleurs que vous en sortirez. Tant que vous vivez, vous serez en mesure de retenter votre chance. Tant que vous aurez la rage de vous battre et d'exister, vous pourrez tâcher d'exterminer ceux qui vous ont meurtri. Tant qu'il y aura une étincelle d'Onde en vous !"

Ses propres mots résonnant à ses oreilles, Calypso serrait déjà les poings. Elle avait trouvé des raisons de continuer, des valeurs pour lesquelles lutter encore et encore, elle priait intérieurement pour que son dieu fût à ses côtés en ce moment vît ce qu'elle voyait, cet homme obscur et éteint. Le dernier d'une longue lignée. Alors quoi ? Il quittait simplement la pièce, rejetant le dialogue, et tout s'arrêtait là ? Il y en avait d'autres à Atlantis qui avaient besoin d'aide. S'il leur tournait le dos, il s'y dessinerait une cible de plus.

Comment pouvait-on être si gauche pour s’adresser aux gens ? Ou plutôt, si sûr de sa propre importance pour penser que ce manque flagrant de sociabilité mènera à autre chose qu’à une porte fermé ? Elle ne connaît pas les Hommes et pourtant semble porter des jugements sur des choses dont elle ignore tout. Je la laisse donc jacter, arrêtant mes pas. Si faux, tout ce qu’elle dit est faux. Mais soit. Je la laisse monologuer. Je suis déjà trop gentil de la laisser finir. J’aurais dû l’empêcher d’aggraver son cas. L’empêcher de continuer à me faire perdre mon temps.

Mais que voulait-elle ? Elle voulait me signifier, cette main tendue qu’elle prétexte, enrobé dans une couche de mépris ? Voulait-elle appuyer sur mon passé pour me blesser ou simplement en appeler à un lien qui n’existe pas ? Me faire comprendre quoi exactement ? Je sers Atlantis comme tu ne le feras jamais petite. Tu es l’illustration de l’échec de tes suzerains. Le nez trop profondément enfoncé dans son propre nombril pour ne pas penser que quelqu’un puisse voir le monde différemment. Mais cette fille n’est pas méchante. Elle ne semble pas penser à mal, du moins, je l’espère et je vais le considérer comme tel. Il faut juste qu’elle apprenne comment se comporter face à des gens, l’empathie, peut être, c’est ça qui lui manque. Mais je n’ai pas le temps pour ce genre de leçon.

« - Protège Atlantis comme tu as protégé ton Légat. »

Ma voix est clame, posée. Sans aucune trace méchanceté, absente de cruauté. Mais c’est là une nécessité, une vérité dure et tranchante. Et cette fois, je ne me retourne pas et je m’en vais, la laissant face à elle et ses maladresses. J’ai un vrai combat à mener moi. Celui pour la justice, celui pour ceux qui sont victimes des gens comme elle. Il est ironique comme la première chose dont tu me parles c’est du sang, de la gloire. De moi, et jamais des autres. Le sang n’achète rien de ce qui m’intéresse, l’argent n’apporte rien de nécessaire et je possède bien plus que tu n’auras jamais, petite. Tu apprendras sûrement ça un jour, du moins je l’espère pour toi. Mais nous en avons fini.

Citation :

Rp terminé, Dardanos quitte le sujet.

Qu'est-ce que cela voulait dire ?

Elle avait commencé par le Sénat et l'Amirauté. Leur mission sacrée, le peuple d'Atlantis. Elle avait fait appel à son sens des traditions en parlant des Piliers et des Huit grandes Familles. Elle avait aussi objectivement que possible mentionné les faiblesses autour de cet homme, et puisque cela semblait voué à l'échec, tenté de toucher son honneur, son orgueil et ses aspirations. Mais rien... Que voulait donc Dardanos Bjornaer ? Qu'est-ce qui pouvait bien motiver cet homme à survive s'il ne se battait pour rien ni personne ? Qu'est-ce qui aurait pu le pousser à accepter, pour le bien des habitants de l'Arctique ?

Décidément les leçons de rhétoriques et son caractère n'allaient pas ensemble. Car quand il fallait convaincre les gens, Calypso n'arrivait à rien. Même quand cela concernait les choses importantes. Et voilà qu'il était parti.

"Comme mon Légat... De toutes mes forces... C'est pourtant ce que j'essaie de faire..."

Elle s'approcha de la porte et récupéra son couteau, un soupir aux lèvres. L'espace d'un instant, elle le leva à hauteur de son cœur, sans trembler.

"Comme mon Légat..."

Ce serait facile. D'aller simplement le rejoindre et de laisser les autres, plus capables, se débrouiller. Mais les autres, justement, étaient peu nombreux. Débordés. Et elle refusait de briser un peu plus le cœur de ceux qu'elle aimait. Atlantis ne la pleurerait pas, mais elle si.

Dans un soupir elle rangea son arme et regagna les ombres. Là au moins elle ne dérangeait personne.

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