Son attente ne fut pas bien longue, un homme se présentant sur le lieu de rendez-vous, déclenchant le signe de ralliement. C’est tout sourire qu’elle se rapprocha de lui, répondant au signal par celui qui avait été convenu. Un instant, l’homme resta interdit. Mais s’il était étonné de voir une femme s’avancer vers lui, il ne montra aucun signe d’agacement. Un simple mouvement de tête pour la saluer et déjà il l’invitait à le suivre. Ce qu’elle fit sans poser plus de question. Car s’il y a une chose que lui avait appris son expérience dans ce domaine, c’est qu’il n’était jamais bon de rester trop longtemps au même endroit. Cela attirait l’attention et ce n’est pas ce qu’ils souhaitaient.
Du coin de l’œil, Aurora observait l’homme qui l’emmenait vers le lieu véritable du rendez-vous. Il était propre sur lui, prévenant. Elle perçut au travers de son veston la marque d’une arme blanche, sans nul doute un poignard, ce qui l’a fit sourire. Ses potentiels futurs clients n’avaient pas envoyés un simple majordome pour aller à la rencontre d’un chef d’organisation. Sa prestance, son assurance, sa maîtrise, sa manière d’observer l’air de rien ceux qui se trouvaient là. Tout ceci prouvait qu’il était expérimenté. Garde du corps ? Possible. En un sens, cela rassurait la jeune femme. Cela prouvait tout simplement que ceux qu’elle allait rencontrer étaient sérieux.
Il remarqua d’ailleurs l’attention qu’elle lui portait. Il sourit. Sourire qu’elle lui rendit avec toute l’espièglerie dont elle était capable. Ils bifurquèrent finalement pour se retrouver face au portail d’une vaste demeure. Un symbole apparaissait sur les grilles, juste à côté du blason de la famille en question.
Il opina de la tête. Il l’emmena finalement dans un petit bureau, l’invitant à patienter le temps que ses employeurs arrivent. Elle le remercia et prit ses aises, s’installant sur le canapé. Elle n’eut pas à attendre longtemps. Un homme d’un certain âge pénétra dans le bureau. Une canne à la main, il boitilla jusqu’au siège se trouvant derrière le bureau et s’y installa. Alors que la porte se refermait derrière lui, elle aperçut la silhouette de celui qui l’avait amené ici. Il était intéressant de noter les précautions prises. Le vieil homme portait un monocle, observant avec une attention extrême Aurora. Il se dégageait de sa personne de fortes odeurs de tabacs. Il prit la parole.
- Je dois dire que je suis étonné. Il est rare d’avoir à faire à une femme dans ce genre d’affaire. Je vous prie de ne pas en prendre ombrage mais j’ai besoin de garantie. Comprenez-moi bien. Ma famille est une des plus anciennes de cette cité. Notre réputation est la base de notre honneur. On ne peut se permettre une mauvaise publicité. Je ne mettrais pas en péril notre nom.
Elle s’y était attendue et n’en prenait évidemment pas ombrage. Elle savait qu’il était difficile de se faire un nom. Elle se leva donc et s’approcha du bureau. D’un geste, elle ôta le gant qui lui recouvrait la main gauche, dévoilant les deux bagues qui s’y trouvaient. Le premier représentait un vautour, symbole de son organisation. Sinistre, certes, mais elle était parvenue à se faire connaître dans le milieu. Cette organisation n'avait peut-être pas encore ses ramifications partout dans le pays mais on l'a connaissait pour peu qu'on soit intéressé pour faire disparaître certaines choses. Le second représentait un démon, le Bifrons. Symbole de sa propre identité au sein de la dite organisation et preuve qu’elle en était à la tête. Il étudia un instant les bagues sans dire un mot. Un pli soucieux apparut sur son front. Elle sut. Elle sut qu'il connaissait ces ornements. Il marmonna quelques mots dans sa barbe. Elle remit son gant. Maintenant il ne pourrait plus la considérer comme simple femme. Elle n'était pas ici pour représenter un homme plus puissant. Elle était ici car c'était elle, la personnalité influente.
- C’était donc vrai. L'Enchanteresse aux mille visages est arrivée jusque chez nous. Ici, à Alexandrie.
Il se leva et contourna son bureau, seulement suivi du regard par la rousse. Il parvint à un autre petit bureau sur le côté, où se trouvait des bouteilles. Sans doute de l'alcool. Il se servit un verre. Puis un second qu'il laissa sur le côté.
- Je vous sers quelque chose ?
Elle déclina poliment. Elle ne savait que trop bien comme il était facile d'empoisonner ce genre de substance. Généralement, elle ne buvait que ce qu'elle préparait elle-même. Dans son milieu, les coups en traître étaient légion. Elle avait trop d'expérience pour se laisser abuser par un piège qu'elle avait elle-même mainte fois utilisé. Il regagna son bureau. Si son visage s'était détendu sous l'effet de l'alcool qu'il buvait par petites lampées, le pli soucieux sur son front n'avait pas été gommé. Bien. Très bien. C'était bien elle qui possédait l'ascendant psychologique désormais.
- Maintenant que vous savez qui je suis et ce que je représente, nous allons pouvoir discuter des raisons qui vous ont poussées à rechercher quelqu'un comme moi. Je constate que ce ne sont pas les moyens qui vous manquent. Et les hommes qui sont à vos ordres n'ont pas l'air d'être des plaisantins. Alors pourquoi rechercher ces services ailleurs ? Il est toujours plus difficile de sécuriser une information lorsqu'elle est entre les mains d'inconnus, après tout.
Elle jouait clairement carte sur table. L'homme pouvait manipuler et gérer ses hommes. Que ce soit par l'argent, le chantage ou autre, il possédait une emprise sur ceux qui travaillaient directement sous ses ordres. Mais elle, c'était l'électron libre. La donnée inconnue de l'équation. Il le savait. Et pourtant il prenait le risque. En deviner les raisons, ne serait-ce que la plus importante, n'était pas difficile. Il ne souhaitait pas qu'on puisse remonter à lui en cas de problème. Intelligent mais quand même risqué.
- La peur, très chère. C'est la peur qui pousse les hommes à agir parfois sans considération. Je recherche une personne capable d'agir dans les ténèbres. Une menace rôde au dessus de la tête de ma famille mais cette menace n'est encore qu'une ombre. Non identifiée. J'y travaille actuellement. Et lorsque je saurai, alors je pourrais faire en sorte de garantir la sécurité de ma famille. C'est là où votre organisation pourrait m'aider. Je vais être franc avec vous. Je connais la réputation qui est la votre. Mais avant de vous confier une tâche aussi importante, j'aimerai vous tester. Comprenez bien que je ne suis pas arrivé jusqu'ici en faisant confiance aux bruits de couloirs. Le marché est simple. Acquittez-vous correctement de quelques missions mineures pour mes amis et moi-même, et alors je ferai appel à vous pour mon problème lorsqu'il sera identifié. Je paierai évidemment en conséquence. Acceptez-vous les termes de ce contrat ?
Elle connaissait déjà sa réponse. Mais lui dire trop rapidement pourrait lui faire croire qu'il gagnait facilement. Ce qui était inconcevable pour elle. Sa démarche était plus qu'intelligente. L'homme connaissait les ficelles du métier, c'était une certitude. Lorsqu'il aurait identifié sa cible, il la jetterait en pâture à ceux qu'il aura embauché. Et pendant qu'il cherche, il teste les potentiels organisations susceptibles de l'aider. D'une pierre, deux coups. Elle ferma les yeux quelques instants. Histoire de le faire mariner un peu.