[Avril 553] Chasser le naturel [Solo]

Des ouvrages gisaient sur le sol et les flammes emportaient les paperasses dans leurs sillages ; ces informations partagées se plaçaient sous le sceau du secret, alors, de ces mots, il n’en restait jamais aucune trace. Il n’y avait pas besoin de cela. Ce serment s’ancrait dans son devoir, ses principes, et Selena mettait un point d’honneur à le respecter. Pour Atlantis, souffleraient ses lèvres. Son obsession. Personne n’avait conscience de ce qu’il représentait véritablement, n’avait connaissance de son existence, ni même de cette épée rongée pourtant suspendue au-dessus de leurs têtes. L’ignorance et les fausses croyances étaient, décidément, si faciles qu’elles creusaient leurs places sans éveiller les moindres soupçons.

Dans son fauteuil, livre en main et jambes croisées, la gardienne ressassait. Si ses yeux parcouraient en effet les lignes et les illustrations, ses pensées, elles, ne suivaient pas le mouvement. Pour cause, les derniers messages rapportaient que le cas des salamandres d’ombres n’évoluaient pas, mais que d’autres créatures pointaient le bout du museau en Antarctique. Ces visiteurs du Pacifique étaient une nouvelle épines dans les pieds de la sécurité, d’autant plus que le silence dominait désormais leurs échanges. Pas suffisant, visiblement.

Adagio, les indices s’extirpaient des souvenirs ; les souvenirs de son voyage sur les terres de glaces, quelques mois auparavant, mais également ceux liés à leurs missions respectives. Dans un pincement, Selena maugréa. En outre, qu’il ne la contacte soudainement plus n’étonnait guère la demoiselle car, en dépit de ses promesses de pacotille, il souhaitait avant tout vivre en homme libre. Tout concordait avec sa fuite, en cela n’était-il pas rare qu’il s’absente, qu’il quitte le navire sans la prévenir. Or, d’autres auraient, malgré tout, été capables de lui transmettre tout ce qu’il y avait à savoir. Là aussi, ils ne répondaient plus. Replongeant dans sa lecture, la sentinelle plissa les paupières, refermant sa paume plus franchement sur les pages. Un bruit l’obligea toutefois à redresser la tête, portant son regard sur la porte qui venait d’être frappée avec douceur. De l’incertitude, peut-être.

— Cassandra ?

Oui, il y avait aussi ce problème-là...

Sans attendre l’accord de son aînée et supérieure, l’âme flavescente pénétra au cœur de l’antre avec prudence, mais une certaine fermeté également. Sans doute aurait-elle agi différemment, si les situations présentes et passées l’avaient justifiée. Or, les Lyumnades ne pourraient pas fuir aisément, cette fois : toutes les deux devaient se consulter et, plus que cela, communiquer, parler de sang à sang. Derrière le corps dépourvu d’armure, la porte se referma, se scellant pour que nul ne viennent les déranger, et déjà la jeune femme se plaça-t-elle face à la gardienne, faisant fi du bouleversement que son apparition causait.

L’esprit sortit des songes dans lesquels il était emprisonné, puis les prunelles quittèrent les pages manuscrites, remontant jusqu’au visage soucieux et strict de sa semblable. Du Nellie dans toute sa splendeur, bien que sa hargne semblait bien moindre, comparée à celle d’il y a quelques années. Comment réagirait-elle, si elle l’apprenait ? Cette pensée s’effaça rapidement, l’effleurant à peine pour l’instant : inutile de lui fait part de ce genre de choses ; à sa manière, l’adulte supposée souhaitait la préserver. Alors, d’un revers de la main, Cassandra indiqua un fauteuil, l’invitant à s’asseoir, en vain.
En revanche, sa posture ne laissait planer aucun doute sur les raisons qui la poussaient à se rendre ici : Nellie ne repartirait pas sans réponses, sans avoir explicité ce qu’elle avait à dire. Elle ne laisserait rien passer, ni aucune porte de sortie.

— L’autre jour, quand on m’a envoyé dans la bibliothèque pour patienter, c’est parce que Rodolpho était dans la pièce avec toi, n’est-ce pas ?

Ce jour où, finalement, elle n’était pas venue la retrouver.

Allez, réponds-moi. Ne deviens pas comme lui, parce que je ne te le pardonnerais pas, si tu t’y mets aussi. Montre-moi que tu es encore humaine, et non pas seulement une vulgaire statue enchantée.