[Mi Mars 553] Toss a coin to your witch....[PV Ea]

La pièce tournoie dans les airs, accroche la lumière et retombe. Une fois, deux fois… à la troisième, elle disparaît.

« Je vois que tu sais m’invoquer. » souffle la sorcière dans le creux de l’oreille de Nessius. Ses mains glissent autour de son torse, ses doigts s’accrochent comme des serres. « Comment va Monsieur depuis notre dernière rencontre ? »

Éa Tremere minaude, l’œil pétillant, éternellement malicieuse. Il est évident que la situation que vit Atlantis l’amuse ; elle se repaît des moindres rumeurs, des chuchotis angoissés ou les commérages infondés que l’enchanteresse glane à la volée.
Habillée d’une somptueuse robe à la mode romaine, aux couleurs pourpre et argent de la famille Tremere, la jeune femme revient sans doute d’une entrevue avec le Patriarche.

Et l’échange, en plus d’avoir été instructif, a ouvert l’appétit de la belle pour les jeux sombres de la médisance et du complot.

« Tu fais une tête de six pieds de long. J’imagine que tu dois raser les murs, ça ne doit pas être évident. Quoique, tu es un Quaesitor après tout. Où as-tu laissé traîner tes oreilles et pourquoi me cherches-tu ? Attends ! » Elle plaque un index sur sa bouche. « Oui, c’est assez limpide. Pas la peine d’effleurer ton esprit pour savoir que la curiosité te brûle les lèvres. »

Elle s’écarte et tournoie, faisant voler tissus et fragrances. Des notes que Nessius n’a eu aucun mal à identifier.

« Tel que tu me vois, cela peut te sembler plutôt clair, qu’en penses-tu ? »

Avec elle, rien ne l’est véritablement et cela, « Monsieur » ne l’ignore pas. Les prunelles lilas de la sorcière dévorent la silhouette du guerrier. Peut-être est-il temps de découvrir d’autres facettes du porteur de l’Écaille du Naga ?

« Mais peut-être désires-tu que nous trouvions un lieu plus adéquat pour parler ? Les oreilles et les yeux du Conseil traînent partout… »

Déjà, elle l’invite à se fondre dans le décor pour gagner un endroit plus tranquille et discret.

La jeune femme ne répond pas tout de suite à Nessius, preuve que derrière ses paroles légères se cachent des accents plus graves. Que Circé chante le plus discrètement possible. Dans l’ombre d’une ruelle désertée, Éa Tremere s’arrête tout à coup et plaque l’homme contre un mur. Ses yeux traduisent une colère non feinte : est-elle seulement dirigée contre lui ? Avec la sorcière, rien n’est moins sûr.
Des bruits de pas se font entendre plus loin et la belle intime le silence d’un doigt sur sa bouche. Elle profite de cet instant de proximité pour lui susurrer à l’oreille.

« Ne parle pas de position quand la tienne est déjà suffisamment… inconfortable ? » un sourire naît enfin sur ses lèvres. « Quant aux choses à cacher, peut-être bien. »

Rétorque-t-elle, mystérieuse. La musique des bottes contre le pavé s’éloigne jusqu’à mourir totalement. Or la belle affermit le poids de son corps contre celui du Quaesitor.

« Je me délecte beaucoup de la situation, tu t’en doutes. Je chevauche les tempêtes, je te le rappelle ! Et celle-ci… s’annonce particulièrement dangereuse et risquée. »

Les prunelles lilas de la Tremere s’assombrissent. « Beaucoup de monde risque d’en souffrir, c’est évident, nul besoin d’avoir une boule en cristal pour le voir. Mais ce que j’entrevois est bien pire. Un jour ou l’autre, les vagues seront incontrôlables et il nous faudra à tous trouver son camp. »

Un jeu qui va bien au-delà de ses attentes, elle doit bien se l’avouer. Distraitement, la jeune femme replace une mèche de cheveux derrière l’oreille de Nessius.

« Mais je t’écoute, c’est toi qui a demandé à me voir, pas moi. » Elle se recule de quelques pas pour l’observer. « Quant à l’intimité de nos retrouvailles, c’est à toi d’en décider, je ne suis pas sur mon territoire. »

Cependant, il est certain qu’elle est dans son élément. « La prochaine fois tu pourrais m’inviter dans un lieu plus convenable, avec du vin et une compagnie plus agréable, par exemple… »

Elle lui destine un clin d’œil complice.
Peut-être est-il l’heure de dévoiler ses cartes pour de bon ?

La jeune femme soupire, renonce à sa colère, la met de côté. La museler est devenu de plus en plus compliqué pour elle. À croire que la tempête à venir incite son cœur à répondre avec véhémence plutôt qu’avec froideur et détachement.

« Pardonne-moi, mon entrevue avec mon père était… » elle grimace, croise les bras et devient plus austère que jamais. Toute lueur quitte ses prunelles. « C’est une occasion inespérée oui, mais contrairement à ce que tu peux penser, je ne songe pas à moi dans cette affaire. »

Ses poings se serrent, le cuir de ses gants crisse. « Le Conseil a parlé et il est clair qu’Ahran veut obtenir les pleins pouvoirs. En faisant chuter Cinead, les Merinita, c’est tout Atlantis qu’il a fait vaciller. Et cela, je ne peux l’accepter. »

S’il désire tant faire tomber les masques, « Monsieur » risque de ne pas être déçu du voyage. « Le Sénat a toujours représenté à mes yeux une gangrène… il est temps de couper le mal à la racine. Mais ce n’est pas si simple. Enfin, non. Ma position est intéressante et je compte bien annoncer que ma voix se porte en faveur du Conseil. Seulement… »

La jeune Tremere soutient le regard de Nessius. « … je compte faire naître une seconde tempête qui balayera la première. »

Un fin sourire ourle ses lèvres. « Faire grandir l’ombre d’une révolte dans le cœur d’Atlantis. Et tu aurais une place toute trouvée dans celle-ci, si tu consens à tenir ta langue et me prêter main-forte. Tes oreilles risquent d’être utiles… »

La noble dévoile un peu son jeu, orientant son discours sur les opportunités à prendre. Et elle sait que le Capitaine du Naga en est friand.

« As-tu pu parler avec le Sénateur Arhan ? Cinead et les autres de ta famille ? Je pense avoir besoin de toi pour me faufiler jusqu’à eux, tu penses pouvoir arranger ça ? »

Elle s’est adoucie, la sorcière. Reste qu’elle est tendue et c’est souvent qu’elle jette des regards autour d’elle pour s’assurer que personne ne viendrait les surprendre.

« Il faudrait aussi que tu te renseignes sur les autres membres du Conseil. De mon côté, je compte rencontrer les Généraux en poste et découvrir leur sentiment et la position qu’ils projettent d’occuper. Et en fonction… »

Son poing s’abat contre la paume de son autre main.

« Je suis avec toi, Capt’ain. »

Œuvrons d’égal à égal.

De la compassion dans sa voix ? Une compréhension, une douleur partagée ? Éa ne relève pas, elle le laisse répondre. Et ses confessions font échos aux siennes. Ainsi partage-t-il sa vision quant à la situation politique actuelle. C’est une bonne chose. Qui soulage la Tremere.
Elle cherche à lire de la suspicion dans ses yeux, un indice sur une quelconque duplicité. La jeune femme sera très vite rassurée.

Car il est question de famille. Un sujet épineux pour eux deux.

« C’est bien plus délicat que ça. Tu as sans doute eu vent de la mort de mon frère et les conditions de celle-ci ? Sache que tout est faux. »

Son regard se voile de tristesse et d’amertume. C’est là que réside une partie de sa colère. Cette rage qu’elle n’arrive pas à faire taire. Qui ne demande qu’à se ruer hors de sa cage. Car un rien, elle le sent, peut enrager la bête qui sommeille en elle.

« Je l’ai tué. De mes propres mains. » la révélation fait vibrer sa voix. « Il a essayé de me tuer, par jalousie. Il désirait ma place, depuis toujours. Il était un puîné et moi, j’avais les bonnes grâces paternelles parce que je suis née quelques minutes avant lui. »

Sa mâchoire se crispe, sa respiration s’accélère et l’Onde menace de se manifester à travers elle. Éa poursuit :

« Et mon père a décidé que la faute m’incombait. Que je suis responsable de tout ça, alors que c’est lui qui… » la jeune femme relève la tête. « Nous allons devoir faire avec, cher Monsieur. Notre famille est notre fardeau, mais un poids nécessaire pour avancer. »

Elle ricane. « Et non, je ne suis pas habitée que par un sentiment d’injustice que je voudrais écraser. Je ne suis pas aussi altruiste que ça. Mais l’idée d’être celle qui ferait basculer tout ce beau monde de leur petit trône me plaît beaucoup. »

La brune de tendre une main vers Nessius.

« Bien, scellons notre entente d’une poignée de main, à défaut de pouvoir le faire autour d’un verre. Sauf si tu as une meilleure idée pour rendre cet instant plus… solennel ? »

L’ombre d’un de ses sourires mutins se dessine.

Leurs histoires s’entremêlent dans d'étranges similitudes. Éa tente vainement de camoufler son trouble lorsqu’il préfère sceller leur accord d’une étreinte, plutôt qu’une poignée de main. Le contact n’a rien à voir avec… ce qu’il a pu l’habituer. Un moment de flottement et ses mains se nouent en douceur autour de son cou. L’instant, bien que bref, laisse la jeune femme dubitative.
Aussi l’écoute-t-elle sans l’interrompre. Et s’efforce de lui sourire. De lui répondre comme si de rien n’était :

« Je suis heureuse de l’entendre, bien que j’ai une réputation à tenir… surtout auprès de la gent masculine. »

Une allusion aux poisons et aux attraits des sorcières. Pour le reste, elle hoche la tête, il ne serait pas avisé pour lui de s’engager tête baissée sans réfléchir. Quant à l’idée de se retrouver dans ses appartements…

« Un bain ? » elle s’esclaffe. « J’adore cette idée. Mais tu n’as pas peur de faire jaser ? Question discrétion, ça se pose-là tout de même… à moins que tu aies quelque chose derrière la tête ? »

Une pause, un regard appuyé. « Autre que celle de me contempler, bien sûr. »

Ironise la noble d’un nouveau sourire tapageur. « Mais c’est d’accord ! Jouons un peu à ton jeu. »

Et mène la danse « Monsieur ! »

***

Le caldarium est presque désert en cette heure. Une aubaine pour les deux baigneurs. Alimentés par un système d’hypocauste, les bains chauds sont parfaitement entretenus de jour comme de nuit. Et les lieux étaient plongés dans une douce quiétude propice aux confidences, ou aux jeux.
Au-dessus d’un labrum, Éa trempe un linge dans l’eau froide pour se rafraîchir. Elle attend son compagnon d’aventure. Reste à savoir jusqu’où il est prêt à aller dans ses projets. Cette nouvelle joute promet d’être instructive, et de lui fournir des réponses. Ou non.

Elle l’entend approcher. Perçoit la musique de ses pas. Sa démarche devient familière. Éa sourit et ferme ses paupières pour s’abandonner aux mains expertes du Naga. Un don que la sorcière n’aurait pas soupçonné, quoique, elle se souvient de leur dernière rencontre et des images lui reviennent en tête.
Papillonnant des yeux, Circé se redresse un peu, tourne son visage sur le côté et glisse sa chevelure nattée au creux d’une épaule. Un léger sourire invite Nessius à poursuivre son œuvre.

« Ce que je cherche… » murmure la brune, le regard se perdant dans le lointain. « D’aussi loin que je me souvienne j’ai toujours recherché la liberté. »

Toute malice à quitté ses traits ; c’est une femme fragile qui ose se dévoiler un peu. Avec ses peurs et ses aspirations. Ses secrets. Et si l’occasion est propice aux révélations, la Tremere ménage son petit effet en laissant planer un long silence. Profiter de l’instant, c’est s’y perdre et s’y accrocher aussi. Avant que le chaos ne les emporte.

« N’en faire qu’à ma tête, rêver d’indépendance. Voyager. Chevaucher des tempêtes. »

Le dos de la jeune femme s’appuie contre le torse du capitaine. Ses prunelles sont encore perdues dans cette errance. Ses mots semblent provenir d'une autre personne tant ils sont éloignés… d’Éa.

« Je sais que j’appartiens à un autre monde. Et voir le Sénat s’engager sur ce sentier, profitant de la mort du Légat… éveille quelque chose en moi. Ou non… cette colère que je ressens depuis toujours, nichée dans ma poitrine, n’attendant qu’une occasion pour se manifester… je veux la laisser s’exprimer pleinement. »

Faire tomber son dernier masque. Enfin, la belle enchanteresse revient à elle et pivote vers Nessius. Fièrement, elle dresse le menton et rétorque :

« Moi bien sûr, qui d’autre ? »

Son visage se froisse d’un nouveau sourire mutin. Heureuse de son petit manège, elle dévisage Nessius.

« Car c’est dans le désordre et le chaos que naissent la paix et la quiétude. » répond Éa sans même y penser. « Alors si je dois devenir la mère de toutes les tempêtes… »

Oui, elle le ferait sans hésiter une seule seconde. Les questions de Nessius se bousculent, elles paraissent toujours lui brûler les lèvres comme si son rôle de Quaesitor transparaissait même dans d’intimes confessions. Ce qui la réconforte, en un sens, c’est qu’elle ne descelle aucune note de jugement.
Il est là pour la pousser dans ses réflexions, à s’interroger sur les raisons de sa révolte. Elles méritent réflexion. Maturation. Comme le bon vin, les idées de reconquêtes doivent fermenter longuement.
La jeune femme y a été préparée toute sa vie. Elle sait avec précision ce qu’elle a à faire.

« Détruire le Sénat. »

Son futur la rend intransigeante sur cette question-là. « La politique actuelle d’Atlantis est trop retors, elle creuse les inégalités. Il n’y en a que pour les élus, les « Bien-nés ». Nous sommes trop renfermés sur nous-même et de nombreux dangers planent : si notre monde venait à s’écrouler nous serons seuls face à l’adversité. Et contraindre la majorité de la population à ployer l’échine sous cette gouvernance… non. C’est cela que je souhaite effacer. Tu penses que je suis trop idéaliste ? Tu n’as pas tort. Je sais que Rome ne s’est pas faite en un jour. Et pas des mains d’un seul homme, ou d’une seule femme. »

Elle lui glisse un regard appuyé, entendu. Pour qu’il comprenne. Oui, la Tremere ne souhaite pas être seule à mener cette entreprise.

« Notre vision doit changer, à commencer par celle que l’on a des Vulgaires. Vivre en autarcie n’amènera que le malheur. Tu verras que les prochaines actions du Conseil feront miroiter de belles idées qui pourrait me plaire aussi. Mais je ne tomberais pas dans leur piège. J’observe, j’apprends, puis je frapperai, fort. »

Elle se relève, le visage tourné vers l’atrium. Un immense sourire se dessine sur son visage. Puis, doucement, elle tend la main à Nessius.

« D’égal à égal. Je ne serai pas la seule à m’élever. Et je ne prétends pas non plus devenir la Voix de Poséidon. Lui seul doit en décider. »

Mais elle agirait en son âme et conscience. Libre.

« C’est assez bien résumé, même si je sais que tout est bien plus compliqué que ça. Et qu’il ne me suffira pas d’arriver avec mes gros sabots pour que, d’un claquement de doigts, tout se passe comme je l’entendrai. »

Elle n’est pas dupe ni stupide. Et elle attend avec impatience les réponses de son vis-à-vis. La Tremere a un immense sourire quand un nouveau flot de questions se bouscule hors de la bouche de Nessius. Il n’est pas bien difficile d’anticiper ses réactions. Se pourrait-il que la sorcière des eaux… commence à le connaître un peu trop bien ? Un rictus pare son visage de porcelaine. La malice revient au grand galop.

« Allons bon ! Piquer des idées chez les Grecques ? » Une pause. « Et pourquoi pas ? Les Surfaciens ne sont pas si idiots. Il y a des choses à prendre partout, ce qui serait vraiment bête, ce serait de se limiter à… ça. » fait-elle en désignant un ensemble de sa main. « Ne t’en fais pas mon cher Nessius, je ne compte pas tout chambouler non plus ! Comme je ne compte pas être seule… »

Elle coule vers lui un regard de velours. « Mais plutôt bien accompagnée. J’ai besoin de soutiens, c’est une évidence, le cacher serait totalement hypocrite de ma part. Je ne suis rien, si ce n’est une noble nouvellement couronnée de l’Écaille de Circé. Ça peut être un avantage comme un inconvénient. J’ai envie de jouer cette carte. Comment me diras-tu ? C’est très simple. »

Se retournant, elle se penche pour lui chuchoter à l’oreille. « Je vais bien évidemment jouer sur les deux tableaux, comme je l’ai évoqué tout à l’heure. Un pari risqué, sans aucun doute, mais… mais… être sur les deux fronts est une idée qui me plaît. T’avoir à mes côtés aussi. Je voudrais que tu glanes des informations pour moi. Sur les membres du Conseils, leurs faits et gestes… savoir si je ne pourrais pas utiliser des failles. Faire comme je fais maintenant : les séduire. »

Sa petite moue mutine fait briller ses yeux lilas. « Je dois trouver des alliés et j’espérais que tu aurais déjà quelques noms à me susurrer à l’oreille… »

Elle l’enlace, profite de cette proximité pour poursuivre sur un ton suave : « D’égal à égal, bien sûr. Je suis certaine que nous saurons nous mettre d’accord sur ta rétribution. »

« Je préfère laisser les petites sandales à Arès, question de principe. » lui rétorque-t-elle avec amusement. « Te voilà bien sérieux tout à coup, c’est bien. C’est que j’ai toute ton attention… »

Tels deux chats ronronnant de plaisir face à la perspective d’un festin royal, Nessius et Éa se questionnent, se poussent l’un et l’autre dans leurs retranchements. Réfléchir à cette question, bien épineuse, la belle a eu le loisir de le faire. Seulement, elle hausse des épaules. « Non, je veux seulement que tu fasses ton travail de Quaesitor. »

Un sourire tout aussi malicieux que le sien vient orner son faciès empreint de fausse innocence. « Je ne te demande pas cela. Pas de te mettre en danger, je te pensais plus malin ! » se gausse-t-elle. « Non… tes méthodes m’importent peu. Je pensais seulement que tu étais l’homme de la situation, voilà tout… »

Éa incline la tête sur le côté et minaude encore :

« Mais si je me suis trompée… »

La dame se recule de quelques pas, mime à merveille la déception. Les bras croisés sous sa poitrine, l’atlante semble attendre quelque chose.

« Quoi ? Tu ne t’excuses pas pour l’affront ? » Elle vient appuyer, d’un doigt inquisiteur, la poitrine du Naga. « Je ne vais pas me tourner les pouces ! Ou jouer aux marionnettistes. Non… Je compte bien aller voir mon supérieur, et cet autre O’Bannon… ce vieux Calum. Je gage que la Famille la plus en vue de tout Atlantis a une vision bien arrêtée sur la question. Et je serai curieuse de savoir laquelle. »

Elle a pu entendre parler de lui, il y a longtemps. L’idée de lui rendre une petite visite la séduit, comme revoir son Général préféré. Et en parlant de Général…

« Oh, et je compte bien aller rendre une petite visite au Dragon des Mers pour compléter le tableau des O’Bannon. » D’avance, elle exulte de la petite mise en scène qu’elle a imaginé pour lui, pour son retour. « Mais revenons-en à ce qui t’intéresse vraiment ! » Une pause. « Que penses-tu d’une place de choix dans l’armée Atlante ? Devenir Général te plairait ? Ça et d’autres bricoles, il faut que tu me les souffles à l’oreille très cher. Je ne suis pas devin. Et nous avons bien le droit de rêver un peu, après tout. »

Des songes de grandeur et de décadence.

Elle le regarde longuement, l’expression indéchiffrable. Ils sont trop semblables pour s’éterniser dans ce genre de jeu. Quoique. Faisant reflet à son sourire, elle le laisse la prendre par la taille, l’attirer à lui. Le léger baiser qu’il destine à sa joue la fait rire aux éclats. Éa abandonne toute sévérité, vient poser sa tête dans le creux de son cou et ferme les yeux. Cette douce parenthèse lui fait du bien : le calme avant la tempête dit-on. Cet instant ne se saurait pas mieux l’illustrer.
Pourtant, lorsque Nessius l’interroge encore, et plus précisément sur son entrevue avec son père, la Tremere se crispe. Elle souffle, grave :

« Sa fille adorée, hein ? Tu es loin du compte. » Très loin. Ses épaules s’affaissent, comme vaincue. Amère, la jeune femme hésite à lui expliquer davantage avant de s’y résoudre : autant abattre toutes ses cartes. « Au mieux, il me considérera comme un fantôme, une entité négligeable, tant que je reste à ma place. Je suis assurée d’une chose : ma Famille ne me soutiendra pas. »

Après un instant, elle poursuit, ne désirant pas s’étendre sur le sujet. Circé à sa fierté. « Bien, faisons ainsi alors. »

Nessius saisit l’occasion qui lui est offerte et réfléchit à la proposition de la belle brune. Elle se recule pour mieux le jauger. Intriguée, la noble atlante esquisse un sourire de plus en plus grand. Oui, il a au moins autant d’aspiration qu’elle. Il aspire à de hautes fonctions, au pouvoir… un point, un autre, qu’ils ont en commun. Un amour dangereux. Brûlant.

« Si je deviens la Voix des Océans… laisse-t-elle traîner. Et cette troisième chose que tu évoques, je serais bien curieuse de savoir ce que c’est ! »

Cependant, la sorcière ne souhaite pas se montrer plus intrusive. Au lieu de ça, joueuse, elle lui prend la main et l’invite à se rasseoir dans l’eau chaude. Là, se plaçant dans son dos, elle invoque son cosmos et rejoue les caresses de leur dernière rencontre. Ces mêmes gestes qu’elle a eus avant de s’éclipser.

Compte-t-elle se défiler encore ?

« Il ne manque plus que le vin pour sceller ce nouvel accord. Décidément, nous ne pouvons pas nous en empêcher. À croire que tu as besoin d’être rassuré en procédant de la sorte avec l’ensorceleuse… pourtant… s’il y a bien une promesse que je peux te faire, c’est celle de ne jamais lever la main sur toi. »

Elle n’a jamais été aussi sincère avec lui qu’en ce moment. « Je voudrais bien savoir pourquoi tu veux t’envoler si haut, au risque de te brûler les ailes avec moi… »

Éa Tremere écarquille des yeux, surprise. Elle s’immobilise, ses gestes se suspendent, si bien qu’elle rate l’occasion de lui rendre son étreinte. Elle perd l’opportunité de lui montrer, à son tour, qu’il n’existe pas, entre eux, que ce jeu aussi stupide que grisant. Il l’a décontenancée, d’une manière troublante, si troublante que la jeune femme ne sait pas quoi en penser. Pourtant, oui ! La sorcière n’est pas dupe, cette fragilité, elle a pu déjà l’effleurer, au moins un peu.

Sans avoir l’intention de l’utiliser et retourner tout ceci contre lui. Ce nouveau masque… vient-il de lui laisser la chance d’entrevoir ses failles ? Qui il est vraiment ? Un écho. Qu’il tente de balayer maladroitement. Cependant, elle joue le jeu, replace son propre carcan, une expression goguenarde.

« Je ne laisse rien au hasard. » C’est faux. Personne n’est infaillible. Éa reste une femme, une chevaucheuse de tempêtes autoproclamée. « Au culot. »

Un petit rire s’extirpe de sa gorge. Elle poursuit son œuvre, avec plus de douceur toutefois. Comme une réponse muette aux paroles qu’il a eu quelques minutes plus tôt. Oh, oui, l’ensorceleuse y a été sensible. « Tu n’as pas besoin de m’en dire plus, oui… »

Son menton se pose sur son épaule, ses prunelles lilas se perdent et ses gestes se suspendent. Comme le temps. Lentement, la jeune femme vient l’enlacer, nicher son nez dans son cou. Elle se sent comme une enfant, perdue dans son innocence fragile.

« Il… » elle hésite. « Il y a un secret, une vérité que je ne peux pas encore te révéler. Mais tu… tu l’apprendras quand le moment sera venu. Et j’espère que tu ne m’en voudras pas trop. »

À quel point elle trompe le monde.

« Et tu n’as pas à être désolé. Nous portons tous des blessures que nous tentons de combler avec de l’or. Faire bonne figure, donner le change… nous faisons ce que nous pouvons pour ne pas souffrir. Nous, nous jouons. »

La brune resserre son étreinte.

« Tant que nous y trouvons la paix… »

Depuis leur première rencontre, la Tremere a senti chez le jeune homme un écho. Une évidence. Un allié, un joueur invétéré. Il ne leur a pas fallu longtemps pour se dévoiler, et cette rapidité la surprend, autant qu'elle l'inquiète. Et si elle se trompe encore ? Ce n'est pas la première fois qu'elle commet des erreurs de jugement.
Pourtant, elle sait. Elle sait que les mots peuvent tromper, mais pas les actes. Pas le corps. La noble sent qu'une barrière s'est écroulée, que Nessius s'accroche à quelque chose d'à la fois tangible et encore invisible. Il lui demande l'impossible. Le capitaine peut sentir la jeune femme se crisper avant de se détendre. Le regard qu'il porte sur elle finit de la convaincre.

Tant pis.

S'échappant d'entre ses bras, Éa prend le temps de le regarder, de sonder son âme. Elle ferme les yeux, se recule de quelques pas. Le bruit de l'eau accompagne ses paroles, une voix qui n'est pas celle de la jeune femme. Mais bien d'une autre, une étrangère.


« Je ne suis pas celle que je prétends être. »

À la place de ses yeux lilas, ce sont deux rubis qui l'observent, s'enflamment, le transpercent. Le cosmos de l'ensorceleuse change, se pare d'écarlate. Et s'étend au reste de sa personne.

« Éa Tremere est morte, ce jour-là, quand elle est venue chercher Circé. »

Sa main se lève jusqu'à son visage qu'elle arrache. La chair se détache, lentement, se déchire, se désagrège. Le spectacle, horrifiant, se poursuivit dans une musique écœurante. Le dernier masque tombe, est jeté au sol. Mais son sourire ne l'a pas quitté, pas une seconde. Comme pour lui prouver que sous le subterfuge, c'est elle, entière, qui se dévoile à lui.

« La vérité, c'est que je l'ai tuée, elle et son frère. Je me suis appropriée sa vie, son identité, ses peurs. Mais cette colère, là... » elle désigne sa poitrine. « Est la mienne. »

Fièrement, l'usurpatrice lève le menton. « Je suis plus qu'une chevaucheuse de tempête. Je suis la tempête. »

La rousse s'approche de nouveau de Nessius, jusqu'à une proximité intime. Elle couve sur lui, un regard amusé où gravite aussi une appréhension. Le rideau tombe.

« Tu sais presque tout. Et je veux bien consentir à te donner mon identité véritable si tu me donnes quelque chose en échange. » Elle a une idée précise en tête et elle le fait savoir en murmurant à son oreille : « Cette troisième chose que tu désires, qu'est-ce que c'est ? »