[Mi-Avril 553] The house of the rising sun [PV Argus]

Il devait repartir en mission de manière imminente. L’entretien la veille avec le Pope avait été particulièrement clair. Avant de partir pour la Francie, Silas et lui devraient faire un détour par l’Italie pour aller voir ce que fabriquait le chevalier d’or du Scorpion qui avait été envoyé à Ravenne mais n’avait pas donné de vie depuis lors.

Sitôt l’entrevue achevée, Kaleb avait passé le reste de la matinée à donner ses instructions à Kalia et Eireen. Il avait fait le nécessaire pour valider les travaux du laboratoire de Dana dans le jardin afin que le chantier puisse démarrer en son absence. Il avait aussi dû discuter avec son intendante de la manière dont il faudrait renflouer les caisses de la demeure. Les travaux de réorganisation du sixième temple avaient quelque peu grevé le budget octroyé par le Domaine Sacré. La Vierge avait donc demandé à son intendante de trouver une solution en s’appuyant sur celles d’autres membres du Cercle d’Or comme Silas et son commerce de vin.

Mais mettre ses affaires en ordre c’était aussi, pour Kaleb, rendre visite aux personnes qu’il appréciait et prendre des nouvelles. Il n’avait pas revu Argus depuis leur mission commune de nettoyage des restes de l’armée de Narsès. Il savait, par Dana, qu’elle était venue à la soirée réservée aux femmes chevaliers qui s’était tenue en son absence, un soir, dans le temple de la Vierge et que la Coupe s’était entraînée à arpenter le Rêve avec elle.

Pour autant, il voulait voir l’Oiseau de Paradis par lui-même car il avait des choses à échanger avec elle qui ne souffraient d’aucun intermédiaire. Il était donc descendu du côté du Colisée avec une corbeille de dattes, ayant pu remarquer à quel point la jeune femme les avait dévoré lors de leur première rencontre.

Sa maison ne fut pas bien difficile à trouver. Les gardes en connaissaient l’emplacement. Kaleb eut l’impression de revenir deux ans en arrière. Elle lui rappelait la demeure qu’il avait lui-même occupé avant de devenir chevalier d’or. Il frappa doucement à la porte

«Argus ? Tu es là ?»

Il resta devant la porte, attendant une réponse ou que cette dernière tourne sur ses gonds.

Citation :: Désole du retard j'ai eu une semaine très chargée :s

Depuis qu'elle s'était entraînée à arpenter les chemins du rêve avec le Pope et Dana, Argus maîtrisait bien mieux cette capacité grisante. Elle l'avait donc rajoutée à sa routine quotidienne d'entraînement, en plus des exercices physiques, du combat et de la méditation. Si elle cachait cette activité derrière des raisons sérieuses, cela ne l'empêchait pas de s'amuser comme une enfant à chaque fois qu'elle sillonnait le Sanctuaire sous forme astrale.
C'était juste trop grisant.

Ce matin-là, la jeune fille voulait voir le lever du soleil. Elle s'était donc installée confortablement dans son lit, fermé les yeux, avait commencé à méditer... et là voilà en haut des gradins du colisée, petit fantôme aux couleurs passées qui se dressait sur la pointe des pieds.
Le spectacle fut à la hauteur de ses attentes. Mais Argus n'avait pas le temps de rester ici plus longtemps, son programme était chargé comme chaque jour. Ce fut à peine si elle s'autorisa quelques minutes pour "courir" dans tous les sens, se laissant porter par les courants d'air, apprenant à jongler entre ceux qui la portaient dans la bonne direction et ceux qui l'éloignaient de sa destination.

Pour parfaire ce savoir, elle choisit de rentrer chez elle à pieds astraux. Cependant, sur le chemin du retour, elle aperçut une silhouette connue. Elle s'en approcha donc, et son visage translucide s'illumine de joie lorsqu'elle reconnut le Chevalier en question : Kaleb !
Argus fila chez elle au gré d'une brise et réintégra son corps physique. D'un bond, elle se leva, passa une tenue d'entraînement plus présentable et remit de l'ordre sur son visage et dans ses cheveux.

Cependant, une fois derrière la porte, elle s'immobilisa. Ne serait-ce pas étrange si elle l'attendait ? Sans doute pas, mais au cas où, elle préférait attendre son arrivée. Elle lui raconterait plus tard l'avoir croisé en route.
Heureusement, Kaleb, ne tarda pas à toquer contre la porte, et Argus lui ouvrit aussitôt :

Kaleb ! Quelle bonne surprise !

«Bonjour Argus, j’espère que je ne te dérange pas…»

Elle ne semblait pas surprise de le voir. Comme si elle l’attendait. Etait-ce les effets de son entraînement avec le Pope dont lui avait parlé Dana ? Il y avait sans doute de ça. Kaleb était heureux de revoir l’Oiseau de Paradis en plein forme et de constater que sa lumière intérieure s’était affermit depuis leur dernière mission commune.

« J’espère que la soirée dans la sixième demeure a été à ton goût et que ma disciple s’est montrée une hôtesse à la hauteur… »

Une question plus rhétorique qu’autre chose tant Kaleb avait confiance en Dana. Il lui avait confié la maison les yeux fermés. Mais la confiance n’excluant pas le contrôle, il avait glissé deux ou trois mots à Kalia qui savait se comporter en véritable Cerbère quand il s’agissait de défendre les intérêts du chevalier de la Vierge et surtout celui du personnel placé sous ses ordres.

« Il y a un sujet dont j’aimerai t’entretenir… Je t’ai fait une promesse et j’ai peut-être une piste… Est-ce que je peux rentrer ou je dois t’exposer ça sur le pas de ta porte ?»

Il lui adressa un grand sourire bienveillant. Elle le connaissait un peu désormais. Elle savait que la Vierge aimait les traits d’esprits malicieux mais qu’il le faisait toujours avec bonté quand il s’agissait de personnes auxquelles il était attaché. Et Argus pouvait se vanter d’être de celles-là…

« De plus,si cela peut t’aider à te décider, je ne suis pas venu les mains vides… Je me suis dit qu’il était de bon ton d’offrir un présent apprécié lorsque l’on se présentait chez une amie pour la première fois…»

A ces mots, ils sorti le panier de dattes qu’il avait habilement gardé dans son dos. Il guetta la réaction de la jeune femme. D’autant qu’elle ne portait pas son masque. Un signe que Kaleb estima comme prometteur vu la timidité et le manque d’assurance qui avaient caractérisé Argus à leur première rencontre. Le tout était de savoir s’il s’agissait d’une prise de position volontaire ou d’un acte manqué…

Argus était heureuse d'accueillir Kaleb, aussi lui répondit-elle dans un sourire :

Non, tu ne me déranges pas du tout ! Je viens de terminer mon premier entraînement de la matinée !

S'il se doutait de quoi que ce soit, elle confirmait ses suppositions. Cependant, le sourire de l'Oiseau de Paradis se figea : ce vent sur son visage...
Elle rougit, puis pâlit, se mordit les lèvres... Les réactions se mélangeaient en elle : d'abord elle eut honte et se morigéna. Puis elle se fit la réflexion que Kaleb avait déjà vu son visage devant la mission, donc qu'est-ce que cela changeait ? Oui, mais si on les voyait, on pourrait la forcer à le tuer ?
Mais surtout, elle ne voulait pas réagir devant Kaleb, avec qui elle était à l'aise d'ordinaire. Elle se força à inspirer, expirer, puis à penser à autre chose. Cet incident était sans importance.
Malgré tout, pour plus de sécurité, elle se recula dans l'ombre du seuil. Elle parvint à raccrocher à la conversation :

Oui, c'était chouette comme soirée ! J'avoue, j'étais un peu intimidée par tout ce monde, il y avait même un autre chevalier d'or. Mais c'était vraiment une bonne chose de toutes les rencontrer.

Si elle ne pensait pas réellement à ce qu'elle disait, elle s'efforçait à y croire. Même si elle préfèrerait rester dans son coin, dans sa zone de confort, elle savait avec sa tête qu'il valait mieux sortir et rencontrer ses pairs.
Malgré le ton badin de Kaleb, le coeur d'Argus battit plus vite quand il mentionna une promesse et un sujet important... S'agirait-il ? Aurait-il déjà trouvé ? Sans qu'elle s'en rende compte, elle avait déjà reculé pour le laisser entrer.

Non, bien sûr, entre ! C'est pas très luxueux chez moi, mais au moins je dois avoir deux chaises !

Ce n'était pas très lumineux non plus, mais ça irait mieux quand le soleil se serait un peu plus levé.
Puis son regard tomba sur le panier de datte que Kaleb lui présenta, et ses yeux brillèrent de gourmandise.

Ooooh, miam !! Merci de t'en être souvenu et d'en avoir apportées !

Elle prit le panier et l'installa sur la table de bois qui trônait au centre de sa demeure. Un instant, elle s'éclipsa pour sortir deux assiettes et deux verres du vaisselier, et les posa eux aussi sur la table.

Je t'en prie, assieds-toi. Mais chaises ne sont pas très luxueuses, mais c'est toujours plus confortable que debout ! J'ai pas grand-chose à te proposer, mais est-ce que du thé te tenterait ?

«Oh, je vois… Serait-ce un entraînement à l’utilisation du Rêve dont m’a parlé Dana ? Il faudra que tu m’expliques comment cela fonctionne. Cela pourrait m’intéresser, sait-on jamais… »

Dana lui avait déjà un peu parlé de ce qu’elle avait pu faire. Mais il était toujours intéressant d’avoir différents sons de cloches et de pouvoir confronter les perceptions. Et c’était un domaine qui questionnait la Vierge. Pouvoir sortir de son propre corps et voyager de cette manière… Une façon de suivre les lumières qu’il percevait en chaque être vivant ? Il faudrait qu’il explore cette voie. Mais il rechignait à le faire seul. Pour l’instant.

Lorsqu’Argus évoqua la présence d’un chevalier d’or à la fameuse soirée, Kaleb esquissa un sourire. Probablement Nimüe. Il voyait mal Diane se prêter à ce genre de civilités.

« Le chevalier d’or des Poissons, j’imagine. C’était le but, je dois bien l’avouer. Permettre de raffermir la sororité au sein du Domaine Sacré. Et la maison de la Vierge me semblait être toute indiquée pour cela… »

Argus l’invita à rentrer. Le Gardien de la sixième maison s’exécuta calmement. Elle semblait quelque peu mal à l’aise de l’accueillir dans un environnement dénué de tout faste et au confort sommaire. Mais Kaleb la rassura bien vite à ce sujet.

« Tu sais, j’ai vécu pendant près de deux ans dans une maison comme celle-ci entre mon arrivée au Sanctuaire et l’obtention de l’armure de la Vierge. Ça ne s’oublie pas. Et c’est un honneur pour moi que d’être accueilli chez toi. Je prendrais volontiers cette tasse de thé. C’est suffisamment rare et exotique pour aiguiser ma curiosité. »

Il s’assit sur une chaise en lui adressant un petit clin d’œil. Il savait que ce genre de produits arrivait par le biais de l’empire Perse et de la route de la soie. Mais il avait rarement eu l’occasion d’en consommer ces dernières années. Sa dernière tasse devait remonter à son départ d’Axoum.

Il sortit de sa poche la pierre qu’elle lui avait confiée lors de leur première rencontre. Toujours gravée de la même écriture. Une piste, voilà ce qu’il allait lui donner.

« Tu te souviens de cette écriture dont tu m’as parlé lors de notre première rencontre, n’est-ce pas ? Et bien j’ai peut-être une idée qui pourrait te permettre d’en savoir davantage…»

Il se tut un instant pour voir la réaction de l’Oiseau de Paradis et poursuivit.

« As-tu déjà entendu parler de Jamir, Argus ?»

Un léger sourire éclaira le visage d'Argus : Kaleb avait compris sans qu'elle n'ait besoin d'en dire plus.

Oui, c'est le Rêve ! J'aime bien aller regarder les levers de soleil d'un peu partout dans le Sanctuaire ! D'ailleurs, en revenant, j'ai croisé quelqu'un qui venait chez moi, je sais pas si tu le connais...

Elle appuya sa dernière remarque d'un sourire malicieux. Mais elle reprit bien vite un air sérieux. Lui expliquer comment elle marchait dans les couloirs du Rêve... Elle-même peinait encore à intellectualiser ce qu'elle ne faisait que de manière instinctive, sans réellement maîtriser les bases de la théorie.

C'est... Je suppose que tu le sais déjà, c'est séparer son esprit de son corps pour pouvoir se déplacer sans risquer d'être blessé. Et le fonctionnement, j'ai l'impression que ça dépend complètement de la personne, et à part notre Pope et Dana, je n'ai pas encore vu grand monde en faire...

Quand Argus mentionna la Chevalier d'Or qu'elle avait vu à la réunion des saintes, il mentionna aussitôt celle des Poissons. La jeune fille se figea un instant : elle peinait encore à associer correctement un nom, un visage et une armure.
Puis, après quelques instants, elle confirma :

Oui, il s'agissait de Dame Nimuë ! Merci beaucoup de nous avoir accueillies. Je dois t'avouer que toute cette histoire me stressait un peu alors, au moins, être dans un lieu connu ça m'a rassurée !

Kaleb suivit Argus à l'intérieur de cette bâtisse, tout en lui expliquant que lui aussi avait connu ce mode de vie bien loin du faste des Douze Maisons. Un instant, la jeune fille fut tentée de culpabiliser d'avoir oublié, puis elle se détendit, et rougit quand Kaleb se dit honoré d'être invité chez elle. Elle le savait sincère, elle savait qu'il ne s'agissait pas que d'un rond de jambe hypocrite, et cela lui allait droit au coeur.
Elle se dirigea vers une petite armoire, dont elle sortit quelques feuilles séchées qu'elle glissa dans une théière.

A Rodorio, il y a un marchand qui commerce avec des marchands qui commercent avec, etc... et grâce à cette chaîne il arrive à en avoir, parfois. Je l'aide à la boutique, quand j'ai l temps, et j'apprend à compter à sa fille, alors il m'en garde quand il en a, car il sait que j'apprécie. C'est gentil à lui.

Tout en parlant, elle surveillait l'infusion de l'eau, pour que celle-ci ne devienne pas trop amère, et croqua avec plaisir dans une datte.
Bientôt, Kaleb ramena la conversation au motif de sa venue, en déposant sur la table la petite pierre sur laquelle Argus avait gravé les glyphes de son enfance. Elle la reconnut aussitôt, et son coeur battit plus vite. Il avait une idée... elle avait attendu ce moment depuis si longtemps !

Oui, je m'en souviens !

Elle devait exercer un grand contrôle sur elle-même pour garder son calme et ne pas trépigner comme une enfant. Enfin, Kaleb mentionna un nom, et aussitôt les neurones de la jeune fille tournèrent.

Mon maître m'en a parlé... C'est le pays de légende où le peuple de Mu a offert les armures de ses protecteurs à Athéna ?

«Hum… C’est pour cela que j’ai eu le sentiment d’être suivi… Mais j’aurais dû percevoir ta forme, non ? Ce n’est pas le but de cette projection ? A moins que tu puisses aussi te dissimuler sous cette forme…»

Kaleb se souvenait que durant leur mission sur l’île d’Isa, Argus était parvenue à se dissimuler. Moins que Xanathos, il est vrai mais néanmoins, avec une certaine efficacité dans la forêt. Pouvait-elle associer ses deux capacités en simultané ? si tel était le cas, cela la rendrait particulièrement insaisissable.

Le Rêve semblait, à en croire l’Oiseau de Paradis, une pratique pas vraiment répandue au Sanctuaire. La Vierge s’interrogeait sur l’intérêt de cette capacité. A ce que Dana lui avait expliqué, cela nécessitait de laisser son corps sous la surveillance d’un tiers. Un risque non négligeable.

«Je serais curieux de connaître l’utilité de cette pratique. J’imagine que son intérêt doit être grand, vu les risques encourus pour la pratiquer. Dana m’a parlé de l’obligation de laisser votre enveloppe charnelle sous la surveillance d’une autre personne ? Un pari risqué… »

C’était donc bien Nimüe qui s’était présentée lors de la soirée au temple de la Vierge. Kaleb esquissa un sourire. Vu ce qu’il avait entendu au sujet des Poissons, cela avait dû être une soirée haute en couleur ! Il était presque certain que Dana ne lui avait pas tout raconté. Mais cela importait peu.

En revanche, la discussion sur Jamir s’annonçait très intéressante. Argus n’avait que des connaissances relativement succinctes. Kaleb ne pouvait pas vraiment prétendre en savoir beaucoup plus mais il avait l’avantage d’avoir pu accéder aux archives de la maison de la Vierge. Et c’est là qu’il avait trouvé un détail intéressant.

« Je t’avais dit que j’épluchais les journaux de bord de mes prédécesseurs, non ? Dans l’un d’entre eux, datant à peu près d’un siècle, le chevalier de la Vierge alors en exercice s’est rendu à Jamir. Durant son voyage vers l’Est, il a rencontré des populations autochtones vivant dans les montagnes de la région. Leur écriture ressemble étrangement à celle que tu m’as montrée…»

Kaleb prit un instant de pause pour boire une gorgée de thé et laisser le temps à Argus d’intégrer les informations qu’il venait de lui donner. Puis, vérifiant que la jeune femme avait compris ce qu’il venait de dire, il poursuivit.

« Il y a deux personnes outre le Grand Pope qui pourraient te renseigner à ce sujet. Gawa, le nouveau chevalier du Bélier est originaire de Jamir. Peut-être pourrait-il te confirmer ma théorie. Tu peux aussi aller trouver Kilian du Verseau. Il est le chevalier d’or en charge de veiller sur cette partie du monde. Je vais continuer mes investigations au cas où. Mais c’est déjà une première piste intéressante, non ?»

Argus se rembrunit quelque peu : Kaleb avait senti qu'on le suivait. Elle avait donc manqué de discrétion, malgré tous ses efforts - elle camouflait sa cosmo-énergie, elle restait dans le couvert des arbres, tout aussi discrète qu'à son habitude...
Heureusement, il ne l'avait pas vue.

J'ai pas spécialement cherché à me cacher, et normalement on peut m'apercevoir... J'ai juste dû être discrète comme d'habitude, me mets jamais sur les devants de la scène...

Mais avec la fin de sa question, Kaleb sous-entendait une application très intéressante : et si elle pouvait utiliser le Rêve à des fins de camouflage ? Elle serait alors l'espionne ou l'assassin parfait ! En tout cas, il lui faudrait s'entraîner, elle n'était qu'une béotienne dans ces deux aptitudes. Mais la perspective des compétences qu'elle pourrait acquérir, de l'aide qu'elle pourrait apporter au Sanctuaire, l'enchantait.

Une nouvelle question, l'utilité du Rêve par rapport aux risques encourus par le Chevalier qui le pratique. Argus ne pourrait sans doute pas apporter plus d'informations que la volubile Dana, mais elle répondit de bon coeur, répétant ce qu'elle avait appris :

Oui, il faut en effet placer le corps de Rêveur sous surveillance, comme il ne peut pas se protéger... Quant aux utilités... De ce que j'ai compris d'une mission qu'on a failli me donner, cela sert à pouvoir se déplacer sans bouger sur de très grandes distances, par exemple pour porter un message. Mais je n'ai pas pu prendre cette mission, car je ne sais pas encore me déplacer assez loin.

Le coeur tempétant d'impatience, Argus écouta Kaleb lui expliquer comment il avait eu accès à ces informations. Les journaux de bord des anciens Chevaliers de la Vierge... C'était intéressant ! Pourquoi est-ce que les anciens Chevalier de l'Oiseau de Paradis ne pouvaient pas faire pareil ? Devrait-elle commencer cette tradition ?
Kaleb la sortit de ses pensées en confirmant que l'écriture utilisée à Jamir correspondait à celle qu'elle lui avait montrée. Son souffle se bloqua dans sa gorge : la réponse était si proche...

Est-ce qu'il y a... d'autres détails ? Je n'ai que peu de souvenirs, mais peut-être que certains éléments pourront résonner...

Argus remit la théière sur le feu, au cas où Kaleb veuille se resservir. Bouger ainsi et occuper ses mains permettait de dompter ses pensées et son impatience. Puis, quand elle revint vers lui, Kaleb lui donna le nom de deux personnes à qui elle pourrait demander des informations. Elle acquiesça.

Gawa du Bélier et Kilian du Verseau... J'ai déjà rencontré Kilian, une fois. Mais... Je pense que j'irai voir Seigneur Gawa. Si je suis réellement l'un des leurs, je crois que je voudrais avoir la confirmation par eux.

Et pour cela il faudrait qu'elle ose se rendre jusqu'à la demeure du Bélier. Mais elle y arriverait.

«T’aurais-je vexé Petit Oiseau ? Si c’est le cas, je te prie de bien vouloir m’excuser. Je n’avais aucunement la volonté de remettre en cause tes compétences. J’ai remarqué que ta timidité t’amenait bien souvent à te mettre en retrait. Ce qui est fort dommage soit dit en passant…

Kaleb avait acquis la conviction qu’Argus avait énormément à apporter à d’autres. Plus qu’elle ne semblait le penser. Par sa bonté et sa réserve naturelle d’abord. Des qualités qu’il savait apprécier et qui avaient pour vertu d’apaiser les égos et les esprits échauffés. Mais il fallait pour cela que l’Oiseau de Paradis s’affirme et prenne confiance en elle.

Bien que « simple »chevalier de bronze, elle s’aventurait donc sur des chemins que Kaleb, tout chevalier d’or qu’il soit, n’était pas encore parvenu à ouvrir pour lui-même. Aussi, lorsqu’Argus lui évoqua une mission qui avait failli lui être confiée, il posa une main sur l’épaule de la jeune femme.

«Ça vaut ce que ça vaut mais si jamais on me confiait une mission où ce talent peut s’avérer précieux, je demanderai à ce que tu m’accompagnes. Je préfère m’entourer de personnes de confiance, vois-tu… »

La réaction figée de la jeune femme poussa la Vierge à essayer de préciser les maigres informations à sa disposition. S’il pouvait l’aider à retrouver le fil de son existence, à en savoir davantage sur son passé, peut-être pourrait-elle guérir de l’arrachement qu’avait dû être le fait d’être enlevée enfant puis réduite en esclavage.

« Jamir est une tour perdue au sommet des montagnes. Ce sont les peuples de la vallée qui utilisent cette langue principalement… Pour ce qui est du peuple de Mü, j’ignore si Gawa en est issu. Je sais juste qu’il n’est pas donné au premier venu de pouvoir réparer les armures sacrées en tant que forgeron. Kilian, de son côté, est juste responsable de la zone. Il me semble qu’il est originaire des îles grecques…»

Prenant un instant de réflexion, le gardien de la sixième demeure bu une gorgée de thé et posa une question épineuse à Argus.

« Je sais que nous avions un peu évoqué le sujet lors de notre première rencontre mais… A part l’écriture, tu ne te souviens vraiment de rien de cette période ? Ou des suivantes ? Je parle parfois avec Eireeen de la manière dont elle a vécu la période où elle a été esclave. Je sais qu’elle en fait encore des cauchemars de temps en temps… Elle me dit que ça l’aide de pouvoir en parler librement…»

Vexée ? Pourquoi vexée ?

Sincèrement étonnée, Argus ouvrait de grands yeux. Elle repassa dans sa tête ce qu'elle avait pu dire qui aurait pu laisser croire à Kaleb qu'il l'avait vexée, mais elle ne trouva pas.

Je suis désolée si mon ton a été un peu sec, peut-être que c'est ce qui a pu te laisser croire ça... Sans doute la fatigue du réveil !

Puis elle rougit à la mention de sa timidité. Même cela mis de côté, elle n'était pas sûr qu'elle parviendrait à se comporter comme Dana par exemple, toujours bavarde, comme rayonnante. Comment arriverait-elle à trouver des choses intéressantes à dire ?
C'était compliqué tout cela. Elle préférait éviter d'y penser et profiter de la compagnie de Kaleb. Chassant toutes ces considérations de son esprit, elle porta sa tasse à ses lèvres et but une gorgée de thé, avant de goûter à une datte, dont le goût lui rappela aussitôt sa mission avec Mehry.

Elle hocha la tête, flattée, quand Kaleb lui fit remarquer qu'il lui faisait suffisamment confiance pour demander à ce qu'elle l'accompagne dans une mission où un Rêveur serait requis. Pour ne pas rougir trop de fois dans la même matinée, elle but encore du thé.

Ca me va droit au coeur ! Je vais faire de mon mieux pour améliorer ma maîtrise de cette capacité ! Comme ça tu pourras t'entourer d'une personne endormie à surveiller de confiance !

Cela faisait un moment qu'elle n'avait pas tenté l'humour, elle espérait que cela marcherait.
Puis le Chevalier d'Or donna de nouvelles informations. Une tour perdue au sommet des montagnes, la vallée... Argus baissa la tête.

Je suis désolée, ça ne me dit rien. Du moins pas la tour. Après, c'est possible que j'aie grandi dans une vallée.

Et si elle avait mené Kaleb sur une fausse piste ? La crainte lui mordit amèrement le coeur. Elle écouta ensuite attentivement les informations qu'il donna sur les seigneurs Gawa et Kilian - si ce dernier était originaire du même endroit qu'elle, elle l'aurait reconnu.

Je me souviens... De pas grand chose, j'étais tellement jeune quand nous avons été attaqués... Je me souviens des trois objets que j'ai emporté avec moi dans ma fuite bien sûr, un collier avec des pierres rouges et bleues, un petit poignard et un livre avec les connaissances de ma famille dans plusieurs domaines. Malheureusement, je ne les ai plus.
C'est peut-être absurde, mais je crois que je me souviens surtout des démons. Ils sont apparus dans mes rêves quand un bateau pirate a attaqué celui où j'étais. Il y a aussi celui que j'ai vu lorsque j'ai lancé cette attaque qui m'a étonnée, lors de la mission avec Xanathos...
J'ai aussi des bribes de chansons, quelques fois des odeurs, des vagues images un peu fugitives de tentures...

Elle soupira : ce n'était pas grand-chose...

«Bien. Tant mieux alors. Je m’en serais voulu de t’avoir contrariée pour commencer ta journée… »

Le rouge était monté aux joues d’Argus. Ce qui n’avait pas échappé au regard avisé de Kaleb. Il savait l’Oiseau de Paradis relativement peu à l’aise avec les compliments et peu amène à se mettre en avant. Une raison de plus pour profiter de ce tête à tête pour lui signifier les choses sans trop la mettre mal à l’aise.

Lorsqu’elle fit un trait d’humour sur le fait d’être une personne endormie de confiance, la Vierge ne put s’empêcher de s’esclaffer de rire. Elle n’était pas encore des plus à l’aise avec le principe du trait d’esprit, mais au moins l’ironie de la situation projettée ne lui avait pas échappé. Kaleb manqua de recracher son thé par les narines, ce qui se serait avéré être un terrible gâchis doublé d’une expérience particulièrement déplaisante.

«Donc je me retrouverais à jouer les gardes du corps, hein ?! Méfies-toi qu’il ne me vienne pas des idées saugrenues pendant que tu voyageras dans les contrées d’Oneiros… »

Kaleb avait déjà réfléchi à un bon nombre de plaisanteries pour Dana. Parfois, son côté facétieux l’emportait sur le sérieux de sa charge et l’importance de ses responsabilités. Mais il était évident, vu la cécité de la jeune femme qu’il ne pourrait pas lui jouer des tours basés sur le sens dont elle était dépossédée. Donc, les moustaches au charbon seraient sans doute pour Argus. Après tout, avec le masque, elle ne s’en rendrait probablement compte que le soir tombée lorsqu’elle serait seule chez elle. Il ne visait pas l’humiliation publique. Juste l’espièglerie qui nourrissait la camaraderie.

Cependant, il revint à des considérations plus intimes et plus graves lorsqu’Argus évoqua à nouveau son passé. Elle ne se souvenait pas de grand chose. Rien de plus que ce qu’elle avait déjà dit à Kaleb. Pour autant, il ne baissait pas les bras. Il s’était engagé à l’aider, il le ferait jusqu’à ce qu’elle retrouve le chemin de la maison. Une autre idée lui vint.

« Quand tu maîtriseras suffisamment ton don, peut-être que ce dernier te permettrait de retrouver le chemin que tu as emprunté ou la trace des objets que tu as perdu ? Tu te souviens à quel endroit tu as dû te séparer d’eux ? »

Lorsqu’elle évoqua des bribes de chansons, Kaleb la regarda le plus sérieusement du monde.

« Tu voudrais bien essayer de me chanter ce dont tu te souviens ?»

Un petit sourire vint chasser l'inquiétude du visage d'Argus.

Ne t'en fais pas, tu aurais du mal à me contrarier.

Connaissant Kaleb, elle avait du mal à imaginer comment il pourrait s'y prendre. Au pire ce serait un gros malentendu et remettre les choses au clair règlerait le problème avant qu'il n'en devienne réellement un.

Kaleb rit à la blague d'Argus et la jeune fille ressentit un brin de fierté. Elle avait réussi. Inconsciemment, cela lui permettait de prendre, doucement, un peu plus confiance en elle, grâce à Kaleb et à sa patience. Elle n'hésiterait pas la prochaine fois qu'elle pourrait tenter une blague. Peut-être même avec quelqu'un d'autre que Kaleb.

Des idées saugrenues ? Je croyais que les Chevaliers d'Or avaient passé l'âge de dessiner des moustaches sur les gens, mais ce n'est peut-être pas le cas...

Elle prit un air innocent, mais son coeur battant à grands coups contre ses côtes. Avait-elle dépassé une limite ? Elle réussit à se convaincre que non. Kaleb n'était pas susceptible. Il le prendrait bien.

Puis le visage de l'Oiseau de Paradis redevint sérieux. Utiliser le Rêve pour retrouver la trace de son passé qui ne se manifestait justement parfois que... dans ses rêves ? C'était une idée vraiment maline.
Argus acquiesça, reconnaissance :

Oh, il faudrait vraiment j'essaye ! Quant aux objets... Je t'avoue, avec les années, ça s'est un peu mélangé et je me souviens plus de tout. Par Athéna, j'ai l'impression d'être vieille en disant ça !
Au plus tard, ils ont été supprimés et détruits par mon dernier maître, en Sicile... Là où j'ai rencontré celle qui m'a menée au Sanctuaire, et qui venait du même pays que moi... Mais elle a refusé de me dire, elle prétendait que c'était ma quête.

Une chanson ? Argus ferma les yeux quelques instants, pensive. Elle serait incapable d'en chanter une entier... Pourtant, elle fouilla loin dans les ténèbres de sa mémoire.

Je t'avoue que je ne suis pas sûre d'y arriver... Ce sont deux trois fantômes de notes qui viennent me hanter, mais même...

Pourtant, elle essaya. Elle se concentra et chantonna un petit bout de mélodie, puis une autre, puis une troisième. Des frissons parcouraient son échine, alors qu'elle invoquait ces éclats de son passé.

«Je ne peux évidemment pas parler pour mes pairs mais je reste convaincu qu’il faut savoir resté connecté à son âme d’enfant. Les facéties sont une des nombreuses manières de faire. L’important, c’est que chacun chemine dans la joie, tu ne crois pas ?»

Une évidence pour Kaleb. La vie ne se résumait pas aux devoirs et aux choix à faire. Il y avait la manière dont on choisissait de cheminer. Car s’il ne devait y avoir qu’une, il fallait que chaque jour, chaque instant puisse être vécu intensément. Marcher dans la lumière. Faire briller celle qui faisait vivre chacun à l’intérieur. Et peu importait le jugement d’autrui. Le bout du chemin était sans doute le même pour tous. Alors autant profiter tant que le souffle de vie les animait.

Pas de traces des objets. C’était à prévoir. Pouvait-elle néanmoins les retrouver ? Kaleb avait une théorie sur le sujet. C’était peut-être l’occasion de la vérifier.

« J’ai une idée sur le sujet mais je n’ai jamais pu la vérifier. Je pense que nous laissons une part infime de notre essence, de notre lumière intérieure dans les objets qui nous sont chers. Comme pour les armures par exemple qui peuvent abriter un fragment d’étincelle des chevaliers nous ayant précédé. Peut-être en est-il de même pour ces objets que tu avais emportés. Tu pourrais peut-être retracer leur localisation en suivant les traces de ton propre cosmos par le biais du rêve ? Bien sûr ce n’est qu’une théorie. Il faudrait demander au Grand Pope si cela est possible d’une part et sans risque de l’autre. Je ne me pardonnerais pas s’il t’arrivait quelque chose… »

Seulement, il avait omis un autre point. Si tenté que sa théorie soit exacte, il ne savait pas si cela pouvait fonctionner quel que soit le niveau de l’éveillé qui l’utilisait. Après tout, les traces laissées par un chevalier de bronze étaient peut-être moins intenses que celles d’un chevalier d’or. Enfin, tout dépendait peut-être surtout de l’intensité d’éveil auquel chaque individu était parvenu. Un point complexe qu’il préféra passer sous silence pour l’instant.

Il écouta attentivement les quelques notes qu’Argus retrouva de mémoire. Il fut surpris par son timbre de voix. Cristallin, délicat. Mais après tout, qu’y avait-il de surprenant ? L’Oiseau de Paradis n’était-il pas réputé pour son chant ? La Vierge ne manqua pas de le lui faire remarquer.

«Un très joli timbre de voix… Tu devrais chanter en public plus souvent. C’est dommage de laisser un tel spectacle dans l’ombre de ta timidité… »

Kaleb esquissa un sourire en direction de la jeune femme et continua calmement à déguster sa tasse de thé…

Argus se rembrunit un peu : Kaleb répondit sérieusement à sa boutade. L'avait-il prise au second degré et en profitait-il malgré tout pour répéter cette leçon que la jeune fille n'avait pas encore totalement assimilée, ou la blague avait-elle échoué ? La deuxième hypothèse restait plus que plausible, Argus maîtrisait encore très mal les arcanes de l'humour. Et pour cette capacité, comme toutes les autres, il lui faudrait encore bien de l'entraînement.
Au moins réussit-elle à ne pas se torturer pour savoir si elle avait, ou non, vexé Kaleb avec sa remarque. Elle commençait à le connaître, et elle était certaine que non. Cependant, elle ferait mieux la prochaine fois. Elle se débrouillerait que sa blague ne tombe pas à l'eau.

Argus hésita à renchérir par un autre trait d'esprit, mais elle n'en trouva aucun. Alors, au lieu de maladroitement bégayer comme elle faillit le faire, elle se contenta d'hocher studieusement de de la tête et reprit à la fois du thé et des dattes.
Elle était entièrement d'accord avec ce que Kaleb lui expliquait, et elle trouverait le moyen de le lui prouver par une autre blague, réussie cette fois-ci !

Puis l'Oiseau de Paradis fronça les sourcils, autrement plus attentive. Laisser une part de son cosmos dans les objets ? Cette théorie lui semblait à la fois plausible et intéressante, d'autant plus qu'elle lui ouvrait de nouvelles portes. Elle voudrait vraiment y croire, cependant il lui restait quelques réserves avant de se lancer dans les recherches :

Ce que tu dis me semble complètement logique. Mais même s'il restait une petite étincelle d'énergie dans ces objets qui m'ont appartenu, elle serait infime, n'est-ce pas ? Est-ce que partir à leur recherches ne reviendrait pas à vouloir trouver une lampe à huile sur tout le pourtour de la Mare Nostrum ?

Cependant, même si l'espoir était faible, elle se lancerait dans l'aventure dans ces moments de repos entre deux missions. Elle acquiesça aux réserves de sécurité qu'émit Kaleb :

Oui, j'irai lui demander, d'autant plus qu'avec sa grande maîtrise du Rêve, il saura me dire si c'est faisable ou non. Je ne prendrais quand même pas le risque de sécher une mission parce qu'il me serait arrivé des soucis avant !

Ce n'était qu'à moitié une blague, elle savait qu'elle ne se le pardonnerait pas non plus. Mais elle espérait qu'en tournant ainsi en dérision ses travers, elle parviendrait à s'en débarrasser.

Comme à son habitude, Argus rougit au compliment de Kaleb.

Je... Merci ! Je note, je postulerai pour la Lyre pour mon armure d'argent !

Puis, après une gorgée de thé pour reprendre contenance, elle demanda :

Je suppose que ça ne te dit rien hélas...

«Malheureusement, cela ne me dit rien… Mais ne te décourage pas. Peut-être que cela rappellera quelque chose à Gawa ? Nous avons déjà une piste, c’est mieux que rien. »

Kaleb Prit la main d’Argus dans la sienne pour la réconforter. Il imaginait comme cela devait être difficile de ne pas savoir d’où l’on venait et de courir après son passé. Il avait de la compassion pour elle. Elle avait cette fragilité touchante qui masquait une force dont, pour l’instant, elle ne semblait pas avoir pleinement conscience. Résoudre cette énigme l’aiderait peut-être à s’affirmer et à gagner en confiance. Car découvrir d’où elle venait pouvait parfaitement l’aider à savoir où elle allait. Tout du moins, c’est ce que la Vierge espérait.

La jeune femme marquait un point. Retrouver des traces des objets convoités à partir des traces résiduelles de cosmos était sans aucun doute une gageüre. Pour autant, les défis étaient fait pour être relevés.

«Je pense que, si cette hypothèse est exact, cela demande une certaine maîtrise et une grande sensibilité. Même si tu n’as pas encore l’expérience de la première, tu es loin de manquer de la seconde. Il faudra sans doute du temps et de la persévérance. Mais je me ferais une joie de t’épauler. Et qui sait ? Peut-être pourrais-tu aussi demander à Dana de t’aider ? »

Cela constituerait un bon entraînement pour sa disciple également tout en resserrant les liens qui unissaient les chevaliers d’Athéna. La cohésion était la clef de la réussite. De cela, Kaleb était convaincu.

Néanmoins, quand Argus évoqua la Lyre, le visage du chevalier de la Vierge se fit plus sérieux. Argus pouvait sans aucun doute prétendre à une armure d’argent si le Pope en décidait ainsi. Elle en avait nulle doute le potentiel. Pour autant, le choix qu’elle venait d’évoquer si légèrement interpella le gardien de la sixième maison.

«Je crains malheureusement que tu ne doives porter ton dévolu sur une autre. L’armure de la Lyre est perdue depuis les temps mythologiques à ma connaissance. Mais cela ne devrait pas t’empêcher de monter sur scène. Ce serait un excellent exercice pour toi, il me semble. Tu ne crois pas ? »

Comme le craignait Argus, les quelques morceaux de mélodie qu'elle avait réussit à chantonner ne disaient rien à Kaleb. Mais il n'y avait rien d'étonnant à cela. Il n'était que peu probable que des berceuses aient voyagé aussi loin à travers les pays des hommes, même si Kaleb venait de contrées plus à l'Est qu'Athènes.
Par ailleurs, il était bien présomptueux d'estimer qu'Argus avait correctement rendu ces chansons. Qui pourrait reconnaître trois ou quatre notes séparées du reste, sans doute fausses, sans doute altérées par le temps et l'oubli ? Personne !
Ce serait sans doute à peine si elle aurait le courage de les chanter devant Gawa. Comment ce Chevalier d'or réagirait-il à cette jeune inconnue qui sort de nulle part pour massacrer devant lui les chansons de son passé et de son enfance ? Elle baissa la tête.

Je ne crois pas que j'oserai chanter devant Gawa... Cependant j'irai lui en parler, cela est certain !

Elle ne pourrait même pas lui poser des questions comme "est-ce qu'une chanson qui parle d'une souris verte te dit quelque chose ?" car les paroles de ces airs avaient été perdus en même temps que ses souvenirs.

La main de Kaleb fut un réconfort bienvenue et Argus se détendit quelque peu. S'il ne la contredit pas sur le peu de lumière qu'émettraient les objets de son enfance, il envisageait déjà des solutions à ce problème qui n'en était peut-être pas un.

Tu as raison, j'irai en parler à Dana. Je ne pense pas qu'elle refuserait !

De l'image qu'elle avait de ce chevalier toujours enthousiaste et souriante, Argus ne pouvait pas imaginer que Dana refuse l'opportunité d'une nouvelle aventure, mais elle pouvait se tromper.

Ce serait avec plaisir que je travaillerais sur ce point avec toi ! Ce serait l'occasion de travailler ensemble sur le Rêve, tu ne penses pas ?

A nouveau, Argus avait raté sa blague car Kaleb la regardait avec un air sérieux. Il lui expliqua que l'armure de la Lyre avait disparu, ce qui éveilla une myriade de questions en Argus :

Comment ça perdue ? On peut perdre une armure ? Même le Grand Pope et Athéna ne savent pas ? On sait qui était le dernier Chevalier de la Lyre ?

Cependant, il était encore trop tôt pour jouer aux enquêtrices et retrouver l'armure de la Lyre, elle avait d'abord son propre passé à retrouver.

Je t'avoue que c'était plus une boutade qu'autre chose... Je viens à peine d'avoir mon armure de Bronze, c'est trop tôt pour penser à l'armure d'argent ! Mais pour être honnête, si j'avais le choix, je préfèrerais rester du côté des oiseaux. Vu mon nom, le paon me semblerait assez indiqué !

Ou alors elle aurait pu choisir un autre nom plutôt que de garder son nom d'esclave même au Sanctuaire. Elle n'y avait jamais réfléchi, elle s'y identifiait bien trop, même elle pouvait se le réapproprier. C'était ce qu'elle avait déjà commencer à faire.

Oui, monter sur scène ! Pourquoi ne pas faire ça tous ensemble ? Une grande comédie musicale des Chevaliers !

«Ce serait bien dommage que tu t’en prives. D’autant que vu le caractère que semble avoir notre nouveau gardien du premier temple, je pense qu’il rougira bien davantage que toi...»

Kaleb amusa à cette pensée. Il se souvenait très bien de la tête qu’avait pu faire le chevalier du Bélier en découvrant qu’il n’était pas censé voir le visage de Dana lors du repas pris ensemble dans le temple de la Vierge. C’était la preuve qu’il était une personne soucieuse d’autrui. Une qualité que le Gardien de la sixième demeure appréciait grandement.

Il espérait aussi que sa disciple pourrait aider Argus. Après tout, créer du lien entre les chevaliers était une chose importante à ses yeux. Travailler ensemble sur une capacité qu’il ne maîtrisait pas. Ce serait à lui d’apprendre d’Argus pour cette fois. Cela ne lui posait pas de soucis en soi. Cela ferait sans doute plus drôle à l’Oiseau de Paradis.

«Ce sera à toi de m’enseigner pour le coup. Tu seras maître et moi l’élève. Je te préviens, si j’en crois Eunoia, je suis particulièrement distrait… »

Il assortit la remarque d’un clin d’œil bienveillant. Nul doute qu’Argus saurait y voir de la complicité.

«La légende veut que l’armure de la Lyre ait appartenu à Orphée dans les temps mythologique et qu’à la mort d’Eurydice, il ait disparu avec elle. Elle n’a jamais été reportée depuis à priori. Tout du moins, il n’y a aucune trace dans les archives de la Vierge et aucune stelle au cimetière portant ce titre. Mais il faudrait vérifier les archives de Star Hill pour en avoir la certitude…»

Perdu dans ses pensées, Kaleb mit quelques secondes à comprendre qu’il s’agissait en réalité d’une tentative maladroite de plaisanterie. Il éclata d’un grand rire.

«Excuse-moi, Argus ! Je n’avais pas compris qu’il s’agissait d’une boutade ! Mais je pense que tu as largement la puissance d’un chevalier d’argent… Le Paon ? Pourquoi pas ! Qui sait ce qu’Athéna te réserve à l’avenir ?»

Argus resta quelques instants ébahie de surprise. Il ne faudrait pas qu'elle se prive de chanter devant le Seigneur Gawa ? Etait-ce là encore l'une des facéties de Kaleb ? Elle se méfia un peu, elle ne voulait pas mettre mal à l'aise un Chevalier d'Or qu'elle ne connaissait pas.
Surtout que vu la description qu'en faisait son ami, elle pouvait parfaitement se mettre à sa place. Elle imaginait tout à fait la gêne qu'elle ressentirait si une inconnue sortait de nulle part pour se mettre à chanter devant chez elle. Surtout si cette inconnue chantait des berceuses de son enfance.
Argus détourna un peu le regard :

Je... Je verrai. Je ne le ferai pas sans avoir demandé au Chevalier du Bélier en premier lieu.

Deuxième coup de surprise quand Kaleb formalisa que, s'ils devaient s'aventurer ensemble sur les chemins du Rêve, alors Argus serait le maître et lui l'élève. La jeune fille s'en doutait un peu, cependant mettre ainsi des mots aussi clairs...
Elle n'était pas certaine d'être digne de telles responsabilités. Elle même n'était qu'une grande débutante dans le Rêve, de quel droit prétendrait-elle enseigner à l'un des humains les plus puissants du monde ?
Et si elle lui apprenait n'importe quoi ? Si à cause d'elle il prenait des mauvaises habitudes ?

Argus se força à refouler ses craintes. Kaleb serait assez grand pour séparer le vrai du faux dans ce qu'elle lui enseignerait. Elle pouvait très bien l'imaginer la taquiner sur cette peur qui revenait encore et encore, et lui dire que si elle n'essayait pas, elle n'y arriverait jamais.
Alors, plutôt que de lui faire perdre son temps en le poussant à dire ce qu'elle avait déjà entendu en pensée, elle tenta à nouveau une blague :

Si tu es sage, on ira attraper des papillons ensemble !

Puis il revint sur le mythe de l'armure de la Lyre et Argus fut tout ouie. Cela sembla pour le moins mystérieux à la Chevalier de Bronze. Elle acquiesça attentive. Il était impossible qu'elle ait la réponse à ce mystère.

Le Grand Pope m'a fait l'honneur de m'autoriser à classer et lire certains livres en provenance de Star Hill. Peut-être qu'avec un peu de chances, je verrai quelque chose à ce sujet ?

Kaleb confirmait qu'il n'avait pas compris la blague mais, au lieu de s'en vouloir, Argus sourit elle aussi. Puis elle rougit quand il lui dit qu'elle avait la puissance d'un Chevalier d'Argent.

Même si je suis curieuse de l'avenir qu'elle me réserve, j'aime bien mon présent, alors je fais de mon mieux pour vivre dedans !

«A la chasse aux papillons, hein ? Mais dis-moi, ce serait presque une proposition indécente que voilà… Prends garde à ce que je ne prenne pas au mot...»

Le meilleur moyen de pousser Argus à libérer sa créativité était-il de surenchérir à ses blagues ? Au risque de la voir virer au rouge pivoine ? Peut-être pas. Néanmoins, il était difficile pour Kaleb de résister à la tentation. Il appréciait la jeune femme et espérait qu’elle parviendrait à vaincre progressivement sa timidité.

Par contre, le choix du papillon n’était sans doute pas volontaire mais plutôt bien trouvé. Il symbolisait le monde des âmes, ainsi que la transformation. Deux choses qui devaient se trouver au cœur du Rêve de l’Oiseau de Paradis. En avait-elle seulement conscience ? Kaleb espérait qu’elle oserait rebondir sur son sous-entendu.

Mais il fixa davantage son esprit sur la phrase qu’Argus prononça par la suite. Ainsi, Childéric avait autorisé la jeune femme à lire certains livres en provenance de Star Hill ? Un privilège rare qui démontrait une certaine confiance du premier serviteur d’Athéna vis-à-vis du chevalier de bronze. Kaleb se souvint que lui-même avait essuyé un refus du Pope quand il avait sollicité l’autorisation d’accéder à la bibliothèque qui se trouvait à l’endroit le plus inaccessible du Domaine Sacré. Mais il ne s’en formalisa pas outre mesure. Après tout, cela ne faisait que peu de temps qu’il avait rejoint le cercle d’or. Et il était normal de laisser le temps faire son œuvre pour construire un lien de confiance.

« C’est un grand privilège que t’a accordé le Grand Pope… Personne à part lui n’est autorisé à accéder au Mont étoilé… Pas même moi. J’espère que la consultation de ces ouvrages t’apportera des réponses à tes questions. De plus, je serais ravi de pouvoir converser avec toi de ce que tu y auras découvert. Peut-être parviendrons-nous à comprendre certains mystères des temps passés... »

Le passé, le présent, l’avenir… comme autant de fils noués les uns aux autres. La remarque d’Argus sur le présent fit esquisser un sourire au chevalier de la Vierge. Il avait souvent eu cette réflexion sur la manière d’être heureux. Et il y avait cette locution latine qui lui revint à l’esprit.

«Il y a une phrase issue d’un poème d’Horace qui résume bien cet état d’esprit. Carpe Diem… Cueille le jour présent. Je pense qu’il faut savoir saisir les opportunités qui se présentent chaque jour à nous. De suivre nos envies et nos inspirations du moment. Pour éviter de vivre de regrets. Car ce sont les poisons de l’âme si tu veux mon avis… J’essaie de ne pas en avoir. Et toi ?»

Kaleb avait fini sa tasse de thé. Il jeta un œil brillant en direction d’Argus pour scruter sa réaction.

Chasse aux papillons, indécence ? Sous la confusion, Argus fronça les sourcils et resta quelques instants silencieuse. Elle ne comprenait pas ce qu'il pouvait y avoir d'indécent dans une chasse aux papillons... Une histoire de dignité des Chevaliers à préserver aux yeux d'un éventuel observateur ?
Quand elle commença à envisager l'hypothèse d'un second degré, Argus se détendit un peu. Elle garda les sourcils froncés quelques instants, mais elle réfléchissait à la meilleure réplique à cette blague.

Mais non, il ne faut pas me prendre au mot ! C'est les papillons qu'on veut prendre, pas les mots !

C'était peut-être pas ce qu'il y avait de mieux, mais au moins elle avait tenté.
Argus rougit encore, mais de fierté cette fois-ci, quand Kaleb souligna l'immense honneur que lui avait fait le Grand Pope en l'autorisant à veiller sur les livres. Elle tint cependant à rectifier un propos de Kaleb, elle craignait avoir mal présenté les choses et ainsi créé une confusion :

Non, je n'aurai pas accès au Mont étoilé. Seulement, je pourrai m'occuper des livres qui sont en transition entre là bas et le Palais du Grand Pope, pour qu'ils soient à la disposition des Chevaliers qui le désirent.

Argus ignorait qui était ce Horace, cependant elle pouvait comprendre sa phrase. Elle acquiesça :

Je pense que je devrais essayer de faire ainsi. Mais les poisons de l'âme... Je suppose que ça peut être plein de choses... Les souvenirs, les comportements, les traits de personnalités négatifs... C'est une belle ambition de vouloir n'en avoir aucun, mais je n'ai pas encore ton niveau de développement. Je vais essayer d'y tendre, mais il risque de me falloir encore du temps !

En remarquant que Kaleb avait fini sa tasse de thé, Argus se leva pour aller la lui remplir de nouveau, emportant une datte pour le trajet.

«Tout dépend de l’espèce de papillon que tu veux chasser… Il en est certain qui relèvent plus de l’intimité humaine que de l’espace naturel… Pour ce qui est des mots, je m’en voudrais de te les ôter de la bouche… »

Argus semblait vouloir rebondir de trait d’esprit en trait d’esprit. Un jeu qui ne pouvait que plaire à la Vierge qui en était friand. Mais l’innocence de l’Oiseau de Paradis était-il tel qu’elle ne percevait pas la façon détournée dont ses paroles pouvaient être comprises ? Kaleb n’avait pas l’esprit mal tourné. Néanmoins, cela ne l’empêchait pas de percevoir les différentes façons dont on pouvait comprendre une même phrase de la plus acceptable à la plus scabreuse. Et cela l’amusait beaucoup.

Il manqua de renchérir sur les jeux de langues et autres fantaisies qui pouvaient être rattachées aux jeux de mot mais il préféra garder le silence pour ne pas mettre la jeune femme mal à l’aise. Elle risquait déjà de passer au rouge cramoisie rien qu’avec sa remarque précédente. A vrai dire, même s’il ne l’aurait pas avoué, Kaleb aimait la taquiner. Au moins n’avait elle pas un caractère qui l’amenait à se vexer. Pour autant, il ne savait pas vraiment quel était sa limite en la matière. Il repoussait donc les frontières petit à petit pour gratter ce qui se trouvait derrière sa grande timidité. On lui avait appris que parfois, en creusant, on trouvait des trésors. Pourquoi ce qui était vrai pour la nature ne le serait pas pour l’âme humaine ?

«C’est vrai. Il y a plein de manières de s’empoisonner. Mais il y a aussi de nombreux antidotes. La chaleur humaine, les liens de confiance, l’Amour… Ce sont autant de choses qui permettent de guérir de nos traumatismes passés. Mais toi… Tu es une battante Argus. Même si tu ne le vois pas encore…»

Kaleb laissa la jeune femme le resservir en thé. Il voulait lui faire comprendre à quel point elle était plus forte qu’elle ne le croyait.

«Combien se seraient effondrés à ta place, en étant arrachés à leur famille et réduits en esclavage ? Je n’ai pas la prétention de dire que je serais celui que je suis aujourd’hui si j’avais vécu les épreuves que tu as traversé. Tu es une survivante… Et tu le dois autant à ton étoile qu’à toi-même… »

Papillon et intimité humaine... Argus fronça les sourcils : elle ne voyait pas. Elle chercha plusieurs solutions, mais n'en trouva pas. Alors, en désespoir de cause, elle tenta de répondre par une autre boutade :

Je croyais que c'étaient les cigognes qui apportaient les bébés... Mais s'il s'agit de papillons, je prendrais garde à ne pas chasser ceux-là. Je ne voudrais pas priver une famille de leur enfant !

Ou priver un enfant de sa famille. D'ailleurs, qu'est-ce qu'elle en ferait ? Il serait trop jeune pour pouvoir jouer avec elle et elle n'avait pas envie d'attendre une dizaine d'années. En plus elle aussi vieillirait d'autant, est-ce qu'à vingt-quatre ans elle voudrait encore jouer avec des préados?
Décidément, ça avait l'air casse-pieds les enfants, et elle en avait suffisamment de son âge avec qui discuter et jouer à Rodorio. Non, même s'ils n'existent pas, elle ne chasserait pas les papillons qui ramènent des enfants, elle avait suffisamment de responsabilités à gérer comme ça.

Bientôt, la conversation redevint sérieuse. A chaque poison différent que cita Argus, Kaleb opposa un antidote. La jeune fille acquiesça. Elle était d'accord avec cette manière de voir les choses, elle aussi elle croyait en cette possibilité de se soigner, de devenir la meilleure version de soi-même.
Elle attrapa une datte dans le panier et, avant de la manger, rétorqua :

Je pense que je le vois un peu... Notamment parce que aujourd'hui tu m'as amené au moins deux antidotes ! C'est quelle espèce de papillons, ça, les gens qui sortent de leur chrysalide ?

Elle essayait de rester légère et taquine, mais il restait encore beaucoup de reconnaissance dans sa voix. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir à quel point les enseignements de Kaleb l'avaient aidée à avancer.
Elle redevint plus songeuse et sérieuse face aux dernières paroles de son amie. Elle aimerait s dédouaner, se dire que c'est à cause d'Athéna, du destin... Mais pas de cette modestie avec Kaleb.

Pas grand monde je crois... Mais cette idée que si j'abandonnais, à un certains points je risquais de perdre ma vie... Je ne voulais pas mourir, ça me faisait trop peur.

«Alors… Je veux bien t’expliquer en détail comment cela fonctionne réellement mais je ne voudrais pas que cela soit perçu comme une proposition indécente…»

Kaleb adressa un grand sourire entendu à la jeune femme. Répondre à l’humour par l’humour… Une formidable façon de maintenir le lien, mine de rien, mais qui pouvait facilement tourner à la surenchère. Mais, après tout, ils se connaissaient sans doute suffisamment bien pour se permettre ce trait d’esprit. Pour autant, les véritables émotions d’Argus, derrière ce masque de dérision qu’elle tentait de se construire s’avéraient bien mystérieuses pour la Vierge.

Une chrysalide… L’image était particulièrement juste la concernant. Kaleb n’espérait qu’une seule chose : pouvoir voir l’Oiseau de Paradis déployer pleinement ses ailes. Car c’était ainsi également qu’il concevait son rôle de chevalier d’or : guider les chevaliers de bronze et d’argent, les amener à leur plein potentiel pour le Salut de l’humanité et pour permettre à Athéna d’accomplir au mieux sa mission.

«L’espèce la plus rare et la plus belle, je dirais… Celle dont on attend l’éclosion car lorsqu’elle se produit, c’est sans doute l’un des spectacles les plus émouvant qu’il vous est donné de voir au cours d’une existence… Et puis, que veux-tu… J’aime les papillons… »

Kaleb laissa son regard se perdre quelques instants dans celui de l’Oiseau de Paradis. Un trouble fugace, comme si ses pensaient se perdaient en contemplation de la lumière intérieure de la jeune femme et de son éclat si particulier.

Puis reprenant ses esprits, secouant la tête comme pour se réveiller d’un rêve que l’on peinait à quitter, il se concentra à nouveau sur les paroles de la sainte de bronze.

«Je comprends… Moi aussi, la mort m’effraie. Je sais que cela arrivera tôt ou tard. Mais j’ai encore tant de choses à découvrir… Si je dois vivre longtemps, j’espère ne pas prendre conscience, à l’aube de la vieillesse, que je n’ai pas vécu… Voilà pourquoi, je reste persuadé qu’il faut profiter des plaisirs de l’existence. Surtout des plus simples. Comme les antidotes. Mais il y en a un qui me reste malgré tout étranger…»

Une proposition indécente... Quand Argus comprit enfin ce dont Kaleb lui parlait depuis le début, elle rougit.

Ah euh... non euh... ça c'est bon, je suis au point, pas la peine de refaire un cours !

Vivre dans la nature ou avec des marins, même en se faisant passé pour un garçon, ne l'avait pas empêchée d'entendre les conversations ou remarques paillardes, ou alors de voir des animaux s'y adonner. Ensuite, il n'était pas difficile de faire le lien avec la naissance d'un petit quelques mois plus tard.
Mais la jeune fille se reprit rapidement :

Par contre un papillon... Je sais pas qui a eu l'idée de cette métaphore, mais cette personne avait une grande imagination !

Tellement grande qu'il avait fallu bien du temps à Argus pour comprendre ce dont Kaleb parlait. Décidément, qu'est-ce qu'il ne fallait pas inventer...

La référence à la chrysalide sembla toucher Kaleb, et Argus en ressentit une pointe de fierté. Il lui semblait qu'elle s'identifiait à cette larve dans son cocon. Elle n'était plus l'enfant fuyarde qui craignait le fouet et qu'on revendait de marché en marché, mais elle n'avait pas encore atteint son plein potentiel de Chevalier d'Athéna.
Elle apprenait, grandissait, évoluait, mais aussi soignait ses blessures. Et elle se faisait confiance pour que, bientôt, un bel oiseau au mille couleurs déploie ses ailes et contribue à transformer la terre en un monde meilleur.
En attendant elle choisit, encore, de répondre par de l'humour :

Mais du coup... Peut-on encore dire qu'on aime les papillons sans passer pour un goujat ?

Elle but une gorgée de thé qui, comme la boutade, servait à camoufler ses véritables pensées : elle avait hâte d'éclore mais, en même temps, devenir une personne différente l'effrayait un peu. S'éloigner de tous ses automatismes, même les mauvais, lui faisait peur. Parce qu'ils avaient le mérite de lui être familier.
La plongée dans l'inconnu de cette transformation radicale, bien que pleine de promesses, lui inspirait malgré tout de la crainte.

Argus se détendit un peu quand Kaleb confia craindre lui aussi la mort. De la part d'un Chevalier d'Or, le contraire ne l'aurait pas étonnée, et le découvrir aussi humain la rassura. Ainsi, ses aînés n'étaient pas des surhommes au-dessus de la peur, au-dessus de la mort.
Presque par réflexe, quand Kaleb mentionna les plaisirs de l'existence, Argus prit une autre datte.

Je pense qu'un Chevalier aura toujours bien vécu. Je suis encore jeune donc je n'y connais pas grand chose, mais... je pense que se battre pour ce en quoi on croit, toujours, c'est l'un des meilleurs moyens pour ne pas avoir de regrets.
Celui qui te reste étranger... Revoir ton pays ?

La voix d'Argus hésita sur la fin de la question. Peut-être était-ce trop personnel, peut-être ne voulait-il pas en parler.

«Je l’ignore mais oui… sans doute une grande imagination… Ou une conception particulièrement poétique de l’anatomie…»

Kaleb esquissa un sourire malicieux. Bien évidemment, le sujet pouvait être tendancieux. Mais il n’était pas le genre d’homme à reculer pour peu que son interlocuteur soit ouvert à la discussion. Argus venait de lui signifier qu’elle ne préférait pas s’appesantir sur le sujet. Aussi respecta-t-il son choix.

Pour autant, il ne put s’empêcher de rire franchement lorsqu’elle évoqua la possibilité d’être pris pour un goujat en affirmant que l’on aimait les papillons. Et de surenchérir.

«Pour un goujat ou un pervers, c’est selon… Mais l’être humain n’existe pas que par son esprit. Il existe aussi par son corps et par son côté animal. Trouver une personne attirante, ressentir du désir pour elle, cela fait aussi parti de notre nature. Le nier c’est oublier que nous appartenons aussi au règne animal. Et prendre le risque de perdre une partie de nous-même. Si les dieux nous avaient voulu sans désir et asexués, ils nous auraient fait évanescents, tu ne crois pas ?»

Une réflexion qu’il avait longtemps considérée comme un équilibre. Celui entre le corps et l’esprit. Entre l’animal et le spirituel qui habitaient tous deux chacun, du nouveau-né au vieillard. Un état de fait qu’il ressentait aussi bien dans son cœur, dans sa tête que dans ses tripes. Néanmoins, quand l’Oiseau de Paradis lui demanda des précisions sur l’antidote qui lui restait étranger, la Vierge ne put s’empêcher une hésitation. Il prit une pause qui lui parut une éternité mais osa finalement répondre à la question.

«Je… J’aimerais rencontrer l’Amour. Le véritable…. Celui qui vous fait déplacer des montagnes. Une personne auprès de laquelle j’aurais du plaisir à vieillir et qui illuminerait le quotidien… Avec laquelle j’aurais la joie d’élever des enfants…. Mais je ne suis pas certain que cela soit compatible avec notre mission… C’est peut-être un rêve égoïste. Un fantasme, tout au plus… »

Il releva les yeux vers Argus, espérant que cette révélation ne l’avait pas mise trop mal à l’aise.

Re: [Mi-Avril 553] The house of the rising sun [PV Argus]

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