[Début Février 553] Assassiner les roses ? [PV Lesath]

Il est bien difficile de tromper sa mauvaise humeur. Si je me suis entêtée à rester dans mon temple, j’ai décidé de quitter mon poste autant par défi que par nécessité. J’ai pillé le Temple du Taureau, laissé une petite note à son attention, accompagnée par une rose rouge.
J’en ricane encore, fière de ma provocation. De jouer avec le feu. Je me moque de Childéric et d’Athéna, de toute façon ça ne changera pas grand-chose. La déception me ronge comme un poison. En plus du mien. Il est bien difficile de tromper qui que ce soit avec cette histoire que je m’invente. Qui croira à cette nonchalance que j’affiche ?
Je n’y crois même pas moi-même. Je soupire, arrivée au milieu du Temple du Scorpion. Je m’arrête, ne vois pas Lesath. Lui aussi s’était montré discret. J’ai entendu des rumeurs, n’ai jamais pensé vérifier quoique ce soit à son sujet. Par lâcheté, par crainte, je ne sais pas trop.

Mais j’ai décidé de poser mes fesses à même le sol. Je ris, intérieurement. Et je soulève un peu mon masque pour m’octroyer une bonne lampée de vin en faisant attention que le maître des lieux ne me voit pas. Lesath a déjà vu mon visage, il me connaît. Qu’il apprenne la supercherie serait une très mauvaise idée. Je serai obligée de le tuer, d’invoquer le droit du masque. Je n’ai pas du tout envie d’en arriver là.
Je me redresse. Je n’ai pas le droit de prendre de risques. Il ne me reste que le devoir. Nimuë O’Bannon n’est plus, seule Morwenna des Poissons demeure. Je bous en resongeant à ma dernière entrevue avec l’ancien Lion. Je ne le reconnais plus. Et ma fureur se manifeste d’un éclat de cosmos.

Je laisse derrière moi une amphore de vin. Je suis sûre que le Saint en a autant besoin que moi. Solitaire invétéré. Je regrette de ne pouvoir rester, de discuter. De savoir où son esprit vagabonde, si son cœur appartient encore, ou non, à ce pathétique devoir.

Je veux voir mon fils. Je veux partir voir l’océan. Je veux voir encore brûler la vie que nous aurions pu avoir à Salamine.

J’ai choisi.

Il est bien difficile de tromper sa mauvaise humeur. La peur qui écrase la Bête empoisonnée qui habite mon âme et me consume chaque jour un peu plus.
Je porte le poids des secrets et des mensonges. Un masque, une perruque blonde qui cache la rousseur de ma chevelure.
Qui je suis.

Un imposteur.

Alors que je pense quitter le Temple sans avoir pu rencontrer son Gardien, je vois l’Or me couper la route. Je détaille l’armure du Scorpion, m’étonne de la voir recouverte d’écarlate. L’odeur titille mes narines et fait gronder ma Bête. Je n’ai pas le loisir de m’interroger davantage que le maître des lieux me fait l’honneur de sa présence. Probablement intrigué de voir son armure l’appeler, me désigner comme étrangeté. Me reconnais-tu ?
Le doute accapare ma pensée et, sur mes gardes, je reste immobile, évaluant la situation. Je lève un sourcil sous l’ombre de mon masque à voir l’homme ainsi enrubanné. Je cherche déjà à savoir à quel point il est blessé, par réflexe.
Il suppose bien et je lui confirme d’un hochement de tête. Le reste de son discours me fait pencher la tête sur le côté. Childéric m’a prévenu de ses errances. Je ne m’en étonne pas vraiment, je le connais assez pour ne pas tiquer de son originalité. Pourtant, il semble s’être enfoncé davantage dans ses propres perditions. Folie ? La frontière est mince et je le sens osciller.

« Plutôt un cadeau. » dis-je en utilisant ma « voix » qui n’a pas d’inflexions humaines. Cela ressemble plus à une musique qui s’accompagne de sentiments, d’émotions teintées par les couleurs de mon cosmos. Celles qui dominent sont bien trop diverses pour s’y accrocher. La curiosité finit par supplanter toutes les autres. « Tu as donc entendu parler de moi. C’est étonnant. »

Moi qui me fais discrète et ne souhaite pas attirer l’attention. Mais il n'y rien de vraiment curieux, à dire vrai. Le Cercle d'Or reste restreint. Les mains pleines d’amphores dérobées au Temple d’Airôth, je poursuis :

« Qu’est-ce qui t’est arrivé ? » Puis, en désignant l’Armure du Saint d’un mouvement de menton : « Pourquoi m’a-t-elle arrêtée ? Me prend -elle pour une intruse ? »

La question n’est pas innocente. Je veux savoir, comprendre, m’assurer que l’Ibère n’a pas découvert la supercherie. Ne fais pas la bêtise de m’avouer que tu sais tout, si toi, parmi tous les autres, a su creuser au-delà des apparences, des atours du mensonge.

« Ton temple est aussi silencieux qu’est le mien. C’est agréable. Mais tu devrais t’occuper de tes plantes, elles ont besoin d’attention. »

Je ne bouge toujours pas. Et les questions se bousculent encore :

« Tu as mal ? Je peux éventuellement faire quelque chose pour ça. Le vin aidera. J’ignore seulement si tu y es hermétique toi aussi. Mon poison ne me laisse pas le loisir d’être ivre. Autant dire qu’on perd tout l’intérêt de la chose. Mais la piquette du Temple du Taureau se laisse boire. »

Je lui avoue être une pilleuse de caves. De quoi tromper ma mauvaise humeur que je cache derrière une attitude avenante.

Qu’il est curieux, ce huitième Gardien. Il l’a toujours été, à sa façon. Sa manière toute personnelle de percevoir le monde me plaît et je ne me suis jamais sentie offensée par ses mots. Il est inutile, m’a-t-on dit, de vouloir tenter de remonter le cours de sa pensée, qu’il s’est perdu, dans la folie. Il semble s’y être enfoncé d’une manière déplaisante aux yeux de certains.
J’arque un sourcil lorsqu’il m’apprend pour Childéric. M’en irrite. Mon aura se manifeste encore, plus frénétique, traduisant la colère qui gronde et que je musèle.
Je continue pourtant de l’écouter. Sans l’interrompre. Je ne peux pas aider, alors je n’insisterai pas. J’espère qu’il a quand même gravé dans son esprit, cette opportunité, cette main que je lui tends. Je ne fais donc rien, je me contente de l’observer se relever, rire. Désabusé ?

Je pousse un léger soupir à sa question. Encore un qui me parle de devoir.

« Juste le temps d’une contrariété. Mais j’y retourne, justement. Mon royaume de silence me manque. » dis-je, cynique.

Je désigne d’un index, l’amphore sur le sol.

« Je te la laisse quand même, fais-en ce qui te plaît. »

J’ai le souvenir d’un homme appréciant la boisson. Ce revirement m’intrigue, il doit avoir ses raisons. Je m’obstine, moi, à rechercher l’ivresse dans une habitude passée. Mon poison ne me laisse pas l’opportunité de connaître des moments d’égarements. Tant mieux pour le Grand Pope, il doit craindre l’une de mes rebuffades. À raison.

« Dans ce cas, si je ne peux rien faire de plus pour toi, je vais te laisser tout à ta garde. Je m’étonne, d’ailleurs, que tu y trouves un intérêt. Ta Foi en notre Déesse est donc à ce point inébranlable ? C’est tout à ton honneur. »

Elle qui ne sait pas faire confiance, mais qui croit ? Encore, un éclat d’insurrection brûle mon cœur contrarié.

« Bien Lesath. La prochaine fois, je te conseille de frapper plus fort la tête de notre Grand Pope. » Ça lui remettra peut-être les idées en place, qui sait ? « Je plaisante, bien sûr. Tu regrettes d’être mortel ? C’est notre plus grande force, tu sais. »

Nous n’appartenons pas aux mêmes sphères. Les êtres divins nous échappent, et déçoivent. J’ai un goût amer dans la bouche. Il faut que je dessèche ces idées.

« Gardien. »

Je m’incline devant lui et tourne les talons, prête à repartir vers les hauteurs du Sanctuaire.

J’ai eu tort de vouloir tromper l’esprit d’un fou. Surtout celui de Lesath. Je suis une idiote et je vais regretter d’avoir voulu jouer avec le feu. De m’y brûler. Je vais encore entraîner des personnes dans mon sillage, les précipiter avec moi dans ma chute. Cette perspective m’immobilise sur-le-champ, durcit les traits de mon visage dissimulés sous l’ombre du masque.
Le secret se fissure. Je ne vois pas comment arrêter cette course inéluctable.
Comment aurais-je pu le deviner ? J’essaye de faire taire la Bête qui gronde en moi, qui me hurle de le faire taire, de l’étouffer, là, tout de suite et de le réduire au silence. D’invoquer son aliénation, de m’en servir et de composer un nouveau mensonge. Je le regarde droit dans les yeux et je vois les nuages amoncelés, s’effacer. Lucide, je comprends qu’il l’est à cause de moi. Alors que je m’interroge sur le pourquoi, lui me rappelle des souvenirs douloureux. Une dette qu’il me demande de payer. Je déglutis, tente de calmer les élans agressifs de ma Bête de sang.
Je soupire. Je m’avance dans sa direction pour lui faire face, poser une main sur son épaule.

« Et ce jour est venu, selon toi, Lesath ? »

Je lui parle comme autrefois, non plus par un chant cosmique, dénaturé, inorganique. Les mots se sont envolés naturellement, sans souffrir de l’angoisse que je ressens. Face à toi, je redeviens Nimuë O’Bannon. Vaincue dans sa mascarade, mais libérée d’un poids trop grand qui pesait contre mon cœur. Reste à savoir comment le Scorpion va réagir. Je ne veux pas lui mentir.

« Je devrais te tuer, tu sais. Je le devrais et pourtant je m’y refuse. J’ai fait des promesses et en apprenant pour moi, je viens de toutes les trahir. » Mon visage s’affaisse et mes mains retirent le masque. « Seulement, je suis une femme de parole. »

Il peut voir que les traits de mon visage sont plus fatigués, plus émaciés que par le passé. Lui, mieux que quiconque, comprendra que le Poison me tue plus vite, plus insidieusement.

« Je n’ai plus beaucoup de temps, mais je payerais ma dette envers toi. Il suffit de me dire comment. »

Je plonge alors dans son regard et dis, très gravement : « Mais il faut que tu me promettes de ne rien dire. Si d’autres apprennent que Nimuë O’Bannon est en vie, crois-moi, les conséquences seraient désastreuses. Athéna a veillé à mon retour, à la condition de rester, aux yeux de tous, Morwenna. Est-ce que tu comprends, Lesath ? »

J’ai sacrifié tant de choses pour préserver ce qui doit l’être. Si je n’obtiens pas ta parole, je vais devoir me résoudre à commettre l’irréparable. Et trahir la Déesse et Childéric.
Mais, ne me suis-je pas déjà parjurée ?

Je le regarde avec un mélange de soulagement et d’étonnement. Je suis son geste pour contempler les lieux qu’il doit garder. Et je souris, amusée par ses réflexions, n’osant glisser les miennes par la même occasion. Oui, Nimuë est morte, une partie d’elle, d’ailleurs, s’est perdue ici même.
Qu’il ait conscience de son incomplétude a de quoi me surprendre. Mais moi je sais que Lesath possède sa propre forme de sagesse. Je vois aussi, à quel point les mots me concernant sonnent encore juste. J’attire à moi le monde, mais je le fais aussi vaciller. Une vague de culpabilité m’envahit le cœur, s’échoue contre ses barrières.
J’ai l’air désolée pour lui, lorsqu’il me montre toute l’étendue du malheur qui le touche. Sa malédiction. Nous nous sommes toujours entendus sur ce sujet.

Alors j’acquiesce. Oui, je sais ce qu’il me reste à faire. Seulement, je n’ignore pas ce que cela implique. Et à voir son regard, il ne l’ignore pas non plus. Nous formons la face d’une même pièce. Car moi aussi je souffre de ne plus être celle d’autrefois. Je ne le pourrais jamais plus. Pire, le poison qui coule dans mes veines n’est pas mien et me consume, à l’instar des propres maux du Scorpion. Pourtant, les dettes se doivent d’être payées un jour et cela, la O’Bannon que je demeure ne peut l’occulter.

Je m’avance vers lui pour lui faire face. Plonger mes prunelles dans les siennes pour éprouver sa décision. Lorsque je me suis assurée de sa détermination, je lui offre un sourire se voulant encourageant. Je ne le laisserai pas mourir.

« Je vais le faire. » dis-je d’une voix douce. « Mais tu ne dois pas lutter. Et la douleur risque d’être difficilement supportable. »

Je n’y suis moi-même pas immunisée, bien au contraire. Ce poison me tue chaque jour un peu plus. Je lui demande de s’asseoir. L’expérience sera loin d’être agréable pour lui comme pour moi. Je m’installe en face de lui, cherche à prendre ses mains dans les miennes. Mon visage se ferme dans une expression paisible, et, yeux mi-clos, je me concentre sur moi. Cherche cet infime éclat qui ne m’appartient pas. Dans cette mer psychique, empoisonnée et douloureuse, je navigue longtemps, sans la trouver. Mon aura se manifeste, s’engouffre dans la blessure à vif du Scorpion pour y puiser son essence. J’essaye de créer un Lien, comme celui que Childéric et moi partageons. Mais je ne suis pas la Rêveuse la plus délicate aussi je sens la douleur se manifester à l’orée de mon esprit. La mienne, la sienne, elles se confondent et font écho. Elles s’entremêlent dans une danse brutale, violente qui me fait grincer des dents.

Mon poison est une torture. Je lutte contre lui depuis si longtemps que je tiens encore bon. Je m’enfonce davantage dans ce marasme, laisse entrevoir à Lesath, des images du passé qui n’ont aucune cohérence entre elles. Il peut me voir enfant, à subir mille morts, sous la main de Lucius, mon maître. Écorcher mon âme et mon corps de la plus horrible des façons. Il distingue la fière capitaine sur son navire, ce sourire qui n’existe plus sur mes lèvres. Et Satine, en plus des souvenirs que j’ai de nos rencontres avec Lesath.

Gardien, tiens bon.

Je me sers de la colère et des doutes qui me rongent pour continuer ma progression. S’ouvrir de cette façon est irraisonné. S’engage une lutte entre deux Bêtes empoisonnées. Or, je suis têtue et déterminée à lui rendre ce que je lui ai dérobé. Par erreur.
Mes doigts, gourds, perdent de leur force contre ceux du Scorpion. J’ai besoin qu’il m’aide, m’épaule. Je suis si fatiguée de valser au bord du gouffre, jouer avec la Mort. Mon souffle se fait plus erratique, ma poitrine se soulève avec difficulté. Et le parfum des roses n’a jamais été aussi entêtant.

Et je me prends à chanter. Pour nous donner du courage, pour me délivrer de ce poids des mensonges et du silence imposé. Parmi cette infinité sombre, je la vois enfin, cette étincelle qui ne m’appartient pas.

« Arrache-la. »

Récupère ce qui est à toi.

Et le silence se fait plus absolu. La réalité plus amère encore, car la douleur nous a emportés, laissant nos deux corps à vif, comme ouvert en deux. La sensation est plus que dérangeante, elle me surpasse. Je crois que l’inconscience m’a étreint quelques minutes, car mes yeux papillonnent et sont blessés par une lumière pourtant faible.
Un goût de sang dans la bouche. De cela j’en ai l’habitude. J’essaye de faire le point sur la situation, récupérer mes sens endoloris. Mes muscles protestent déjà lorsque je me redresse. Ils hurlent leur détresse face à mon entêtement. Car la silhouette du Scorpion, avalée par l’obscurité, est parfaitement immobile. Et cette immobilité me terrifie encore plus.
Tu l’as tué. Me souffle une voix dans ma tête que je repousse en même temps qu’une mèche de cheveux devant mon regard troublé. Tu es un poison.

« Lesath ? »

Toujours aucune réaction. Mes pires démons viennent cueillir mes pensées qu’ils portent en souvenirs. Des images pas si lointaines m’accaparent. Je presse le pas, manque de tomber. Nous étions pourtant proches, non ? Je lui ai tenu la main. J’ai mal au crâne.

« Lesath. »

Je le secoue doucement avant de porter mes doigts à son cou. Je pousse un profond soupir de soulagement. Il est vivant. Je me résous alors à le transporter ailleurs qu’au beau milieu de son temple, à l’allonger plus confortablement que sur le dallage froid et peu confortable. Je constate que sa demeure est meublée de façon très sommaire et je ne tarde pas à trouver une chambre où le placer.
Je ne suis pas au meilleur de ma forme. La manœuvre m’a épuisée. Alors, je m’installe non loin de son lit pour le veiller autant que je le peux. Et mes paupières finissent par se refermer toutes seules.

Pour la première fois depuis bien longtemps, je suis emportée dans un sommeil sans rêves.

Qui retrouverai-je à mon réveil ?

Je l’observe en silence pour ne pas troubler son retour. Je peine moi-même à revenir à l’instant, les brumes du sommeil s’éparpillant bien doucement. Il souffre, c’est évident, mais je le laisse émerger. Qu’il puisse se réapproprier son corps et son esprit. J’ai aussi un goût de sang en bouche sauf que, contrairement à lui, je ne m’en débarrasse pas.
Il me regarde à son tour et nous échangeons des paroles muettes, au-delà des mots que Lesath libère ensuite. Mon expression reste parfaitement neutre, figée dans un stoïcisme absolu. Que le karma ou que ma dette soit payée, je n’en ai cure. Je me redresse aussi, cherche de l’eau et une coupe que je finis par lui présenter.

« Bois, nous parlerons ensuite. »

Je remarque que ma langue est pâteuse, comme lorsque j’ai pu connaître les joies d’un excès d’ivresse. Je m’en amuse un peu et décide de boire aussi. Je lève mon verre à nos retrouvailles, à une dette payée ? Non.

« Au retour d’un ami. » susurré-je avec un sourire avenant. « Comment te sens-tu ? »

Je garde pour moi le fait que mon corps est au supplice, c’est ridicule et la fierté se joint à l’ego dans ma supercherie. J’ai toujours agi ainsi. Les réflexes sont ainsi, bien que mon masque ne soit plus sur mon visage. Mes doigts, d’ailleurs, se portent à mes joues. Je dois avoir de la fièvre. Je me rassois, pour faire bonne figure.

« Tu as peut-être des questions à me poser. » Ou des confessions ? « Comme tu peux le voir, me concernant, tout n’est qu’éternel recommencement. »

C’est un peu triste d’avouer cela comme ça. Or, je suis sûre qu’il comprendrait le sous-entendu. Que je demeure cette Bête Empoisonnée qu’il a toujours connue. Et qu’il serait dangereux de frayer avec elle.
Car je n’apporte que le malheur avec moi. La Déesse l’a bien compris.

Ma descendance. L’espace d’un instant, je me fige, cesse de respirer. Le malaise s’étiole dès lors qu’il précise le cours de sa pensée. Un léger soupir que j’espère inaudible s’extirpe d’entre mes lèvres entrouvertes. Satine… mes épaules s’affaissent, comme mon visage que je tourne vers le sol. Je secoue la tête à la négative. Hélas, je n’ai pas la seule réponse qui semble compter pour lui.

« Tout ce que je sais, » dis-je à voix basse. « c’est qu’elle a disparu peu de temps après avoir appris pour Orion. Je ne sais pas ce qu’elle cherche, elle ne m’a pas dit un mot, rien. Sa maison à Rodorio était vide quand je m’y suis rendue. »

Personne ne sait où ma petite-fille est passée et le vaste monde qu’elle arpente demeure lui aussi silencieux à son sujet. Pourtant, je connais assez la jeune femme pour savoir qu’elle est loin d’être la discrétion née. Il semblerait qu’elle soit tout de même capable de disparaître. Comme une banshee. Mes sourcils se froncent, se pourrait-il qu’elle ait trouvé un refuge sur l’île aux cieux ? Non, c’est très peu probable.

« Je suis sûre qu’elle nous retrouvera elle. » affirmé-je avec plus de conviction. « Je suis étonnée que ta première question soit pour elle. »

Je coule un regard plus malicieux à mon vis-à-vis, un petit sourire goguenard fleurit sur mes lèvres. Un devoir, hein ?

« Oh, je ne te juge pas ! Et je pense que tu as raison de t’en préoccuper. » Seulement, il ne faut pas que cela tourne à l’obsession. Ai-je envie d’ajouter. Je me retiens, c’est un grand garçon et il est souvent bien plus lucide que moi. Ses pensées ont des visées plus ténébreuses et plus éclairées, je respecte cela. « Je t’aiderai. »

Sur cette nouvelle promesse, je me redresse.

« Je vais te faire préparer quelques décoctions. Maintenant que j’ai récupéré mes serres et un temps infini d’agonie dans mon temple à attendre… j’ai eu tout le loisir de travailler sur mes plantes. »

Il n’y a pas que le poison, désormais.

« Je te ferai apporter ce qu’il faut. C’est le moins que je puisse faire. »

Je souris, reprends ses propres termes. « Néanmoins c’est, selon moi, le minimum. »

Un clin d’œil et je m’apprête à partir.

« Tu es le premier à savoir la vérité. En dehors de Childéric et de notre Déesse. Pour les autres, je suis morte à Atlantis, brûlée vive, avec l’enfant que je portais. »

Une nouvelle vague de tristesse s’échoue contre les écueils de mon âme. Mon masque de nouveau en place, je retourne en ma demeure silencieuse.