[Mars 553] A poison, poison et demi [PV Ea] [Terminé]

Observer… Dans l’ombre…Connaître…Reconnaître. Les allers et venues entre Atlantis et la surface était une source d’information essentielle. Cela permettait de visualiser les mouvements commerciaux qui pouvaient s’opérer mais aussi de tomber sur des capitaines et lieutenants partant ou revenant de mission. Et puis, ce n’était pas vraiment une procédure très compliquée. Il suffisait de graisser la patte des gardes, leur faire miroiter une meilleure affectation, une opportunité de promotion ou une récompense pécuniaire pour qu’une masse d’information, pas toujours valable ceci étant dit, soit déversée comme le contenu stomacal d’un ivrogne sous purgatif. Le tout était de faire le tri.

Mais cette fois-ci, Nessius n’avait pu compter ni sur son statut de capitaine, ni sur la fiabilité d’un Quaesitor pour faire le travail. Non. Il pestait. Ces foutus imbéciles étaient pris sur des missions soi-disant plus « importantes » et il n’avait pour le moment, aucun lieutenant sous ses ordres à qui il aurait pu imposer la tâche. Décidément, on ne pouvait compter que sur soi-même ! Qu’à cela ne tienne ! Il ferait le guet lui-même s’était-il dit à lui-même, offusqué par le manque de déférence faite à sa requête. Mais il avait oublié une chose… Et ce n’était pas la cape noire sous laquelle il se dissimulait.

L’ennui… Par Théthys ! Que c’était ennuyeux de rester dans l’ombre à regarder passer… le néant. Bon, d’accord, l’arche de Massilia n’était pas réputée pour être la plus active contrairement à Alexandrie ou surveillée le plus étroitement comme celle donnant au royaume d’Asgard. Mais quand même ! Cette arche lui rappelait de bien mauvais souvenirs. Ceux d’une expulsion manu militari cinq ans auparavant pour être ensuite abandonné en face de la Sicile. A ces pensées, un rictus de dégoût traversa furtivement le visage de Nessius. Il n’avait pas fini de leur faire payer ce manque de discernement.

Mais pour le moment, à cette heure tardive, il hésitait entre battre en retraite vers ses appartements personnels ou aller noyer sa frustration dans l’une des maisons de plaisir où il avait ses habitudes. Mais c’est parfois lorsqu’on s’apprête à remonter la canne sans rien avoir ferré que l’on se retrouve avec une prise imprévue. Et dans ce cas précis, c’était une jeune femme qui avait mordu à l’appât. Et pas n’importe laquelle aux vues de la réaction des gardes. Il mit quelques secondes à la reconnaître. Ea Tremere… Capitaine de Circé. Il ne pouvait pas prétendre en savoir beaucoup plus à son sujet. A part le fait qu’elle était la seule survivante de l’expédition sur l’île de la fameuse enchanteresse où elle avait reçu son armure. Quoi qu’il en soit, une femme dangereuse sans aucun doute. Raison de plus pour

« Tiens tiens… Si je m’attendais à voir rentrer un capitaine au bercail. Tu as la permission de minuit ou as-tu fait le mur sans l’autorisation de ton général ? A moins que la sirène maléfique ne t’ait envoyé en toute discrétion…»

Comme entrée en matière, il y avait sans doute moins passif-agressif et plus diplomate. Mais la réaction de la demoiselle risquait d’être fort intéressante. Aussi Nessius la scrutait-il attentivement appuyé contre un pilier.

Jeu

Tu as eu tout ce que tu désirais. Tu as pris un navire et le cœur d’un homme, tu as joué et remporté la partie. Tu as lié un Saint à des promesses dangereuses en sachant pertinemment ce que cela implique. Tu as su faire taire cette colère qui te consume. Mais pour combien de temps ?

Éa Tremere s’avance dans son armure d’un pas vif, ne laissant pas la possibilité aux gardes de l’arrêter. Ils s’écartent comme une nuée d’étourneaux effrayés. Elle a dû les surprendre dans leur garde et s’amuse donc à imposer à leur cœur et leur corps un semblant d’agitation. Et à courber l’échine face à son regard dur.

Circé poursuit son chemin lorsqu’une voix s’élève, intrusive. Comme la teneur de ses propos qui ne lui arrache pourtant aucune réaction.
Ses yeux lilas se posent dans ceux d’un homme d’à peu près son âge, un noble, de ce qu’elle peut en juger. Mais avant tout, ce qu’elle perçoit chez lui sont des sentiments que la jeune femme ne connaît que trop bien : mélange d’ennui et de curiosité. Qu’est-ce qui le pousse à jouer à ce petit jeu-là ? Qui est-il, d’ailleurs et qu’est-ce qu’il lui veut ?

Subrepticement, le jeune homme peut sentir son esprit se troubler, son cœur battre plus fort dans sa poitrine. Qu’il détourne ses yeux et le malaise passerait, l’attrait de la magicienne s’évanouirait presque aussitôt, laissant un arrière-goût très désagréable. Qu’il s’y confronte et il récoltera un sourire dévastateur et une promesse muette qu’un jeu vient de s’instaurer entre eux. En est-il seulement digne ?

« Je chevauchais la tempête. » répond-elle en rompant l’instant d’une réplique bien mystérieuse.

Et c’est la stricte vérité. Sans attendre, l’évaluant rapidement de haut et bas, elle continue son chemin, son sourire malicieux dissimulé dans l’ombre de sa chevelure sombre.

L’impression d’être disséqué par son regard. Il sent clairement que son esprit commence à s’embrumer et son cœur à accélérer. C’est donc à ce jeu-là qu’elle désire jouer ? Fort bien. Joueur il était. Il lui adressa un sourire énigmatique, soutenant son regard. Avait-elle conscience qu’elle ramènerait avec elle une part de son venin ? Que chercher ainsi à jouer dans l’esprit du Naga revenait à le laisser aussi jouer avec le sien ? Sans doute pas. Elle semblait ignorer qui il était. Alors autant faire durer un peu le suspens.

Ainsi elle « chevauchait la tempête »… Belle façon de noyer le poisson. Une manière élégante de lui dire « occupe-toi de tes miches mon garçon ». Mais c’était sans compter sur la ténacité de Nessius. Quand on a une proie, on ne la laisse pas filer. D’autant plus si cette dernière cherche à vous échapper.

« Ea chevauche la tempête… J’ignorais que tu t’affublais toi-même d’un surnom aussi… scabreux. Ça doit te valoir une réputation des plus sulfureuses parmi les gardes… Pas que ça ait de l’importance. Mais tu sais à quel point les rumeurs vont vite dans la Cité et peuvent nuire aux intérêts d’une famille. Particulièrement quand elle est puissante comme la tienne…»

Elle ne semblait pas particulièrement disposée à faire un brin de causette. Déjà, elle cherchait à se soustraire. En tout cas, à feindre la fuite. Car si elle l’avait voulu réellement, elle aurait pu disparaître en un éclair. Et Nessius n’était pas dupe de ce genre de tactiques. Un grand classique de la gente féminine de l’aristocratie. C’en était presque décevant. Il ne manquait plus que le mouchoir abandonné pour tomber dans le cliché. Sérieusement ? Elle pensait pouvoir le berner de cette manière ? L’obliger à lui courir après ? Mais après tout, avait-il d’autres options ? Pas vraiment. Tout du moins, pas s’il voulait savoir d’où elle venait et ce qu’elle manigançait. Parfois, il fallait savoir laisser croire à l’adversaire qu’il maîtrisait la partie. Et abattre une carte pour faire dévoiler le jeu.

Il enleva donc sa capuche afin qu’elle puisse mieux déterminer les traits de son visage. Il n’y avait pas à badiner. Il savait parfaitement lorsqu’il se retrouvait face à l’un de ses semblables. Et il n’entendait pas par-là les autres marinas. Non. Il parlait des gens de bonne naissance dont l’esprit pouvait être aussi affûté que le sien. Il sentait qu’elle était faite de ce bois-là. Il en avait l’intuition. Mais encore fallait-il pouvoir le vérifier. Savoir à qui il avait à faire. Toujours. Evaluer la menace. Encore. Pour comprendre et adapter sa partition à la musique de celui ou de celle qui lui faisait face. En l’occurrence, une joueuse de flute.

Il radoucit ses propos, prenant un ton moins ironique et plus neutre. La discussion risquait d’être bougrement intéressante.

« Je te pris d’excuser mes sarcasmes. J’imagine effectivement que trempée comme tu es, ton aventure à la surface a dû être des plus arrosées… Et ce retour en catimini signifie certainement que tu ne souhaites pas qu’il en soit fait étalage sur la place publique… »

Il guetta sa réaction, prêt à toute éventualité.

Titre

« C’est toi, visiblement, qui a l’esprit mal tourné. » glisse-t-elle sur un ton faussement outré, singeant de même une expression scandalisée. « Je t’excuse. »

Elle a ralenti le pas, une invitation muette à se joindre à sa danse. Elle prend le temps de contempler les traits du jeune homme, d’en apprécier la finesse, note les petits détails qui peuvent l’aiguiller dans son analyse. Il est évident à présent qu’Éa a à faire à un membre d’une des Familles. Mais laquelle ? La belle semble le dévorer des yeux, avide de connaître l’identité de celui qui se donne tant de mal à attirer son attention. Et de la poursuivre. Il doit vraiment s’ennuyer.

« Comme j’excuse celles et ceux qui aiment se vautrer dans les commérages. »

Son sourire ne trompe pas ; elle s’amuse déjà beaucoup en l’entraînant à sa suite. D’ailleurs, elle semble bien connaître les lieux, car, rapidement, la Tremere bifurque à gauche, puis à droite, s’engageant dans des rues inanimées à cette heure. Le martèlement de leurs pas résonne dans le silence. Jusqu’aux prochaines paroles :

« Et toi, illustre inconnu, tu t’ennuies à ce point que tu restes le cul vissé ici à surveiller les allées et venues des fiers guerriers de Sa Majesté ? » Qui peut se traduire par un : tu n’as pas autre chose à foutre ? « Cette armure que je porte devrait te donner suffisamment d’informations pour que tu puisses en tirer tes propres conclusions. »

Soudain, elle s’arrête et se retourne dans sa direction. Derrière eux, une auberge au nom évocateur : le repos du guerrier. Sans doute un établissement digne d’une personnalité telle qu’Éa !

« Eh bien ? Me voici affublée d’une escorte personnelle ? C’est trop d’honneur, mais je n’en ai pas besoin. Sauf si tu désires jouer les échansons ou les écuyers, voire les deux ! Après tout tu l’as dit, je suis trempée… mais pas assez arrosées je le crains… »

Il peut avoir la surprise de découvrir un sourire mutin qu’elle lui destine à la dérobée.

« Décide-toi vite avant que je ne te trouve moi-même un titre. » Une menace à peine voilée !

Puis elle pousse les portes de la taverne. À l’intérieur, de la musique s’élève, joyeuse, patriote.

« Et sache que j’ai une imagination débordante ! » achève-t-elle sur un rire sonore.

« Je veille sur la sécurité de l’Empire et celle de ses habitants… On ne sait jamais quelle menace pourrait surgir aussi bien à l’extérieur… qu’à l’intérieur. Et les rumeurs peuvent parfois se montrer bien plus destructrices que n’importe fait avéré… Tu ne devrais pas les sous-estimer ainsi…»

Défi relevé donc… Intéressant. Ils avaient commencé à jouer un jeu de menteur-menteur. A voir celui qui céderait le premier. Et elle semblait y prendre au moins autant de plaisir que lui. Il était toujours satisfaisant de faire face à un esprit affuté. La plupart des gens étaient tellement…communs. C’en était presque affligeant de facilité. Même au sein de l’aristocratie. Entre ceux qui maniaient le pouvoir comme on utilise une hache double et ceux dont les fils ressemblaient davantage aux cordages des navires qu’à ceux des moires… Il était parfois ennuyeux de se faufiler telle une anguille. Mais elle, elle était différente. Au-dessus du lot. Une intelligence, une ironie carnassière, un sourire de prédatrice sous un masque de cynisme. L’impression de se regarder dans un miroir déformant.

Elle l’entrainait dans les ruelles de la basse-ville. Devait-il lui avouer qu’elle ne l’égarerait certainement pas ici ? Qu’il fréquentait les lieux bien plus que son rang ne pouvait le laisser supposer ? Non. L’effet de surprise. Elle s’en rendrait compte suffisamment tôt.

« Une escorte personnelle ? Rien que ça ? Je n’ai pas cette prétention. Tout au plus un divertissement passager comme tu en trouveras des centaines dans les environs. Mais avec le raffinement en plus et l’obligation de dépenser ta solde en moins…»

Passer pour un travailleur de la nuit. Quel drôle d’ironie. Le comble de la provocation car il comprenait pertinemment qu’elle n’était pas dupe. Elle cherchait à savoir à qui elle avait à faire. Mais non ma belle, ce ne serait pas aussi simple, pas aussi facile. Il avait bien trop d’esprit pour tomber dans un piège aussi grossier que celui de l’égo. Pas qu’il en ait manqué. Au contraire. Si cette remarque était venue d’une personne moitié moins brillante, il se serait débrouillé d’une manière ou d’une autre pour lui faire payer l’affront au centuple. Mais ils jouaient. Un jeu dangereux et venimeux mais au combien excitant. Un de ceux qui justement fait passer le temps et comble l’ennuie né de la facilité. C’est toujours meilleur quand il y a de la résistance. Elle avait beau se parer de ses scandales d’opérette, de ses provocations à la petite semaine, il la dénuderait de ses atours et l’obligerait à s’exposer. Lentement. Calmement. Il espérait bien qu’elle aurait des tours dans son sac. Sinon, où serait l’intérêt ?

Aussi se contenta-t-il de répondre sobrement à sa question avec un sourire en coin malicieux et des yeux perçants illuminant son visage.

« Tu peux m’appeler Monsieur… Puisque c’est ainsi que me nomment les serviteurs de ce bouge. Si tu ne crains pas la soldatesque saoule et les femmes généreuses, je serais ravi que tu m’invites à boire un verre. Tant qu’aucune drogue ne se trouve dedans… Circée… »

Il lui emboîta le pas dans la taverne. Au moins aurait-il le beurre et l’argent du beurre. Quant à la crémière, ça restait à voir.

Joute

Le repos du guerrier. Sitôt entrés dans l’établissement, une vague de chaleur les accueille et les enlace. Un doux fumet rassurant embaume l’air et les chansons jouées, entraînantes, clament la grandeur d’Atlantis. Un lieu propret bien éloigné des bouis-bouis des bas-quartiers. Car c’est ici que les gardes fatigués viennent trouver un peu d’accalmie, de la bonne humeur.
Mais l’auberge est à l’image de l’aristocratie atlante : tout n’est que jeux d’apparences et de tromperies. Une façade maquillée avec habilité pour faire croire aux plus crédules et contenter ceux qui ne le sont pas.

C’est l’endroit idéal pour Éa et ce « Monsieur ». Qu’à cela ne tienne, il peut bien prétendre ce qu’il veut, le choix de cette fausse identité est révélateur, comme les mots qu’il a eus pour elle. Il ne l’ignore sans doute pas, mais il se dévoile un peu à la magicienne qui l’écoute avec attention, mimant celle qui, au contraire, paraît drapée dans ses manières.

Il a face à lui une véritable prédatrice et la Tremere veut évaluer de quel bois est fait le jeune homme. Monsieur qui a semblerait-il un léger ascendant sur la demoiselle : des informations. Avoir une oreille partout est indéniablement pratique, Circé le reconnaît, comme elle salue cette qualité. Mais de là à le lui faire comprendre… il doit le mériter !

Sans attendre, Éa choisit une table située au fond de la pièce, non loin de l’âtre histoire de se réchauffer les os. D’un claquement de doigts, l’armure de Circé – qui a fait sensation à son entrée – quitte sa porteuse pour se poser en forme totémique non loin. Même ainsi, l’Écaille irradie de mystère et de dangerosité. Éa s’installe sur une chaise, s’étire comme un chat au soleil pour dénouer ses muscles endoloris.

« Je pourrais aussi te changer en porcelet, tout va dépendre de mon humeur. Et si je suis satisfaite de notre petite joute. »

L’ensorceleuse fait signe à une jolie blonde et commande un véritable festin. En attendant, nouant ses doigts entre eux, elle y place son menton de sorte à pouvoir observer son vis-à-vis.

« Et détrompe-toi « Monsieur », j’accorde beaucoup d’importance aux rumeurs. Et je sais qu’elles peuvent s’acheter et être déformées au besoin. Mais je suis curieuse ! » s’exclame-t-elle en affichant un charmant sourire. « Et agréablement surprise que l’on parle de moi. Je devine cependant très bien de quoi il est question. »

Puisque c’est bien la première fois qu’Éa Tremere se distingue dans quelque chose, son frère ayant pris soin de l’étouffer dans son ombre… et sa famille de la garder comme une perle.

« Et que l’on me résume à présent sous ce titre. » Elle jette un coup d’œil à l’armure et hausse des épaules. « Bien Monsieur, ça fait longtemps que tu travailles ici ? J’espère qu’on ne sera pas dérangés par une de tes conquêtes. »

Non pas « habituées » la nuance étant importante.

Deux chopes se posent devant eux. Elle glisse un sourire à la serveuse et lance à Monsieur, se saisissant de la deuxième bière au moment où il désirait s’en emparer.

« Cette belle demoiselle te connaît bien de toute évidence. »

Et la jeune femme de boire cul sec ses deux boissons.

Le repos du guerrier . Un bouge pour garde cherchant à se donner une contenance et une apparence respectable. Mais au moins est-il propret et accueillant contrairement à bien d’autres de ses semblables du quartier. Pour autant, il valait mieux éviter d’aller y regarder de trop près. Comme avec la plupart des filles qui dansaient au son de vieilles chansons surfaites. Si on enlevait le maquillage et les tenues affriolantes, il restait comme une odeur de morue défraîchie entre deux tronches de thons… Mais l’heure n’était pas aux considérations esthétiques. Tout du moins, cet environnement ne s’y prêtait guère. Tant pis.

A sa première réflexion, il ne put réprimer un petit rire nerveux.

« En porcelet, rien que ça… Je ne pensais pas que tu collais à ce point à la légende. Vas-tu m’offrir un cycéon pour faire bonne mesure ? Donc chevaucheuse de tempête et experte en cochonneries… tout un pédigrée dis-moi…»

Des menaces à peine voilée. En avait-elle seulement le pouvoir ? Probablement pas. Mais la peur et l’intimidation étaient aussi des armes efficaces. Bluffer en faisant croire à son adversaire qu’il risqait de perdre gros à l’affronter. Là aussi, un grand classique. Mais au moins était-elle à la hauteur de sa scale. Toute en finesse et en subt… Finalement non. En tout cas, pas quand il s’agissait d’engloutir deux pintes de bière d’une seule traite. Il ne manquait plus qu’un rot sonore et il aurait pu s’imaginer attablé en compagnie d’une de ces femmes-guerrières servantes d’Odin. Mais il en fallait plus pour le désarçonner. Aussi se contenta-t-il de demander une seconde tournée d’un signe négligé de la main.

Puis s’appuyant sur le fond de son siège, il regarda la jeune femme reposer chacune des chopines vidée, bien alignée devant lui avec un petit air de triomphe et de défi. Il n’allait pas se démonter. Ce n’était pas dans ses habitudes. Il se contenta donc de se positionner en miroir, posant ses coudes sur la table de la même manière qu’elle, comme deux amoureux se susurrant des mots tendres. Mais avec un regard bien loin des pathétiques œillades mielleuses.

«Pourquoi, capitaine ? Est-ce de la curiosité ou de la jalousie ? On ne m’accroche pas si facilement à son tableau de chasse vois-tu… Et sûrement pas en escamotant une bière sous mon nez… »

Entre provocateurs, c’était de bonne guerre. Mais elle ne manquait quand même pas de souffle la crémière. Elle savait jouer sur tous les registres du plus subtile au plus grossier. Ce qui ne manquait donc pas d’intérêt. L’adaptabilité était une qualité indéniable pour qui prétendait à se fondre dans la foule. Et pour le coup, si Ea avait des pouvoirs de métamorphoses

« Mais es-tu seulement à la hauteur de ton mythe ? Car l’on raconte qu’au-delà des autres, les dons de métamorphose de l’enchanteresse s’appliquaient aussi à sa propre personne…J’espère que ces deux visages que tu viens de me présenter ne sont pas les seuls à ton arc, capitaine… Je serais déçu de ne te voir qu’en petite peste arrogante et en Walkyrie mal dégrossie… A moins que tu ne préfères faire étalage de tes dons de chanteuse. Tu ne trouves pas la musique quelque peu…ringarde ? »

Lancer un défi. Voir si elle y répondrait. Et, pourquoi pas, égayer quelque peu la soirée.

Va-y

Va-y.

« De la jalousie ? » elle ne peut retenir un grand éclat de rire, d’écraser une larme au coin de son œil lilas. « Non, désolée, il ne suffit pas d’avoir une langue bien pendue et un peu d’esprit pour me séduire et me rendre envieuse. Et sache à ton tour qu’il n’y a rien de plus dangereux qu’une femme jalouse. »

Éa le voit adopter une posture similaire à la sienne. Typique. Au moins il connaît les règles du jeu et n’a pas peur de se les approprier. De les enfreindre ? Autant le pousser à le faire. Il commande une autre tournée qui arrive aussi prestement que la précédente. La jolie blonde s’échine à vouloir plaire à « Monsieur », de quoi fissurer davantage sa couverture. Dommage pour lui, il semble assez connu des bas quartiers. Alors qu’elle… pas encore !

« Bois au lieu de jacasser. Tu vas en avoir besoin, surtout en me lançant ce genre de défi. Tu aimes jouer avec le feu. »

La Tremere attend qu’il s’exécute. Déjà, une voix de s’immiscer dans la tête du jeune homme, l’encourageant à se laisser aller. Se penchant légèrement, la brune de lui sourire, le regard plus malicieux que toute à l’heure. Visiblement, les bravades semblent l’enjouer.
Elle se redresse comme pour quitter la table, mais en fait le tour pour s’approcher de « Monsieur ». Va-y… susurre toujours une voix dans son crâne, l’incitant à céder à ses pulsions. Un battement de cœur et voilà l’ensorceleuse penchée sur son oreille, mêlant les voix, les réalités, les jeux.

« Hm… j’ai de multiples visages, oui. Mais c’est celui-là que tu choisis ? D’accord ! »
« Viens. » commande-t-elle, impérieuse. « Viens danser avec Circé. »

Le monde vacille un peu, accorde une place à une chaude obscurité. Une tension, une promesse dangereuse. Va-y. Les yeux de la jeune femme se teintent d’écarlates tandis qu’elle noue ses mains aux siennes et l’entraîne à sa suite, dans le noir où le silence s’efface au profit d’une musique envoûtante.

Ses lèvres ne paraissent pas bouger, pourtant c’est bien d’elle que vient la mélodie. La voix. L’ordre de tomber, de s’abandonner.

Va-y.

Un clignement de paupières et « Monsieur » d’être entourée d’hommes et de femmes alanguies, offerts dans leur fragilité. Désirables. Des doigts de parcourir son torse, une présence de se glisser dans son dos, un souffle contre son cou.

« Tu veux toujours danser ? Tu sais, je peux être tout ce que tu as jamais désiré… »

Jouer avec le feu ? Elle n’imaginait pas à quel point. Mais uniquement quand il savait qu’il pouvait remporter la partie. Ou tout du moins en tirer quelque chose d'intéressant. Elle ne tarderait pas à comprendre qu’elle aussi jouait. Mais avec un incendie dont elle ne mesurait pas encore l’ampleur.

Elle pénétra dans son esprit lui offrant des visions délicieuses, l’invitant à se laisser aller, à céder à ses pulsions. Quelle invitation périlleuse lorsque l’on n’a pas totalement conscience de l’adversaire qui nous fait face.

Elle se rapproche de lui, comme pour renforcer son emprise sur son esprit. Prévisible. Ses illusions sont vraiment très agréables. Un peu plus et il se serait laissé tenter. Il la laisse le guider en petit animal docile, jouant de ses atours et de son pouvoir pour l’ensorceler. Il comprend parfaitement pourquoi le commun des mortels ne peut se sortir de ce cocon. Mais loin d’être un petit nid douillet, c’est celui d’une araignée mortelle qui vous dorlote pour mieux vous dévorer. Et s’il se laissait guider par cette voix, il la laisserait volontiers se repaître de son corps, de son âme et de tous ses oripeaux. Sa voix mélodieuse hypnotise, charme. Elle n’est pas pour rien capitaine sous les ordres de la Sirène. Oui, mais…

Mais elle s’en est prise à la mauvaise cible. Car toute araignée soit-elle, elle est la proie du serpent. D’ailleurs, la légende ne veut elle pas qu’elles fuient devant un Basilic ? Elle est suffisamment près, son souffle s’écrasant sur sa nuque. Il la laisse encore un peu, nouer ses mains aux siennes. Pour le drame de l’instant. Il aime les coups de théâtre. Un reste de ses années romaines, probablement.

« Ma pauvre amie… Je crains d’être une proie bien trop grosse pour toi… Tous tes petits atours sont un agréable divertissement, je te l’accorde. Et d’une redoutable efficacité sur la plèbe et les vulgaires. Mais penses-tu réellement qu’il puisse avoir un réel impact sur un véritable fils d’Atlas ? Surtout quand tu ne sais pas réellement ce qui anime son cœur…»

Elle était tombée dans le panneau. Trop sûr d’elle et de son pouvoir. Alors que dans une pseudo sensualité elle avait lié leurs mains, l’entraînant à sa suite, elle avait forgé ses propres chaînes. Il enserra son emprise sur la demoiselle, lentement, imperceptiblement, avec délicatesse. Il se pencha alors à son oreille pour lui murmurer une autre chanson.

«Tu as oublié une règle, Ea de Circée… Que pensera donc notre Seigneur Poséidon du fait que tu utilises tes pouvoirs pour tenter de nuire à un de tes pairs ? Je suis navré mais ton agression m’oblige à me défendre… »

Ses pupilles à lui qui s’étaient évadées quelques instants sous le coup de l’illusion reprirent leur place dans les prunelles de ses yeux. Progressivement, elle devait sentir ses forces l’abandonner. Tout d’abord, l’illusion s’effaça autour d’eux comme une brume se dissipe, laissant la réalité reprendre sa place. Puis, elle devait maintenant sentir ses jambes se dérober sous elle, comme si l’ivresse venait de la saisir brusquement. Ce que vit le monde autour ? Une capitaine cherchant à entrainer un bel aristocrate dans ses filets et faiblissant sous le coup de deux pintes de bières trop rapidement ingurgitées. Un spectacle pathétique qui n’aurait pas fini de faire jaser. Il la soutient bien sûr pour la rasseoir à sa place, montrant aux spectateurs un masque entre l’inquiétude et la gène feinte. Il est temps de passer aux choses sérieuses.

«Tu veux continuer à jouer ou alors nous décidons d’agir comme des adultes ? Je ne peux pas croire qu’une Tremere n’ait pas d’ambition ou de plan de carrière… Si tu me parlais plutôt de tes désirs au lieu de te préoccuper des miens ?»

Fin de partie ?

La musique prend fin, et avec elle, les illusions. Les deux jeunes gens se fond face, lui un air triomphant dont il a du mal à dissimuler les marques, elle, étrangement sereine. Alors qu’il a noué ses doigts autour des siens avec plus de force et de conviction, certain de sa victoire, Éa de transformer son visage. Une expression de pure détresse de se dépeindre sur ses traits, ses yeux lilas de se remplir de larmes qu’elle laisse habilement glisser le long de ses joues pâles. Mais avant de se draper d'un nouveau rôle, elle lui susurre :

« Je te l’ai dit. Je chevauche les tempêtes. Ce ne sont pas tes petits remous qui me font peur. Et si j’avais voulu t’agresser, je ne me serai pas contentée de ça. »

Il la guide sur sa chaise, l’y installe. Son corps commence à trembler. Imperceptible, un sourire complète la suite de ses paroles.

« Tu n’écoutes pas, tu ne fais que t’écouter parler. Mais ton orgueil froissé m’a appris beaucoup sur toi, « véritable fils d’Atlas ». »

Un échange de regards. « Monsieur » aura-t-il le temps de comprendre ?

« Tu apprendras… »

Les yeux des gardes, des serveurs, des clients de lentement se tourner vers eux. Dans leurs prunelles, un trouble inquiétant.

« Arrêter le jeu ? Tu t’avoues donc vaincu ? Quel dommage. » poursuit-elle en minaudant. « Sur toi peut être « Monsieur », mais tu l’as dit toi-même : mes petits tours sont diablement efficaces sur la plèbe et les vulgaires… »

Une voix de retentir :

« Capitaine Nessius ! »

La belle blonde qui les servait à table et dévorait Nessius des yeux a fait tomber son plateau. Sur le sol, nourriture, boisson s’étalent. Des murmures outrés s’élèvent déjà ci et là. Quelques soldats se sont levés pour approcher, mais c’est la serveuse, rouge de colère, qui a abattu son indignation sur le Capitaine dont le piège se retourne contre lui. L’éternelle histoire de l’arroseur arrosé…

« Il n’y a rien de plus dangereux qu’une femme jalouse, Capitaine Nessius. » a-t-elle le temps de dire avant que la blonde n’agrippe Nessius et ne lui fasse une scène digne des saynètes burlesques comme elle a pu en voir, en Italie.

Les gardes, arrivés au niveau de la belle, l’aident à se remettre sur pieds, sont aux petits soins, transis d’affection pour l’ensorceleuse. Sous sa coupe. S’il la regarde, Nessius pourra voir qu’elle le toise avec un amusement certain semblant dire : Bonne chance, c’est toi qui t’es attaqué à une proie trop grosse pour toi…

« Allez, soyons adultes. »

Un claquement de doigts suffit à rompre le charme. L’assemblée, hébétée, porte une main à leur tête, cligne des yeux. Semblent n’avoir aucun souvenir. Comme des pantins, ils se rassoient.
Dans l’intervalle, Éa s’est glissée à l’étage, un doux rire ponctuant la fin de la partie. Ou le début d’un autre jeu ?

Qui sait !

« Ma chère, je dois bien avouer que tu manies ton art avec une certaine maestria. Mais souffre que tes manipulations ne m’inquiètent pas le moins du monde…Et qu’il en faut bien davantage pour m’avouer vaincu…»

Allons bon… A défaut de pouvoir agir sur lui, elle pouvait manipuler ceux qui l’entouraient. Bien évidemment… Pas qu’il en soit surpris, non. Juste qu’elle avait osé… S’en prendre à des civils au sein même de la capitale. Une pièce de plus dans sa bourse. Lui laisser croire qu’elle avait à nouveau emporté la mise. Même si c’était juste pour la soirée.

« Donc, en plus de t’en prendre à un de tes frères d’armes, tu manipules des citoyens que nous sommes censés protéger pour parvenir à tes fins… Car vois-tu, ils ne se souviendront sans doute de rien mais ils sauront qu’ils se sont sentis bizarre, que ton écaille trônait dans la pièce et que tu as eu un comportement étrange. Si la Sirène Maléfique est la moitié du général qu’il prétend être, il fera le lien entre ton « don » et les incidents de la soirée… A ce rythme-là, à notre prochaine entrevue, je viendrais t’apporter un morceau de pain au Purgatoire. Je suis certain que les Marsyne seraient ravis de te compter parmi leurs hôtes de longue durée… »

Il réajuste ses vêtements froissés par la serveuse hystérique. Maintenant que les présentations étaient plus ou moins faites par la faute de cette gourdasse, il ne servait plus à rien de garder une carte éventée. Il fallait donc faire les choses en bonne et due forme.

« Je ne vais pas faire entorse au protocole plus longtemps… Je suis Nessius, capitaine du Naga. »

Simple, sobre, efficace. Pas la peine d’en dire trop. Mais déjà elle se dérobe, s’enfuit à l’étage. Non sans lui avoir laissé un petit message dans son esprit. Trop grosse pour lui ? Il aurait été tenté de lui répondre une mesquinerie sur son physique mais il s’abstint. Le moment était mal venu pour un humour grivois autour de la surcharge pondérale. Il la laissa monter et entreprit d’accepter les excuses de la serveuse sur sa maladresse dans un sourire figé.

Si elle croyait qu’il allait la suivre docilement, elle se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’à la dernière vertèbre pelvienne. Le plateau reconstitué finit par arriver sur la table. Les gardes semblaient jeter un œil suspicieux à l’étage. Nessius se contenta de hausser les épaules. Elle finirait par redescendre quand elle se serait lassée d’attendre sa venue dans l’une des chambres. Elle le sous-estimait. Clairement. Et lui voulait connaître l’étendue de ses capacités. Pour savoir comment l’utiliser au mieux. Elle était clairement dangereuse, il ne pouvait le nier. Mais elle ne lui était en rien supérieure. Cependant, il ne coûtait rien de le lui laisser croire.

Il lui fit donc porter un petit message par le biais de la blonde

*Quand tu auras fini d’assouvir tes besoins naturels, de te repoudrer le nez ou d’assouvir tes pulsions avec le premier plébéien venu, le repas est servi et en train de refroidir… *

Il était curieux de voir sa réaction.

Intermède

Trois coups frappés à la porte, une excuse prononcée d’une petite voix fluette et une réponse où l’on perçoit des notes amusées. Ainsi donc Nessius opte non pas pour une confrontation frontale, mais interposée ? Qu’à cela ne tienne. La jeune serveuse entre dans la pièce pour découvrir Éa occupée à se changer. Pudiquement, la blonde détourne le regard là où la fille Tremere se retourne sans faire grand cas des convenances. Ses habits sont froissés sur le lit, encore trempés. Le message délivré, l’ensorceleuse de rire sous cape, de formuler une faveur à la demoiselle. Celle-ci, rougissante, finit par accepter et s’en va, une pièce en poche.

« C-capitaine Nessius. » commence timidement la serveuse. « La… dame m’a demandé de vous dire qu’elle n’en avait pas pour longtemps et… »

Embarrassée, elle tortille son tablier. « Hm… elle m’a payée pour vous divertir selon votre convenance. »

Elle prend place après un long moment d’hésitation, observe les victuailles avec envie. Pour autant, la jeune fille n’ose pas y toucher et replace ses boucles blondes derrière son oreille.

« V-vous pouvez commencer sans elle. » Elle jette des regards autour d’eux, s’attendant sans doute à être réprimandée par l’aubergiste. « Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas vu ici, Capitaine, vous m’avez manqué. »

Ses lèvres se pincent. « Mais je suis sûre que vous ne vous souvenez même pas de mon prénom… »

À elle de se frapper le front du plat de sa main. « Je suis trop familière avec vous, je suis désolée ! »

La serveuse fuit ses prunelles, de plus en plus anxieuse.

« Je devrais peut-être retourner travailler, mais j’ai peur qu’elle se fâche si je fais ça. Alors… hm… on peut discuter si le cœur vous en dit… »

Le regard qu’elle lui porte est celui d’une femme éprise qui attend une attention, une caresse, une promesse.

Une vérité, un rubis ?

La garce. Elle voulait jouer à ce petit jeu ? Bien. Elle ne lui laissait guère le choix. A moins de sembler fou à tous ceux qui le scrutaient, à l’affût de la suite des réjouissances. Agir le plus normalement possible. Et surtout, ne pas franchir la ligne rouge qu’elle ne respectait pas le moins du monde. Pas que le sort de cette fille lui importe. Elle n’était qu’une serveuse parmi tant d’autres à qui l’on avait bourré le mou avec des histoires à dormir debout de plébéiennes devenues aristocrates par leur simple beauté ou les hasards de l’amour. Pour autant, il connaissait le pouvoir des mots. Bien sûr qu’il connaissait son prénom. Elle le prenait vraiment pour un orque nouveau-né…. Il refusait de mêler d’autres qu’eux deux dans leur jeu. Pas par bonté d’âme. Mais bien parce qu’impliquer des civiles dans leurs querelles jetterait forcément un voile sur le prestige du vainqueur.

Vu ce qu’il soupçonnait, il n’avait pas le droit à l’erreur. Aussi resta-t-il le plus détaché possible.

« Je comprends qu’elle vous fasse peur. Cette femme est particulièrement instable et c’est pour cette raison que je cherche à l’appréhender. Ce qu’elle fait s’appelle de l’abus de pouvoir. Il faudra en référer au général de la sirène maléfique, son supérieur si je ne parviens pas à mes fins. Mais en attendant, reprenez donc votre service ma chère. Il ne faudrait pas que vous ayez quelques ennuis avec votre supérieur… »

Faire comme si de rien n’était et patienter. Pour étayer sa théorie. Il n’oubliait pas. Elle était métamorphe et pouvait aussi manipuler les esprits à distance. Autant dire que chacune des personnes dans la pièce pouvait être une de ses marionnettes. Il l’avait sans doute quelque peu sous-estimé. Il étudiait ses potions. Un : attendre qu’elle descende. Elle pouvait faire du dégât à distance ou en présentiel selon son bon plaisir. Le temps jouait en sa faveur. Deux : monter. Ce serait s’agenouiller devant elle et lui donner satisfaction. Une forme d’abandon. Hors de questions. Trois : battre en retraite. Un déshonneur mais qui lui permettrait au moins de monter une stratégie. Mais un déshonneur. Inacceptable. Il restait une autre option. Une qui nécessitait de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace. Il voulait la déloger ? Bien. Il suffisait de changer d’aire de jeu. C’était elle qui l’avait traîné ici. Elle était en terrain favorable. Bien évidemment. Mais elle avait commis une erreur de taille. Même si le plan ne fonctionnait qu’à moitié, cela risquait de la contrarier profondément. Et de peut-être lui faire commettre une erreur stratégique.

Au diable l’avarice. Il tentait son va-tout. Il lança une bourse, largement de quoi régler la note. Puis s’approchant des gardes, il leur murmura quelques mots qui les convainquirent de ne pas lever le petit doigt. Il se tourna alors calmement vers la serveuse dans un sourire énigmatique.

« Je vous laisse ce petit mot. Faites-le porter par un garde d’ici cinq minutes. Ne vous y risquez pas vous-même. Je vais l’attirer hors d’ici. Ne vous exposez pas surtout… »

Puis dans un geste non désintéressé, il lui fit un baise-main. Suffisamment pour l’étourdir. Puis se saisissant de l’armure de Circé sans que personne n’ait le temps d’intervenir, il prit la poudre d’escampette avec toute la célérité dont était capable un marina de son rang. Avant de s’arrêter aux abords d’un champ d’orichalque désert.

L’attente ne durerait pas. Soit elle rappellerait l’armure à elle, soit elle viendrait la chercher. Dans tous les cas, cela la priverait de lui ou de ses marionnettes…

Plus tu t’éloignes de l’auberge, plus tu sens ton corps s’alourdir. Il n’est pas difficile pour toi de constater que l’écaille que tu as dérobée sans faire preuve ni de respect ni de délicatesse, en est la cause.
Son Onde commence à se déployer et tu entends ressens un malaise ; visiblement, tu as contrarié sa psyché

Le poison que tu redoutes tant de la part de Circé fait son œuvre. Ton armure de se manifester et épouser ton corps. Les deux Scales semblent entrer en résonnance.

Une brusque envie de continuer ta route pour observer la nature marine te vient. Il te revient d’y consentir et abandonner le petit jeu instauré par l’ensorceleuse ou bien t’y opposer et...

Bien évidemment, jouer les héros avait un coût. Il ne s’était pas attendu à ce que les choses se passent sans anicroche. Il s’était demandé à quel moment l’écaille réagirait en prenant conscience que l’on tentait de la séparer de sa maîtresse. Elle était imprégnée du même pouvoir pernicieux qui tente de briser la volonté des êtres et les amener à effectuer ses moindres caprices. Une adversaire redoutable, il fallait bien le reconnaître.

L’appât était gros et loin d’être inoffensif pour celui qui l’avais pris. Pas volé, non. Emprunté. La nuance avait de l’importance. Il savait pertinemment que l’écaille retournerait d’elle-même à sa maîtresse ou que cette dernière viendrait la chercher. . Il aurait sans doute besoin de le justifier à qui de droit. Mais qu’elle s’en serve pour lui imposer son pouvoir à distance ne l’avait pas effleuré. Il pesta. Erreur de débutant. Il lui fallait résister à l’envie de s’enfuir. Mais il n’ignorait pas, que, s’il faisait ce choix, c’était reconnaître qu’elle avait le dessus sur lui. Et il n’obtiendrait pas les réponses aux questions qu’il se posait. Mais dans le cas contraire, les lui donnerait-elle de toute façon ? Il était fort probable que non.

La pression mentale se faisait plus intense. Y résister lui demander un effort de plus en plus grand. Alors que le doute le saisissait, sa propre scale vint recouvrir son corps, entrant en résonnance avec l’écaille de Circé. Comme deux sœurs qui se chicanent. Chacun cherchant à intimider l’autre. Il fallait s’y prendre autrement. Chercher à l’apaiser ? Pourquoi pas après tout. Dangereux mais pas insensé.

Alors, il posa sa main sur l’écaille de Circé comme il le ferait sur un cheval que l’on cherche à amadouer. De ce fait, il rendait la pression mentale plus intense. Mais fuir n’était pas une option.

« Tout doux. Je ne te veux aucun mal. Et à ta maîtresse non plus. Tu la retrouvera bientôt. Je veux juste une entrevue seul à seul avec elle dans un lieu plus approprié… Sans qu’elle puisse jouer avec le peuple comme avec de vulgaires pantins…»

Pas que dans l’absolu cela le gêne. Mais il aimait être celui qui tenait les ficelles. Et le faire en privant un Atlante de son libre-arbitre restait un abus de pouvoir.

Il maintint sa main sur l’écaille d’Ea. Dessinant ses formes au bout de ses doigts. Un sourire sur le visage. Les yeux fermés. Prêt à affronter toute éventualité.

Ouverture

Le contact se prolonge et différentes émotions se déversent si insidieusement en lui que « Monsieur » n’a pas le temps d’en attraper le fil. Ce dernier de lui échapper. Un pouvoir de marteler sa tête. Une emprise qu’il n’aurait jamais dû offrir sur un plateau.
Une main d’interrompre la tempête. Plus pour le soutenir que pour le brusquer. Un sourire d’accueillir son retour. Un brin d’inquiétude flotte dans les yeux lilas d’Éa Tremere, habillée des couleurs de sa maison, l’argent, se confondant subtilement au velours noir d’une veste, d’une chemise et d’un pantalon. Les vêtements qu’elle portait déjà, relativement plus secs.

« Tu as de l’audace et c’est une qualité que je sais apprécier, mais… tu ne devrais pas te risquer à ces jeux-ci. » dit-elle avec une certaine gravité dans la voix. « Surtout si tu parles à Circé comme à une pouliche revêche. J’espère que tu traites mieux tes conquêtes ! »

L’Écaille de Circé de vibrer et se poser sur le corps de sa maîtresse. Une onde de lassitude est visible sur le visage d’Éa, à croire que quelque chose ou quelqu’un l’a malmenée aussi.

Soudain, une personne de les interrompre.

« Oh, vous êtes ici ! Je viens de terminer ma course pour vous, ma Dame, tenez !
Mais, que faites-vous ? » s’inquiète la jolie serveuse, évaluant les deux Capitaines avec perplexité tout en remettant un petit paquet à la Tremere. « Une nouvelle mission nous attend ! Je vous remercie, très chère, vous m’avez été d’une aide précieuse. »

La blonde d’hocher la tête, heureuse du compliment. Elle se presse de retourner à son service, sous le regard amusé de l’ensorceleuse. Qu’elle tourne vers Nessius, lui lançant un petit clin d’œil au passage.

« Je suis contente d’avoir trouvé un adversaire à ma mesure. Tu as de la suite dans les idées ! »

Un léger rire.

« Et merci d’avoir réglé la note ! Je pensais que tu voulais me soutirer quelques pièces de ma solde ? Allez, la prochaine fois je serai plus généreuse. »

Son sourire se fait plus sincère, sans cet air malicieux. Elle le salue d’un poing posé contre son plastron et fait volte-face pour commencer à s’éloigner.

Elle en avait mis du temps ! Mais au moins avait-il pu lire dans son âme. Ce qu’il en avait perçu était décousu, violent, tempétueux. Des émotions brutes, sauvages, déferlant comme un tsunami dans l’esprit de Nessius. Mais qui lui avait laissé cependant une certitude : Derrière les illusions et les faux semblants, cette femme cachait un mystère plus profond, enfouis. Et le masque qu’elle offrait au monde n’était qu’une infime parcelle de la mosaïque qui devait la composer. Une illusion de plus ? Avait-elle rompu le lien pour le sauver ou se sauver elle-même ? Difficile à déterminer. Mais ils étaient décidément faits du même bois. De ceux qui jouent avec des masques pour obtenir de l’emprise et du pouvoir. Une alter-égo ou une Némésis. Le choix leur appartenait à tous deux.

Parler à Circée ? Bien évidemment… Il aurait dû le deviner. La légende voulait qu’aux temps mythologiques, les scales soient nées de la magie d'Amphitrite qui enferma l'âme de monstres et autres créatures dangereuses en elles pour protéger Atlantis. Etait-ce donc une parcelle où l’âme de cette satanée ensorceleuse qui se trouvait dans la scale de capitaine ? Sûrement pas l’intégralité. Si on accordait à la légende de la magicienne le dixième de sa véracité, ce pouvoir serait tout bonnement incontrôlable. Même pour un éveillé. L’écaille aurait tôt fait de prendre possession de son porteur et de lui imposer sa volonté. D’ailleurs était-ce Ea ou la magicienne qui avait cherché à lui imposer les règles malsaines auxquelles il avait eu tant de mal à se soustraire ? Aux traits creusés de son visage, il était claire que ça n’avait pas non plus été une partie de plaisir pour elle. Et Nessius n’avait nullement la vanité de croire que c’était lui qui lui en avait fait baver.

« Je lui aurais bien claqué le séant mais je crains que ce geste n’ait été pris pour une provocation… Et puis vu l’amour de Circée pour la gente masculine… Elle les préfère saignant, c’est bien ça ?»

Les sarcasmes pour garder la face. Des sarcasmes que la jeune serveuse vint interrompre. Il s’en été douté sans pouvoir l’affirmer néanmoins avec certitude. Elle avait emprunté les traits de la jeune femme dans l’auberge et c’était bien elle en personne qui était redescendue pour tenter de jouer avec lui. Il avait été avisé de l’affaiblir avant de s’éclipser. Cela lui avait certainement évité de passer pour un déséquilibré sur la place publique et de tenir son rang de protecteur de la cité.

« Une nouvelle mission ? Réellement ? Officielle ou dans le dos de nos généraux respectifs ? Pas que cela m’inquiète dans l’absolue mais je préfère savoir où je mets les pieds avant de me lancer dans une entreprise, aussi périlleuse soit-elle… Serais-tu en train de suggérer un partenariat ?»

Après tout, elle ferait une partenaire aussi redoutable qu’appréciable. Un accord tacite de neutralité en quelque sorte. Faire équipe pour éviter de s’affronter. Elle était femme qu’il valait mieux avoir de son côté sur un champ de bataille que face à soi. Quel que soit le terrain d’affrontement d’ailleurs.

« Que veux-tu, ma bonté me perdra…Et jusqu’à ce que tu t’acquittes de ta dette, tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement… »

Il faisait fit de son approbation mais le sourire plus sincère qu’elle lui avait adressé, il l’interprétât comme une invitation à laquelle il répondit avec un simple sourire en coin et un hochement de sourcil. Ainsi, il en saurait davantage sur ses manigances. Et pourrait toujours aviser par la suite. Fixant sa cape sur ses épaules, il l’épousseta et la regardant s’éloigner, il lui emboîta le pas, lui lançant calmement :

« Et donc ? Où allons-nous, « capitaine » ? »

Aveux

L’écaille de Circé luit faiblement et le corps d’Éa se sent réchauffé par ce contact. Un coup d’œil en arrière apprend à la Tremere que Nessius a choisi de la suivre dans ses pérégrinations.
Non ça, elle a bien l’intuition qu’il lui sera difficile de le perdre… une vraie bernacle sur son rocher celui-là ! Mais elle doit bien l’admettre : il l’amuse beaucoup et elle n’a pas menti en lui confiant être heureuse d’avoir trouvé quelqu’un à sa mesure. Cela promet de drôles d’aventures épiques ! Ou beaucoup moins… recommandables. Peut-être doit-elle lui dire dans quoi il se risque en la suivant ? Bah ! « Monsieur » le découvrira bien !

Haussant des épaules, Éa se contente d’un sourire espiègle.

Les arches s’éloignent et avec elles, le brouhaha de la ville alentour. À la place, la campagne marine s’étend à perte de vue. La capitaine de s’arrêter et lever la tête.

« Je dois retourner à la surface. » fait-elle à brûle-pourpoint. « Initialement, je suis revenue ici pour recruter un équipage. Il semblerait que le Destin en ait décidé autrement. »

Son regard tombe sur Nessius, l’évaluant une nouvelle fois, scrutant ses réactions. « Et si je te disais que j’ai dérobé le navire d’un Général, que ferais-tu ? »

À quel jeu sordide se risque-t-elle encore ? La jeune femme souhaite le confronter, c’est certain. Ira-t-il jusqu’à la dénoncer ? Il ne l’avouerait pas ici alors qu’ils sont seuls en face à face comme il l’a voulu.
Dangereusement, la belle s’approche à distance intime, darde ses yeux lilas dans ceux de son interlocuteur.

Elle le teste. Elle joue encore.

« Je suis comme Circé. Je prends ce que je désire et je dévore tout cru les garçons trop faibles et peu dignes d’intérêt. Mais toi, je suis sûre que tu te places dans une toute autre catégorie, n’est-ce pas ? »

Un petit rire ponctue la fin de son discours.

« J’ai tué tous les hommes d’Endymion O’Bannon. Enfin, presque tous. J’ai laissé son second en vie. Maintenant je patiente, je fomente… parce que je m’ennuie à mourir, comme toi ! »

Que fera Nessius de ces aveux ?

«Donc tu as volé le navire d’un général… Et pas n’importe lequel… Celui du Dragon des Mers…La Rose Sanglante, c’est bien ça ? Audacieux et plein de panache…»

Nessius ne put se retenir d’applaudir. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la demoiselle en avait sûrement davantage dans le pantalon que tous les mâles Tremere réunis. Pas étonnant qu’avec un tel caractère, l’écaille de Circée l’ait choisit. S’attaquer à Endymion n’était pas sans risque. Il ne le connaissait que de réputation. Néanmoins, aussi jouisseur et dilettante soit-il, le protecteur du pilier de l’Atlantique Nord risquait très moyennement d’apprécier la blague. Et s’opposer à un officier supérieur était un risque à la fois en termes de carrière mais aussi simplement pour ce qui était de la survie pure et simple. Pour autant, le capitaine du Naga voyait plusieurs manières de s’en sortir indemne. Mais il s’interrogeait sur les motivations d’Ea ainsi que sur les bénéfices à tirer de cette opportunité.

«Tu as donc massacré son équipage… Intéressant…Comment comptes-tu manœuvrer le bateau, maintenant ? Et si on regarde à long terme, as-tu un autre but que celui de jeter le discrédit sur la maison O’Bannon ? Et je te passe l’interrogation qui me brûle les lèvres sur tes motivations… »

Nessius n’était pas le genre à se jeter sans réfléchir. D’accord, elle risquait de se prendre une tempête en pleine tronche. D’accord, le Dragon des Mers avait une réputation exécrable de débauché qui laissait penser à plus d’un qu’il ne méritait pas son titre. Mais il était probable qu’il existait quelque chose d’autre. Une autre motivation. Ea ne semblait pas le genre à s’occuper du ver dans la pomme pour la gloire de l’Empire. Il devait y avoir une dimension plus…personnelle. Tout à sa réflexion, il en aurait presque mis de côté sa tirade misandre. Presque…

«Rappelle moi de ne jamais te confier de nourrisson ou d’enfants en bas-âge… J’appartiens à la catégorie des gens qui sont nés pour diriger et être servis… Pour ce qui est du digne d’intérêt, tout dépend de la personne qui regarde et de ce qui l’intéresse chez moi… Mais si effectivement, on cherche de la soumission aveugle et du pur altruisme, il vaut mieux passer son chemin… Je ne suis pas un de ces crétins de chevalier d’Athéna… »

Il la regarda. Bien sûr qu’elle le baladait par ses paroles. Il n’était pas dupe. Il avait parfaitement compris qu’elle tentait de savoir s’il allait plonger tête la première avec elle, à l’aveugle. Mais il fallait plus que quelques mots et un physique avantageux pour décider Nessius. Il attendait donc d’en savoir davantage pour déplacer la pièce suivante.

Trinquons !

« Monsieur est décidément bien renseigné… » Trop songe la demoiselle en le laissant parler, poser ses questions. L’applaudir ! La jeune femme de s’incliner avec théâtralité. « Je le manœuvre déjà très bien. Tu veux me voir en action ? »

Une moue badine, des yeux qui reflètent tout son caractère impétueux et rebelle, Éa est bien éloignée des cancans que Nessius a dû entendre. Si cela à de quoi surprendre, surtout venant de l’aînée de la Famille Tremere, son attitude est indéniablement révélatrice.
Et elle veut savoir à quel point l’homme qu’elle a en face d’elle est perspicace. En plus d’avoir des oreilles partout…

« Tant mieux ! Les Saints n’ont pas grâce à mes yeux ! Trop coincés… » ricane-t-elle en rejetant sa chevelure en arrière. « Sans blague ! Je ne l’aurais pas deviné toute seule véritable fils d’Atlas. Et heureusement pour toi, je ne t’en demande pas tant. » L’altruisme pur et la soumission totale et irréfléchie lui faisant horreur, il aurait été regrettable que Nessius se révèle être un toutou guindé dans son rôle, un collier autour du cou. « Bien, au lieu de me questionner sur ce qui me motive à embêter un autre Général, peut-être que l’on pourrait se risquer à faire plus ample connaissance, toi et moi ? »

Un nouveau clin d’œil appuyé. Les bras chargés du paquet remis par la jolie serveuse de l’auberge, la Tremere de le déplier avec soin et de dévoiler une bouteille remplie d’un liquide ambré.

« J’ai demandé à ta protégée de me ramener ce qui se faisait de meilleur par ici. Il faut croire que nous allons poursuivre ce qui a été interrompu. Je te devais un verre non ? »

Elle lui tend directement le rhum, un sourire aux lèvres.

« À notre rencontre ? »

«Te voir en action… Je dirais bien que tout dépend du cadre et avec qui mais je craindrais que tu interprète mes paroles de la manière la plus triviale qui soit…»

Pour ce qui était des phrases à double sens, elle n’avait rien à lui envier. Mais Ea était elle aussi impétueuse dans son tempérament que dans ses paroles ? A priori oui, puisqu’elle se vantait d’avoir dérobé le bateau du Dragon des Mers. Mais après tout, voler le bateau d’un voleur, était-ce bien répréhensible ? Car c’était ce que la rumeur disait. Que le Gardien du pilier de l’Atlantique Nord s’était arrogé les droits sur le navire à peine les cendres du précédent capitaine avaient elle cessées de fumer. Pour autant, connaître la motivation d’Ea lui semblait essentielle avant de poursuivre toute manœuvre à ses côtés. Aussi se prit-il d’insister.

«Il est de notoriété publique que le navire ne lui appartenait pas à l’origine et qu’il s’est arrogé des droits dessus… Il paraît que le précédent capitaine a été transformé en combustible bon marché… Peut-être te venges-tu de quelque chose… Du meurtre d’une parente peut-être ?»

Tout ceci ne constituait que rumeurs. Mais parfois il fallait savoir souffler sur les braises pour obtenir d’avantage. Il guetta la réaction du capitaine de Circée. Ce serait sans doute un excellent indicateur, une première piste, une ébauche d’information.

En revanche, il était suffisamment habitué aux masques pour voir quand une attitude tentait de dissimuler une forme de gêne. Et quand le sujet des chevaliers d’Athéna vint sur le tapis, l’attitude de la jeune femme déclencha les signaux d’alerte de Nessius. Mais il n’en laissa rien paraître, se contentant d’un sourire en coin et d’une petite réplique visant à agrandir la faille…

«Etrange…Tu as l’air d’en savoir long sur eux… Tu les connais si intimement que ça ?»

Là encore, il guetterait la réaction de la jeune femme. La façon dont elle avait rejeté ses cheveux en arrière assortie d’un petit ricanement lui laissait penser qu’il y avait du vécu derrière cette simple remarque. Et il voulait en avoir le cœur net.

«Bien évidemment. C’est toujours un plaisir de pouvoir boire en si charmante compagnie. Et si nous trinquions plutôt aux masques qui tombent et aux secrets partagés ? Mais je t’en prie, les dames d’abord…»

Il attendit de voir si la jeune femme boirait en premier. Après tout, avec l’âme de l’enchanteresse à proximité, on était jamais à l’abri d’un quelconque filtre ou d’une tentative d’empoisonnement. Bien qu’il fût fort probable qu’elle ne tenterait rien contre lui, Nessius demeurait néanmoins sur ses gardes.

Un pas en avant...

Ses sourcils froissent son front, preuve évidente d’une incompréhension. Peut-être joue-t-elle encore la comédie ? C’est à Nessius d’en décider, à elle, de couver le mystère et de délivrer ce qu’elle désire. Pour autant, la jeune Éa rétorque, ponctuant ses mots d’un mouvement de tête :

« Non, tu te trompes de chemin. Ce n’est pas la vengeance qui motive mon petit jeu. Mais bel et bien ce que tu me glisses : les rumeurs. Ce sont elles que je recherche. Ce sont elles que je glane. Des informations. Et y trouver un semblant de vérité. Je te l’ai dit nous sommes en mission toi et moi ! »

Tout part de là. Et même si les choses sont bien plus complexes qui n’y parait, Éa doit s’approprier des connaissances si elle désire obtenir ce qu’elle souhaite. « Je ne te cache pas que la Famille honnie des O’Bannon m’intrigue. Et tu conviendras qu’il serait indélicat de ma part d’en parler avec mon Général… par contre, « m’attaquer » directement à celui qui a récolté une si décadente réputation… tu vois un peu où je veux en venir ? »

Une tactique risquée, s’il en est. Or Nessius a le début d’une réponse plus concrète. Quant à l’autre épineuse question, elle y répond d’un sourire bien plus redoutable :

« Disons que j’ai creusé la tombe de l’un des leurs, alors peut-on parler d’intimité ? Je n’oserai pas ! »

Un bref rire et elle chipe la bouteille qu’il ne veut pas toucher. Elle pousse un long soupir, contrariée. « Tu ne fais aucun effort, pas même un petit. »

Si elle mime cette soudaine irritation, c’est fort réussi !

« Tu m’offenses et je te promets qu’il n’y a rien de bon à éveiller ma colère. »

Susceptible ? Rien qu’un peu ! L’ensorceleuse, détournant ses yeux assombris du jeune homme, vide une bonne partie de la bouteille d’une seule traite. Noyer la tempête avant qu’elle n’arrive.

« Je crains de n’avoir plus aucune envie de partager quoique ce soit avec toi… » fait-elle en lui tournant le dos.

«Tu veux dire plutôt que nous chassons les mêmes proies… Le tout est de savoir si nous sommes rivaux ou partenaires…»

Se faire plus bête et plus innocent. Ne pas trop dévoiler son jeu. Bien sûr qu’il voyait où elle voulait en venir ! Enfin…Peut-être. Avec elle, il cherchait où était la part de vérité et celle du mensonge. Elle n’abattrait pas ses cartes ainsi. Elle n’était pas née de la dernière pluie.

«Mais il est vrai qu’il est bon d’en savoir davantage sur chacune des familles… Particulièrement sur ces membres les plus décadents… Ce sont ceux que l’on a tendance à cacher. Enfin, dans le cas du Dragon des mers, je ne crois pas qu’il cache quoi que ce soit. Il serait plutôt du genre…exhibitionniste, non ? »

Quand elle évoqua son général, il ne put réprimer un petit rire mesquin.

«C’est vrai que tu sers sous les ordres d’un O’Bannon… J’avais presque omis ce détail… C’est effectivement très embêtant quand on cherche à fourrer son nez dans des histoires de famille. Je me demande d’ailleurs bien pourquoi… Tu as déjà suffisamment de déviants à cacher dans tes propres écuries… »

Autant il comprenait son goût personnel pour les rumeurs et les informations, aux vues de ses responsabilités liées aux Quaesitors, autant, il percevait cela comme suspect chez d’autres. C’était toujours une question d’ambition, de pouvoir ou, elle avait beau dire, de vengeance...

Il n’insista pas quand elle lui annonça avoir enterré un chevalier d’Athéna, se contentant d’un petit commentaire laconique.

«J’espère au moins qu’il s’agissait d’un chevalier d’or. Le contraire serait particulièrement décevant…»

En revanche, il s’esclaffa quand elle joua les offensées.

«Ea, Ea… Redoutable Ea… Garde tes fausses menaces et tes airs de vierge offusquée pour ton général… Pas à moi. Pas avec moi… Je me doute qu’il n’y a rien de bon à déclencher ta colère… Mais tu en es encore bien loin… Non… Ce que tu désires c’est que je sois aveugle et que je te mange dans la main. Je ne suis pas l’un de ces pantins que tu peux berner et manipuler selon tes humeurs. »

Il attrapa le visage de la jeune femme du bout de ses doigts fins, plongeant ses yeux dans les siens.

«Je ne suis pas ton ennemi… Mais si tu continues à tenter de jouer avec moi de la sorte, je crains que nous ne soyons dans une impasse. Ce qui serait fort dommage pour chacun de nous… »

A ces mots, il posa subrepticement ses lèvres sur celles du capitaine de Circée.

S'embraser

La question de savoir s’ils sont partenaires ou adversaires résume bien les enjeux de leur petite joute. Comme deux prédateurs se faisant face, ils s’évaluent, se tournent autour, se risquent à une feinte pour se jauger. Chaque mot est comme un coup porté, un autre, une parade. Qu’un sourire ou un regard peut en faire varier de subtiles nuances. Et ils sont tous les deux doués dans ces jeux-là. Ils sont après tout tous les deux des atlantes appartenant en plus de cela, à l’une des Grandes Familles.
Il ne peut résulter entre eux que des étincelles ! Reste à déterminer s’ils vont tous deux s’embraser, se consumer ou… s’éteindre.

« Je ne sais pas, je n'ai jamais croisé Endymion en personne. Et toi ? J’ai l’intuition que tu as eu le grand plaisir et honneur de rencontrer Sa Décadence ! » déjà, elle dénoue ses bras pour se retourner vers lui et rire de son verbe tapageur. Elle mime toujours une moue indignée, même quand il la perce à jour our qu'il attrape son visage entre ses doigts. Oh, elle ne bronche pas d’un iota ! Son sourire ne faisant que s’épanouir davantage face à cette bravade.

Ainsi donc, ils en sont là, soit ! Et comme il se risque de nouveau à plonger son regard dans le sien, il sent aussitôt l’aura de Circé le menacer. Bien que le danger est moindre, Nessius peut le ressentir, la belle l’attrapant par le col pour appuyer le baiser, nouer ses bras autour du cou du Naga. Ne pas lui offrir d’échappatoire, un moyen de se dérober. Il vient de signer pour un autre jeu auquel il est dangereux de se risquer avec la belle aux yeux lilas !

Prunelles, qui, furtivement, virèrent à l’écarlate lorsqu’elle mit fin à cet échange passionné.

« Es-tu sûr que je recherche une quelconque soumission de ta part ? » Elle presse son corps armuré contre le sien, affirme son sourire plus malicieux que jamais. Leurs souffles se mêlent encore. « Ton audace me plaît. J’ai trouvé quelqu’un à ma mesure, je te l’ai déjà dit ça aussi… et je pensais avoir abattu suffisamment de cartes pour que tu dévoiles un peu ton jeu, très cher. »

Orichalque contre orichalque, Éa d’une pensée, de s’en défaire. L’écaille de Circé la quitte pour se matérialiser non loin.

« Alors ? As-tu seulement une belle langue que tu sais agiter, certes, mais… pour le reste ? »

Elle jouait donc au jeu de la séduction. Un jeu dangereux. Avait-elle conscience de la menace qui pesait sur elle autant que l’inverse ? Il pouvait bien lui lâcher quelques informations. Pourvu qu’elles ne soient pas d’une importance capitale. Elle aurait besoin de gages pour se dénuder davantage. Fort bien ! A condition de garder ses cartes maîtresses en main, il pouvait bien simuler.

«J’ai effectivement eu l’occasion de le croiser de près. Juste après avoir reçu mon écaille. J’ai eu le déplaisir de sentir son haleine fétide et de pouvoir jauger de son sens du contact un peu trop… familier à mon goût…»

Une façon des plus polies pour exprimer cette entrée en matière où Endymion lui avait envoyé son poing en plein visage pour l’avoir dérangé lors d’une de ses soirées orgiaques. Le Naga n’était pas du genre à pardonner ou à oublier quand on attentait à son intégrité. Il avait la dent dure et la rancune tenace. Quel que soit la personne qui l’avait outragé.

Un instant, il sentit l’aura de Circée se déployer. Avant d’être maîtrisée par la capitaine. Une façon de lui rappeler que jouer avec elle, c’était se faufiler dans la tanière du dragon. Et cette dernière avait un appétit féroce. Sauf que tout serpent qu’il était, il restait prudent tout en étant certain de sa capacité de nuisance. Derrière les atours et les bravades, c’est la même symphonie qui se déroule. Sur un autre tempo, certes. Mais un baiser peut aussi s’avérer un cadeau empoisonné. Nul mieux que le capitaine du Naga n’avait conscience de cette triste réalité. Pour autant l’étincelle était bien présente et jouer avec le feu était une spécialité de Nessius.

«Je me doute que tu apprécies de mener le jeu ici comme ailleurs… Mais as-tu seulement eu un seul partenaire à la hauteur ?»

Une dernière bravade avant de s’enfoncer plus profondément dans l’obscurité. Tant qu’à prendre un risque, autant se jeter complètement dans la gueule de la dragonne en tachant de ne pas y finir carboniser. Mais il fallait le faire néanmoins avec panache.

« J’aimerais saisir le sens profond de ta question… Tu te demandes ce que je sais faire d’autre avec ma langue ou si j’ai d’autres compétences qui pourraient te divertir ? Mais je pourrais parfaitement te retourner la même question…»

Un miroir, une opportunité. Une étincelle qui n’attend qu’une résonnance pour créer un brasier.

Re: [Mars 553] A poison, poison et demi [PV Ea] [Terminé]

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