[Fin avril 553] Les aventuriers de la prêtresse perdue [PV Silas]

«Je dois t’avouer que je n’avais pas anticipé à quel point ma couleur de peau pourrait être un frein dans cette mission. Plus surprenant, il semblerait que notre Grand Pope, qui pourtant connait très bien ces royaumes, ne l’avait pas prévu non plus. A moins que ce ne soit un test pour vérifier ma capacité d’adaptation en milieu hostile ? Toi qui le connait mieux que moi, qu’en penses-tu ? »

Le choix de Childéric était des plus surprenants. Kaleb avait peine à croire que le premier représentant d’Athéna ait oublié les mœurs du royaume dont il était issu. Etait-ce une marque de confiance, persuadé qu’il était que le chevalier d’or de la Vierge saurait se débrouiller, ou au contraire une volonté de l’éprouver. Cela importait peu en l’état. En revanche, il faudrait sans doute le lui signaler au retour. Les missions trop au nord nécessitant une certaine discrétion n’étaient peut-être pas les plus adaptées pour l’axoumite.

Ainsi Silas voulait se servir de lui comme appât. Venant d’un autre que lui, ce plan l’aurait laissé particulièrement dubitatif. Mais il avait confiance en son acolyte. Et puis d’ailleurs, avaient-ils de meilleures options ? Les hommes semblaient avoir fui lorsque Kaleb avait commencé à interroger les gardes. Néanmoins, en posant les questions aux bonnes personnes, ils pouvaient obtenir une réaction indicatrice. Hostile ou bienveillante, là était l’inconnu. Mais ils le sauraient bien assez tôt.

Kaleb opinia donc du chef à l’idée de Silas. De toute manière, quelle menace ces guerriers pouvaient-ils bien représenter ? Au pire, il s’en sortirait avec une bonne petite bagarre de derrière les amphores.

«Si tel est ton plan, alors, autant le jouer à fond. N’est-ce pas… Maître ?»

Il lui adressa un léger sourire sarcastique et remplit à nouveau son verre.

**********

Le lendemain, peu après l’aube, alors que le quartier des marchands s’animait, Kaleb était de retour sur la place principale où il se trouvait la veille. Mais là, il n’était plus question de se dissimuler. Au contraire. C’était au grand jour qu’il fallait œuvrer. D’un ton très théâtral et suffisamment intelligible pour être entendu à la ronde, la Vierge entra en scène.

«Oyez ! Oyez ! Commerçants, artisans et braves gens de Reims. Mon maître est un grand négociant en vin de Constantinople cherchant à ouvrir de nouvelles routes vers le nord. On nous a dit qu’il y avait des représentants de peuples du nord dans les environs avec lesquels nous souhaiterions nous entretenir. Toute personne pouvant nous fournir des informations nous permettant d’entrer en contact avec eux se verra largement récompensé…J’attendrais à la taverne que voici ceux qui souhaiteraient nous assister dans cette quête.»

L’hameçon était gros. Mais parfois, user des bas instincts humains était la seule solution.

Parfois, à vouloir être trop subtile, on fini par se perdre. À ne l’être plus du tout, on risque de s’égarer tout autant. Néanmoins, on fini par vous renseigner, non sans que Kaleb se soit vu poser quelques questions plus ou moins déplacés sur ses origines et ce qu’il est vraiment. Tant sur l’exotisme qu’il représente, que sur ses airs de saltimbanques qu’il prend en endossant le rôle du crieur public quelque temps. On te recommande de chercher quelques auberges dans le sud-est de la cité. Tu apprendras aussi qu’il y en avait plus en ville il y a quelques semaines, mais qu’ils sont partis il y a peu. Silas, caché, tu ne repères rien si ce n’est la foule qui bouge et qui vit. Difficile de passer inaperçu au milieu des gens, on te bouscule, surpris de rencontrer quelqu’un là où il y a quelques instants, il n’y avait personne. Se retrouver caché dans la multitude n’a pas que des avantages.

Pour le reste, si vous décidez de vous rendre dans le quartier indiqué, on vous indiquera de vous présenter, tous les deux, à une auberge précise à un horaire précis, en début de soirée.

A l’heure dite, le serviteur du marchand de vin byzantin se présenta donc devant l’auberge qu’on lui avait nommé quelques heures auparavant. Suivant son maître comme une ombre, Kaleb pénétra à la suite de Silas dans les lieux.

Bien évidemment, sa représentation de la matinée n’avait pas manqué d’attirer commentaires et regards suspicieux. Si, comme le prétendait les Gémeaux, Childéric avait quitté la région enfant, il ne devait pas avoir conscience de la difficulté que représentait la couleur de peau de l’axoumite dans les environs. Même s’il suffisait sans doute d’un peu de bon sens pour l’envisager. Mais la Vierge avait estimé que ce genre de considérations étaient sans doute bien éloignées des préoccupations du Grand Pope et que s’il ne pouvait pas compter sur un chevalier d’or pour s’en sortir avec ce genre de problème, alors la sixième constellation du zodiaque aurait sans doute mal choisi son gardien.

Kaleb observa l’auberge et ceux qui s’y trouvaient. Les hommes du nord ne devaient pas bien être difficiles à repérer… Les vêtements et les habitudes devaient différencier de celles des francs. Tout du moins, c’est ce que l’axoumite envisageait. Il s’était documenté autant que faire se peut lorsqu’ils étaient encore au Sanctuaire. Mais cela lui semblait désormais d’une utilité toute relative.

Scrutant la salle, il crut néanmoins reconnaître une tablée d’hommes qui pouvaient correspondre à l’image qu’il se faisait de dormeurs vivant sur les terres d’Asgard. Il ne pouvait pas s’appuyer sur l’image que les deux guerrières rencontrées lors de leur ambassade à Camelot lui avaient laissée. Au même titre qu’il ne pouvait prétendre représenter physiquement les dormeurs vivant sur le Domaine Sacré.

Kaleb désigna le groupe d’un signe de tête à Silas. Avait-il vu juste ? Dans sa tête, plusieurs questions restaient en suspens. Pourquoi une partie de ces mercenaires avait-elle quitté la ville ? Dans quelle direction ? Etaient-ils seulement liés à la Grande Prêtresse qu’ils recherchaient ou n’étaient-ils que de simples mercenaires à la recherche d’un peu d’or ? Beaucoup d’interrogations pour bien peu d’éléments. Comme toujours depuis le début de cette mission.

Il s’éloigna des Gémeaux, continuant à jouer son rôle de serviteur, pour aller directement s’adresser au patron de l’établissement.

«Excusez-moi de vous importuner. Mon maître est à la recherche d’un groupe de mercenaires originaires du grand nord. Des saxons ou d’un peu situé encore plus loin vers les glaces. On lui a dit qu’il pourrait les trouver dans votre établissement. S’agit-il de ces hommes attablés là-bas ?»

Le tavernier était sans doute le mieux placé pour les aider dans leurs recherches. Ils n’avaient pas de temps à perdre.

Le marchand de simplement vous adresser, d’un signe de main, une table un peu à l’écart dans la grande salle à laquelle personne n’est encore assis. Mais ça ne tardera pas, vous aura-t-il après vous avoir délesté de quelques pièces, le prix de ses paroles et les mots valent de l’or. Après quelques minutes, on vous apporte de quoi boire, des belles chopines bien remplies de cervoise. Puis, encore quelques minutes plus tard, un homme d’arriver et difficile pour ce dernier de pouvoir cacher ses origines. Grand, proche des deux mètres, des bras épais comme des cuisseaux, couvert de tatouage et de cicatrice, il s’installe lourdement à la table devant vous. Vous demandant alors simplement :

« - Combien et quoi ? »

L’homme qui leur faisait face n’avait rien de commode. Kaleb le dévisagea longuement avec un regard calme et méticuleux. Il avait tout de la caricature des hommes du nord, tout du moins de l’image qu’on renvoyait d’eux au sein de l’empire et au sud de la grande verte.

Une barbe fournie, des cheveux longs noués en une longue natte, traversant un crâne rasé recouvert de symboles que la Vierge ne connaissait pas. Si lui était une bizarrerie exotique au regard des Francs, cet homme n’en serait pas moins une s’il venait à s’aventurer dans l’empire.

Kaleb écouta sans rien dire les paroles de Silas. Il était pleinement dans son rôle de maître marchand cherchant à conquérir les grandes étendues du Nord en y ouvrant une nouvelle route commerciale. Cependant, le fait qu’il cite ouvertement Asgard laissait entendre à toute personne plus ou moins initiée aux secrets des dieux qu’il n’était pas forcément celui qu’il avait prétendu être.

Une tactique plutôt risquée aux yeux du gardien de la sixième maison. Kaleb conserva le silence, se gardant d’interférer. Silas savait sans doute ce qu’il faisait. Ses gestes n’étaient d’ailleurs pas laissés au hasard. Le fait de montrer ostensiblement à son vis à vis une bourse aussi remplie que la première pouvait aussi bien vexer que délier les langues.

Kaleb scrutait donc les réactions du géant ainsi que les environs. Ils n’étaient pas non plus à l’abri d’un coup fourré. Il fallait dire que leurs méthodes ne s’étaient pas avérées des plus discrètes et que n’importe quel individu un tant soit peu mal attentionné savait où les trouver. De plus, le gaillard n’était sans doute pas venu seul. La question était donc de savoir où se trouvaient ses acolytes ainsi que leur identité.

La Vierge se tenait sur ses gardes. Après tout, cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas goûté à une bagarre de taverne…

Un large sourire s’étira sur le visage de l’homme. Un sourire d’avidité et d’appât du gain. Après tout, n’avait-il pas une seconde bourse bien remplie à gagner avec une facilité on ne peut plus… déconcertante ? Si ces byzantins voulaient jeter l’argent par les fenêtres, autant que tout ça termine sa course dans sa poche plutôt que dans la boue non ? Alors, simplement :

« - Et bien, vous en avez un devant vous. »

Et ce dernier de tendre la main, réclamant son paiement…

Au moins, Silas n’avait pas manqué de perspicacité. Kaleb n’avait pas eu besoin d’intervenir et c’était aussi bien ainsi. A vrai dire, il continuait à scruter les environs. Les Gémeaux jouait sa partition consciencieusement sans se laisser mener le moins du monde par l’homme qui leur faisait face, aussi imposant soit-il physiquement parlant.

Ils avaient un point d’appui. C’était déjà ça de pris. Mais comment le colosse allait-il réagir ? Après tout, cela pouvait être un piège. Kaleb en était persuadé. Que ce soit de la part d’Eirwen pour dissuader tout poursuivant, d’Asher pour piéger le Sanctuaire ou tout simplement d’une bande de Dormeurs en quête de quelques pièces supplémentaires et ignorant à qui ils avaient à faire.

Dans un cas comme dans l’autre, il fallait rester sur ses gardes. Et c’était sans doute d’ailleurs une réflexion que devait partager leur vis-à-vis. Après tout, si lui-même était de bonne foi, s’il appartenait à la suite de la prêtresse déchue, se sachant traqué, il pouvait fort bien se méfier d’eux autant que l’inverse.

L’heure n’était pourtant pas aux révélations. Quelles qu’en soient la nature. L’argent avait tendance à délier les langues mais ce n’était pas pour autant qu’il était gage de vérité. Et le fait qu’il aiguise aussi les appétits pouvait s’avérer, au final, bien plus contre-productif que n’importe quel échec par manque de moyens.

Kaleb observa les tatouages de l’homme et, instinctivement, il sorti son nécessaire d’écriture et, machinalement, il commença à croquer le visage de l’homme lui faisant face ainsi que le moindre de ses tatouages le plus discrètement possible. Après tout, il n’était pas certain que cela soit d’une grande utilité mais il savait aussi que certains peuples étaient relativement frileux quant à la possibilité de voir leur visage esquissé pour la postérité.

Il pensa à Dana. Que faisait donc sa protégée à cet instant précis ? Avait-elle des pistes ? Etait-elle parvenue à cadrer ce diable de Xanathos ? Mais les hypothèses devraient attendre. L’essentiel était de se concentrer sur l’instant présent et de ne pas baisser sa garde. Juste au cas où…

Un grognement à la remarque de Silas. Un coup d’oeil rapide à ce que fait Kaleb. Le dessin lui déplaît, il le fait savoir d’un raclement de gorge eu gracieux, mais équivoque. Pour le reste, il plante ses yeux dans les tiens, Silas. Ils sont teintés de défis. Il t’encourage à avoir le cran de remettre en doute sa légitimité, sa place, sa nature. Il agit en chef. Il siffle dans ses doigts et moins d’une dizaine de secondes plus tard, apparaisse deux types du même gabarit que lui. Un peu moins tatoué et leurs protections un peu moins sophistiquées.

« - Vous l’avez devant vous, encore une fois ! Qu’est-ce que vous voulez comme preuve ? Que je tartine la gueule de quelqu’un à coup d’épée ou que je pose mes couilles sur leurs fronts pour vous montrer que c’est moi le chef ? »

Le ton monte, ferme plutôt qu’énerver. Provoquant, plutôt qu’agressif. Il montre ici, au final, à un marchand qui doute, qu’il est bien celui qu’il cherche. Qu’il est bien celui qui commande. Et la réaction de ses deux sous-fifres semble le confirmer.

Silas avait donc prononcé ce nom devant une personne qui ne semblait pas être un éveillé. Au moins, les choses allaient devenir intéressantes. Ou alors, ils rentreraient plus rapidement au Sanctuaire. Ils tournaient en rond depuis trop longtemps pour ne pas tenter leur va-tout alors que l’occasion s’en présentait.

Kaleb posa son dessin et scruta la réaction du colosse nordique. Il y avait deux solutions : soit il s’enferrait dans sa position et il serait difficile d’en obtenir d’avantage, soit l’appât du gain s’avérait un moteur suffisamment puissant pour lui faire cracher le morceau. Mais la Vierge en doutait. S’il était effectivement un homme de main d’Eirwenn, il était probable qu’il se méfie d’eux et que de l’argent ne suffise pas à lui délier la langue.

Mais le gardien de la sixième maison resta cependant stoïque. Que pouvait-il faire sans briser leur couverture pour le convaincre ? Il était le serviteur. Et, pour le moment, cela ne devait pas changer. Il entrevu une opportunité en prit l’initiative de la saisir. Il n’était plus à cela près.

«Ce que mon maître essaie de vous dire, c’est que les étrangers ne semblent pas être les bienvenus sur les Terres du Nord. Sans doute une décision des dirigeants actuels. Mais cela n’a pas toujours été le cas selon nos informations. Et Dame Eirwenn est sans doute la personne la mieux placée pour nous éclairer sur ce surprenant changement et qui sait, peut-être pourrions-nous lui offrir quelques clés en retour…»


Suffisamment vague pour dire tout et son contraire. Suffisamment précis pour laisser entrevoir entre les lignes un gain autre que financier. Après tout, la méthode semblait peu importante aux yeux d’Asher pourvu que le résultat soit au bout. Même si Kaleb répugnait à utiliser ce genre de procédés fourbes, il fallait essayer. D’autant que, quand bien même cet homme serait bel et bien un serviteur de l’ancienne prêtresse d’Asgard, ils n’avaient aucune idée de l’état d’esprit de cette dernière ou de ses objectifs. Reconquérir son trône ? Vivre en paix loin des intrigues ? Mettre le monde à feu et à sang par vengeance ? Il y avait bien trop de conjectures et trop peu de certitudes pour se dévoiler plus avant.

La tension de monter d’un cran quand les demandes sont faites, les noms sont enfin dévoilé et les masques finalement retirés. L’homme de vous regarder, gravement, lourdement. Peut-être considère-t-il ses chances de vous tuer ? Ou simplement de doubler sa mise ? L’un comme l’autre, il aurait tout autant à gagner qu’à perdre. Alors, c’est le silence qui règne dans un premier temps. Les hommes à l’arrière de porter la main sur leurs armes et le géant de les remettre en place d’un grognement et d’un geste de la main.

« - Ca… c’est la question qui me rendrait putain de riche et qui me ferait prendre ma retraite les filles. »

Fini-t-il par lâcher, suivit d’un rire gras, de soldat dont le raffinement se trouve dans la bière et son abus. Puis, ses hommes se détendent, poussant à leur tours un petit gloussement. Mais ils sont toujours nerveux. Et après avoir rit, leur chef reprend :

« - Mais… Supposons que vous avez mieux à m’offrir que les emmerdeurs de chez moi, nous pourrons toujours négocier. Je ne sais pas où se trouve la prêtresse, entre nous, si elle était en Francie, j’aurais fini par mettre la main dessus. Il y a toujours l’Aquitaine mais… c’est mauvais pour notre genre d’affaire alors je ne pense pas qu’elle y ait foutu les pieds. À vous de voir donc, ce que vous avez à m’offrir en plus de votre belle bourse, pour la chercher pour vous. »

«Détendez-vous, messieurs, nous sommes entre gens de bonne compagnie. Si nous avions voulu dégainer les armes, il y a longtemps que ce lieu serait devenu un champ de bataille…»

Kaleb écouta avec attention l’intervention du guerrier. Etait-il possible que cet homme ait été recruté par l’actuel Grand Prêtre pour retrouver celle qui l’avait précédée sur le trône ? Il fallait en avoir le cœur net. Silas l’avait devancé sur la question, avec sa franchise habituelle.

«Nous ignorions qu’Asgard avait recruté du monde pour mener ces investigations. A moins que votre commanditaire ne soit situé… plus à l’ouest ? »

Après tout, il était possible que ce diable d’Asher ait profité des différentes entrevues diplomatiques pour envoyer différentes factions sur les traces d’Eirween. Mais c’est lorsque l’homme évoqua l’Aquitaine que Kaleb s’interrogea. Il fallait lever toute ambiguïté sur le sujet. Quitte à mettre les pieds dans le plat et à jouer les imbéciles.

«Et pourquoi pas l’Aquitaine ? En quoi serait-ce un problème d’y mettre les pieds ? J’ignorais que ce territoire était en conflit avec les Terres du Nord… »

Une façon de tenter de tirer les vers du nez de leur interlocuteur. On ne pouvait pas prétendre que les deux chevaliers d’or soient des plus subtiles mais Kaleb pensait qu’il était vain de vouloir trop en faire au risque de s’attirer la méfiance de leur vis-à-vis. Et ils n’avaient pas vraiment d’options plus avisées pour obtenir davantage d’informations. Il regrettait d’être si peu expérimenté dans ce domaine.

Un air sérieux de se dessiner sur le visage du mercenaire.

« - Vous savez, un mercenaire, ça va souvent dans le sens du vent. Et par vent, j’entends la taille de la bourse de celui qui le paie. Mais ça a néanmoins quelques principes, sauf bien sûr, quand ça peut lui rapporter un peu de prestige. C’est important le prestige dans notre ligne de travail. Mais ici, je vais garder le secret, disons que c'est un employeur régulier. Mais du coup… si vous me payez plus, j’ai pas de raison d’honorer mon précédent contrat, vu qu’il est moins rentable ! »

L’argent est souvent le moteur de ceux qui vendent leurs âmes et leurs armes. On ne vit pas vieux dans ce genre de métier, on ne pense pas trop à la retraite. On pense surtout dans l’instant et l’instant, c’est la bourse bien remplie de Silas et la promesse justesse de profiter des richesses de Byzance. Le guerrier se gratte alors la barde quelques instants.

« - Servir dans les armées de chez vous ça paie bien. Si vous avez ce genre de connexion, je pense qu’on peut faire affaire. »

Son regard se tourne ensuite vers Kaleb, qu’il avait sciemment choisi d’ignorer jusqu’alors. Après tout, il était censé être le serviteur, un peu bruyant et peu discipliné de son maître.

« - Puisque qu’il ne fait pas que gribouiller celui-là, je vais lui répondre. L’Aquitaine n’est en conflit avec personne. C’est bien ça le problème. Enfin, dans ma profession c'est un problème. Surtout que, contrairement aux restes du bled qui n’a pas encore vraiment de maître, l’Aquitaine, elle, en a une. Et elle est pas commode. Et si vous êtes moitié moins con que vous en avez l’air, je suis sûr que vous savez déjà de qui je parle. »

Kaleb écouta le sous-entendu de Silas sans broncher en comprit directement à qui ce dernier faisait allusion. Aphrodite… Déesse de l’Amour… Et notoirement amante d’Arès. Effectivement, y mettre les pieds c’était se jeter littéralement dans la gueule du loup. Ou plutôt de la louve en l’occurrence. Cette référence fit esquisser un sourire à l’axoumite. Un animal qui allait comme un gant à la déesse des plaisirs charnels puisque c’était ainsi, qu’à Rome, on appelait les filles de joie.

Il écouta son compars et l’homme du Nord échanger plus avant. Il semblait que les deux aient trouvé un terrain d’entente. Néanmoins, la Vierge se méfiait de cet homme. Comme de tous ses semblables par ailleurs. Ceux qui étaient motivés uniquement par l’appât du gain avaient une loyauté à géométrie variable. Comme le colosse le reconnaissait d’ailleurs. Leur seule parole allait à l’offre la plus alléchante. Une façon de penser qui laissait Kaleb dubitatif. Il valait mieux en cas de combat, avoir ce type d’homme devant soi que derrière. Histoire d’éviter qu’ils ne s’enfuient à la première incartade et qu’ils ne vous plantent une dague dans le dos.

Silas conclut donc le marché. Les Gémeaux fit glisser la seconde bourse vers le mercenaire. Si cet homme effectuait les recherches pour eux, cela leur laissait le temps de s’atteler à d’autres tâches. Car il était certain que les tambours de la guerre n’allaient pas leur laisser de répit. Sinon, pourquoi seraient-ils nés à cette époque ? Ce n’était pas juste quelques petites escarmouches avec un ou deux oracles qui justifieraient l’apparition de chevaliers d’or. Non… Il y aurait plus…

Kaleb frissonna à cette pensée. Comme si un fantôme venait de lui caresser la nuque. Dana ? Où était-elle ? Comment s’en sortait-elle ? Si la prêtresse n’était pas en Francie comme il l’avait espéré, n’avait-il pas envoyé son apprentie au-devant d’un danger plus grand qu’il ne l’avait estimé ? La Vierge prit donc la parole une fois que Silas eut achevé la transaction avec le mercenaire.

«Bien ! Voilà une affaire conclue ! En espérant vous revoir prochainement à Constantinople ! »

Puis se tournant vers Silas, il lui demanda quelques secondes pour s’éloigner de la table dans une zone où leur conversation ne pourrait être épiée.

«Si nous n’avons rien trouvé ici, c’est que la Grande Prêtresse est ailleurs. Je pense que nous ferions mieux de rentrer et faire notre rapport. J’espère que nous aurons rapidement des nouvelles des autres. J’ai un mauvais pressentiment, Silas… »

L’avantage de voyager avec les Gémeaux était de pouvoir rentrer au Sanctuaire dans l’heure en toute discrétion. Ne pas avoir eu de nouvelles de sa disciple l’inquiétait. Il ouvrit le médaillon et jeta un coup d’œil rapide à la mèche rousse qui s’y trouvait, renforçant son malaise. Quelque chose clochait. Il fallait mettre ça au clair.

« - L’Aquitaine n’est pas si hostile, pourvu qu’on se conduise bien, mais j’en conviens, vous êtes pas forcément du genre de la maîtresse des lieux, trop… Byzantin. »

Le guerrier ensuite de se lever et de parodier une petite révérence, habitude de mercenaire qui traite avec des nobles. Ces derniers aiment le protocole, mais vous n’êtes pas de ceux-là. Il le sait et vous le fait comprendre. Plus subtile qu’il n’en a l’air ce soudard. Il s’assoit de nouveau et s’adresse cette fois à vous deux.

« - Sokkolf, c’est mon nom. Comme convenu donc, nous allons chercher la prêtresse pour vous et si jamais nous venions à en apprendre un peu plus, nous nous présenterons à Constantinople. »
Puis, de se tourner cette fois seulement vers Silas :

« - Nous invoquerons alors votre nom, seigneur Silas. J’espère pouvoir vous donner de nos nouvelles au plus vite. Sans garanti de la trouver, j’en ai peur, mais au moins, nous pourrons écumer les terres pour vous faire gagner du temps. Le temps, comme vous le savez, c’est de l’argent. »

Pour finir, le mercenaire de se racler la gorge dans un borborygme puissant, puis de cracher dans la paume de sa main gantée de cuir. Avant de la tendre dans ta direction Silas, scellant ainsi votre accord. Des recherches menés en votre nom contre une incorporation dans l’armée byzantine plus tard. Puis, une fois ce contrat de fortune établie, ce dernier de vous inviter d’un geste de la main à prendre congé, après tout, vous êtes ici dans l’auberge qu’il loue, sûrement à grand frais, pour lui et ses reîtres. Ne vous reste plus maintenant qu’à prendre le chemin du retour, une promenade de santé avec les talents du chevalier de la troisième maison. Mais il serait dommage de passer à côté de quelques jours de repos…