[Février 553] Ceux qui sont restés en arrière

L'heure était finalement venue de se séparer à nouveau. Après ces quelques semaines à marcher côte à côte, à chercher des réponses, des indices, les Oracles pouvaient relâcher la pression et repartir chacun par son propre chemin pour accomplir leurs quêtes les plus personnelles.

Parmi ces dernières, comme les autres le savaient déjà, la fille d'Apollon avait résolu de retrouver la trace d'Asclépios, ainsi que mentionnée par Marcus, et celle du blond solaire censé ne plus se trouver dans un sommeil éternel. Elle faisait amplement confiance à chacun des autres pour revenir à Rome, et être présent lorsque les événements le nécessiteraient, ou quand Apollon l'ordonnerait. Après tout il avait prouvé que même scellé, il était capable sur la trame du monde.

C'est ainsi qu'après les au revoir la nymphe quitta Reims par la route qu'ils avaient empruntée à l'aller. En théorie les Nordiques ne s'aventureraient pas au sud, mais elle vérifia tout de même qu'on ne la suivait pas particulièrement avant de se rendre dans l'auberge-étape où attendaient les chevaux et les quelques affaires qu'elle avait laissées avec. Elle retrouva avec grand plaisir son ami Julius Equum, rassura les équidés sur le retour proche de leurs propriétaires, paya sa part de la pension, puis monta en selle par une fraîche matinée, moins brumeuse qu'avant lui semblait-il.

Pendant un moment, l'image de Théodoric XIV lui traversa l'esprit. Le colombin avait disparu dans la Lumière, alors qu'elle lui avait promis de prendre soin de lui quelques temps, de l'emmener en un voyage d'Oracle et de découvertes qu'il aurait été fier de ramener à ses proches. Etait-il mort ? Impossible d'être tout à fait sûre. Dans le doute, elle pria pour qu'il connût une existence plus belle encore là où il se trouvait désormais.

Quand enfin la route sur laquelle elle se trouvait devint déserte, la Gardienne sourit et se pencha à l'oreille de sa monture, l'abreuvant au passage de caresses affectueuses. Il était temps pour le coursier de prouver que son pédigrée était mérité.

Allez Julius Equum. Comme le vent ! Nous allons à Toulouse !

Trop heureux d'enfin comprendre ce qu'elle lui disait après tout ce temps de silence, l'équidé inspira profondément par les naseaux, se cabra en battant des sabots comme s'il abattait un mur invisible, puis partit au galop en hennissant joyeusement. La nymphe éclata de rire et se cramponna à la selle et à sa crinière.

***

La première chose qu'aperçut le Héron en arrivant près de la Ville Rose fut la forme distinctive au loin d'une croix élevée vers le ciel. L'édifice, assez grand, se trouvait à l'extérieur des remparts, et elle reconnut la forme d'une basilique une fois proche. Les cloches sonnèrent, onze coups qui firent s'envoler une nuée d'oiseaux et avancer une nuée de pieux croyants. Elle sourit, tandis que Julius Equum lui piaffait quelques mots. Elle pencha alors la tête vers sa selle, puis ses jambes, la croupe de son cheval, son encolure.

"Oui, un bain ne ferait de mal à personne..."

Couverte de la poussière de la route, ses fourrures de moins en moins utiles à mesure qu'elle gagnait le Sud et la vallée où le climat s'adoucissait, en plus du printemps qui arrivait à son rythme, Célestia songea que se présenter ainsi devant Adalrik reviendrait à lui manquer de respect. Il fallait au moins qu'elle se débarbouillât le visage et les cheveux, qu'elle donnât un coup de brosse à son compagnon.
Et puis surtout... elle avait réfléchi à plusieurs moyens de retrouver l'ancien Augure, mais l'idéal aurait été de le faire dans la plus grande discrétion, pour sa sécurité. Elle doutait que le réveil et son retrait du devant de la scène avaient pour but qu'on l'exposât de nouveau aux affaires des Éveillés de plein fouet.

***Faisons les choses une par une.***

Elle n'oubliait pas que selon Marcus, la ville était territoire aphrodisiaque. Autrement dit, les coutumes n'y seraient peut-être pas les mêmes qu'à Rome, et elle devait prendre le pouls de la population tranquillement. Si elle avait de la chance, Adalrik la trouverait même le premier.

Elle se dirigea donc vers la Garonne dans un premier temps afin de se rafraîchir, et de permettre à sa monture d'en faire autant, tout en le brossant longuement.

Le groupe qui avait été fondé par la nécessité et l’importance de leur quête s’était rapidement fractionné dès lors que leur objectif avait été accompli. De ce qu’il pouvait en savoir, Esmelia comptait se rendre à Rome tandis que Veena devait en finir avec l’Ase sur place. Lykeios quelque part s’en voulait un peu de les avoir laissées seules. Une partie de lui aurait voulu pouvoir les protéger, mais celle-ci tendait à s’enfouir, ensevelie sous ses sombres pensées et dérives récentes, ses doutes et son amertume. Et puis… contrairement à Esmelia, il n’estimait pas trouver une demeure à Rome ; là où il n’y aurait sans doute toujours personne pour les guider, les aider à trouver leur voie. Quant à Rowena, s’ils avaient été proches et que quelque part elle comptait toujours à ses yeux, il n’oubliait pas les paroles d’Abrarxès. Elle devait trouver elle aussi son propre chemin. Sa propre puissance. Et cela commencerait sans doute par ce compte qu’elle avait à régler avec le nordique, et qui ne le regardait en rien. Car clairement, l’Épervier n’estimait pas devoir quoi que ce soit à cet homme : il ne lui avait aucunement demandé son aide, ni de foutre le nez dans leurs affaires. Ne s’était engagé à rien par devers lui. Pas de dette à ses yeux, d’aucune sorte.

Dans tout cela, il avait donc pris la décision simple de tenir parole. Cela avait déjà été évoqué, et il en avait confirmé la promesse alors que Célestia guidait une colombe dans les derniers instants : il les conduirait en sûreté à Toulouse, auprès d’Adalrik. D’une certaine manière, cela constituait un roc en ses instincts instables et son insatiable soif. Tenir parole lui donnait l’impression de faire encore partie d’un tout. De n’être pas dans une terrible pente. D’être quelqu’un de valeur, alors qu’il avait bien compris que ce n’était pas le cas. Que le véritable Lykeios n’avait laissé derrière qu’un rebut. Recyclé, certes, mais toujours aussi oiseux. Pourtant, il savait que bientôt, il y serait confronté. À lui-même et ce qu’il était. Seul, face à face. Il n’y aurait plus à assurer de faux-semblant. À tenir bon pour d’autres. À faire bonne figure. Bientôt, il ne resterait plus que lui, véritable et maudit.

Ce processus avait déjà débuté bien sûr. S’était renforcé au fur et à mesure de leur quête, jusqu’à lui exploser au visage alors que la seule difficulté de leur quête avait été remplie par un étranger. Lui qui s’était déjà estimé superflu l’avait forcément très mal vécu. Et c’est avec un rictus mauvais qu’il repensait à cette ombre lupine aperçue… S’il était là, s’il était de retour… Alors Démétrios pouvait-il encore se permettre de porter son nom ? Tenir son rôle ? Tenir un rôle, quel qu’il soit ? Alors il porte son regard vers Célestia. Elle est un bout de lumière qui ne fait pas de mal dans son royaume d’ombres. Elle se rafraîchit au bord d’une rivière, et lui de se poser la question : a-t-elle senti qu’il l’avait suivi ? Que dans les ombres, quelqu’un avait veillé sur elle ? Peut-être. Sans doute. Il n’avait pas usé d’une monture pour sa part, préférant user des capacités surhumaines de son corps. Imiter la vitesse et l’endurance d’un cheval n’avait vraiment rien de sorcier, s’avérait assez simple à reproduire, pour une utilisation de Cosmos réellement minime, presque insignifiante pour qui peut atteindre la vitesse de la lumière à loisir.

Alors il s’approche. Comme si de rien n’était vient s’accroupir au bord du fleuve, recueillant un peu d’eau dans le creux de sa paume pour la porter à ses lèvres. Réitère à plusieurs reprises, avant de s’en frotter le visage. De relever la tête vers le ciel, rabattant sa capuche, laissant tant le vent que le soleil venir flatter sa peau, tandis qu’il pousse un long soupir. Au moins à présent tout était clair, si elle n’en avait pas encore le cœur net, elle ne pouvait plus douter qu’un de ses compagnons de voyage avait poursuivi la route avec elle.
- Tu as toujours le sceau avec toi, n’est-ce pas ?
Simple entame. Façon de parler. Et puis l’on ne savait jamais, que le nordique ait pu mettre ses sales pattes là-dessus également, en sus de l’ampoule. Peut-être aussi qu’il demeurait nécessaire à tout être humain d’entendre sa propre voix de temps à autre pour ne pas sombrer dans la folie, tout simplement...

[Février 553] Ceux qui sont restés en arrière Solaire-dore

Il était sorti comme de nulle part, en silence, et discrètement même s'il ne se cachait pas. Comme le frère qu'elle avait perdu. Si dans son esprit elle ne put s'empêcher de faire la comparaison, c'était bien pour l’Éminence de l’Épervier qu'elle adressa son regard amical et non le dieu-Loup. Le voyant puiser de l'eau, elle sortit d'une sacoche un petit bol qu'elle déposa près de lui, au besoin. De son côté, elle s'assit un peu plus au bord de la berge et détacha ses sandales pour pouvoir plonger ses mollets dans l'eau fraîche et détendre ses muscles endoloris par la longue chevauchée. Cela lui tira un soupir d'aise et elle ferma les yeux un moment pour mieux en profiter.

"Oui. Il ne m'a jamais quittée."

C'était l'avantage des petits objets, on pouvait les cacher sur soi et se défaire de bagages en même temps. Cela lui rappela l'oiseau alchimique de Marcus, solidement noué à l'une de ses mèches de cheveux et qui pendait généralement contre sa nuque ou sur son épaule, dissimulé par sa longue crinière blonde. Son bec piquait parfois dans sa peau tendre, sans blesser, comme s'il lui confirmait sa présence sans pourtant être animé.

Elle tourna la tête vers son compagnon et l'observa un instant. Depuis Lugdunum, elle lui trouvait sa mine des mauvais jours. Il n'avait rien voulu dire de précis et ne le ferait sans doute pas, mais la rencontre qu'il y avait faite semblait s'être mal passée. Abrarxès du Taureau noir... Le même qu'elle avait soigné en toute hâte à Rodorio des années auparavant. L'envie de demander de ses nouvelles ne manquait pas, mais rappellerait sans doute à Lykeios que leur entrevue s'était révélée infructueuse. Alors elle se tut. Chercha un autre moyen de parler, de trouver peut-être comment lui remonter le moral.

"Je suis contente que nous n'ayons pas été blessés, ou pire... et que tu aies été là quand j'avais besoin de parler."

Des mots qu'elle avait déjà prononcés, mais qui n'avaient peut-être pas porté autant qu'elle l'avait voulu dans le feu de l'inquiétude et de l'empressement. Et puis, il fallait bien trouver une amorce, commencer quelque part. Ils étaient seuls, mais elle baissa tout de même un peu la voix afin d'être certaine qu'aucun Dormeur ne les surprendrait.

"Tu sais, il y a quelque chose que je voulais te dire, mais l'occasion n'est pas venue jusque-là. Je pense que tu étais la fondation de cette mission. Au cas où tu n'aurais pas gardé ce souvenir, laisse-moi te rappeler : lors de la Sol Occurrens, quand Père nous a confiés la fiole, et la mission du même coup, c'est à toi qu'il s'est adressé. Rowena n'était pas là. Esmélia non plus. Et les autres... sont portés disparus à ma connaissance. Ou doivent rester au secret, je suppose. Son regard est toujours porté le temps, je suis sûre qu'Il savait ce qui allait se produire. La Tour, mes frères, l'Itinérance... Malgré tout, Il t'a confié cette mission. A ce Lykeios qui allait devenir toi, le toi d'aujourd'hui. A cet homme qui nous a rassemblées, épaulées, rassurées. Même si tu estimes que tu n'as rien fait d'extraordinaire, je persiste à croire que sans toi, nous ne serions peut-être même pas partis de Rome."

La déclaration allait peut-être remuer le couteau dans la plaie... Comment allait-il prendre la chose ? Le Héron pensait sincèrement ses mots, mais savait aussi que généralement, quand on avait l'impression de ne plus avancer du tout, il pouvait être difficile de réagir positivement aux encouragements des autres. Le doute et l'impuissance avaient la main ferme et l'emprise tenace.

Retirant ses jambes de l'eau, elle se rapprocha un peu de lui, sans le toucher, sans envahir son espace. A peu près à hauteur du bol qu'elle avait déposé plus tôt. Pourquoi l'avait-il accompagnée elle, qui était la plus bavarde et la plus instable du groupe quand elle commençait à broyer du noir ? N'était-ce pas un signe qu'il cherchait aussi d'une certaine façon à ce qu'elle lui dispensât un peu de cette Lumière qui manquait tant depuis qu'Apollon était scellé ?

Elle se promit qu'au moindre signe d'agacement de sa part elle tairait le sujet et n'en parlerait plus, tout comme elle avait promis depuis la basilique de bien faire la distinction entre les deux Lykeios. Mais si elle pouvait tenter une toute dernière fois de crever l'abcès, lui enlever un peu de poids des épaules, il valait le coup d'encourir sa colère. Alors elle demeura près de lui, prête à recevoir un blâme, car même sans être sa sœur elle demeurait son amie, et qu'en tant que telle elle ne le rejetterait pas pour si peu.

Le sceau se mit à luire.

Les deux oiseaux de proie étaient en train de discuter quand le petit bijou se mit à luire à intervalles régulières. Soudain, le soleil se fit plus ombrageux, plus froid. Dans l'air, on pouvait sentir que le crépuscule venait de tomber sur eux. Soudain, l'ombre d'un immense rapace apparut dans le ciel et fendit l'air afin d'atterrir à quelques mètres d'eux. Un inconnu aurait eu la sensation de voir un gigantesque épervier. Subterfuge du cosmos, il était de ceux qui savaient triché avec les visions des gens.

L'ancien Epervier, prédécesseur de Lykeios, venait d'entrer en scène. Ses deux prunelles noires ne masquaient aucune émotion, juste une fatigue palpable. Nul besoin d'être devin pour comprendre que quelque chose avait frappé cet homme de plein fouet.

- Voici donc la raison de mon ressenti. Lykeios, Celestia... Mes amis, je vous pensais morts depuis longtemps. Malheureusement, vous arrivez en des heures sombres, le seigneur Paris est mort...

Il s'interrompit brutalement. Il avait oublié. Un filet de sang coula légèrement à la commissures de ses lèvres quand il s'était rendu compte de son erreur. Le seigneur Paris était inconnu des mortels comme des Factions de ce monde. Et Adalrik... Oui, il ne pouvait leur dire que le subterfuge de son nom avait permis de garder unis les artistes de la Tour des vents qui s'étaient réfugiés ici.

- Vous venez pour le seigneur Adalrik je présume ?

Pendant ce temps là.... Alors que le sceau continuait de vibrer par intervalles. Lykeios ressentit quelque chose. C'était légèrement imperceptible, presque inaudible. Il venait d'entendre une voix au plus profond de son être. Cela venait d'où ? Dur à dire mais il connaissait cette voix, c'était celle du Dieu de la Médecine, son frère, Asclépios.

- Mon frère.... M'entends tu ?

Son sang dansait et se souvenait. Quelque chose arpentait ses souvenirs, son gosier s'asséchait. Il entendit alors.

Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.

C'était comme si le vent avait porté ce message du plus profond de sa mémoire.

Lykeios garda le silence. La petite blonde également, même si elle lisait sur son visage qu'il réfléchissait profondément à ce qu'elle venait de lui dire. Probablement n'y croyait-il pas, ou pas assez. Peut-être avait-il sur la conscience d'autres problèmes, d'autres fardeaux qu'il n'avait pas partagé avec ses compagnes de route. Elle lui laissa le temps. Ce temps dont ils manquaient en vérité, car à chaque seconde supplémentaire d'enfermement, le Soleil pâlissait.

Athéna, insensée de vouloir arrêter la course de l'astre. N'était-ce pas faire le jeu des Roisin Dubh ? Le jeu de Carthage ? Le jeu des Spectres, en fin de compte ?

Presque solennelle, le Héron détourna les yeux vers le petit bol. Son regard ainsi lui laisserait du répit à son tour. N'aurait pas à lui imposer le port d'un masque de bravoure et de force. Craque donc Lykeios. Laisse-toi aller à quelques larmes, ou à quelques noires pensées. Laisse-les sortir afin que le vase se vide, que le poids s'allège. Il n'en fit rien. Lykeios ne craquait jamais. Devant personne.

Après un moment hors du temps, elle releva les yeux, toujours sans réponse. Et elle capta comme un mouvement au bout de ses lèvres, prêt à répondre ou en tout cas à parler, lorsque tout à coup une lumière se manifesta à travers son vêtement. La Gardienne sursauta presque et sortit l'objet qui reposait dans une couture près de son cœur. Le sceau d'Adalrik réagissait à quelque chose. Une seconde. Puis une autre. Et plus tard encore une autre.

Presque aussitôt, le ciel s'assombrit de façon non-naturelle, et un visiteur les rejoignit, brisant tout net cette presque confidence, l'imminence peut-être d'une amorce de guérison. Alors l’Épervier se leva, Célestia à sa suite à la fois amère et stupéfaite par l'identité du nouvel arrivant. Trop vite. Les choses allaient trop vite.

"Eh bien. Il semblerait que tu aies trouvé ce que tu cherchais, Célestia. J'ai tenu ma promesse. Je vais te laisser maintenant."

Solitaire, comme toujours. Il avait prévenu depuis Reims, mais maintenant, de cette manière ? Un instant la nymphe voulut lui courir après, l'empêcher de s'éloigner, rattraper le fil de la situation en train de lui glisser des mains, mais Lykeios avait besoin d'air. Elle le savait. Elle s'était promis de lui en laisser. Alors elle se résigna à le laisser partir.

"Prends soin de toi ! Tu es important ! Irremplaçable !"

Un salut lui répondit et quelque part son cœur se serra. Comme si... Comme si...

Puisqu'ils ne restaient qu'eux, elle dévisagea alors Amadeus. Il avait l'air identique à son souvenir, peut-être un peu plus accablé. Difficile à dire, leur rencontre avait été plus que brève. Ce fut le souvenir de cette rencontre qui la fit se tendre. Ses circonstances. Marcus avait bien dit qu'Asclépios avait réussi à réveiller Adalrik, et donc Amadeus aurait pu l'être aussi mais... quelque chose clochait.

"Ama... Amadeus..."

Elle déglutit. Serra la main qui tenait le sceau. Ce n'était pas lui. Impossible.

"Lykeios n'était pas encore à la Tour quand Amadeus a été blessé. Qui êtes-vous ?"

Se tenait-elle face à Phantasos ? Pourquoi avait-il mentionné le héros Troyen Pâris tout à coup ? Pourquoi ce sang au coin de sa lèvre ? Comment connaissait-il l’Épervier ? Pourquoi possédait-il son apparence ? La présence de Dormeurs à proximité la protégeait relativement contre une attaque-surprise, mais il faudrait qu'elle soit vive et attentive. Un coup de dague était vite arrivé.

Citation :: Vu avec le joueur pour la sortie de Lykeios.

Les apparences sont souvent trompeuses Celestia.... Je suis pourtant bien Amadeus, gardien et protecteur de l'ancien Augure d'Apollon. Celui qui en avait la charge avant moi.... Paris de Troie... est décédé par sa propre volonté.

Amadeus laissait filtrer une tristesse profonde. Il omettait de préciser dans l'intervalle qu'il avait confié au Chevalier de Pégase une dague venue des enfers. Le seigneur solaire avait vu son importance dans le futur et il était important que les choses furent faites. Pâris l'avait certainement mieux compris que lui à vrai dire. Soupirant, il reprit le chemin de ses pensées.

Le seigneur Adalrik est encore sous l'emprise du sort d'Hypnos. C'est tout ce que je peux te dire... Notre devoir... pardon, mon devoir... est de veiller sur lui jusqu'à que les Dieux le rappellent. Il existe des légendes de la sorte dans notre Clan, il est dit qu'un jour le Dieu solaire rappellera à lui les anciens héros de jadis pour vaincre le mal. Je ne connais pas la nature de cette légende mais cela peut expliquer l'existence des Tertres et aussi de cet ordre noir qui agit dans notre ombre... Bon sang... A te parler autant, tu risques de me trouver plus suspect...

Cette évidence lui était venue brutalement alors qu'il terminait sa phrase. Il avait parlé à coeur ouvert, pourquoi ? Lui le taiseux, le mystérieux et l'intrigant. Tout cela avait explosé avec la disparition successive d'Adalrik et de Pâris. Il ne lui restait plus grand chose, à part le corps endormi de son ami. Sans se rendre compte, il regarda un instant derrière lui afin de sentir le cosmos de ce dernier. Comme d'habitude, il semblait dormir du sommeil des justes. Cruelle ironie. Il souriait un instant et se tourna plus curieux dans la direction de Celestia.

Et toi... Qu'es tu devenu depuis ces derniers mois ? Années même...

"Les apparences sont souvent trompeuses..."

Cela semblait être devenu un refrain bien trop au goût du jour. La nymphe serra le poing autour du sceau, se mordit la lèvre sans quitter des yeux ce fantôme surgi du passé, qui mettait à bas certaines de ses certitudes, ses espoirs, et alimentait ses doutes comme on jette des lettres qui ne doivent jamais être lues dans un foyer encore vorace.

"Et c'est tout ? Vous pensez réellement que je vais me contenter de cela ?"

Elle secoua négativement la tête, la colère d'être tenue dans l'ignorance nouant ses entrailles.

"J'ai vu cette dague vous blesser. Adalrik a soutenu que vous dormiez. Apollon aussi. Les prêtres et les prêtresses chargés de veiller sur vous. Et que dire de Phantasos ? Et depuis tout ce temps, vous mentiez ? Tous, vous mentiez ? C'était la première fois que je mettais les pieds à la Tour. La première fois que j'osais dire à voix haute qui j'étais. La première fois que j'étais trahie aussi, il semblerait."

Insensiblement, son cosmos s'anima. L'eau du fleuve à proximité sembla s'agiter, le vent se lever et tournoyer autour d'eux, pas menaçant, mais pas non plus amical.

"Avez-vous la moindre idée de la culpabilité que je porte depuis que j'ai dévié cette dague vers vous bien malgré moi ? Savez-vous comme il est difficile de se battre pour des personnes qui passent leur temps à mentir sur leurs intentions, sur leurs projets, sur... leur simple existence ?"

Elle sentit une douce pression dans ses cheveux, puis la chaleur du naseau de Julius Equum qui pressait sa tête contre la sienne. Le vent retomba alors, l'eau reprit sa course à son débit normal, mais elle ne lâchait pas cet Amadeus du regard. Trois années de duperie. Trois années de silence. Autant dire, pour sa courte vie d'homonculus, une éternité en soi.

"Même vos explications n'ont aucun sens. Pâris est un héros légendaire, mort depuis bien longtemps. Notre "Clan" comme vous dites, a été réduit à peau de chagrin par une guerre à laquelle vous n'avez pas participé. Des Oracles qui subsistent aujourd'hui, presque personne ne vous connaît. Moi-même, je ne puis pas affirmer vous connaître réellement. Alors cessez de me parler comme à une amie. Vous voulez savoir ce que je suis devenue ? Bien : deuil, suspicion, blessure, colère. Vous vous êtes appliqués, tous les Hommes et les dieux autant que vous êtes, à détruire la Célestia d'il y a 3 ans. Et vous n'y êtes pas allés de main morte."

Pire que tout, elle s'était détruite elle-même en jouant cet infâme jeu de tromperie face aux Dormeurs. "Pour les protéger", soi-disant. Cela avait-il apporté quoi que ce fût en fin de compte ? A part, bien sûr, un peu plus de souffrance, de mensonges, de subterfuges afin de se faire passer pour ce qu'on n'était pas. En son for intérieure, la Gardienne se prit à maudire la Mascarade, Zeus et les Olympiens dans leur ensemble, hormis son père. Lui, il était impossible de le haïr d'une manière ou d'une autre. C'était inscrit en elle, aussi sûrement que la faim, la soif ou le sommeil.

Elle inspira profondément tout en fermant les yeux une seconde. Son expression s'était légèrement détendue. Sans un mot, elle ramassa le bol qu'elle avait laissé à l'attention de Lykeios, rangea les quelques affaires sorties pour s'occuper de sa monture, et tâcha de dissimuler aussi bien que possible le sceau toujours lumineux.

Quand les traces de sa halte eurent disparu, elle remonta en selle, flattant l'encolure de l'animal et dardant un nouveau regard sévère sur Amadeus. Sa voix était aussi sèche que son teint était pâle :

"Je me plais à penser que je suis quelqu'un de magnanime. Prouvez-moi que, cette fois au moins, vous dites vrai : je veux voir Adalrik. Je suis venue pour lui ainsi que mon frère. Même endormi, je ne compte pas repartir avant de l'avoir vu de mes yeux. De plus, mon cheval a besoin de repos et de nourriture, et j'ai moi-même besoin de récupérer. Enfin, bien entendu, j'escompte avoir des réponses. La vérité. Vous me devez bien cela. Si vous pouvez satisfaire à tout cela, alors j'accepterai de vous croire."

Levant un sourcil, Amadeus reprenait lentement son visage imperturbable. Non pas qu'il interdisait à la jeune femme de s'exprimer mais le respect dû à ses ainés était une chose importante pour lui. Soupirant, il prit donc quelques instants avant de répondre.

Mentir non. Que vous ne soyez pas au courant de tous les faits, c'est autre chose. J'ai été empoisonné à l'instar du précédent Augure... Mais disons qu'il est difficile qu'un poison m'affecte réellement.

D'un geste de la main, Amadeus prit son couteau sur le côté droit et se gratta la peau sur son avant bras. Du sang commençait à couler et l'ancien Oracle ne semblait ressentir aucune douleur. Lentement, on voyait se dessiner quelque chose sous le sang, du bois légèrement gravé...

Je suis un peu comme vous, une expérience plus ancienne de notre souverain. Un de ses traits solaires comme il aimait le dire. Je n'ai pas vos qualités et les sentiments humains me sont difficiles à appréhender. C'est la raison pour laquelle... Je n'ai qu'un nom, venant d'un âge que vous ne pouvez connaître. Il concentra alors son cosmos afin de faire disparaitre la blessure. Et oui, les apparences sont trompeuses mais pas forcément dans le sens d'un quelconque mensonge. Cela doit rester un secret absolu, si quelqu'un venait à apprendre tout cela. Votre vie serait immédiatement en danger.

Un sourire.

Comme dit à l'instant, vous ne savez pas tout jeune princesse. Pâris, le héros légendaire, ancien Augure d'Apollon, était bien ici y'a à peine quelques semaines... Il est malheureusement mort de sa propre volonté, pour une raison qui m'échappe encore. Son héritage est maintenant entre les mains d'un jeune saint, le chevalier de Pégase.

Puis, d'un signe de la main, il l'invita à le suivre. Ils entrèrent dans le pavillon à droite de la basilique. Prenant une torche, ils s'enfoncèrent dans les profondeurs d'une cave, puis d'un mot magique, un pan de mur se retira pour laisser apparaître un homme allongé sur un vaste socle de pierre. Ses mains étaient jointes sur sa poitrine et un cosmos solaire émanait de lui, paisible et serein. Adalrik était là, dormant tranquillement sous la protection du cosmos d'Apollon en personne.

Voilà, il se porte bien. Je n'ai pas menti. Les apparences sont juste trompeuses...

Toujours méfiante, Célestia le regarda porter la main à son côté, sortir son arme. Julius Equum eut un mouvement de recul en voyant un reflet sur la lame mais la jolie blonde ne bougea pas pour autant. Ils étaient toujours à découvert, et attaquer aussi brutalement dans cet espace ouvert ne serait pas à l'avantage d'une personne qui n'avait plus ses ailes.

Étrangement, le sang perla mais elle n'eut pas l'impression que cela lui fit quoi que ce fût. Et sa peau avait un quelque chose de... plutôt inhabituel. Elle comprit en voyant le motif, entendant les explications. Retenant un hoquet de surprise, elle le dévisagea sous un jour nouveau.

"Ça alors... Vous êtes un hom... ! Un homme bien étrange..."

Cela remettait quelque peu en cause cette impression d'être unique en son genre. Il y avait bien sûr eu les autres Gardiens, mais elle devait être la dernière, la seule de l'époque actuelle. Alors qu'était-il, lui ? Quel était son rôle dans l'ombre, puisqu'il ne combattait plus sous le voile de la Lumière ? Se pouvait-il qu'Apollon l'ait créé uniquement pour devenir le protecteur d'Adalrik une fois endormi ? Que son existence se résumât à veiller sur celle d'un autre, sans être libre de pensées, de désirs, d'ambitions ?

"Je ne sais pas ce qui est le plus étrange entre cela, et le fait que le marbre ressente plus de choses que le bois !"

Elle l'avait dit avec un sourire contrit, sur un ton qui se voulait de plaisanterie tout en étant indéniablement teinté d'embarras. Sa voix mourut bien vite alors qu'il parlait à nouveau du légendaire Pâris, et surtout de celui qui avait visiblement eu affaire avec lui. Pégase. Un Saint... Y avait-il donc un secret dont elle ne connaissait pas la teneur aux mains de ceux, de Celle qui avait pratiquement anéanti leur Ordre ? Une bien mauvaise nouvelle en vérité.

Pensive quant à ce que cela impliquait de danger pour les Oracles en général, elle fit prendre à sa monture le chemin indiqué, la laissa libre de brouter aux abords de la basilique en attendant son retour des sous-sols. L'équidé était assez intelligent pour ne pas se laisser monter par le premier venu.

Le trajet ne fut pas bien long pour parvenir jusqu'à Aldarik. Même court en fait, plus qu'elle l'aurait pensé, tant l'importance de cet homme pour les élus d'Apollon avait éclipsé son sommeil. Sans un mot, la belle s'approcha de ce visage qu'elle n'avait plus vu depuis 3 ans, en effleura la peau du bout des doigts pour constater qu'il y avait bien encore de la chaleur dans ce corps inanimé. Le remord de ne pas l'avoir accompagné à Jamir refit surface un instant, avant de se dire que cela aussi, sans doute, faisait partie des plans d'Apollon. Aussi inexplicable semblait-il.
Dans un geste aussi tendre que spontané, Célestia se pencha au-dessus de l'ancien Augure, positionna son oreille au niveau de son cœur et écouta un moment. Lent, mais présent. Faible, mais vivant. Elle avait besoin de cela pour se rassurer, apaiser une partie de l'espoir déçu de le revoir endormi et non sur ses deux pieds comme avait pensé Marcus. Au moins il était là. Et quelqu'un veillait sur lui.
Se redressant, elle envoya un mince filet de Lumière chercher sa conscience quelque part. Si Adonis avait pu le faire pour elle, alors peut-être Adalrik verrait-il également. Une once d'espoir au milieu d'une nuit sombre.

"Maître Adalrik... Nous ne vous avons pas oublié."

L'un de ses sourires un peu énigmatiques se rappela à elle, et elle sourit en retour face à l'endormi. Un moment encore elle demeura là. Un moment qui fit naître une berceuse sur ses lèvres fines :

"Le sourire qui s'allume
Le regard qui s'embrume
Et tu t'en vas danser au ciel
Tu m'apaises, tu me mens
Puis tu glisses doucement
Vers le plus beau des sommeils
Dors mon ange
Dans l'éternelle candeur
Dors mon ange
Le ciel est ta demeure
Vole mon ange
La vie est plus douce ailleurs

Je suis un funambule
Suspendue dans la brume
Je marche sur le fil de tes pas
Je titube, je bascule
Et je plonge dans l'écume
Des jours qui me parlent de toi
Dors mon ange
Dans l'éternelle candeur
Dors mon ange
Le ciel est ta demeure
Vole mon ange
Le temps pansera ma douleur"

Un soupir et il fallut se résoudre à le laisser là. Son rôle était ailleurs. Alors elle se retourna vers Amadeus et alla l'étreindre, sans force.

"Je vous demande pardon Amadeus... Les derniers jours ont été particulièrement éprouvants et voir quelqu'un... ressurgir d'entre les morts en quelque sorte... est difficile à accepter. En parlant de cela... Savez-vous ce qu'il en est de mon frère Asclépios ? S'il est en mission quelque part et que cela doit rester secret, je ne demande pas à tout savoir en détails mais au moins... Est-ce qu'il est vivant ? Est-il vain de... vouloir le retrouver ?"

Surpris par l'étreinte, l'ancien Oracle y répondit gauchement. Quelques secondes plus tard, la demoiselle posait des questions au sujet d'Asclépios. Ce dernier avait quitté le domaine sacré depuis des lustres, avec des objectifs que seul Apollon pouvait savoir. Lui même ne pouvait réellement répondre à cette question.

Je ne sais pas. Le seigneur Asclépios est un Dieu, celui de la médecine et fils d'Apollon. Ses recherches sur ce pouvoir l'amènent sur des sentiers que les gens tels que nous, mortels ou non, ne pouvons comprendre réellement. Il reviendra un jour je pense, ne vous inquiétez pas !

Un peu de sentiment protecteur émanait de lui, il ne savait pas vraiment quoi répondre là dessus. Alors qu'il terminait sa phrase, il invitait la jeune femme à quitter le lieu de repos de l'ancien Augure d'Apollon. Ce n'était plus la peine de rester. Cependant, comme un reflet venant d'un coin sombre, Célestia pouvait voir qu'un pan de mur était recouvert d'une grande tapisserie sombre. Un cosmos s'en échappait, comme le ressac de la marée....

D'un seul regard, l'ancien Epervier fit signe à Célestia qu'aucune question ne serait tolérée sur la question. Il n'était pas utile d'aller plus loin. Puis, ils arrivèrent dans une des pièces de la maison. Une servante amena des boissons rafraichissantes aux deux Oracles. Le temps était doux, comme une brise solaire qui donnait un peu de répit pour quelques temps...

Docile, l'Estivale accepta la réponse, une pointe de dépit sur le visage. Un jour, hein ? Pouvait-on se projeter aussi loin que dans l'indéfini quand on était comme ils étaient ? Au moins son voyage à Tolosa aurait rempli ses objectifs : elle savait ce qu'il en était pour Adalrik. Et d'une certaine façon pour Asclépios aussi. Mieux valait le considérer mort, apte à se réincarner encore, mais mort. Étouffer l'espoir dans l’œuf et s'épargner des dépenses d'énergies inutiles...

En voulant détourner le regard, dans l'errance plus que par gêne ou par honte, son œil tomba sur une sorte de carré d'étoffe suspendu au mur. Elle n'y avait pas fait attention de prime abord, l'ouvrage s'étant trouvé dans son dos tandis qu'ils étaient entrés dans la pièce, et plongé dans l'ombre de surcroît, mais désormais elle voyait, et l'impression qui s'en dégageait la fit presque sursauter. Aussitôt elle entrouvrit les lèvres pour se faire stopper tout net dans son élan. Encore un secret ? Un de plus. Un de trop. Peut-être était-ce un bon secret celui-là. Par exemple un secret qui découlait d'un échange entre Voix divines, quelques années plus tôt, quand un Héron avait été pris dans les filets d'Atlantis... Un secret qui scellait un accord entre les océans et le soleil.

Ils quittèrent donc la salle, replaçant les sécurités là où elles devaient se trouver.

Malgré la pâleur de l'hiver, Célestia trouva à leur destination suivante un carré de lumière au sol dans lequel se placer pour profiter de la clarté à travers la fenêtre. On pouvait y voir un bout de la grande basilique, et plus loin les remparts qui abritaient le cœur de la ville. Un endroit reposant, paisible.

"Allez-vous demeurer ici pour de bon ? Y êtes-vous le plus en sécurité ?"

Sous-entendu, ils pourraient revenir à Rome. La nouvelle Tour abriterait Adalrik au sein de son ossuaire, au milieu des autres victimes de Phantasos, sous le regard et la bienveillance d'Apollon et Ses serviteurs. Mais... avec la chute du précédent édifice, c'était à se demander si cet endroit... ce "foyer", serait en effet assez sûr pour de tels secrets. Alors Tolosa, depuis le temps, c'était tout aussi bien.

Un silence, quelques gorgées pour s'occuper les doigts et l'esprit, tromper le temps une poignée de secondes. Puis revenir au devoir.

"Que sait Pégase à propos de tout ceci ? Adalrik, Pâris... N'est-ce pas dangereux de lui avoir confié l'héritage d'un héros légendaire ? Même Marcus n'en savait rien... et j'imagine que je ne devrais pas plus en parler maintenant. Ni à lui, ni à personne, n'est-ce pas ? Et pour le sceau ? S'il continue de briller je ne vais pas être très discrète..."

Je ne suis qu'un mirage d'une ancienne Ere, vous êtes celle de la suivante...

D'un ton maussade, le vieil homme donna sa réponse sans se départir d'un sourire. Il avait accompagné autant qu'il l'avait pu les anciens Oracles, leurs gloires comme leurs errements. Maintenant, le temps était venu de faire tomber le masque. Il n'était plus celui qui forgeait le destin d'une nation, il n'était plus qu'une ombre éteinte, comme les Tuathas.

A chaque fois, Apollon a voué sa passion à un peuple et l'a aidé à devenir un firmament. Mais, cela voulait dire lâcher sa précédente passion. Les Celtes, Rome et son empire... Ils ne sont plus que des ombres de son dessein de parfaire l'humanité. Il a fait les plus beau des tableaux mais il est parti pour peindre une nouvelle oeuvre et vous en faites partie. Il posa un silence. Pégase est celui qui est parvenu autrefois à blesser un Dieu, c'est une chose que l'on ne peut ignorer. Et pas n'importe quel dieu ! Si un homme mérite notre regard bienveillant, c'est lui selon moi. Il est passionné et bien loin de la raison froide de sa déesse. C'est ainsi. Quand au secret, il va rien lui apporter. Nous serons parti bien avant son retour, Adalrik ne sera pas le jeu de querelles politiques croyez moi bien.

Amusé, il toucha le sceau qui perdit en intensité mais il gardait une puissance cosmique bien réelle.

Ainsi, il sera plus discret. Chere Célestia, n'oubliez pas le désir de notre créateur. Il a aidé à bâtir les Tertres celtes, les grands temples de Rome et sa beauté, mais... Tout cela s'est toujours suivi d'un abandon. La recherche de la perfection passe par des séries d'essai, de gammes de couleurs et d'esquisses. La chute de la Tour des Vents était le signe de ce changement d'Ere. Ne regardez plus vers Rome, ce serait une erreur selon moi. L'Evêque est à Rome certes mais ou se trouve le coeur de la Sainte Eglise ? Adalrik m'avait toujours souri en écoutant mes questions sur ce sujet, il me disait de suivre la colombe.... ah que j'aime tant rien comprendre aux Pythies...

La fin de sa prose était des plus ironique, agacée certainement. Il savait que Rome était une ombre d'une gloire passée. Il était temps de passer à autre chose et tel était le dessein d'Apollon mais, pour le reste, il ne savait pas plus.

A mesure que le bavard Amadeus parlait -et elle le trouvait mieux comme cela-, la nymphe se fit pensive. Apollon délaissait les œuvres achevées pour en créer de nouvelles, meilleures encore... Mais quand saurait-il alors quand il aurait atteint la perfection, quand son but serait atteint ? Cela ressemblait à un travail sans fin, une tâche aussi irréalisable que celle d'un Tantale. Et surtout, dans le sillage de tout cela, la peinture était celle du sang des Hommes, leurs souffrances, leurs pertes. Y compris ceux des Oracles.

"Les Francs..."

Comment Amadeus savait cela, c'était un mystère, et elle aurait parié que si elle posait la question il répondrait de manière aussi évasive qu'avant qu'il n'en savait rien. Mais au regard de ses sous-entendus, et de ce qui avait suivi Reims, Célestia ne pouvait penser qu'à eux.
Pégase était également un sujet intrigant. Elle connaissait la légende, ce lien improbable entre lui et le dieu des Morts... Fallait-il alors rencontrer ce chevalier et se préparer à affronter les Spectres ? Possible. Probable même au vu des événements de Jamir. La nymphe se souvenait très bien de Raimi, et de Luco. A l'époque, son influence sur le vivant lui avait permis ainsi qu'à ses frères de les maintenir à distance, mais si Hadès, les jumeaux des Enfers et Phantasos se manifestaient tous ensemble, la donne changerait.

"Il m'est impossible de l'oublier... Et quand j'y pense plus attentivement, je me demande toujours quelle est ma place dans tout ceci. Si je ne suis qu'un essai, ou le produit final d'une longue série, tel qu'il l'a voulu. Après moi, pas d'autres Gardiens. Pourtant j'ai connu de nombreux échecs, et je continue. Je sais bien que je suis imparfaite, alors dans ces conditions comment tendre vers ce qu'il attend si j'ignore où il veut nous amener ?"

Elle soupira et serra le sceau dans sa main. Il devait sans doute agir comme une espèce de boussole indiquant l'endroit où Adalrik se trouvait, s'il était transporté ailleurs. Une clef. C'est ainsi qu'elle le comprenait. Et puisqu'on lui en avait confié la garde, elle le conserverait précieusement, afin qu'il pût retrouver son chemin lorsqu'il se réveillerait.

"Je vais vous dire Amadeus, moi qui ne suis pas une pythie : le cœur de la Sainte Église se trouve dans la foi de chaque être qui la nourrit. Dans leur compassion, leur inspiration, leur imagination. C'est pour cela que Théodoric XIV a pu remplir la mission que je lui ai confiée, malgré le poids de cette fiole... C'est pour cela qu'un colombin a été capable de changer l'Histoire. Que l'on croie à l'Unique ou à Apollon, ou à n'importe qui d'autre, le cœur est toujours dans l'espérance et les actions qui en découlent."

Ainsi avait-elle appris et prêché pendant ces quatre années à danser entre le Soleil et Dieu.

*

Elle repartit le lendemain, après avoir pris du repos et continué de bavardé un peu avec Amadeus, sur des sujets bien plus légers ou dans le silence du recueillement. Il y avait encore beaucoup à faire, et peu de temps, mais au moins ses inquiétudes concernant Adalrik et Asclépios avaient été apaisées. Ainsi elle pourrait se consacrer à autre chose, tourner une nouvelle page. Et c'est en se rendant à Rome pour découvrir de ses yeux la nouvelle Tour qu'elle commencerait à écrire.

Citation :: Fiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin \o/

Re: [Février 553] Ceux qui sont restés en arrière

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