[Fin Janvier] Réflexions et inquiétudes [PV Calypso]

Fin de matinée. L'Arche d'Asgard. Orphéus n'était pas ici sans raison. Il s'agissait d'un symbole depuis peu. De celui d'un sacrifice. De celui aussi que l'inconnu était plus dangereux encore qu'il ne l'avait cru. Ici, la sécurité avait été renforcé de manière considérable. Franchir ce seuil sans être repéré, d'un côté comme de l'autre, était impossible. Et ce n'était pas sans raison qu'il agissait ainsi. Préserver les intérêts d'Atlantis était sa seule priorité. Ce pourquoi des membres du Secret des Abyss patrouillaient à l'extérieur de l'Arche. En cas d'attaque de l'avant-poste, ils n'avaient qu'une mission : prévenir les gardiens en poste ici.

Mais aujourd'hui, ce n'était pas pour passer en revue ses troupes qu'il était venu ici. Il avait envoyé Aurora en quête de Calypso car il avait des choses à voir avec elle. En sa qualité de protectrice du Légat, elle possédait quelques prérogatives que même les Généraux ne possédaient pas. Certes, aucune troupe n'était sous son commandement, tout comme elle n'avait pas de pilier à protéger à proprement parler. Mais elle était au service unique du Légat et cela lui donnait le droit d'accès à n'importe quelle zone d'Atlantis. Ainsi patientait-il le temps que sa soeur revienne. Tout en gardant son attention sur le petit objet qu'il tenait dans sa main. Ce présent de Dame Amphitrite. La dent de requin.

De son côté, Aurora n'avait eu aucun mal à trouver son amie. Elle la savait investie par la mission qui était désormais la sienne mais comme il avait été convenu avec elle et avec Orphéus, il était hors de question qu'elle ne se charge que de la surveillance de nuit. Ainsi donc Calypso avait été relevé de sa tâche la nuit précédente afin qu'elle se repose et qu'elle soit disponible pour l'entretien du jour. S'approchant d'elle, la nymphe pouvait voir une chose que d'autres n'auraient pas perçu en voyant Aurora : elle affichait un sérieux encore plus grand que d'ordinaire. Pas même un sourire alors que Calypso était l'une des rares à vraiment la connaître.

- Ah, te voilà. Orphéus nous attend près de l'Arche d'Asgard. Si tu veux bien me suivre...

Attendant qu'elle la suive, elles prirent finalement la route pour se rendre auprès de son frère. Portant sa cape de voyage, Aurora avait également son épée à la ceinture, qu'elle ne portait que lorsqu'elle était en mission officielle. Alors qu'elles avançaient, elle reprit la parole, regardant la Nymphe.

- Je préfère te prévenir avant que l'on arrive. Il est préoccupé. Plus que d'habitude, je veux dire. Il ne m'a pas dit pourquoi il veut nous voir toi et moi et c'est rare qu'il en fasse un tel secret. Il a même mit en place un barrage en arrivant près de l'Arche pour que nul ne puisse le franchir. Je ne l'ai pas souvent vu autant sur les nerfs, je dois dire.

Le barrage, il était là pour préserver l'endroit, elle le savait. Mais le secret entourant la réunion avait été gardé alors qu'il lui disait tout d'ordinaire. Il lui avait expliqué l'apparition d'Amphitrite. Il y avait eu la mort d'Alvis. L'arrivée de nouveaux Généraux. Le retrait de certaines anciens. Les troupes Byzantines qui s'amoncelaient près de l'Arche de Carthage. Autant d'éléments qui s'ajoutaient aux questions de son frère.

D'ordinaire, elle ne se serait pas gênée pour lancer une petite pique à Calypso mais le coeur n'y était pas. Elle aussi sentait le vent tourner. Et elle ressentait au fond de son esprit qu'ils auraient à affronter la tempête plus tôt que prévu. Une intuition qui venait d'elle ou bien de la Déesse des mers ? Là encore, une incertitude. Elle s'autorisa toutefois un sourire.

- Mais n'est-ce pas à nous de l'aider à supporter ce poids supplémentaire sur ses épaules ?

Le changement d'emploi du temps s'était fait un peu à la va-vite parmi la garde, raison pour laquelle Calypso avait senti venir la convocation. Elle avait l'habitude de s'armer pour être toujours prête face à l'imprévu, mais elle prit un soin particulier cette fois-là à aiguiser ses lames, à bander l'arc qui reposait en bandoulière. De plus, n'ayant toujours reçu aucune mission pour l'heure en tant que Nymphe, elle savait que le Légat ne laisserait pas traîner. Il était du genre à déployer ses troupes au mieux, en tous temps, pour toujours disposer d'informations fraîches, d'une longueur d'avance sur le monde de la surface.

Lorsque l'Ombre jumelle vint à sa rencontre, elle ne fut absolument pas surprise et se contenta d'un hochement de tête avant de la suivre. Seulement, Aurora était d'un naturel joyeux, et la voir elle aussi tendue n'augurait rien de positif.

"L'atmosphère dans tout le palais est lugubre en ce moment. La mort du capitaine, la disparition du Léviathan, le chant des écailles... Et les civils s'inquiètent de voir les troupes se multiplier devant certaines Arches. J'imagine qu'à la place d'Orphéus je serais encore plus préoccupée que n'importe qui. Et j'ai cru comprendre sans avoir les détails que tu avais été alitée toi aussi. Comment te sens-tu Aurora ?"

Sans cesser de marcher, elle se porta à la hauteur de son amie et posa une main confiante sur son épaule. Son sourire lui vint sans effort et elle espérait ainsi diminuer un peu la tension dans l'air.

"Tu es une Nymphe à ta manière. Laisse-moi partager tes fardeaux. Orphéus ne sera que plus soulagé de voir que toi aussi tu te reposes sur quelqu'un. Et pour éviter un cercle vicieux, je me reposerais aussi sur toi : personne n'est seul."

Bien évidemment la situation était un peu plus compliquée. Aurora n'en parlait jamais, mais ne pas posséder d'écaille ni avoir la faveur de Poséidon de façon aussi évidente qu'avec le Bracelet d'orichalque devait la frustrer énormément. A son entrée dans l'Amirauté Calypso s'était promis de veiller aussi à leur bien-être à tous les deux.

Elles passèrent donc les cordons de sécurité de l'Arche d'Asgard et se retrouvèrent bientôt aux côtés de la Voix de Poséidon. Là encore, la Toreador afficha une attitude calme et sereine. Inutile d'alarmer toute la cité en arborant des expressions de pierres tombales ambulantes.

"Nymphe des Hyades au rapport. Que puis-je pour vous, Légat ?"

Elle posait le regard sur la Nymphe. Laissant la main de celle-ci sur son épaule. Sa question était légitime mais lui appartenait-elle de dévoiler une telle information à son amie ? En temps normal, elle aurait dit oui. Mais ici, elle ne le pouvait pas. La primeur de la nouvelle appartenait à Orphéus. Et de toute évidence, qu'aurait-elle à dire ? Elle avait été inconsciente. N'avait rien perçue de particulier en dehors de ce qu'on lui avait dit. Les Prêtresses avaient prit soin d'elle. Mais en dehors de ça, aucun souvenir se subsistait.

- Pas aussi bien que je le veux. Des choses se sont passées, je pense que mon frère t'en parlera mais cela m'a impacté. Mais pas physiquement, je te rassure.

Elle prit un instant. Comme pour réfléchir à ce qui se tramait. A ce qu'elle ressentait. Une nymphe ? Non, elle n'en était pas une. Poséidon ne lui avait pas accordé cet honneur. Elle n'était que l'ombre derrière le Légat. Que celle qui protégeait la vie de celui qui avait été placé là. En un sens, elle partageait la peine de Calista et son besoin de partir rejoindre Cinead. Mais armure ou non, elle ne laisserait jamais son frère... Sauf que maintenant, la décision ne lui appartenait plus. Elle avait perdu le contrôle. Son frère lui-même ne pouvait rien faire contre cela. Mais un sourire apparue toutefois.

- Tu as assez à faire avec Orphéus. Puis je ne suis pas seule. Il est là pour moi. Il l'a toujours été... Et toi aussi. N'aies crainte.

Déjà approchaient-elles des premiers cordons de sécurité. Et déjà l'oeil unique du Légat se posait sur elles. Alors que Calypso s'annonçait dans les règles de l'art, il eut un sourire amusé. Aurora regagnait sa place, aux côtés de son frère, tandis que ce dernier inclinait légèrement la tête en guise de salutation. Près de lui quelques gardes passaient. Il les interpella un bref instant.

- Que nul ne vienne troubler notre discussion.

Ils saluèrent le Légat et filèrent. Alors, comme par un effet de pure magie, les lieux se vidèrent autour de lui, ne laissant que les troupes amassées autour de l'Arche elle-même. Ici, personne ne les entendrait plus, il allait s'en assurer. Il pouvait se consacrer à "ses femmes". Son aura s'éleva quelque peu tandis que son bracelet réagissait à son impulsion. Quelques instants après, trois Sirènes constituées de son Onde apparurent. Aglaopé "Au beau visage", Thelxinoé "Celle qui enchante" et Pisinoé "Celle qui persuade".

Elles se placèrent en triangle autour du petit groupe, laissant toutefois un espace suffisant à tous pour se mouvoir sans se marcher dessus. Et les chants s'élevèrent. Un cocon protecteur les enveloppait désormais. Aurora haussa les sourcils. Si son frère prenait pareilles dispositions, c'est qu'il tenait à la discrétion absolue. Elle connaissait ce sort : nul ne les entendrait, mais de l'extérieur, nul ne les verrait non plus. Un bouclier occultant en quelque sorte.

- Voilà, ce sera mieux ainsi. Merci d'être venu si rapidement. Il est temps de t'informer de certaines choses et de te confier une tâche qui compte pour moi.

Il se tût un instant, afin de hiérarchiser ce qu'il devait lui dire.

- Tout d'abord, Dame Amphitrite a refait surface. Bien sûr, je ne pense pas te l'apprendre puisque les armures ont toutes eues une réaction lorsque son Onde a envahi Atlantis. Ce que personne ne sait, c'est qu'elle a prit possession d'Aurora pour se faire. Et qu'elle m'a délivré un avertissement.

Aurora baissa légèrement la tête. Elle n'était pas honteuse - elle n'y pouvait rien - mais n'était pas fière pour autant.

- Et ce n'est pas la seule préoccupation qui est la mienne... Le départ de quelques Généraux a permit à de nouveaux de faire leur apparition. Des Capitaines ont récemment été élus également. Certains d'entre eux m'inquiètent. Je crains qu'ils ne soient là pour semer les graines de la discorde. Chose que je ne peux accepter. Mais je n'ai que des doutes... Et tu seras celle qui m'aidera à mieux cerner les sentiments de ces derniers.

Premières informations et sans doute premières questions qui en découleraient. Il attendait qu'elle assimile.

Il n'y avait rien à ajouter sur l'état d'esprit de la jumelle. Si elle ne souhaitait pas en parler c'était son droit, mais le fait de savoir que la blessure était invisible ne rassurait justement pas la Toreador. Le côté positif avec l'atteinte à la chair était qu'on pouvait la soigner et surveiller de façon tangible son évolution. Au moins Aurora reconnaissait-elle ne pas être dans son assiette, signe qu'elle ne cherchait pas à étouffer quoi que ce soit pour paraître intouchable. Pas avec son cercle proche en tout cas, et c'était largement suffisant.

En suivant, les précautions d'Orphéus surprirent tout autant Calypso que sa sœur. L'appréhension commençait à assécher sa gorge, mais elle avait toute confiance en lui pour prendre les devants. Par réflexe, elle salua l'apparition des sirènes et ne put s'empêcher de les admirer pendant qu'elles tissaient leur voile d'intimité autour d'eux. Lorsque ce fut fait, elle effaça de son esprit toute considération extérieure pour se concentrer uniquement sur les informations qui allaient lui être délivrées.

"J'ai entendu le chant oui..."

Cela la déconcertait toujours un peu. Depuis qu'elle savait être passée à côté des Hyades pendant longtemps, elle essayait de tendre l'oreille, de s'ouvrir. Quand personne ne regardait et qu'elle avait terminé son travail de la journée, elle appelait parfois l'écaille face à elle pour simplement l'observer, voire lui donner un coup de chiffon supplémentaire. Elle n'en avait pas vraiment besoin, mais cette activité l'aidait à se dire que le lien serait peut-être un jour assez fort pour qu'elle entendît sans aide extérieure.

Elle se tourna vers Aurora, comprenant pourquoi le sujet de sa convalescence pouvait passer pour sensible. Un instant Calypso secoua la tête, l'air toujours affable.

"Tu ne devrais pas baisser les yeux, mon amie. N'est-ce pas un honneur ?"

Enfin peut-être qu'elle changerait d'avis si elle connaissait la teneur du message. Ce n'était pas le cas : à ses yeux Amphitrite était la femme aimée de leur empereur, une divinité tout aussi importante et respectée en Atlantis.

"Les capitaines Antée et Carcharocles... J'ai vu que leurs écailles n'étaient plus dans la salle. Et la quasi-totalité des Généraux."

Elle fronça les sourcils un instant. S'ils portaient des écailles, c'est que quelque part Poséidon avait donné son aval, et que les protections elles-mêmes trouvaient les porteurs dignes de leur rôle. Alors pour penser qu'ils pouvaient être source de discorde lui semblait passablement absurde, mais d'un autre côté si les Hommes pouvaient faire erreur, à l'image de leurs dieux, alors une enquête ne ferait pas de mal.

"Si je comprends bien, tu souhaites que je prenne contact avec les nouvelles recrues pour... les sonder ? J'ai déjà fait connaissance avec Aimana Tangaroa de Scylla, Deukalyion Algos du Kraken, et Astéria depuis plusieurs années. Peut-être t'en ont-ils parlé."

Un instant silencieuse, la Nymphe des pluies croisa les bras. Elle aurait du mal à être objective sur Astéria du fait de leurs antécédents mais la petite fille avait tant changé qu'une piqûre de rappel et quelques questions ne passeraient pas pour intéressées. En plus de vraiment importer à ses yeux. Sa rencontre avec le Kraken était encore fraîche, elle doutait d'avoir fait le tri entre son ressenti et les a priori de ses lectures de rapport mais pourrait s'y pencher plus en détails sans problème. Quant à Scylla... une histoire à s'arracher les cheveux en vérité. Mais elle n'abandonnerait pas si vite.

"Concernant les quatre autres... L'aperçu que j'ai eu d'Emrys O'Bannon de la Sirène maléfique et Endymion du Dragon des mers lors de la soirée d'Astéria confirme dans les grandes lignes les rumeurs que j'ai entendues à leur propos, et je suis dans l'obscurité vis-à-vis de Drystan de l'Hippocampe et... des Lyumnades. En fait, à part que la dernière est portée, je n'ai aucune information sur son porteur ou sa porteuse. Pas plus que sur les capitaines."

L'inaction ne faisait pas partie de son vocabulaire et Orphéus en avait une nouvelle preuve ici. Néanmoins, n'ayant pas été interrogée encore sur ses relations avec les autres, et au cas où la mission divergeait quelque peu de ce qu'elle imaginait, elle le laissa continuer sur sa lancée avant d'ajouter quoi que ce soit. Ses bras retombèrent le long de son corps, mains jointes au niveau des reins dans une position de repos toute martiale.

Citation :

Note : j'ai pris le parti de situer ce sujet après celui que j'ai eu avec Aimana et Deukalyion (pas fini) sachant que dans les 2 je mentionnais que tu étais déjà parti hors d'Atlantis en mission. Avec les changements de calendrier ça chamboule un peu ma chronologie alors n'hésite pas à me dire si ça pose problème °°

Il l'écoutait et prenait mentalement note de ce qu'elle lui apportait. Elle lui apprenait dès à présent certaines choses quant à ce qu'elle pensait des autres mais ce n'était pas exactement cela dont il avait besoin. Et il éclaircirait les choses rapidement. Une tâche comme celle-ci ne pouvait être aussi vaste. Il fallait cibler. Une, deux personnes maximum. Et il avait le nom en tête. Calypso connaissait Orphéus depuis leur enfance. Elle n'avait pu passer à côté du sérieux qui était le sien lorsque l'on parlait de préserver les intérêts de Poséidon. Elle savait certainement qu'il était capable de prendre des décisions capitales s'il y était obligé.

Aurora s'avançait de plusieurs pas. Il en comprenait la raison. La remarque de la Nymphe méritait réponse elle aussi et il connaissait assez sa soeur que pour savoir ce qu'elle pensait de la situation. En dehors de la protection de son frère, rien ne comptait plus que sa propre liberté, son libre-arbitre. Et la femme de Poséidon lui avait privé de ce privilège en possédant son corps sans avis. Son regard se posa sur son frère qui devinait déjà sa question. Ce pourquoi il lui fit signe de son approbation avant qu'il ne poursuive lui-même.

- Un honneur ? Dame Amphitrite est Reine d'Atlantis et l'épouse de Poséidon. Elle est la Mère de toutes ces écailles, que vous avez la chance de porter. Elle est une déesse forte, intelligente et intraitable avec ses ennemis. Oui, je devrais être honorée. Seulement, elle s'est imposée à moi sans ma permission. Et pourquoi ? Pour reprocher à mon frère de faire ce qu'il faut pour préserver Atlantis ? Pour lui reprocher la perte d'une écaille alors qu'il n'en savait rien ? Et pour l'avertir d'un danger sans pour autant lui préciser la nature de ce dernier. Est-ce de cela dont je devrais être fière ?

La colère couvait dans sa voix. Elle libérait la frustration qui était la sienne depuis plusieurs jours. La peur qui l'avait gagné. Et l'envie de tout envoyer paître pour ne se concentrer que sur le principal : Orphéus. Mais désormais, qui pouvait lui dire si elle resterait elle-même ? La Prophétie prenait tout son sens. Et elle pouvait passer de Protectrice du Légat à bourreau, elle le savait. Les humeurs d'Amphitrite et ses actions étaient imprévisibles, comme la mer. Son frère risquait plus qu'il ne voulait le lui avouer.

- Nous ne t'en avons jamais parlé, Calypso, car nous ne savions pas quoi en penser. Mais il y a des années de cela, un homme et son Loup ont prédits que le reflet de mon miroir changerait. Que je ne serai plus la même personne. Dame Amphitrite est repartie... Mais je le sens, je le sais. Elle reviendra. Pour m'effacer complètement et prendre ce corps. Et alors que deviendrais-je ? Et Orphéus ?

Oui, elle était véritablement en colère. Orphéus s'approcha d'elle, posant sa main sur son épaule, ce qui eut pour effet de la calmer. Alors qu'elle tournait son visage vers lui, il eut un sourire. D'une tendresse à nulle autre pareille. Elle était sa soeur. Le même sang coulait en eux. Et elle était sans le moindre doute la personne la plus importante à ses yeux. Qu'elle puisse disparaître, il ne pouvait l'accepter. Mais même lui ne pouvait s'opposer à la volonté des Dieux. Aurora le savait. Et ce simple constat eut pour effet de canaliser sa haine. Elle murmura alors un simple "désolé" à Calypso alors que son frère prenait le relais.

- Elle dit vraie. Une Prophétie a été prononcé devant moi. Nébuleuse, énigmatique. Mais qui s'est révélée limpide le jour où la possession a eu lieu. Ce n'était que la première, il y en aura certainement d'autre. Ce pourquoi nous sommes inquiets.

Mais il était temps de parler plus en détail de la mission. L'information précédente étant surtout là pour faire comprendre à la Nymphe toute la complexité des événements en cours pour le Légat et sa jumelle. Et ce n'était là que la partie visible de l'iceberg.

- Concernant mes Généraux, je n'ai aucune doute. J'ai rencontré Asteria et l'ai mit face à un choix difficile afin de tester ses valeurs et sa foi. Elle a remporté l'épreuve avec facilité au point que j'ai même accepté de faire d'elle la Forgeronne officielle des écailles Atlantes. Aimana est un fils d'une des familles nobles de notre nation. Il vient d'une de nos colonies et leurs coutumes diffèrent des nôtres. Mais il représente l'aspect le plus bestial de Scylla. Un aspect que je préfère à celle de Calista, qui s'était tempéré avec les années. J'ai besoin que les Bêtes soient présentes.

Il lui paraissait inutile de parler d'Endymion qui avait toute sa confiance, en étant le Général le plus ancien. Mais puisqu'il était dans l'explication, il lui paraissait important de porter à Calypso les informations qu'il jugeait utiles.

- Endymion a sa petite réputation, il est vrai, mais est aussi le plus ancien de nos Généraux. Il a ma confiance et je vais d'ailleurs faire appel à lui pour une mission difficile. Emrys est un O'Bannon. Rien que cela devrait déjà suffire en soi. Nous le connaissons bien, avec Aurora, et l'avons côtoyé alors qu'il travaillait sans relâche pour revendiquer la scale de la Sirène Maléfique. Je lui confierai ma vie sans hésiter. Drystan... Tu ne le connais pas mais sache qu'il est une véritable révélation à mes yeux, en dépit de son statut de Vulgaire. Dame Amphitrite l'a sélectionné en personne. Son analyse est juste et cohérente. Et j'apprécie l'homme. Quant à Deukalyion... Et bien que dire d'autre à part qu'il est mon bras droit ? Et la Générale des Lyumnades. Pour elle, je ne te dirai qu'une chose : elle est l'une de mes pièces maîtresses. Non, définitivement les Généraux ne sont pas un souci pour moi.

Entre eux, c'était une autre affaire mais cela ne le concernait pas tant que ça ne dépassait pas certaines limites.

- Je connais les tensions qui existent entre certains. Et il nous faut évidemment rester vigilant. Ainsi, à la limite, garde un oeil sur Endymion et Emrys... S'il doit y avoir un problème, ce sera entre eux. Non, celui que je veux que tu surveilles avec attention, c'est le Capitaine d'Antée, Dardanos Bjornaer.

Il se tût un instant. Il lui parlerait par la suite de Lazare mais ce dernier était trop récent pour réellement poser problème. Pour le moment. Mais Dardanos représentait un souci plus conséquent.

- Il est actuellement sous la responsabilité d'Emrys. Et c'est là que le problème se pose. Dardanos est un ancien Général de la Sirène Maléfique, d'une autre génération. Les combats, la guerre et certaines pertes l'ont poussés à partir, à se retirer, et à travailler pour le Sénat. Il n'est revenu que récemment... Avec la tête d'un Muien coupée en deux. Ses principes semblent être le moteur de ses actions au point qu'il serait susceptible de désobéir sans la moindre hésitation à un ordre qu'il estimerait contraire à son code de conduite. Je crains aussi qu'il ne soit trop proche des Vulgaires, au point de juger sévèrement nos anciennes coutumes. C'est lui que tu devras surveiller. Ses relations, qui il contacte. Ses alliés, ses potentiels ennemis. Sa famille. Je veux tout savoir de lui.

Le regard du Légat se fit plus dur. Il n'hésiterait pas un instant à agir.

- Je veux savoir qui faire disparaître s'il devient un problème. Je doute qu'il lui reste beaucoup de famille... Trouve un moyen de pression, au cas où. Je vais être très clair, Calypso. Si Dardanos représente une menace, alors je le ferai disparaître.

Aurora aussi avait le regard sévère. Sa mission était la même que Calypso. Mais elle, elle serait l'ombre.

Citation :

Pas de problème pour la chrono. Et désolé pour le pavé, j'avais des choses à narrer.

Il était évident que le Légat et son Ombre ne pouvaient pas tout dévoiler à leurs amis, si intimes fussent-ils, ou aux Généraux. Car le premier était le représentant direct du Seigneur des océans, et la seconde tenue de garder le silence sur ce qu'elle voyait ou entendait en se trouvant à son côté. De là à imaginer qu'Aurora se retrouverait catapultée au rang d'hôtesse divine, contre sa volonté, par la femme de ce même dieu, et tout cela dans le but d'accabler la tête de l'Amirauté, il y avait quand même un monde.

Avec ces nouveaux éléments, Calypso baissa la tête à son tour. Effectivement ils avaient des raisons d'être inquiets, en colère, ils étaient touchés plus personnellement que quiconque par les événements récents. Et ne voulaient, ou ne pouvaient en parler à personne sans risquer de trahir la réputation de ces divinités qu'ils avaient juré de servir. Bien entendu, maintenant qu'elle savait il en irait de même pour les Hyades.

"Nous ne t'abandonnerons jamais, Aurora !"

Elle serra les poings, plongea un regard déterminé dans leurs yeux de tempête tour à tour. Ils connaissaient bien mieux qu'elle Poséidon et Amphitrite, et possédaient sans doute beaucoup d'autres morceaux du puzzle dont elle ne soupçonnait même pas l'existence. Pour autant, et sa voix gagna en assurance lorsqu'elle l'affirma, elle vivait depuis trop longtemps à leurs côtés pour les laisser simplement partir sur un caprice d'Olympien -ou même de titanide.
Elle s'était renseignée lors de l'intronisation d'Orphéus en tant que Légat. Sur le rôle du sacrifice, sur les missions d'une Voix divine. Elle voulait savoir à quoi devrait face ceux qu'elle suivait depuis si longtemps. Et si les informations demeuraient somme toute parcellaires, elle avait trouvé un jour un texte précisant qu'un hôte pouvait potentiellement cohabiter avec l'âme d'un dieu ou d'une déesse plutôt que de se faire écraser. Tout plutôt que voir son amie simplement effacée.

"Je ne suis pas une déesse, mais je pense qu'elle pourrait comprendre qu'elle mettrait en péril Atlantis en s'imposant de la sorte ! Si elle te... Si tu deviens son réceptacle, la peine que cela nous causerait... Le conflit d'intérêts entre la Voix de Poséidon et elle... Nous serions plus prompts à nous rebeller qu'à lui obéir, quand bien même son pouvoir nous écraserait. C'est mon avis en tout cas."

Elle soupira, mais bien vite le devoir reprit le pas sur les considérations les plus immédiates : toujours pour assurer l'avenir de la cité sous-marine, Orphéus considérait chacun de ses Généraux comme fiables. Sur ce point Calypso lui vouait toute sa confiance, elle-même connaissant peu les hommes et les femmes en question. Elle aurait bien le temps de les rencontrer petit à petit pour se faire sa propre idée, mais le peu qu'elle savait déjà lui convenait.

Vint alors le problème et au fur et à mesure des précisions un lien se formait dans son esprit entre toutes les pièces du puzzle. Elle était en froid avec Aimana à cause d'un raisonnement similaire, mais cette fois elle pèserait ses mots avant de les présenter. Surveiller deux des plus hauts gradés lui semblait compliqué, mais si l'occasion se présentait elle pourrait laisser traîner ses oreilles oui. Quant au troisième larron...

"Y a-t-il quelque chose sur la Sirène maléfique et les O'Bannon que je devrais savoir ? Sans attaquer personne, je trouve que cette écaille est vectrice de nombreuses querelles : Endymion et Emrys, Emrys et un ancien porteur. Sans compter les disparitions successives dans la famille O'Bannon, traditionnellement liée à la Sirène encore une fois. Je ne vous apprendrai rien en parlant du patriarche, du frère d'Emrys, et la cousine, Nimuë. Ont-ils... été maudits d'une façon ou d'une autre ? Le Seigneur Poséidon est-il en colère contre eux ? Nous parlons d'une demi-douzaine de conflits en moins de 10 ans, plus que n'importe quelle autre famille Patricienne. Est-ce une série de coïncidences ?"

Si elle devait entrer dans le jeu des mauvais sorts en approchant Dardanos, mieux valait savoir d'entrée de jeu le plus sordide de l'histoire. De plus elle s'attaquerait là à une autre des Huit familles. Les Bjornaer. De réputation ils étaient effectivement plutôt en bons termes avec les Vulgaires. Si la chose ne regardait qu'eux, le fait de remettre en cause l'ordre établi passait beaucoup moins bien.

"Avec la... tête... d'un Muien ?"

Une grimace de dégoût passa sur son visage. Pour elle qui n'avait jamais eu l'occasion de voyager, trop protégée par sa famille, la guerre avait surtout lieu dans les livres. Sauf que les Muiens avaient réussi à pénétrer la cité et elle avait pu voir les blessures qu'ils avaient infligées.

"Bien, je vais aller parler à Dardanos. Tenter de gagner sa confiance. Si j'en ai la possibilité, fouiller ses appartements. Si je découvre quelque chose qui nécessite une intervention immédiate, ai-je la permission d'user de l'autorité du Légat ?"

Elle doutait de tomber si vite sur quelque chose de vraiment compromettant, mais mieux valait assurer ses arrières contre les mauvaises surprises.

Amphitrite ? Comprendre ? C'est un rire sans joie qui accueillit les paroles de la Nymphe. Le rire d'Aurora, presque cassant. Elle appréciait Calypso et ce depuis des années mais elle faisait preuve ici d'un manque de clairvoyance qui frisait l'inconscience. Son regard se posa sur son frère. Ce dernier était pensif. Mais elle ne se permettrait pas d'intervenir pour le moment. Il avait reprit la main sur la conversation, il était naturel qu'il soit celui qui explique. Au tic qu'elle perçut au coin de l'oeil de ce dernier lui faisait penser que quelque chose lui avait fortement déplu. Et qu'il prenait sur lui de se tempérer, étant donné l'identité de l'interlocutrice qu'ils avaient face à eux.

Certes, c'était son avis à elle et à elle seule. Et si en d'autre temps, il aurait été magnanime en ignorant la réflexion, aujourd'hui la donne changeait. Simplement à cause de l'armure qu'elle portait. Les Atlantes - et les membres des familles Patriarcales en premier lieu - savaient qu'il ne fallait jamais remettre en cause le choix de leurs dieux. Le simple fait d'en discuter la justesse était déjà possiblement un crime.

- Prompt à nous rebeller, dis-tu ? Face à Dame Amphitrite ? Calypso, je ne veux plus jamais entendre ces mots sortir de ta bouche. Même s'il ne s'agit que d'hypothèses et pas d'une volonté propre. Les intérêts personnels ne doivent jamais entrer en ligne de compte lorsque nous sommes au service de nos Seigneurs. Bien que cela puisse me déplaire, il n'y aura jamais de conflit d'intérêt entre le Légat et la Mère des écailles car il en va du bien de notre Nation. Je serai bien fou de penser autrement. Et bien qu'il ne s'agisse que de ton avis propre, j'attends une plus grande retenue de ta part. Tu es une Nymphe désormais. Toi plus que quiconque devrait savoir ce que cela implique.

Elle avait travaillé durement pour obtenir le droit de porter cette écaille, pour obtenir le droit de protéger le Légat et les intérêts de la nation Atlante. Il savait comme cette mission lui importait. Lui faire la leçon ici ne lui plaisait pas mais elle devait comprendre qu'il y avait une différence entre penser ce genre de chose et l'avouer à haute voix, surtout devant le Légat. Même si elle avait fait cela pour remonter le moral de sa soeur, il ne pouvait accepter cela. On pouvait regretter cette décision d'Amphitrite, bien sûr. Ne pas souhaiter que ça arrive, évidemment. Mais mettre dans la balance une possible rébellion sous prétexte que l'on était contre ? Inadmissible.

Maintenant que ce fait était clarifié, il ne restait plus que les autres points soulevés. Calypso n'avait pas tout à fait tort de se concentrer sur l'écaille du Général mais il s'agissait plus d'un problème familiale que d'un problème en rapport à l'armure de la Sirène Maléfique. Les O'Bannon, et il le savait d'expérience, étaient changeants, difficile à lire, et possédaient en leur sein des membres qui étaient capables de tout pour parvenir à leur fin. Emrys en était le premier concerné d'ailleurs.

- Quant à l'écaille et les O'Bannon, c'est un problème humain... Dans les exemples que tu m'as donné, il y a une base commune. Emrys. Si Poséidon estimait devoir punir cette famille d'une manière ou d'une autre, ils auraient été écrasés depuis longtemps. Je crains qu'ils ne soient simplement trop enclin à se porter au devant du danger pour que leur nom subsiste.

Il se tût. La mort du frère, le conflit avec Endymion, le possible conflit avec Dardanos. Le seul moment où il n'apparaissait pas, c'était au sujet d'Aoden et de Nimue. Pour le reste, son caractère expliquait bien des problèmes.

- Son caractère est particulier, pour rester courtois. Pour le connaître, je sais ce qu'il est et ce qu'il peut apporter. Mais je sais aussi qu'il attire parfois les problèmes, même de manière involontaire. Mais dans le cas qui m'intéresse, c'est plutôt en Dardanos que viendra le véritable souci.

Aller lui parler ? Pourquoi pas. Mais il se refusait pour l'heure à effectuer de fouilles dans les appartements de ce dernier. Il était trop tôt, elle devait le savoir. Par ailleurs, ce n'était qu'une mesure de précaution. Avoir un premier avis. Essayer de cerner le personnage. Il lui paraissait évident qu'il ne réagirait pas de la même manière avec lui qu'avec Calypso, ou les autres Marinas.

- Oui, n'hésite pas à prendre contact avec lui comme tu le ferais avec n'importe lequel de nos Capitaines. Par contre pour le moment, pas de fouilles dans ses appartements. Ce qui m'intéresse se trouve dans sa tête, pas dans ses affaires. Tu me rendras compte de tes réflexions, de tes constatations mais tu n'useras pas d'autorité pour le contraindre à quoi que ce soit pour le moment. Tu peux le suivre discrètement. Tu peux analyser son comportement. Discuter avec lui pour mieux le connaître. Mais en dehors de ça, n'interviens pas. S'il est une menace, je ferai en sorte qu'aucun dommage collatérale ne puisse entacher son arrestation.

Elle ne put soutenir son regard que parce qu'il s'agissait d'Orphéus et personne d'autre. Raidie, elle les écouta rire jaune de tous les deux, prit sur elle de recevoir le flot de la marée sans fléchir. Les réponses défilaient dans sa tête mais elle ne dirait rien, trop soucieuse de préserver ce pour quoi elle avait fait tant d'efforts.
Établir des hypothèses, douter de la véracité des faits, les confirmer ou les annuler constituaient les fondements-même de son métier civil. L'Histoire reposait, selon le dicton populaire, sur le point de vue des forts et des vainqueurs. Ceux dont on gardait les traces. Malgré tout, même les plus anciennes civilisations avaient connu leur lot de rébellion, de soulèvements et d'influences externes. Pour n'en citer qu'une dans le domaine religieux, le culte du dieu unique Aton, en Egypte, qui avait remplacé tout un panthéon pendant l'espace de seulement deux générations. Avant d'être balayé par le peuple, la tradition, le poids de millénaires éprouvés. C'était la preuve qu'il existait des fous suffisamment audacieux pour tenter la chose. La preuve que le nombre était capable de surpasser le Sang des dirigeants.

La Toreador se devait d'évoquer les possibilités, de confronter la réalité et les différences de points de vue, toujours, afin de pouvoir coucher sur papier les faits les plus objectifs, pas seulement ceux qui étaient politiquement admissibles. Mais le Légat soulevait un point capital qui faisait toute la différence maintenant : cette censure s'appliquerait à elle tant qu'elle serait en possession d'une écaille. Elle ne pouvait plus prétendre à cette espèce d'immunité de l'inconnu dont les Atlantes bénéficiaient sans le savoir. Peut-être était-ce à cause de cette façon de procéder que le chant des Hyades ne l'avait pas atteint alors.

Au moins dans cette affaire n'irait-elle pas frayer avec les questions obscures entourant la famille O'Bannon. Une chose en moins à redouter car la tâche qui s'annonçait comportait déjà son lot de difficultés. D'abord, se lier à une personne sans s'y attacher, de façon à ce qu'elle fût assez en confiance pour se livrer. Ensuite, parler à mots couverts d'allégeance, de politique éventuellement, de famille. Et pour noyer le poisson, rencontrer aussi l'autre capitaine et les Généraux pas encore partis en mission comme elle l'avait fait avec Deukalyion et Aimana. Ce point-là était plutôt bien entamé, elle n'attirerait pas la méfiance. Elle pourrait toujours argumenter qu'Orphéus l'avait chargée de pousser l'enquête sur les Muiens et qu'il devenait un témoin de choix pour ses recherches, mais cela serait un peu trop direct.

"C'est entendu. Dardanos est désormais ma priorité en-dehors de mon service de garde."

Encore que la garde pourrait très bien se passer d'elle pendant une semaine ou deux, mais mieux valait garder certaines habitudes pour passer inaperçue.

Les tours de garde n'étaient désormais plus une priorité à son sens mais il est vrai qu'il n'oubliait pas la particularité de son unité un peu spéciale. Il fallait néanmoins préciser certaines choses supplémentaires afin que son amie puisse avoir toutes les cartes en main et conduire cette mission à la perfection. Ici, cela demandait du doigtée et de l'intelligence, deux qualités qu'il savait présente chez la jeune femme. Encore fallait-il voir les choses sous le bon angle.

Car si Dardanos était un simple capitaine, il n'en restait pas moins un des patriarches d'une des huit grandes familles. Certes, le Sénat n'avait pas son mot à dire quant à la gestion de l'Amirauté. Toutefois il n'était jamais bon de jeter de l'huile sur le feu sans une excellente raison. Ici, il ne s'agissait que de doutes. Une peur plus qu'une preuve. Et Calypso était une Toreador. De la noblesse, certes, mais qui ne pouvait souffrir d'aucune comparaison avec l'une des familles Patriarcales. Si elle disposait de certaines facilités de par son poste, cela devait être mit en perspective avec les différents rangs de tous.

Une dernière chose à propos des nouveaux. Il restait aussi le très récent Lazare. Mais lui, il s'agissait d'un cas un peu plus complexe qu'il souhaitait se réserver. La nature de son engagement était telle qu'il devait se montrer prudent. Il souhaitait garder le Capitaine au sein de son armée et il n'était pas sur que ce soit le cas s'il comprenait qui avait été à l'origine de la destruction de sa flotte.

- C'est parfait. Ne l'oublie pas : je souhaite avant tout m'assurer qu'il ne sera pas un problème. Je ne veux pas en générer des nouveaux. Il est un Bjornaer et les familles Patriarcales n'ont jamais acceptés que d'autres mettent leur nez dans leurs affaires.

Les Merinita en premier. Mais ici il s'agissait de sécurité intérieure. Si l'affaire venait à s'envenimer, alors il ne resterait qu'une seule chose à faire. Par obligation, il s'y plierait. Rien ne devait menacer sa cité, pas même un revenant, ancien porteur de la Sirène Maléfique.

- Ta tâche sera difficile et ton rapport peut avoir de lourdes conséquences. Mais peut-être que je m'inquiète sans raison et j'espère donc que tu reviendras me dire qu'il te parait honnête. Il y a également un deuxième Capitaine... Lazare, sous la responsabilité d'Endymion. Pour lui, rien de spécial à annoncer en vérité. Il a été sauvé par Aurora alors que lui et sa flotte semblent avoir été coulés par un concurrent.

Elle s'approcha de plusieurs pas, visiblement un peu plus enclin à en discuter. Cette affaire autour des Requins Géants lui appartenait à elle et à elle seule.

- En effet. Je m'occupe de l'enquête le concernant. J'ai senti du pouvoir en lui alors qu'il se noyait, ce pourquoi je l'ai amené à mon frère. Il se trouve que j'ai eu raison puisqu'il est désormais un Porteur d'armure. Mais je dois essayer de savoir qui a coulé ainsi sa flotte. Nous avons assez de problème avec les pirates que pour en laisser un faire sa loi sur nos mers.

Evidemment, tout ceci n'était qu'une chimère, ficelée, livrée aux autres Généraux et à quiconque poserait la question au sujet de Lazare. Les règlements de compte entre pirates étaient courants après tout et même si Atlantis faisait en sorte de les asservir, tous n'étaient pas encore sous leur coupe. Ce qui était logique.

- Nous réglerons cela, je ne suis pas inquiet. J'aurai une dernière chose à te demander, Calypso. L'absence d'intérêts des Saints à notre égard m'agace. Il est donc temps désormais d'agir. Je compte projeter ma conscience avec celle de Drystan auprès d'eux. Il nous faut leur parler car j'attends quelque chose de particulier de leur part. Néanmoins, comme tu le sais, lorsque j'agirai je risque d'être à la merci de quiconque se présenterait devant mon corps physique. Aurora me protégera mais je ne veux pas qu'elle soit seule lorsque j'agirai... Pourrais-je compter sur toi le moment venu ?

Cette mission était secrètes. Il ne pouvait laisser les gardes rester autour de lui même s'il se fiait à eux. Et ce qu'il ne disait pas mais que sa soeur comprenait, c'est qu'il ne pouvait la laisser seule avec ce qui se passait pour elle. Une crise "d'Amphitrite Aiguë" et il serait sans protection. Calypso pourrait garder un oeil attentif en cas de soucis. Il se sentirait plus rassuré.

La tension de son affirmation précédente retombait, et ainsi le Légat lui offrait de nouvelles recommandations, concordant avec les siennes. Elle hocha la tête, bien consciente que le monde dans lequel elle évoluait était fait de politique, de paraître et d'une hiérarchie bien nette qu'elle ne devrait surtout pas perturber.

"Si cela peut te rassurer, je comptais simplement me présenter dans un premier temps, lui souhaiter un bon retour à Atlantis. Et cela sera sincère : même s'il fraie avec les Vulgaires, il reste un enfant d'Atlantis comme vous et moi. Il n'y aura rien d'étonnant si plusieurs familles comme la mienne l'approchent pour tenter de gagner ses faveurs. Comme tu le dis si bien, nous n'avons pas le prestige des Huit."

Cela ne l'empêcherait pas de rester fidèle aux Merinita et les jumeaux le savaient mieux que quiconque. Malgré ses rencontres datant de quelques années avec les Sefirot et les Atlas, malgré celles plus récentes avec Aimana et Emrys, sa loyauté ne faisait aucun doute.

"Par ailleurs en parlant de faveurs... Ce n'est pas vraiment le sujet du jour, mais puisqu'il n'en a pas parlé je préfère le faire et ne laisser aucun secret : Aimana est... très exotique. Et il y a fort peu de documents sur l'histoire de sa famille dans les colonies à la bibliothèque d'Atlantis. J'ai cru comprendre qu'ils se transmettaient les savoirs par leurs danses et leurs récits. Résultat... je l'ai froissé. Il faut que je règle le contentieux par moi-même, mais pour cela j'ai besoin d'en apprendre plus sur eux."

Elle baissa les yeux, sentant le rouge lui monter aux oreilles. L'aveu coûtait à sa dignité, mais cacher la chose l'empirerait sûrement. Une idée lui trottait dans la tête, mais qui supposait qu'elle s'éclipse quelques jours au moins de la Cité-Etat, et le moment semblait bien mal choisi. Les mots pour demander la permission de se rendre dans le Pacifique Sud lui manquèrent, surtout que cela représentait pour elle un voyage immense, bien différent de simplement d'un simple vagabondage dans le port et les marchés alexandrins.

"Je ne ferai pas la même erreur avec le capitaine."

Pour le reste, elle demeura silencieuse. Un capitaine sauvé de la noyade, elle lui laisserait donc le temps de prendre ses marques avant de tenter une approche. Une ambassade qui tardait à venir, ou ne viendrait peut-être pas, entendu. Et bien sûr la réponse qui accompagnait ce silence. Limpide.

"Je suis à ta disposition, bien évidemment."

Sa confiance la réchauffait d'un frisson. Plus encore quand cela lui permettait d'avoir les deux jumeaux en vue dans un moment délicat. Elle se demanda si lui et Drystan pratiqueraient leur ubiquité dans la même pièce, de sorte qu'il y aurait deux corps à surveiller, mais ces détails ne changeraient rien à sa mission, pas plus qu'ils n'apporteraient à la discussion. On lui dirait en temps voulu sur veiller, et alors ses flèches se dresseraient sur les importuns.

Gagner ses faveurs. Une idée comme une autre et elle n'avait qu'à gérer comme bon lui semblait en réalité. Il ne souhaitait simplement aucune complication avec les Bjornaer et avait foi en elle. Ce problème serait réglé d'une manière ou d'une autre, il pouvait se concentrer sur autre chose.

La suite le surprit. Ainsi donc un petit contentieux existait entre Aimana et Calypso. Pour l'avoir rencontré, il savait le jeune homme assez particulier. Il faut dire que les traditions des colonies différaient beaucoup de celles des Atlantes, en cela il rejoignait la jeune femme. Mais comment l'avait-elle froissé ? En quoi ? Là, ça l'intéressait. De ce qu'il avait vu, Aimana n'était pas susceptible au point de prendre la mouche sans raison. Bavard à l'excès, il semblait faire peu de cas des conventions sociales car il ne les connaissait pas. Comment un tel être aurait-il pu se vexer. Et surtout, quelle était cette faveur dont elle semblait parler ?

- Et qu'est-ce que tu lui as dit pour qu'il se froisse de la sorte ?

Simple question qui exigeait une réponse. Les doigts croisés devant lui, Orphéus était à l'écoute. Une fois encore, grâce aux Sirènes, nul ne pouvait entendre et il se félicitait de sa petite réserve au regard de ce qui se disait ici depuis le départ. Il appréciait Calypso mais depuis le début de cette conversation, il craignait qu'elle ne fasse des dégâts sans le vouloir. Sa quête de recherche constante ne lui était pas inconnue, il appréciait même cette facette d'elle qui la poussait à étudier, analyser. Mais il ne fallait pas oublier une donnée essentielle : les écrits ne remplaçaient pas l'expérience. Aurora devança son frère à ce sujet, alors qu'elle s'était rapprochée de Calypso, posant sa main sur l'épaule de son amie.

- Je vois pas en quoi en apprendre plus sur sa culture t'aiderait. Pourquoi ne pas faire les choses plus simplement, Calypso ? Plutôt que de bouquiner, va le voir. Et demande lui pardon. Sans fioriture. Et si tu veux mieux connaître ses coutumes, demande lui de te les enseigner.

Il est vrai que sa soeur chérissait cette méthodologie. Lui était plus réservé mais ne voyait rien de critique dans le conseil de sa jumelle.

- Elle n'a pas tort. Tu veux mieux connaître la famille Tangaroa ? Tu en as un qui vient de devenir Général. Gagne sa confiance, fais en sorte qu'il te narre les contes qui sont les siens, les chants, les danses. La tradition orale est quelque chose qui se perd de nos jours et parfois, je pense que nous avons tort de délaisser cette transmission particulière. Si tu souhaites te rattraper auprès de lui, va le voir et fais amende honorable. Peut-être qu'avec le temps, il t'apprendra des choses à leur sujet.

Il fit quelques pas. Dans sa poche, la fameuse dent. Qui l'intriguait depuis tant de temps. Elle venait du pacifique, il le savait. Mais lequel ? Et si finalement, Aimana en était la clé ? S'il pouvait l'aider ? Cette idée venait de germer à l'instant, de manière si naturelle qu'il ne put réprimer un éclat de rire. Aurora se tourna vers lui, intriguée de ce changement de comportement. D'un signe de la main, il la rassura.

- Ne t'inquiète pas, ma soeur. Je viens juste de penser à une chose importante alors que nous parlions du Général de Scylla. J'entrevois peu-être une issue à laquelle je n'avais pas pensé. Nous verrons plus tard... Calypso. Je comprends ton attachement aux livres, aux notes, aux histoires écrites. Mais n'oublie jamais que cela ne remplacera jamais l'expérience sur le terrain. Montre-toi humble avec le Tangaroa et les choses s''arrangeront pas elles-même. Parfois, montrer que l'on ne sait pas mais que l'on cherche à comprendre permet de faciliter le contact. Après tout, qui peut tout savoir sur tout ?

Si elle avait pu rougir davantage, elle l'aurait fait. Si ses cheveux avaient pu rougir aussi, ainsi que sa voix. En fait si elle avait pu être sourde, muette et aller s'abriter dans un couvent, la solution lui aurait paru séduisante sur le moment. Ses yeux plongèrent sur la pointe de ses chaussures et au creux de ses reins ses mains se joignirent en un étau plus dur que le Pilier central. Mais à présent qu'elle avait commencé...

"J-J-Je ne suis pas sûre que... M-M-ême vous... Avec le recul c'est quelque chose d-d-d-e... vraiment..."

Elle inspira un grand coup, sa mâchoire tremblant au point que cela pouvait s'entendre par moments. Elle avait eu le temps d'y réfléchir, de relativiser, mais même pour ses amis le sujet était fort délicat, surtout juste après la bévue concernant Amphitrite.

"J-J-Je vais vous dire. Mais... Attendez que j'ai fini avant de vous énerver... D-D-D'accord ?"

Dénouer ses doigts lui parut un exercice digne d'un architecte et ses mains tremblèrent encore plus que ses dents lorsqu'elle ouvrit son étuis à écriture pour en sortir les notes qu'elle avait prises lors de son entrevue avec Aimana. A aucun moment elle ne les regarda en face, se liquéfiant par anticipation de leur réaction. Calypso n'avait jamais eu la fibre oratrice, ils le savaient pertinemment. Depuis l'académie des enfants, et si elle faisait de gros efforts en société, sa timidité devenait maladive dans des moments tels que celui-ci où elle savait qu'elle avait fauté. Nouvelle inspiration pendant qu'elle relisait.

"Il... m'a demandé comment une "nouvelle" famille comme la mienne avait pu devenir noble... alors je lui ai retourné la question... et il m'a raconté ceci..."

Elle lut ses notes d'une traite concernant la guerre dans les îles, Tawhiri, son arrivée dans le Pacifique Sud, le héros Tangaroa. Elle buta au moins trois fois sur le nom de Tumatauenga et sentit ses mains devenir moites quand elle arriva enfin au bout. Jusque-là tout allait à peu près bien, les jumeaux comprendraient sans mal que le récit n'avait pas véritablement inspiré sa mémoire cette fois-là -la raison de ces notes.

"Vous savez comment je suis... Des réflexions à voix haute me viennent parfois... Attendez que j'ai fini, s'il vous plaît... J'ai eu le malheur de dire que... q-q-q-que... que je trouvais étrange que des familles faisant des efforts de génération en génération ne soient pas reconnues, alors que certaines ont un jour défendu un pilier et se retrouvent Patriciennes sans plus aucun fait d'armes après... M-M-M-Mais il m-m-m-m-manque une partie à-à-à-à l'explication... !!!
Comme-il-n'y-a-rien-dans-les-archives-de-la-bibliothèque-je-pense-que-tout-un-tas-de-leurs-faits-d'armes-se-sont-transmis-de-vive-voix-et-ne-sont-jamais-parvenus-jusqu'à-Atlantis,-raison-pour-laquelle-on-sait-bien-peu-de-choses-sur-les-Tangaroa-du-point-de-vue-de-la-capitale-comme-si-plus-rien-ne-s'était-jamais-passé-depuis-alors-que-je-suis-sûre-que-des-Patriciens-ont-forcément-des-faits-d'armes-à-raconter-des-légendes-à-transmettre-des-sagesses,-quelque-chose-et-je-n'ai-pas-eu-le-temps-de-lui-expliquer-en-détails,-il-est-parti-vivement-en-colère-en-disant-que-chez-lui-on-m'aurait-privée-de-noix-de-coco-pendant-un-mois-mais-ici-il-n'y-a-pas-de-cocos-et-elles-ont-l'air-vraiment-importantes-et-les-tortues-aussi-et-je-sais-que-j'ai-vraiment-dit-une-énormité-en-plus-il-avait-l'air-de-m'apprécier-avant-que-je-le-dise-alors-je-me-disais-que-je-pourrais-aller-dans-les-îles-et-rapporter-des-cocos-apprendre-une-danse-pour-demander-pardon-et-faire-des-colliers-de-fleurs-parce-que-visibilement-ils-s'en-offrent-pour-se-témoigner-leur-amitié-mais-j'ai-peur-d'y-aller-toute-seule-et-que-ce-soit-encore-pire-si-je-commets-une-maladresse-là-bas..."

Le souffle lui manqua sur la fin et elle fut forcée de prendre une large inspiration, toujours sans les regarder ni l'un ni l'autre et rouge comme les écailles des capitaines.

"Juste avant de partir il m'a... "invitée"... à aller voir ses cousins pour qu'ils m'expliquent que sa famille a plus de valeur que je le pense... Je ne sais pas si c'était une provocation, une mise en garde ou une véritable offre... alors je me disais qu'aller voir un peu du pays avant... serait préférable. Voilà."

Ses jambes mollirent à leur tour et elle jugea préférable autant pour son équilibre que pour restaurer sa position de petite noble sans signifiance face à des Patriciens de se s'agenouiller complètement. Aimana avait eu la générosité de ne rien dire, de lui laisser porter le fardeau dans son silence, mais elle ne pouvait décemment pas cacher une telle bévue à ses amis et de surcroît son Légat.

"Je me sens tellement mal... Mais j'ai compris maintenant... Je ne suis plus simplement chroniqueuse... Je suis une marina. Une ridicule petite marina qui n'a rien de comparable avec des Patriciens. Je veux lui demander de me pardonner, et s'il est d'accord, d'écrire leur histoire pour les Atlantes comme moi qui n'en savent rien. Je voudrais que les Tangaroa deviennent aussi visibles dans notre histoire écrite que les autres. Avec un peu de chance, cela rachètera ma faute... J'espère..."

- Tu lui as dit quoi ?

La voix d'Orphéus n'était qu'un murmure. Et pourtant, les deux femmes ne pouvaient nier l'avoir entendu. La menace couvait dans chaque mot. Sa posture changea. Calypso s'était agenouillée devant lui, sans doute car le poids de la culpabilité s'était fait plus fort d'explications en explications. Et alors les choses prirent une tournure étrange. L'aura du Légat explosa littéralement alors que le bracelet d'Orichalque faisait écho à ses sentiments. Le vent se levait. Les trois sirènes cessaient dans l'instant de chanter et tournaient toutes en même temps leur regard vers la Nymphe, montrant leurs dents acérées, griffant le sol de leurs serres. Sans même se concerter, un cri strident fut poussé par les trois entités de cosmos tandis qu'elles s'envolaient toutes dans les cieux d'Atlantis, tournant au dessus du trio comme le feraient des oiseaux de proie.

Le ciel devint sombre. Alors même que l'on ne se trouvait pas sur terre, des orages semblaient s'amonceler sous la pression du cosmos du Légat. Un premier éclair zébra le ciel. Son regard changea. Quelque chose de plus dangereux, de plus terrible, semblait regarder par cet oeil unique. Le sol était parcouru de tremblement autour du borgne. Aurora connaissait son frère. Et connaissait les colères de ce dernier. Elle sentit que les choses tournaient mal. Elle aussi, elle se jeta à genoux devant son frère, plantant son regard dans celui du Merinita.

- Mon frère ! Pardonne-lui. Elle sait qu'elle n'aurait pas du. Elle fera amende honorable, j'y veillerai.

Orphéus regardait toujours Calypso. Autour de lui, les vents soufflaient de plus en plus forts. Son bracelet illuminait les environs. Les gardes, voyant de nouveau le trio alors que les sirènes les avaient précédemment soustraits à leur regard semblaient alarmés, comme s'ils ne savaient pas comment réagir. Se serait-il autant énervé en tant normal ? Sans doute que non. Mais ici, il y avait une accumulation. Entre le fait de mettre en avant une possible rébellion, le fait de dénigrer une des huit familles devant un de ses représentants, le fait de croire que ses réflexions personnelles ne puissent être entendus des oreilles alentours. Un tel comportement était inacceptable. Pour Atlantis. Pour lui. Mais aussi et surtout, pour la famille Merinita.

Car en sa qualité de Toreador, elle était liée à sa famille. Et ses frasques rejaillissaient sur chacun de ses membres, lui le premier. Calypso était certes une noble, mais elle ne devait pas oublier qu'elle était sa place. Que son comportement pouvait jeter le discrédit sur les Merinita. Il devait lui donner une leçon. Elle devait comprendre. Son poing se crispa. Un nouveau cri retentit dans les cieux alors qu'une des trois Sirènes plongeaient en piquée vers eux, avant de se raviser et de remonter vers ses soeurs. Et alors il reprit la parole.

- Tu vas rattraper les choses avec les Tangaroa. Tu n'iras pas dans les colonies, je refuse de prendre le risque de voir les Tangaroa se soulever contre notre cité parce qu'une des nôtres n'aura pas su tenir sa langue. Tu devrais t'estimer heureuse qu'il n'ait pas réclamé un châtiment à ton encontre. Il est grave d'insulter de la sorte une des familles Patriciennes. Te rends-tu compte que tu jettes l'opprobre sur les Merinita ? Je ne saurai l'accepter !

Un coup de tonnerre résonna dans le ciel. Les éléments faisaient échos aux sentiments du Légat. Sa colère était légitime mais prenaient des proportions inquiétantes. Au point que même Aurora ne disait plus rien, prostrée sur le sol. De la peur se lisait sur son visage. Elle le regardait. Mais ne voyait pas que son frère. Autre chose couvait. Une chose plus terrible encore. Le regard d'Orphéus croisa celui de sa soeur. Un instant, ils se fixaient. Puis un long soupir s'échappa des lèvres du Légat. Il se recula d'un pas. Puis d'un second. Leva les yeux au ciel. Il frappa alors trois fois dans ses mains. Son cosmos généra une onde qui fit disparaître les trois sirènes. Le ciel semblait de nouveau se dégager. Le sol cessait de trembler. Alors qu'il regardait autour de lui, Orphéus aperçut les gardes qui s'étaient eux aussi prosternés. Alors qu'ils n'avaient rien fait.

Il prit quelques instants tandis que le vent retombait pour se calmer. Son regard redevint celui qu'il avait d'ordinaire. Son bracelet luisait moins. D'un geste de la main, il fit signe à sa soeur de se redresser et d'aider la Nymphe. Ce qu'elle fit sans discuter. Les derniers mots de Calypso résonnaient encore dans son esprit.

- Tu agiras de sorte à te faire pardonner. Et ne t'avises plus d'agir de manière inconsidérée... La prochaine fois, je ne serai pas aussi magnanime !

Son regard, bien qu'étant redevenu normal, restait froid. Sa colère était quelque peu passée, comme si cette démonstration lui avait permit d'évacuer. Mais il préférait qu'elle parte, maintenant. Aurora le savait aussi. Aucun geste de tendresse envers son amie, elle savait que cela serait mal vue.

- Maintenant, hors de ma vue ! Aurora, tu la raccompagnes.

Un ton qui ne souffrait d'aucune contestation en réalité. Un instant, il regarda ses mains. Il était lui-même et pourtant, il avait perçu quelque chose lui aussi. Quelque chose qu'il avait peur d'expliquer. Quelqu'un avait fait écho à sa colère, afin de déverser lui aussi la sienne.

Dès les premiers mots, un froid glacial avait envahi la Nymphe comme un linceul. En avouant, elle avait déclenché une tempête, elle le savait. Qui aurait probablement été cents fois pire s'il l'avait appris de la bouche de quelqu'un d'autre. Par amitié, par devoir, par culpabilité, il fallait le dire. Mais à l'instant précis où les sirènes cessèrent leurs psalmodies, même sans les regarder, elle aurait voulu être à l'exacte opposée de la position d'Orphéus sur Terre.

Dans son champ de vision périphérique, Aurora sonna le glas de son espoir que le Légat demeurât calme malgré son explication aussi détaillée et expliquée que possible. Son corps devint un mélange de crispations, de tremblements nerveux, de claquements de dents, de battements de cœur tonitruants, de sueurs froides. Et plus encore pour elle qui représentait qui représentait la pluie, le tonnerre avait une signification bien nette, comme le poids d'un jugement abattu de façon implacable sur sa misérable existence.

Les mots d'Orphéus la brulèrent à travers ce déferlement chaotique, le ton de sa voix la brisa en milliers d'éclats, et son regard qu'elle n'osait même pas imaginer la plongea dans 7e niveau des geôles atlantes. Dans un réflexe purement survivaliste, elle plaqua ses mains sur sa tête et se recroquevilla sur elle-même avec une souplesse insoupçonnée. La dignité de sa noble position ? Envolée.

Lorsque l'orage cessa enfin, qu'il retrouva le contrôle, Calypso était si tétanisée qu'elle réalisa à peine qu'Aurora la touchait pour l'aider à se remettre debout. Ses yeux demeurèrent rivés sur le sol, son visage avait viré du rouge le plus sanguin au blanc crayeux. Elle détourna aussitôt les talons, presque au pas de course, sans chercher à confirmer qu'elle avait bien entendu, sans saluer, comme autoguidée. Des couleurs dansaient, informes, devant son regard, rendant le parcours difficile jusqu'à sa demeure. Il fallut que la jumelle l'aide à prendre appui contre un muret à mi-parcours pour que son souffle se remît en marche normalement. La situation se passait de commentaire.

"Poséidon... C'était Poséidon... J'ai offensé Poséidon et Orphéus..."

Un goût de bile lui monta aussitôt dans la bouche et elle se tordit en deux pour vomir dans un carré d'herbe proche. La peur de sa vie venait de lui être administrée par son meilleur ami et maître. De quoi mater son orgueil durablement.

Après un moment à reprendre ses esprits, elle parvint enfin à lever le pâle violet de ses iris vers Aurora. Cette dernière saurait qu'il était inutile de rajouter aux mots de son frère.

"A ton avis... Aurais-je mieux fait de ne rien dire ?"

Pour elle il s'agissait de loyauté, de franchise, de transparence. Autant de valeurs qui garantissaient la solidité de leur confiance les uns envers les autres. Mais à voir la réaction du Légat, elle avait un doute. Si elle avait réglé les choses de son côté sans rien dire, il n'aurait peut-être pas eu le temps de se mettre en colère. Ou n'en aurait même rien su.

Dans tous les cas, les prochains jours, voire semaines, seraient employés à réparer cette erreur avec la plus grande rigueur. Nymphe elle restait, elle continuerait ses gardes, mais serait si discrète que même Lui serait incapable de la détecter.

Citation :

Sauf rebond de ta part, fin du RP pour moi ! JE SUIS VIVANTE ! Merci pour le RP !

Aurora l'avait emmené ici. Sans un mot, laissant la Nymphe se remettre de ce qui venait de se produire. Voir son frère dans cet état était quelque chose qu'elle n'avait que rarement vu et visiblement, Calypso avait comprit qu'une part de Poséidon s'était libérée alors que le Légat s'était emporté. Elle aussi l'avait remarqué. Pourtant, il était encore en sommeil, elle le savait. Serait-ce l'accumulation des sentiments récents qui avait permit cette apparition ? Elle ne saurait le dire. car de ce qu'elle avait perçu, Orphéus avait été "présent" tout le long. Ses mots. Sa colère. Mais quelque chose de plus terrible dans son aura. Qu'elle n'avait jamais ressentie.

Alors que son amie vomissait, elle prit le temps de réfléchir. Les questionnements de Calypso étaient légitimes et si jusque là elle avait gardé pour elle ce qu'elle pensait de la situation, elle n'en ressentait pas moins les mêmes sentiments que son frère. Elle avait mal agi. C'était une certitude. Et si elle-même était moins attaché au nom des Merinita, elle savait que la notion d'honneur familiale primait plus que tout pour Orphéus.

S'approchant d'elle, elle posa sa main sur son bras. Pour autant, si le geste paraissait amical, son regard était dur. Elle compatissait vraiment et espérait que son frère passerait l'éponge sur les actes de a Nymphe, bien qu'elle connaisse les conditions exigées par ce dernier. Mais la question que venait de poser Calypso était idiote.

- Tu le connais, non ? Comment crois-tu qu'il aurait réagi si tu ne lui avais pas dit la vérité ? Je ne crois pas qu'il se passe grand chose au sein d'Atlantis dont il ne soit pas informé à un moment ou à un autre.

Et le connaissant, il aurait été capable de faire plus qu'une simple remontrance, surtout si l'information fuitait au niveau de la famille. En un sens, elle avait essuyé la tempête mais tenait encore debout. Serait-ce encore le cas si elle s'était tût ? Elle préférait ignorer la réponse à sa question. Elle s'autorisa finalement un sourire.

- Tu devais lui en parler. Mais crois-moi : fais attention à cela à l'avenir. De ce que nous avons perçu aujourd'hui, tu serais mal avisée de refaire une telle erreur. Et surtout... Surtout ne reparle plus jamais de rébellion. Je sais pourquoi tu as dit ça. Mais ne crois pas que ma vie ou celle de mon frère puissent passer avant la volonté de nos Seigneurs. Nous avons été élevé ainsi. Et lui comme moi connaissons nos devoirs. Toi aussi tu devrais connaître les tiens et aujourd'hui, tu as prouvé que ce n'était pas le cas.

Elle manqua de conclure. Mais préférait ne pas en rajouter. Si ses idées - aussi nobles soient elles - remettaient en cause la fidélité des Atlantes, elle encourait plus qu'un simple emprisonnement. Et Orphéus n'hésiterait pas un instant si cela devait se reproduire...