[Fin mai 553] Préserver l'arrière garde (Mission profane Kilian)

Mission # 7 – Si vis pacem…

Thrace. Voilà une province que je n'avais pas vraiment eu l'occasion d'explorer.
Une lacune à combler, sans tarder.
Suite aux terribles affrontements que nous avions mené contre les soldats d'Arès, et ma victoire face à la cardinale de la Mort, j'avais reçu pour ordre de regagner le Sanctuaire. Or, en tendant l'oreille dans le réfectoire des gardes de la citadelle dont j'avais eu la charge, j'avais entendu des rumeurs de troubles dans la province frontalière des zones sous l'influence d'Arès.
Un petit détour s'imposait donc, pour vérifier la véracité de ces dangers pour un pan de l'empire Byzantin. Nul doute que Childéric n'y verrait aucun inconvénient.
Je n'étais pas encore tout à fait remis de mes blessures. Pour autant, je doutais de tomber sur des adversaires assez redoutables pour me mettre en difficulté. Optimisme ou aveuglement ? Pour une fois, je plaidais l'aspect positif.
Bondissant de bosquet en bosquet, je misais sur un voyage nocturne, à l’affût de rassemblement étrange ou de mouvements proches de ceux d'un éventuel éclaireur. Mais au fil de mon avancée, le seul élément problématique remarquable fut les dégradations terribles faites sur tout signe de civilisation.
Des villages en ruines, le chaume encore fumant, des champs ravagés, des récoltes brûlées, des fermes pillées... Il ne fut donc pas bien difficile de suivre l'avancée des troupes éparses d'Arès, qui avait pu se faufiler à travers nos défenses ébranlées.
Malgré la colère qui commençait à me troubler l'âme, je finis par apercevoir la lueur typique d'habitations, en contrebas d'une colline. L'espoir revint me caresser le coeur, face à ce symbole de vie encore présent sur ces terres mises à mal.
Porté par un vent frais pour la saison, je dirigeais mes pas en direction de ce bourg inconnu, que j'espérais encore préservé du mal venu de l'Est...

Alors que j'allais atteindre ma destination, je décidais de me grimer en soldat byzantin, de manière à dissimuler ma véritable identité. Une simple cuirasse reconnaissable par sa coupe, et des braies en cuir et ainsi grimé, je repris bien vite ma route.
Malgré la nuit déjà bien avancée, l'espace extérieur comptait quelques badauds, passant d'un côté à l'autre de l'unique rue du bourg. Pas un ne me jeta un regard autre qu'hostile.
Rien d'étonnant en ces temps délicats et emplis de danger. Je fis donc profil bas, malgré mon apparence rassurante. En un coup d'oeil, je finis par repérer l'auberge du village, dont l'emblème affichée oscillait entre un sanglier ivre et un rat déformé. Difficile à dire...
Encouragé par une lumière mouvante visible à travers les fenêtres, je m'engouffrais bien vite dans la place, afin de trouver chaleur et repas digne de ce nom. Ragots également.
Et je fus accueilli par un tenancier à moitié endormi, qui me salua par un vague grognement. Fort heureusement, à la vue des quelques pièces que je posais prestement sur le comptoir, le propriétaire des lieux retrouva un semblant de joie.
Et le temps qu'il me prépare un repas digne de ce nom, je pris mes aises face à l'âtre encore vigoureux.
Hormis ma présence, les lieux étaient vides. Résultat des conflits trop proches ou de l'époque ?
En tout cas, ce détail n'était pas bon signe.
Mes pensées se tournèrent alors vers l'homme qui œuvrait dans sa cuisine, ainsi qu'aux passants dont j'avais croisé la route. D'où pouvait bien provenir l'hostilité ambiante ? Avais-je commis une erreur tactique en misant sur un costume de soldat ? Bah, au moins, si des barbares avaient trouvé refuge dans les environs, nul doute qu'ils viendraient à moi, en me pensant cible isolée et sans défense.
Paumes tendues vers l'âtre afin de les réchauffer agréablement, j'essayais de repousser un mauvais pressentiment. Ce village serait-il le prochain à être attaqué par des troupes dispersées de fidèles d'Arès ? Piller les frontières et leurs abords restait une tactique rusée et pouvait pousser des populations peu fidèles à l'empire à se rebeller. Semer le chaos, voilà bien les armes des chiens de guerre...
Au moins, ma présence pourrait peut-être éviter un massacre de plus.
Par sa situation géographique, Thrace restait un rempart entre Constantinople et ses pires ennemis. Et même si l'Exarque Malachite avait fait des merveilles pour préserver ses terres, il était de notre devoir de l'épauler en des temps si troubles.
Le bruit d'une assiette lourdement posée sur une table proche me tira du fil de mes pensées...

Sans même m'adresser un regard ou un sourire, le tavernier venait de poser à mes côtés un plat peu ragoûtant. Un morceau de viande indéfini nageant dans une sauce jaunâtre. Avec un quignon de pain dur en prime.
Décidément, l'hospitalité se faisait bien rare dans cette contrée... Peut-être aurais-je dû faire halte à la capitaine de Thrace, où l'accueil aurait été mille fois meilleur.
Je me morigénais aussitôt de cette idée hautaine.
C'était ici, dans ce bourg entouré de ruines fumantes et très proche de la frontière que je pouvais espérer tomber sur des troupes éparses d'Arès. Et tant pis, si mon appétit devait en pâtir l'espace de quelques jours.
Mes pensées tournoyant au rythme de mes théories et projections, j'entamais mon maigre repas, non sans écœurement. La préparation avait un goût affreux, bien trop épicé, et je manquais de le reposer à maintes reprises.
Après avoir achevé mon plat infâme, je me tournais vers le propriétaire, occupé à essuyer des verres à l'aide d'un chiffon plus que douteux.

Temps difficiles, n'est-ce pas ? Les rues sont vides... Vous avez eu à souffrir d'incursions barbares, dernièrement ?

Le vieux me jeta un oeil noir, avant de daigner répondre, du bout des lèvres.

Possible... Mais de toute façon, on se tient loin des ennuis. L'Empire ne fout de nous, et personne ne viendra nous défendre.

Un je-ne-sais-quoi dans son ton me fit courir un frisson derrière l'échine, et je sentis une pointe de migraine me malmener le crâne. Impossible de dormir dans cette auberge, cette nuit. Ce type était bien capable de m'égorger par aigreur ou avidité.

Je comprends votre sentiment, mais je suis justement là pour vérifier que tout se passe bien sur vos terres et que nul barbare ne menace vos pâturages...

Allez dire ça aux villages alentours ! Personne n'est venu à leur secours...

La rancoeur exprimée par cet homme me surprit. Mais ce fut son expression qui me fit monter une étrange nausée. Un malaise qui s'accentua lorsqu'il reprit la parole, avec une sinistre détermination.

On fait ce qu'il faut pour survivre... Désolé, mon gars.

Le sang me battant les tempes, je tentais de me relever, en vain. Vacillant sur mes appuis, je me sentis tomber lourdement sur le plancher, alors que l'espace tournoyait de plus belle.
Du poison... Mais quel amateur, j'avais été ! Mais avant de pouvoir m'agonir davantage, les ténèbres emportèrent ma conscience dans le néant. Sous le regard de pitié de l'aubergiste.

Je finis par ouvrir les yeux dans une sorte de temple plongé dans une semi-obscurité oppressante.
Mon premier réflexe fut de laisser mes paupières entrouvertes, de manières à faire croire à mon inconscience.
Le goût amer dans ma bouche confirmait que j’avais été bel et bien drogué. Et de ma tenue de soldats ne restait plus que mes braies de toile. L’unique source lumineuse provenait de torches disposées équitablement à ma gauche et sur ma droite. Et au vu des colonnes abruptes et de la disposition des lieux, je compris me trouver sur une sorte d’autel.
Bras entravés au dessus de ma tête, chevilles attachées à la structure de bois sur laquelle mon dos se tenait maintenu, j’entendis une murmure, comme des psalmodies.
Une odeur entêtante de sang séché et d’encens me monta vite à la tête. Un coup d’oeil suffit à me faire distinguer des os, crânes et offrandes diverses disposés à mes pieds. Comme les restes de mains rituels barbares et sanguinaires.
Mimant une simple convulsion, je redressais la tête sur le coté afin de visualiser la pièce où j’étais captif. Et j’aperçus une sorte de prêtre en robe de bure bouffée aux mites, occupé à entretenir un brasero central.
Point de doute permis, j’allais servir de sacrifice. Du moins, c’était là l’intention de mes geôliers.
Sur le visage du dévot fou, je distinguais des tatouages et peintures d’origine slaves. Servait-il donc Arès ? C’était tout à fait possible.
Tout en discrétion, j’avivais mon cosmos polaire et gelais mes entraves. Et sitôt mon futur tortionnaire se trouva-t-il le dos tourné, que je fis exploser les cordes fragilisées par le gel, et lui bondis dessus avec la vitesse de l’assassin que j’étais. Surpris par mon évasion, le fanatique se retrouva cloué au sol, une clé de gorge prête à lui tordre le cou à la moindre tentative stupide de sa part.

Qui es-tu et où sommes nous ?

Terrorisé par sa posture, mais également par le ton froid que j’abordais lorsque je revêtais mon masque de faucheuse, le prêtre ne tarda pas à répondre, entre deux gémissements de douleur.

Pauvre fou… Tu dois service d’offrande à notre seigneur et maître… C’est un honneur alors retourne à ta place… Refuse et les terres de ton empire seront noyées sous des flots de sang…

Fixé sur la situation, je mis un terme à la vie de cet homme d’un mouvement simple et efficace.
Ceci fait, je me glissais en dehors de la vaste salle de prière par l’unique porte, et m’engouffrais dans couloir chichement éclairé par quelques fenêtres par lesquelles paraissaient les premières lueurs du jour naissant.

J'avançais avec la plus grande prudence, tel une ombre.
Attentif au moindre son, je ne détectais rien de particulier, ce qui me parut rapidement étrange. Les lieux étaient-ils vides, à part le prêtre fou que je venais d'éliminer ?
Suivant l'unique chemin possible, j'entrevis une porte à ma droite, et l'ouvris le plus silencieusement possible. Malgré le peu de lumière alentours, je glissais un œil par l’embrasure. Une salle de torture, le plancher souillé de sang frais et ancien. Une série de cages étaient alignés sur la gauche, et quelques cadavres récents attendaient qu'on les libère. Une odeur atroce de décomposition me monta au nez, mais je parvins à retenir des nausées.
Que pouvait bien chercher les slaves en agissant de la sorte ? Cherchaient-ils à soutirer des informations à ces malheureux ou à les sacrifier au nom d'Arès ?
Je remarquais alors un sillon ensanglanté partant de la salle des horreurs et suivant le couloir dans lequel je me trouvais. Comme si on avait régulièrement traîné des corps malmenés.
Plus que jamais sur mes gardes, je repris ma route, en longeant les murs. Et après quelques minutes de progression, je finis par atterrir face à une lourde porte métallique entrouverte. Je m'y glissais précautionneusement et sentis aussitôt une présence cachée dans les ombres. Ainsi qu'une ouverture sur les hauteurs.
A mon entrée, des hurlements de joie et de sombre ferveur résonnèrent, et je compris aussitôt où je venais d'atterrir. Je m'étais trompé sur un point. Le prêtre n'avait probablement pas eu l'envie de me sacrifier mais plutôt de me mutiler afin de me traîner en ce lieu.
Une arène.
Où plutôt un garde manger. Protégés par des barricades surélevées, une vingtaine de barbares buvaient et ripaillaient en attendant le début du spectacle. Sur un sol jonchés d'os et de cadavres de villageois m'attendait une créature à moitié dissimulée. Munie de quatre bras, de deux gueules de cauchemar et grande de plus de deux mètres, elle laissa échapper une clameur affamée à ma vue ainsi qu'un filet de bave.
J'allais devoir combattre pour ma vie. Mais surtout pour éviter que ne perdure le sort qui faisait tant peur aux villageois qui m'avaient trahi. Je comprenais mieux leur attitude. Comment résister face à une telle horreur ? Déjà le monstre s'approchait lentement, sous les encouragements des fanatiques d'Arès, avide de tripes et de sang. Surtout celui d'un soldat de l'Empire. Mais en me faisait pénétrer dans leur repaire, ils allaient en avoir pour leur argent...

Je n'avais jamais été confronté à des créatures surgies du dédale d'Arès.
C'était donc une première dont je me serais bien passé. Déjà le monstre s'approchait, croyant avoir à faire à un simple soldat. Le filet de bave et de sang qui coulait de ses deux gueules aurait eu de quoi semer l'effroi dans l'esprit d'un dormeur. Fort heureusement, j'étais doté de nerfs d'acier.
Et déjà un plan faisait corps dans mon esprit, afin de faire d'une pierre deux coups.
Ignorant les invectives des barbares situés en hauteur, j'esquivais l'assaut du monstre affamé d'une roulade arrière. Et je notais qu'une tache d'acide demeurait là où ses griffes venaient de frapper le sol de l'arène sommaire.
Posant ma paume sur le sol, je déployais deux pentagrammes invisibles. L'un afin de ralentir la créature, le second...
Face à la diminution progressive de la température ambiante, les cris commencèrent à se muer en grognements de gêne. Et ce n'était encore qu'un début.
Usant de mes réflexes, je glissais dans le dos de mon adversaire bestial, et posais mes doigts sur ses chevilles, le clouant immédiatement sur place.
La bête poussa un hurlement sonore empli de surprise, de frustrations et de fureur, redoublant d'intensité lorsqu'un javelot de glace lui perfora la cage thoracique. Et le tumulte ambiant se tut aussitôt, comme si la stupeur avait fauché chaque âme corrompue présente.
Mais je compris aussitôt qu'un nouveau problème venait de se présenter.
Face à ma victoire brutale, trois guerriers se jetèrent dans l'arène, leurs armes fermement tenus en main. Une faux, une chaîne cloutée et deux épées acérées. Je perçus aussitôt des bribes de cosmos émanant d'eux. Rien d'inquiétant si j'avais eu mon armure, ce qui n'était pas le cas. J'allais devoir faire montre de prudence.

Les soldats Byzantins sont bien coriaces, les gars...

On va lui attendrir sa viande avant de la jeter aux chiens.

Sans me déconcentrer, je laissais mon cosmos se répandre subtilement, de manière à poursuivre la baisse drastique de température. Et un sourire se dessina sur mes traits en entendant les dormeurs du haut pousser des cris de frayeur alors qu'ils tentaient d'ouvrir les portes menant à l'extérieur, pour tenter d'échapper au froid glacial qui envahissait les lieux.

Il va vous falloir agir vite dans ce cas, hommes de l'est... Sinon vos compagnons risquent de n'être plus que des statues de glace.

Comprenant un peu tard mon stratagème, le trio se jeta sur moi dans un bel ensemble. Ils ne savaient pas encore qu'aucun des leurs ne sortirait vivant de ce lieu, devenu crypte des glaces.

L'assaut était coordonné et chacun semblait se mouvoir en harmonie avec les autres.
Je repoussais d'une décharge cosmique l'homme munis d'épées, et esquivais d'un bond la faux, qui passa à quelques centimètres de mon visage. La chaîne s'enroula autour de mon poignet, mais je la gelais avant que son détenteur ne puisse me déséquilibrer.
Concentré au plus haut point, j'ignorais le tintement des maillons se disloquant.
A la vue de mon œuvre, les guerriers répliquèrent par des cris de défi, alors que déjà leurs compagnons dormeurs cessaient de mugir, paralysés par un froid mortel.
Le manieur de faux revint à la charge, m'obligeant à reculer afin d'esquiver son arme tranchante. Du coin de l'oeil, je vis ses deux compères se mouvoir pour me prendre en tenaille. Nul doute que le trio faisait partie de l'élite d'Arès.
A ma grande surprise, le guerrier à la chaîne laissa percevoir un léger cosmos et son arme détruire se reconstitua entre ses mains. Son compère aux épées se rua alors sur moi, usant d'une vitesse supérieure à un simple dormeur. Et alors qu'il fondait sur moi, ses lames heurtèrent douloureusement une statue de glace à mon effigie.
Je réapparus dans le dos de l'homme à la chaine, et l'étranglais d'un geste expert. Alors que sa silhouette au cou brisé tombait à mes pieds, je dardais ma paume en direction de l'épéiste.

Diamond Dust !

Et un rayon de gel le faucha, le propulsant dans la mort en un instant.

Tu veux vivre ? Alors révèle-moi la teneur de vos plans. Est-ce votre seule base dans la région ?

Le slave survivant, transi de froid, me jaugea d'un œil empli de haine, tout en serrant sa faux à s'en faire saigner les doigts. Et sans surprise, il se jeta sur moi, refusant tout compromis.
Une légère aura enveloppa sa silhouette, et ses coups gagnèrent en rapidité. Mais pas assez pour rivaliser avec un chevalier capable de se mouvoir à la vitesse de la lumière.
Je le laissais s'épuiser en vain, avant de me glisser sous sa garde. Ma paume se posa sur son coeur, ne lui laissant aucune chance de survie. Et le malheureux se retrouva prisonnier des glaces, piégé vers un sommeil éternel.
M'épongeant le front suite à ces deux combats, je pris quelques instants pour reprendre mon souffle. Il ne restait assurément aucun survivant dans cet avant poste. Et maintenant que la bête du dédale était morte, les villageois pourraient peut-être se rebeller contre les futures escarmouches. Il ne me restait plus qu'à sortir d'ici et à aller les en informer...

Après avoir fait le tour de la structure, devenue crypte glacée, je me glissais à l’extérieur, certain que nul slave n’avait survécu.
Pour autant, l’inquiétude ne me quittait guère. Trois éveillés novices, une créature du dédale et une troupe de dormeurs sanguinaires et aguerris avaient percé nos défenses lors de la bataille et les troubles dont ils étaient responsables mettraient du temps à se résorber.
Le paysage lui même restait marqué de l’empreinte de leurs sévices. Assurément, cette incursion risquait d’être suivie de bien d’autres, et je ne pouvais m’éterniser à la frontière.
A la faveur du jour naissant, je repris la route du village où j’avais été piégé. Et déjà, les fermiers du crû s’activaient. Les ruelles anciennement vides regorgeaient de vitalité, mais l’atmosphère lourde d’inquiétudes et d’appréhension silencieuse demeurait.
Aussi, lorsque je jetais au beau milieu de le place les têtes des trois éveillés, tous les regards se tournèrent dans ma direction.

L’Empire n’abandonne jamais les siens !

Une vague de stupéfaction, d’incrédulité traversa la foule compacte. Revêtu de nouveau de ma tunique de soldat Byzantin, j’attendis une première réaction, la boule au ventre. Et lorsque résonna un cri de victoire, de soulagement, de libération, lâché par une adolescente aux traits creusés par la faim, je laissais un sourire transparaître sur mon visage austère.
Rapidement, l’appel fut suivi d’une clameur générale, de vivats, de pleurs joyeux, de harangues emplies de gratitude.
Du coin de l’oeil, j’aperçus l’aubergiste qui m’avait empoisonné se diriger vers moi, et m’étouffer dans une étreinte spontanée, à ma grande surprise.
Oubliant leurs tâches du quotidien, les autochtones firent apparaitre bière, hydromel, viande et vin pour fêter l’évènement. Et bien malgré moi, je me retrouvais au centre de cette liesse populaire, obligé d’enchaîner toast après toast, jusqu’à ce que l’ivresse ne m’emporte vers un sommeil bienheureux.
Le lendemain, je m’éveillais dans un lit moelleux, gracieusement offert par le tavernier, toujours tiraillé par les remords. Tout en me servant un bon verre de lait et quelques pâtisseries rudimentaires, il m’expliqua avoir vécu sous la tyrannie des barbares nouvellement arrivés, qui avaient sciemment ravagés les hameaux alentours, afin de soumettre ce village cossu. Vivant avec la menace quotidienne que leurs filles et leurs fils servent de sacrifices à la bête de cauchemar, les villageois avaient été contraints de collaborer, tout en maudissant un empire qu’ils pensaient impuissant à les défendre.
Pauvres gens…
Ce fut donc l’esprit apaisé, quoique légèrement inquiet quant à l’avenir et aux futures invasions que je quittais ce bourg, tout en priant pour qu’il conserve longtemps son opulence.