[Juillet 551] Coeur de pirate (Solo)

Un temps splendide.
Rien d’étonnant pour la saison, et pourtant ce fait anodin suffisait à apaiser ma mélancolie d’ivrogne. Pour cette raison, j’avançais d’un pas volontairement tranquille le long du sentier qui serpentait autour d’une montagne modeste. Quelques bouquetins me gratifièrent d’un œil sombre, perchés sur les hauteurs, et je me contentais de les saluer d’un signe de la main, tout en savourant l’éclat du soleil sur ma peau claire. Il était rare que je m’autorise une halte, alors que la saison des voyages commerciaux battait son plein, mais au vu de mes dernières nuits emplis de cauchemars, j’avais cru bon de faire une entorse à mon avarice de pirate.
Mon équipage m’avait donc déposé sur la côte plus tôt dans la matinée, avec ordre de revenir me chercher dans trois jours, à l’aube. Et le mélange de crainte et d’affection que je leur inspirais suffisait à m’assurer de leur ponctualité.
C’était donc en toute sérénité que j’arpentais cette ascension, jusqu’à apercevoir enfin la haute silhouette de ma destination.
Une grande bâtisse, monastère abandonné puis remis au goût du jour par une femme à la volonté de fer. Une noble dame, veuve, sans héritiers, survivante de trois enfants morts en bas âge. Qui avait survécu à ses deuils par un nouvel objectif, ô combien louable.
Nous nous étions rencontrés pour affaire, voilà déjà quelques années. Disposant d’un solide réseau à Tyr, et d’une excellente réputation, Diane Myrkos avait pris contact avec moi pour financer quelques expéditions pirates, avec à la clé un solide retour sur investissement. La négociation avait été âpre, mais nous avions fini par conclure un accord discret. Et avec l’armement flambant neuf fourni, mes matelots avait accomplis des merveilles. Offrant une solide rentabilité à mon arrangement avec la noble dame.
Une fois sur la chemin pavé qui menait à la structure, je fus accueilli par des cris stridents, vite multipliés.

Endy est revenu !!! Il arrive !

Et avant que je n’ai eu le temps de réagir, une bande de dix marmots braillards se rua sur moi pour me jeter à terre dans une étreinte multiple impossible à esquiver. Adieu le blanc immaculé de ma toge favorite…

Ma toge !

Hilare face à mon cri d'indignation faussement sévère, la marmaille continua à me coller comme une moule à son rocher, jusqu'à ce qu'une voix ferme ne résonne.

Cela suffit, les enfants.

Non sans réticence et râleries, les gosses se hâtèrent de me libérer de leur étreinte, et je pus enfin me relever pour tenter de retrouver un semblant de dignité. Face à moi, dans l'embrasure de la porte de l'orphelinat, une grande femme entre deux âges m'observait d'un œil amusé.
Flanqué des marmots, dont un qui vint me saisir la main, je me dirigeais vers la maîtresse des lieux : Dame Diane.

Endymion, quel plaisir ! Nous vous attendions bien évidemment.

Je vois ça...

Venez donc vous reposer à l'intérieur. Votre voyage a dû vous éprouvez.

J’acquiesçais à la grande joie des enfants, et je me laissais guider, à travers de longs couloirs austères mais familiers, vers un gigantesque réfectoire, qui servait également de salle d'étude et de lecture.
Non étonné mais heureux, je vis qu'un repas m'avait été préparé à l'avance. Diane avait donc bien reçu ma missive, annonçant un séjour de quelques jours dans son établissement.

Nous avons beaucoup de choses à nous dire. Mais avant de passer aux choses sérieuses...

Tout sourire, je posais une grande sacoche sur la table, sous l’œil ravis des enfants. Et avec une lenteur calculée, je sortis un cadeau pour chacun d'entre eux. Rien d’extraordinaire pour le commun des mortels, mais pour ces orphelins, cela ressemblait à un trésor royal. Quelques douceurs, jouets en bois, tissus et poupées. Et une fois satisfaits, les gamins vinrent se placer de l'autre coté de la table pour profiter de leurs présents. Je pus donc m'asseoir pour profiter sereinement du repas.

Comment vont vos affaires, dame Diane ? Tyr s'agite ou est ouverte au commerce, ces temps-ci ?

Au vu de l'expression soucieuse de mon hôtesse, je devinais immédiatement la réponse à ma question. Pourtant, elle se reprit aussitôt pour laisser apparaitre un sourire forcé. Mais pas assez sincère pour ne tromper.

Ma foi... Mes affaires se portent bien, malgré l'insécurité et les troubles qui minent la confiance des commerçants et des marchands. J'ai la chance d'avoir d'excellents gestionnaires, et je dispose d'assez de fonds pour veiller au bon fonctionnement de l'orphelinat.

Ce qui ne vous empêchera pas d'accepter quelques dons, j'espère.

Face à mon rictus innocent, Dame Diane répondit par un hochement de tête entendu. Oui, malgré ses dires, elle avait toujours besoin d'appui financiers solides. Ainsi fonctionnait mon réseau d'informateurs. Un mélange de relations de confiance, de soutien mutuel, de respect.
Cette noble possédait des contacts partout en ville, et avait donc des oreilles autant chez les commerçants, que dans les hautes sphères. De quoi se tenir au courant des nouvelles insignifiantes, comme cruciales.
Lassés de rester à table, les enfants en profitèrent pour se lever de leur séant, et m'obliger à les suivre, sous le regard bienveillant de leur bienfaitrice.
Les garnements me menèrent dans une sorte de salle de jeu, où ils avaient façonner maladroitement une scène de spectacle.

Des tours de cartes, Endy ! Allez !

Sacrés gosses...
De bonne grâce, je bondis sur l'estrade bancal, me stabilisais et sortis mon paquet de tarot.
Et les cartes commencèrent à voler, pour le plus grand plaisir de l'assistance, riant aux éclats face à mes pantomimes et imitations.