[Mi-avril 553]Vivons, chantons et dansons jusqu'au crépuscule [Pv libre]

Una arrivée fastidieuse.
Un accord peu commun.
Le Soleil tombait et la nuit héritait de sa succession.

Pour Liv, contempler ces oiseaux s'envoler au-dessus de Rome la Sacrée revenait à voyager dans le cours du Temps. A tire d'ailes, étourneaux comme hirondelles gagnaient en altitude pour rivaliser avec les nuages dans le ciel. Plus loin, ils s'affirmaient à leurs firmaments, dans un espace où l'Homme ne s'aventurait généralement pas alors que déjà, ils survolaient la carcasse bien bâtie d'un colisée abandonné. Des belles roches, des arches où le regard s'égarait sans mal, et une hauteur à provoquer quelques malaises pour ceux frapper du mal des hauteurs trop ambitieuses. Les spectateurs manquaient à l'appel, à cette heure-ci. Hélas, les mots lui manquaient pour résumer la contemplation d'un ambassadeur venu du cœur froid et Transylvanien, si ce n'était que cette liberté lui évoquait un quelque chose d'éternel, de libre dans cette ville décadente. Le menton haut, les yeux égarés dans ses contemplations par quelques notes de musique, le vent pourrait acclamer silencieusement l'encourager à s'aventurer en zone obscure que l'ambassadrice ne sentirait pas sa curiosité naturelle être chatouillée davantage par une telle invitation. A sa ceinture, sa lanterne luisait timidement les feu follets cosmiques qui l'accompagnait.

Car ici, on lui parle. On lui affirme qu'il y avait du vécu, et on clame sa stupeur. On lui demande également et rhétoriquement ce qu'elle pense voir dans le Colisée. Comme à son habitude, Liv ne répondit que mentalement à la Lanterne.

- Une question suffisamment pertinente pour que je m'y intéresse d'ici peu. Mais, sauf si je me trompe, il serait probablement égoïste et peu attentionnée de ma part d'explorer cette magnifique bâtisse sans prendre la peine de rencontrer nos charmants hôtes. Mais au moins...la vue est bonne."

Car on disait de Rome qu'elle avait perdu de sa superbe. Qu'elle n'était plus que l'ombre de Byzance. Son état spirituel ne portait pas le mérite de contredire ces faits. Tout l'Occident savait désormais qu'un lent déclin s'abattait sur sa Lumière, comme une ombre qui ne cessait de ronger ce qu'elle croisait sur sa route. Rome savait aussi que les dents de cette entité étaient longues et aiguisées, que le chemin vers la gloire n'était un long fleuve tranquille, mais elle avait le plaisir de montrer à ses habitants qu'elle feignait aujourd'hui une Renaissance somme toute relative. Aussi, Liv avait pris soin d'être sobrement mais élégamment vêtue d'une robe de noble qualité, noire et brodée. A ses côtés, une ombre l'accompagnait. Ce n'était pas une silhouette translucide, ni même la représentation d'un "grigri" dépourvu de caractère, mais plutôt un compagnon tangible quoiqu'involontairement inquiétante. De cette femme ou de cette "amie", émergeait une aura surnaturelle. Le jeune femme avait depuis longtemps oublier de faire la distinction entre la banalité et la surprise de ces apparitions, car cette Héroïne lui était familière. Elle avait un beau visage, des cheveux blancs et des yeux couleurs acier et bleuté, et surtout des lèvres charmantes. Moins timide quand le Soleil ne se situe pas à midi, c'était un autre type de fantôme qui ne cessait véritablement d'accompagner la Centurion du Kochtchei ; imperceptible pour un œil humain, mais audible par l'oreille attentive de la jeune femme...

Et de nouveau le soupir d'un Gardien s'envola. On approuva la beauté du paysage, et la position mi-conquérante et mi-diplomate dans laquelle elle se trouvait actuellement, par la force des choses. On lui rappella également les instants heureux d'une héroïne. Elle disait "qu'ici, elle avait pour habitude de chanter, de boire et de fêter à la gloire de Mars, jusqu'au crépuscule. Qu'il s'agissait de bons souvenirs après une bonne guerre." Cette expansion de soi n'ennuyait pas Liv. A défaut de guide, ses Gardiens étaient suffisamment bavards pour lui offrir une visite de qualité. Quoiqu'un peu morne. Car elle ajoutait un "Parfois, la vie me manque."

A l'écoute, Liv acquiesça légèrement mais ne répondit pas. Le silence se chargeait de refléter ses pensées. Elle n'y pouvait rien. Eux non plus. Et, tandis que la Nuit s'imposait à petit feu, la Centurion déambulait de rue en rue et par ses propres moyens, sous les cliquetis doucereux de sa lanterne et l'anonymat éphémère de sa personne. La rue était habitée par quelques chants de musiciens tardifs et, plus loin, un brouhaha plus festif donnait déjà une charmante ambiance aux lieux.

"Tu sais, je crois que Rome rime souvent avec nostalgie."

Et pourtant, c'était là un mot que les Oracles se devaient d'abattre.

Alors, "marchons jusqu'au Panthéon", songea-t-elle. La place ne pouvait être abandonné...

De la fièvre.
Cela faisait bien des années que Rudjek n'avait plus connu cette sensation. Il avait même, d'une certaine manière, oublié le sens de ce mot.
Il avait oublié la chaleur lourde et incontrôlable qui envahissait et conquérait son corps, membre après membre, organe après organe. Il avait oublié ce brouillard qui se répandait dans l'esprit, entravant la réflexion et émoussant les cinq sens de l'humain. Il avait oublié les rêves. Ceux du délire, et non du divin.
Ce lieu l'obligeait à se rappeler.

Les yeux dorés de l'égyptien s'abaissèrent de nouveau vers sa planche à croquis. Il reconnaissait à peine sa propre écriture, ses propres notes, mais pourtant il les comprenait avec une clarté qui n'avait rien de raisonnable. Ses dessins et annotations lui permettaient de garder à l'esprit où il était, et ce qu'il faisait ici.
Sous ses yeux, le Colisée, de charbon et de papier.
Devant lui, le Colisée, de pierre et de sang.

Il ne devait pas avoir fier allure, en cet instant, l'Oracle de Khepri. Assis à l'ombre d'un mur, comme un mendiant, à dessiner comme un dément sur une planche de bois, dont la moitié des feuilles étaient éparpillées à ses pieds. Il était pourtant venu avec les meilleures intentions du monde, à l'origine. Visiter les plus célèbres bâtiments de Rome l'éternelle. Il avait voulu commencer par le Colisée, en pensant que cela lui prendrait la matinée, et qu'il pourrait consacrer son après-midi à un autre lieu de légende.
A présent, la nuit tombait, et il était toujours là.

Rudjek avait sous-estimé l'emprise et la puissance du Colisée. Il avait commencé par dessiner ce qu'il avait sous les yeux, puis ce qu'il avait été avant d'être réduit à l'état de ruine... Puis il avait extrapolé. Il avait dessiné ce qui aurait pu être. Ce qui était, peut-être, sous la surface. L'architecte avait touché du bout du doigt l'intention, la volonté de celui qui avait construit un tel édifice. Et cette volonté était à présent une infection qui le dévorait de l'intérieur.
Il la sentait encore en cet instant. La spirale sans fin qui l'incitait à la violence. Il ne pouvait l'exorcisé qu'à travers ses feuilles, qui au fur et à mesure avaient perdu en cohérence. Aux simples dessins du Colisée s'étaient substitué des schémas de plus en plus complexes, irréels. A présent, ses dernières feuilles étaient noircies de formes à la symbolique obscure.
Qu'adviendrait-il de lui lorsqu'il arriverait au bout de la dernière feuille?
Il fallait à l'Oracle un effort surhumain de volonté pour écarter cette pensée de son esprit, de peur d'en obtenir la réponse plus vite encore.

Plongé sur son œuvre, c'était à peine si l'architecte entendait, non loin, le son d'une fête qui commençait dans les rues romaines. Il ne voyait plus les badauds que comme des ombres, sans forme ni traits, qui passaient parfois dans son champ de vision pour occulter sa vue du Colisée. Deux autres passèrent sans qu'il ne leur accorde plus d'attention.
Puis il sentit le rouge. Il entendit le sang qui coulait de leurs bottes. Les traces qu'elles venaient de laisser sur le sol, devant lui. Visible uniquement par ses yeux déments.

Brièvement, la lucidité lui revint.

Comme un plongeur refaisant surface au beau milieu d'une tempête qui cherchait à le noyer, il tenta de reprendre de l'air. En retrouvant son souffle, Rudjek leva les yeux vers les deux femmes qui venaient de passer devant lui. Elles étaient différentes. Elles faisaient partie de l'œuvre qui le possédait. C'était pourquoi il les avait senti, là où tous les autres lui étaient étrangers.
L'Oracle tendit la main vers les deux femmes, pour arrêter leur marche, mais il était trop loin pour les atteindre. Et ses jambes ne lui répondaient plus. Il parla alors, d'une voix caverneuse qui ne lui ressemblait guère, qui ne lui appartenait plus tout à fait.

- Êtes-vous venus ici pour mourir, vous aussi, gladiateurs?

Que voulait-il dire par là? Lui-même n'en était pas certain, à vrai dire. Il espérait juste que cela serait suffisant pour attirer leur attention, et lui donner un repère au milieu de ce chaos. Car déjà, il sentait en lui la fièvre remonter pour commencer à dévorer la périphérie de sa psyché.

Parfois, un seul regard suffit à allumer une braise de nostalgie. A dire vrai, Liv avait l'impression de reconnaître Rome dans son ensemble. C'était une bonne chose, car ses souvenirs lui faisaient quelque peu défaut. Mais cette architecture, ces sons et ces parfums ne trompaient personne...Cela faisait si longtemps !

Ces mêmes minutes auraient pu défiler ainsi encore longuement. Au diable la main tendue qu'on lui adresse ; rien ne pouvait la séparer de ces contemplations ! Dans le fond, la jeune femme ne doutait pas que la population ne reconnaîtrait plus l'adolescente qu'elle avait été. Elle ne s'attendait donc pas à ce qu'un homme de petite condition -voleur, mendiant, catin, que savait-elle encore ! Ses propos et sa voix étaient étranges... - ne l'interpelle. Alors elle s'arrêta afin de détailler l'étrange homme qui l'avait affublé d'un titre trop juste ou trop précis pour un simple habitant. A ses côtés, la dame qui l'accompagnait se rembrunit immédiatement, et garda le silence lorsque la Kochtchei adressa ses premiers mots.

"Hélas, on n'y meurt plus avec les honneurs depuis des siècles déjà. Les âges évoluent...Je veux dire, contemplez le temps ronger la pierre et les murs du colisée."

A question décalée, réponse décalée. Ses orbes de glace coulèrent vers la petite forme humaine, sans joie, sans tristesse. Il y avait de la froideur et de la pudeur dans sa façon d'interagir avec l'individu. Il y avait aussi un esprit assurément contemplatif en cette femme qui décortiquait déjà les réactions de cet individu probablement éveillé au cosmos, mais...de quelle manière ? Etait-ce un ennemi ? Un allié ? Un Oracle ou un talent visiblement gâché, en perdition ?

Ah ! La vie était parfois si triste. Les lèvres de la Berserker s'entrouvrirent.

"Mais l'alcool et la fatigue doivent peut-être embrumer votre cerveau mon pauvre. Avez-vous besoin de pain ? De quoi manger ? Si c'est le cas, je suis aux regrets de vous annoncer que je n'ai malheureusement rien emporté avec moi...Vous m'en voyez navré."

C'était pourtant ce qui se prêtait le plus à sa situation. L'homme se dressait sur un sol crasseux parmi ses dessins jonchés au sol, avec ses petits yeux fous rivés sur sa planche de bois. Peu soigné en apparence, il s'agissait finalement au moins d'un artiste comme on en retrouve tant dans la sainte cité. Mais alors, un artiste négligé. Soit. Elle ne les portait pas dans son cœur, mais sa main lui serait tendue.

"Toutefois, Rome est généreuse ces derniers temps et je suis prête à me montrer charitable à mon tour. Souhaitez-vous une pièce ? Oui, vous semblez la désirer. Tenez, prenez-la."

Le mendiant n'eut pas son mot à dire. La pièce coula de son pouce, pour finalement chuter bruyamment au sol. Après tout, il était dans le devoir du bon d'aider le gueux.

Bon! Autant pour la tentative de retrouver pied au milieu de cette tempête d'émotions qui se déchainaient en lui. Le ton et les paroles que la combattante de chair lui adressa ne firent que le replonger dans les profondeurs de cette fièvre, tant il lui déplurent. Le visage grimaçant et les sourcils froncés, il considéra la pièce que la femme venait de lancer à ses pieds. Finalement, ses doigts se tendirent, et il la ramassa... Pour immédiatement la lancer au visage de la rouquine avec une adresse et une précision surprenante au vue de son état. L'exaltation avait cela de bon qu'elle faisait courir l'adrénaline comme personne!
Le mendiant fou, puisque c'était ce qu'il était désormais, se redressa pour se tenir debout adresser un regard empli de dégout et de pitié pour la jeune femme.

- Tu parles beaucoup, toi, pour quelqu'un à qui je ne m'adressais pas!

Il fit quelque pas en avant, chancelant sous l'effet du tournis causé autant par sa fièvre que pas le fait de se relever après avoir passé autant d'heure assis au pied de ce mur. Marchant sur ses propres croquis, il alla jusqu'à se planter devant elle... Non pas la rouquine qui l'avait insulté, mais l'ombre fantomatique qui l'accompagnait. Car oui, il la voyait aussi clairement qu'elle! Et c'était avant tout à cet ancien champion qu'il s'adressait.

- Elle n'est pas très maligne, votre servante. Vous devriez lui... Oh! Ah! Je vois! Vous n'avez pas de bouche, donc elle parle à votre place. Ce n'est pas très pratique...

Les yeux de Rudjek s'étaient écarquillés. Une medium! Ha! Quel dommage. Il n'allait pas pouvoir discuter directement avec le gladiateur! Pourtant, l'Oracle était certain qu'il avait tellement à dire... D'un air déçu, il reporta son attention sur la rouquine. Le regard flou de l'égyptien la détailla de bas en haut, la jugeant en silence surement aussi crument qu'elle l'avait fait pour lui. Poussant un soupir bruyant, il continua de s'adresser au fantôme tout en la regardant d'un air désabusé.

- En plus elle a l'air de ne même pas comprendre ce qu'elle observe. La pierre est vieille, mais elle est toujours là. Elle sommeille et endure. Et l'arène est toujours pleine. Ils continuent d'y mourir, vos amis. Encore et encore, chaque jour! Pour l'honneur et la gloire!

La voix de l'Oracle monta quelque peu. Alors qu'il évoquait les combats du Colisée, son sang recommençait à bouillir. Il n'était pas encore complètement libéré de son emprise! Ses poings se serrèrent et se levèrent légèrement, avant qu'il ne secoue la tête brusquement pour reprendre le contrôle de son propre corps. Il ferma les yeux un instant, le temps de se calmer. Les cris qu'il entendait au loin, dans l'Arène, trouvaient encore écho en lui. Mais les dalles sous ses pieds le gardaient encore dans cette réalité. Ce n'était pas le sable de la fosse. Le sang ne devait pas y être versé.

Une fois calmé, Rudjek fit un pas pour cette fois faire face à la jeune femme elle-même. Avec une moue, il la considéra une nouvelle fois. Ses yeux s'arrêtèrent sur la lanterne qu'elle portait. Encore une fois, une évidence s'imposa à lui, une illumination qui ne pouvait naitre qu'au milieu du chaos de son esprit tourmenté. Il posa la question qui déjà lui brulait les lèvres.

- A quoi bon être venue jusqu'ici avec la clé si c'est pour ne même pas ouvrir la porte?

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