[Janvier 553] Légendes Perses (ft Lymsleia)

Le temps de la découverte était fini.
La belle avait passé plusieurs jours à arpenter le Dédale. Les premiers jours furent marqués par la fascination. La Cathédrale de Chair ne ressemblait à rien de ce qu’elle connu. Aucune construction à Constantinople ou sur son trajet n’avait pu approcher de près ou de loin à l’apparence que possédait l’antre d’Arès. Et surtout aucun édifice n’était aussi littéralement vivant. Les yeux qui apparaissaient de temps en temps. Les veines parcourant leur façade, transmettant possiblement une quelconque vie tout aussi macabre que ce que l’on pouvait imaginer d’un tel lieu.
Et les voix, aux paroles indistinctes, comme si l’on murmurait des mots sans sens directement aux oreilles. Nombreux seraient ceux à fuir à la vue d’un seul de ces éléments.
Lymsleia avait savouré.

Elle avait erré, s’était familiarisée avec sa nouvelle demeure, avait rencontré certaines des personnes les plus influentes. Elle avait découvert le monde tel qu’il était depuis sa Renaissance par une autre façon que ce qu’avait pu lui apprendre Bahamut. Elle était encore novice bien entendu, mais il lui semblait commencer à en percevoir les règles. A confirmer la sensation qu’elle avait eu lors de la Véritable Frénésie. Elle était à sa place.
Si bien que l’extraordinaire laissa place au quotidien. Fini les moments où elle s’arrêtait, contemplant un œil s’étant ouvert sur son chemin. Terminé la volonté d’essayer de comprendre ce qui n’était peut être au final qu’un souffle et non des mots. Fini l’émerveillement. Il fut des plus agréables, mais il était grand temps de passer à autre chose.
Le temps de l’habitude était arrivé.

Ses journées se ressemblaient grandement. A défaut d’ordre direct, il était nécessaire de trouver ses propres occupations. Et il y avait un point qu’elle se devait de travailler. Ses capacités martiales. L’instinct et la fureur étaient ses principales armes. Son style était formé autour de ça et elle ne renierait pas. Mais un peu d’entraînement ne pouvait être de refus. Un peu d’acclimatation à cette puissance nouvelle était forcément la bienvenue.
Ses errances au sein des Boyaux avaient donc la plupart du temps un but. Dormir. Manger. S’entraîner. Traverser les couloirs infinis afin de se rendre à chacun de ces différents lieux. Une journée quotidienne. L’ennui ne se faisait pourtant pas ressentir. Cette vie restait bien plus agréable que sa précédente.

Ce jour était similaire aux précédents. Elle ne découvrait pas mais se rendait quelque part. La nuance était importance. Afin de rester dans les bonnes habitudes, il s’agissait d’un entraînement. Seule. La présence des imbéciles ne la satisfaisait guère. Son but en tête, elle n’avait pas de véritable raison de s’arrêter. Croiser quelqu’un était quotidien. Naturellement, le changement dans le décor attirait les yeux. Un simple regard et de nouveau elle fixait devant elle.
Généralement, ces personnes étaient elles aussi en chemin, si bien que cela s’arrêtait là. Nul besoin de plus. En ce jour, ses iris rouge sang glissèrent sur quelqu’un immobile, semblant attendre quelque chose. Rien de forcément inhabituel, car bien que plus rare cela arrivait malgré tout de temps en temps.
Comme souvent elle l’observait quelques secondes du coin de l’oeil, ayant tout simplement de remarquer ses longs cheveux comme élément caractéristique, avant de regarder de nouveau le chemin d’elle. Sans s’arrêter elle continuait son chemin.

>> Hein ? Tu le connais Baha’ ?

La jeune femme s’arrêta alors que l’individu prit la parole. Se faire arrêter comme ça, sans aucune raison visible, n’était déjà pas chose courante. Surtout dans un tel lieu, où les formes de sociabilité les plus basiques étaient absentes. Ou du moins étaient tordues d’une telle façon qu’une telle approche était bien plus rare que dans une ville civilisée habituelle. Et il fallait bien avouer que ce genre d’attitude ne lui avait pas vraiment pas manquée, comme de nombreuses choses de sa vie passée.
Par contre reconnaître une chose. Que quelqu’un l’approche en lui déballant tout un résumé de sa vie récente alors qu’elle n’avait rien demandé, il s’agissait bel et bien d’une première. Le pire était qu’une telle méthode pouvait peut-être passer en temps normal. Se présenter, demander le nom ; puis donner un peu de contexte. Au passage glisser le nom d'une personne d’importance, afin de tirer partie au maximum de l’aura de cette personne.

Le problème était que bien peu de choses pouvaient être considérées comme normales avec la belle aux yeux de rubis.
S’il y avait bien une chose que sa Renaissance n’avait pas changé c’était le fait qu’elle semblait n’accorder que peu d’intérêt à ce qui l’entourait, comme une absence presque permanente. Au contraire, sa nouvelle vie avait, généralement, amplifié cette attitude. Tenter d’éveiller son intérêt n’était donc pas mince affaire, et le faire avec les méthodes les plus classiques était presque forcément voué à l’échec.
Puis évoquer Zvezdan n’était pas chose capable de provoquer une quelconque réaction. Elle-même avait pu faire connaissance avec l’ensemble des Cardinaux. Chacun avait laissé sa marque, certains au sens propre. Bien sûr, suivre ce nom par la mention de la différence de puissance éveillait des souvenirs récents douloureux.
Tournant toujours le dos au dénommé Akir, elle grimaça un instant avant de reprendre son expression impassible et de se tourner vers lui. S’en s’approcher pour autant.

>> Ça te prend souvent de faire ça ? T’arrêtes toutes les filles que tu croises pour leur déballer ta vie ? T’es vraiment bizarre.

Et il fallait bien faire quelque chose sortant particulièrement de l’ordinaire pour que la Berserker du Bahamut la qualifie de bizarre. Sans lâcher du regard celui étant désormais son interlocuteur, elle pencha la tête, gardant quelques secondes le silence avant de reprendre la parole.

>> Alors, as-tu une véritable raison de m’aborder ainsi ? Sinon on va couper court et dire que je suis pas intéressée, comme ça je peux reprendre tranquillement ma route.

Ton neutre, façon de parler visiblement sèche. Le pauvre n’avait pas su éveiller un début d’intérêt chez elle. Mais tout n’était pas perdu puisqu’elle lui accordait une chance au lieu de continuer son chemin sans même lui accorder un mot. Elle devait être plutôt de bonne humeur.

En premier lieu, haussement de sourcil.
En second lieu, froncement de sourcils.
Puis sa voix s’éleva une nouvelle fois.

>> On t’a déjà dit que tu parles trop ?

Ce Akir était bizarre. Au point d’en être inquiétant. Son débit de paroles était impressionnant. Et sa capacité de passer d’un sujet à l’autre sans liens logiques également. Une telle façon d’être plaçait d’office cet homme à l’opposé même de son interlocutrice. Mais le pire ? Ce n’était pas ce qui risquait d’entraver le plus la volonté de la belle à s’attarder avec lui.
La simple mention de Baha’ suffisait pour qu’il fasse une déduction de ce que cela signifiait. Ce qui pour elle n’était guère rassurant. L’avait-il suivi ? Savait-il en vérité qui elle était ? Le doute était permis. Une seule façon d’avoir un semblant de réponse. Ne pas entrer dans son jeu.

>> Alors, pour commencer, je n’ai aucune idée de ce que tu racontes. Les légendes c’est pas trop mon truc donc ce que tu racontes ne me parles pas du tout.

Ne pas approuver directement la connaissance de celui-ci était un mouvement risqué, son partenaire pouvant mal prendre la chose. Pourtant elle était certaine qu’il comprendrait la prudence dont son hôte faisait preuve. Et puis, en y réfléchissant, elle n’avait pas vraiment menti. Déjà elle n’avait pas dit qu’elle ne le connaissait pas. Ensuite car les légendes, elle s’en moquait entièrement. Et Bahamut n’était nul autre que Bahamut, le questionnement qu’il avait était véritablement le cadet de ses soucis. Dommage pour lui s’il espérait avoir une réponse. Mais il fallait le dire, questionner une étrangère sur sa propre culture était quelque chose d’original.

La suite de ses paroles…
C’était compliqué. Il fallait réussir à retrouver le cheminement. En y réfléchissant un peu plus, il alignait simplement de nombreux mots dans un seul but. Dire qu’il voulait simplement se présenter. Concept étrange, là où en ce lieu plus qu’ailleurs il était fréquent de simplement ignorer l’autre. Mais il souhaitait garder ses manières qu’il disait. Etait-ce une façon de s’attacher à sa vie passée ? Certains n’avaient en effet pas vécu la Renaissance de la même manière qu’elle, il s’agissait donc de quelque chose de fort possible.

>> Qu’un des noms me dirait quelque chose ? Bien sûr. Il serait gênant de ne pas être capable de nommer les Cardinaux…

Bien entendu, elle taisait le fait que cette phrase faisait écho à ce que lui avait dit Zvezdan lorsqu’elle l’avait rencontré. Car pour le coup, elle n’avait pas su le nommer bien qu’ayant déjà entendu son nom de la part de Jehane. Erreur qu’elle ne ferait pas une nouvelle fois, fort heureusement.

>> Donc, si on résume. T’aborde des inconnues, tu fais connaissance et ce dans la simple hypothèse que si un jour tu retrouves en mission avec tu les connaîtras déjà ? Ouais, vraiment bizarre…

En vérité, le raisonnement n’était pas aussi idiot que ça. Simplement, la perte de temps se faisait en cet instant. Et s’ils partaient en mission, le voyage serait une occasion de faire connaissance. Forcer les rencontre n’étaient pas vraiment une bonne chose pour elle. Bien trop risqué, les choses pouvant mal se passer.

>> As-tu envisagé la possibilité que les choses tournent mal et qu’aucune entente n’ait lieu ? Alors que rencontrer quelqu’un dans le cadre d’une mission donne un contexte incitant que les choses se passent bien. Donc non, je trouve pas que ça fasse « gagner un temps fou ». Surtout que je pourrai être en route pour quelque chose d’important.

Ce n’était bien sûr pas le cas. Mais ça, il ne pouvait pas le savoir.

Ainsi il avait déjà eu la remarque. Et, visiblement, il n’avait rien fait pour le corriger. Au contraire, cela le faisait rire. Rien que ce fait pouvait suffire à le classer dans la catégorie des simples d’esprits. Au moins il semblait être sympathique, ce qui était un bon point difficile à lui enlever. En vérité, c’était même peut-être pour cette raison qu’elle n’avait pas immédiatement continué sa route. Face à un con fini, cela aurait certainement terminé par une leçon pure et simple avant de s’en aller.
Il avait de la chance au final. Il insistait un peu trop sur Bahamut, comme si c’était une évidence, mais il avait de la chance. Et elle commençait à être persuadée qu’il n’y avait pas de mauvaise intention derrière cette curiosité.
Il avait juste étonnement fait les bons rapprochements, de par son passé visiblement, et souhaitait simplement en savoir plus. Elle n’allait pas être celle accédant à ses désirs, car discuter de la légendaire derrière son partenaire avec un inconnu ne l’intéressait réellement pas, mais il y avait du sens.

Puis l’explication. Plus détaillée. Noyée au milieu du flot de ses paroles. Un temps pour analyser, retenir l’information essentielle. Ignorer les mots semblant hasardeux, ou alors dont elle ignorait le sens. Et comprendre qu’en fait il ne faisait que se repérer en premier lieu. Avec quelques nuances, certes. Mais répétition malgré tout.
La suite était un peu plus nouvelle. Et continuait dans le sens du gentillet. Il faisait presque tâche au milieu d’un tel décor. Elle aurait pu le croiser au marché de Constantinople que cela aurait eu plus de sens. Elle l’aurait certainement encore plus évité, mais cela aurait eu du sens.
Un soupir s’échappa des lèvres de la belle.

>> Je ne connais pas ce César. En fait, je n’ai pas pris le temps de rencontrer grand monde. Les Cardinaux et c’est à peu près tout. Je suis pas vraiment de celles intéressées par devenir amie avec tout le monde.

Pourquoi s’embêter à sympathiser avec tout le monde ? Bien que ses raisons avaient un minimum de logique, elle préférait véritablement se limiter dans les expériences sociales à ce qui était vraiment utile. Et le reste, elle aviserait le moment venu. Le temps était précieux et elle était bien consciente d’avoir du retard en terme de capacités martiales par rapport à d’autres. Zvezdan lui avait fait comprendre que son instinct seul ne serait pas suffisant.

>> Mais, s’il est forgeron forgeron je risque d’avoir besoin de le rencontrer. Mais t’en fais pas, je suis une grande fille, je saurais me défendre.
Puis, comme j’ai dit. Le rencontrer avec un but n’est pas forcément la même chose que lui parler au hasard d’un couloir. Si je cherche juste ses services, le reste n’a pas d’importance.

Ne pas chercher à en savoir trop. Se contenter de faire son travail et juste s’intéresser à ce qui permettait de mieux le faire. C’était l’un des restes de son passé. Elle n’était pas forcément heureuse d’arriver à la même conclusion. Si bien que le simple fait d’y penser fit qu’elle laissa échapper une brève grimace.