[Mi-Février 553] Faire chanter ses douleurs (Entraînement Kilian)

Mon corps est trop éprouvé pour que j’en ignore ses appels. Mes muscles crient, mes os tremblent non plus de froid, mais d’une main plus pernicieuse. Mon poison me ronge. Ce mal, qui ne m’appartient pas, me brise. Et malgré toute ma bonne volonté à patienter, la douleur dévore mon esprit.
Et la peur menace de revenir aux portes de ma conscience. J’ai tenté, seule, de m’en accommoder, de brider la Bête empoisonnée qui gagne de plus en plus de terrain.
Mon royaume au territoire compromit par une compagne fidèle. J’ai compris, hélas, que je ne serai plus jamais seule, que ce soit avec mes pensées, que la souffrance que je ressens de plus en plus.

Mon corps est trop éprouvé et la folie guette. Nue, devant le grand bassin d’où j’ai tenté d’abandonner mes affres, je laisse échapper un râle de colère et d’affliction.
Je suis trop abîmée et cette vision de moi m’écœure, autant qu’elle me révolte. J’ai accepté d’être le fantôme de moi-même. Me voir dans cet état de décrépitude, comme si l’automne m’avait étreinte, fait vaciller mes convictions et cette plénitude durement acquise.

Penser que Childéric détaille ce sordide tableau fait monter mes larmes. Je lui impose cette vision, il l’a subi à chaque étreinte, touche, saisit une vérité insupportable.

De rage, je froisse la surface de l’eau d’un souffle cosmique, pars dans les ténèbres afin de m’y cacher.

***

« Kilian ? » ma voix est si ténue que je crains qu’il ne m’ait pas entendu. « Kilian ? »

Je serre plus étroitement la cape dans laquelle je me suis drapée, en plus des habits épais que j’ai choisis pour tenter de dissimuler cette vaste supercherie. Je me sens ridicule.

À bout de force, je me laisse glisser le long d’un pilier et tente de contrôler les tremblements qui me secouent.

J’ai si froid.

Spoiler:

Un peu de repos avant le départ pour l'opulente Constantinople.
Je l'ai bien mérité, et pour une fois je savoure ce temps pour moi. Nonchalamment allongé sur un rocher de glace, invoqué pour l'occasion à l'entrée de ma demeure, j'observe les étoiles visibles à travers les quelques nuages baignés de la lueur lunaire.
L'atmosphère est glaciale, tant par le frimas hivernal qu'en raison du léger cosmos que je laisse diffuser autour de moi. Et je suis étrangement en paix. Conscient d'être sur la juste voie.
La peine est encore bien présente, mais l'espoir renaît peu à peu. A chaque heure. Ce périple byzantin pourrait ne rien représenter, et pourtant, j'ai la sensation qu'il va m'offrir une chance unique. Un séjour presque égoïste. Le premier.
Une question pourtant me taraude. Qui suis-je, au fond ? Assassin, médecin, frère en deuil, chevalier, homme de l'ombre avide de lumière ? Trop de masques, pour une âme troublée.
Ma dévotion envers Athéna, comment la définir ? J'ai encore à l'esprit la Foi exprimée par Morwenna, et je ne m'y retrouve pas. La déesse me semble si lointaine, si hors de portée. Alors je me cantonne à croire en son rêve. A défaut de me l'approprier pleinement.
Je vis, au lieu de survivre et c'est déjà bien.
Une étoile filante passe, me tirant un sourire presque enfantin. Je crois sentir une présence familière, rassurante. Ma solitude n'est plus un fardeau, car désormais je sais qu'un oeil bienveillant veille sur moi.
J'entends alors une voix lointaine. Mes sens me tromperaient-ils ?
Je perçois un cosmos dans ma demeure, et d'un bond je me relève, étonné. Il est si faible, si ténu.
Prudent, je me rue à l'intérieur de mon temple, et je finis rapidement par l'apercevoir.
Fleur fragile, brisée, appuyée contre une colonne pour ne pas chuter.
En un instant, je suis sur elle, pour saisir sa silhouette si amaigrie entre mes bras.
Elle tremble, elle a froid. Je réduis aussitôt ma propre essence, pour ne pas amplifier son mal.

Morwenna ?! Tu m'entends ? Je suis là, ne t'en fais pas !

Sous ses habits simples et épais, je sens ses os, ses cotes. Elle est à bout. Et l'inquiétude enserre mon cœur. Pas deux pertes en si peu de temps... Par pitié...

J’ouvre les yeux pour détailler le visage de mon frère. « Pas la peine de crier comme ça, je t’entends. »

Dis-je en lâchant un petit rire nerveux. Je me rends compte, alors, qu’il m’a soulevé entre ses bras et tente de chasser le froid de son aura. Son attitude à de quoi me faire sourire. Sourire qu’il ne peut pas voir, parce qu’il est impossible pour moi de le faire tomber.
Et je prends conscience que je prends trop de risque à m’exposer ainsi, à aller le trouver. Il faut que je trouve un moyen de toucher de Rêve et de me projeter grâce à lui. J’en suis pour le moment incapable. Je dois puiser les forces qui me font défaut. Qui me manquent. Je sais que la réponse est ici, auprès de lui.

« J’ai juste besoin de quelque chose de plus fort pour… » je laisse traîner ma phrase, mon visage s’affaissant vers ce corps faible qui me révulse. « Et je suis trop fatiguée pour écraser mes plantes. »

L’avouer m’écorche la bouche et je garde obstinément mes yeux rivés vers mes mains que je tords afin de les réchauffer.

« Ne me regarde pas comme ça. » comme une mourante. Quand bien même c’est vrai. « J’ai promis à notre Déesse de ne pas abandonner. »

J’avise un instant la direction d’où il est venu.

« Tu regardais les étoiles ? » Mon index désigne ensuite le sol. « Ça devrait aller, je pense que je peux marcher. »

Je ne veux pas qu’il remarque, lui aussi, à quel point je suis affaiblie. Seulement, je crains qu’il ne soit trop tard pour cela. C’est évident qu’il l’a remarqué. Et qu’il panique, à l’idée de perdre quelqu’un d’autre.

La culpabilité m’étreint le cœur.

« Est-ce que mon très galant et angoissé voisin aurait quelque chose pour me requinquer ? »

Elle oscille entre l'aveu de sa faiblesse, et cette fierté mal placée, qu'elle érige entre nous pour sauver les apparences. Mais à qui croit-elle avoir à faire ?!...
Je lui adresse un regard qui résume ma pensée, avant de m'entêter à la porter entrer mes bras.

Préserves tes forces.

Et sans lui laisser le choix, je l'amène en direction de ma réserve, où trônent encore maints élixirs, onguents et plantes conservées. Rien à voir avec mon ancien laboratoire, mais une base pour les soins d'urgence.
Avec douceur, je la dépose sur une couche dont je me sers, d'ordinaire, pour piquer un somme improvisé, avant de partir en quête du remède tonifiant le plus puissant de ma collection.
Dos tourné, le regard perdu sur les pots numérotés, je finis par en ouvrir un, pour en renifler le contenu.

Tu as promis à Athéna ? Tu lui a adressé une prière, tu veux dire ?

Je trouve enfin les quelques plantes appropriées, et commence à les moudre jusqu'à en faire de la poudre, que je mélange à un élixir parfumé au miel. De quoi atténuer le goût atroce de la concoction. Et relativement satisfait de mon œuvre, je la porte aux lèvres de mon amie entêtée, avant de légèrement relever son masque, sans dévoiler ses traits.
Ceci fait, j'approche mes doigts de sa carotide et grimace en sentant un pouls bien trop faible et erratique.

Je vais te préparer plusieurs élixirs curatifs d'avance. Je pars à Constantinople, dès demain, pour une mission.

Mais à voir son état, j'hésite à repousser mon périple. Savoir qu'elle pourrait ne plus être là à mon retour fait naître une angoisse qui me serre la gorge.

Pas de doute, le sang des O’Bannon coule bel et bien dans ses veines. Aussi entêté que moi, je retiens un long soupir. Et le laisse faire sans pour autant m’abandonner totalement à ses bons soins. Je suis attentive à ses gestes, fais bien attention qu’il n’essaye pas d’en profiter pour faire voler en éclats cette mascarade. Pas par manque de confiance, mais justement parce que, s’il est vraiment comme moi, eh bien… il serait capable de ce coup d’éclat.

Comme moi. Non, Kilian, par chance, ne possédait pas mes plus sombres défauts. Tandis que je l’observe avec un mélange de suspicion et de tendresse, je bois sans me faire prier, cette drôle de substance qu’il m’a concoctée. Mes lèvres, encore visibles, se tordent à cause du goût. Heureusement que le miel est là pour tout adoucir.

Je lui souris alors, laisse ma main porter le masque au-dessus de ma bouche. Je lui réponds, enfin, sans pour autant que cette dernière ne se meut au rythme des mots que je libère autrement. Par la pensée.

« Non, Athéna est venue me trouver et… » Je peux deviner la surprise chez le Verseau. Son annonce de départ, le lendemain, m’interrompt dans mon élan. Les confessions que j’étais sur le point de faire. « Une mission ? Childéric ne m’a rien dit. »

Cette fois, mes lippes se froissent à cause de ma sottise plutôt que l’amertume du médicament.

« Comment vais-je faire sans toi ? » déclaré-je sur un ton faussement alarmé pour tenter de noyer le poisson. « Pour combien de temps seras-tu partis ? Veux tu que je t’accompagne ? »

Les questions se bousculent, maladroites. Intérieurement, je me fustige. Quelle idiote ! Ce n’est pas la première fois que je laisse entendre une certaine proximité avec notre Grand Pope… À moi de me montrer inventive. Il ne doit pas savoir. Lesath a deviné à cause du sang. Kilian ne doit pas savoir qu’il est du mien. Savoir que je suis sa sœur.

Sa demi-sœur.

« Oublie ça, je me sens déjà beaucoup mieux. Tu es un vrai magicien. Ça devrait suffire. »

Mais lorsque je tente de me relever après avoir replacé mon masque, je sens le monde tourner. Je bascule en avant.

Trop tard. Cette seule phrase m'a heurté avec autant de force qu'un bélier contre une porte de bois.
Elle tente de noyer le poisson (un comble), mais cela sonne faux. Creux.
Elle, si fière, si prompte à jouer les forces de la nature tente de me faire croire qu'elle a besoin de moi, de ma présence. Alors qu'à peine quelques instants après, elle joue dans le sens inverse.

Aucune potion ne peut agir aussi vite...

Je me suis presque insulté qu'elle puisse me croire aussi naïf.
Le visage fermé, je la laisse tomber en avant, sur moi, avant de la réceptionner avec fermeté. Je saisis ses épaules, la recule un brin, et plonge un regard peu amène dans le sien.

Je ne vois que peu de raisons qui justifierait que... "le Grand Pope" Childéric... te livre le détail des missions des autres chevaliers d'or.

Et je l'oblige à reprendre place sur la couche, avant de me reculer, bras croisés.

Je m'appelle Kilian O'Bannon. Je suis un fils bâtard d'une lignée noble d'Atlantis, et je suis assassin et alchimiste depuis l'âge de neuf ans. J'ai grandi sans père, avec ma mère et mon meilleur ami comme seule famille, et j'ai tué froidement quatre-vingt douze personnes, hors temps de guerre. Je connais les bases de la magie noire, et je suis un médecin qui pleure quand un patient meurt. J'ai subi une dizaine de tentatives de meurtre, dont une le jour de la remise de mon armure d'or. Et j'ai tué mon frère de cœur, avec l'aide du dieu Hermès. Voilà, tu sais tout de moi.

Je la défie du regard. Borné, entêté, vexé. Rejeté.

Soit tu te méfies de moi, soit tu me prends pour un imbécile, Morwenna. Plus ton état s'aggrave, et plus tes secrets sont en péril. Accepte-le, et saisis les mains tendues pour te soutenir, au lieu de gaspiller des forces à garder intacte les apparences. Je suis ton ami, non ?... De quoi as-tu si peur ?

Mon air sévère se dissipe pour laisser place à une figure lasse, alors que je relâche un soupir.

Je te préfère en rousse.

Et je désigne du menton, un coin de sa chevelure d'où s'échappe une mèche écarlate.

Je retiens mon souffle, ose soutenir son regard inquisiteur, par pur réflexe provocateur, par fierté. Celle-ci m’enchaîne et fait naître des sentiments que je pensais tût. Je tente de reconstituer le masque qui glisse et menace de tomber.
Il est en colère, encore, et je le comprends. À sa place, j’aurais pris des mesures plus drastiques. Je remercie tous les dieux de l’Olympe que Kilian ait plus de retenue que sa pauvre et sotte sœur !
Mes épaules s’affaissent. J’écoute le résumé de sa vie, lâche, d’un air désinvolte :

« Je dois être impressionnée ? »

Toujours assise, mon aura s’enflamme et mon cosmos se manifeste avec une puissance inouïe. Bridé jusqu’ici, mon pouvoir se déploie telle une vague qui vient s’échouer contre le Verseau.
Entre nous, une mer écarlate s’élève. Des pétales dansent dans les airs, libérant un parfum mortel. De magnifiques roses rouges s’épanouissent et leurs ronces érige une distance salutaire.

« Tu ne comprends pas. » J’affirme, d’un ton se voulant intransigeant. « Tu ne comprends pas à quel point mes secrets pourraient tous vous nuire. Je ne PEUX pas. Je n’ai pas le droit de vous dire qui je suis. »

C’est là que je vois une petite mèche de cheveux valser dans mon champ de vision. Carmine, que je remets avec empressement. Et tristesse. Aussitôt les fleurs se fanent et se dispersent dans le vent.

« Tu dois dissimuler qui tu es aussi. Tu as une promesse à honorer et je ne permettrais pas qu’il t’arrive malheur. Tu es bien plus qu'un simple ami... » Je laisse de longues secondes filer avant de reprendre. « J’ai peur de moi-même. De ce qui pourrait arriver si… je te l’ai dit : je suis liée à une promesse. J’ai promis à Athéna, à notre Grand Pope. Personne ne doit connaître la vérité. Sinon… c’est la mort qui risquerait de tous vous emporter. De moi dépendent des vies innocentes. Si je les trahis, alors j’aurais tout perdu. »

Je n’essaye pas de l’effrayer. Je lui délivre qu’une partie de la vérité.

« Je suis Celle-qui-précède-la-Mort. »

J'étais resté de marbre face à sa vindicte, et son agressivité. Un pas de recul, par réflexe devant ce déferlement, cette mer de violence.
Je suis bien plus qu'un ami ? Je tique sous cette affirmation, mais mon visage reste fermé. Dur.
Je crois comprendre, et je n'accepte pas. Comment me laisser enfermer dans cette bulle de protection qu'elle cherche à m'imposer ? Je m'y refuse. Personne ne prendra plus de décisions pour moi. Personne ne fera plus de moi une lame aveugle.
J'attends qu'elle termine, et ma voix résonne, froide comme la mort.

Moi, je suis celui qui la donne...

Et en écho à l'assaut de Morwenna, mon propre cosmos explose dans un blizzard qui gèle aussitôt, murs, sol et dalles face à moi. Je reste là, debout, bras croisés, regard reflétant mon outrage.

Tu ne me laisse pas le choix. Tu en a trop dit.

Je lève alors la main, et un pentagramme illumine aussitôt le plafond d'une lueur indigo. Gravé dans la roche, la figure s'active par mon seul ordre, nous enfermant dans une cercle de lumière froide.

IANUA ANIMA MEA (Porte de l'âme)

Et la pièce change, dans un éclat éblouissant.
Lorsque je retrouve l'usage de ma vue, ou du moins de mon troisième œil, je hausse un sourcil d'étonnement. Le pont d'un navire ? Que faisons-nous ici ? Quelle importance a donc ce lieu pour Morwenna ? Je reviens alors sur mon amie, probablement perdue.

C'est un sortilège que j'utilise lorsque j'ai besoin d'explorer mes souvenirs, de faire une introspection. Pratique, non ? Il permet d'ouvrir les portes du subconscient et de la mémoire. Je me contenterais de rester aux frontières de ton esprit, par respect pour toi. Mais... J'ai besoin de comprendre, et c'est le seul moyen pour éviter que tu ne rompes ta promesse.

À peine les mots, terribles, sont prononcés que je me lève d’un bond, mon sang battant à mes tempes. Il est déjà trop tard, et le piège se referme. La glace prend possession des lieux, de mon corps. De mon âme. Elle se glace, comme mes deux yeux écarlates.

« Comment oses-tu ? » déclaré-je d’une voix brisée. « Laisse-moi sortir d’ici. »

Et une lumière nous avale tous les deux, invoquant un glorieux silence. Quand mes yeux peuvent se rouvrir sans en souffrir, je détaille un paysage aussi familier que douloureux. Les souvenirs me submergent, me laissent déboussolée.
Vaincue.

« Par respect, tu dis ? Ah, ah, ah ! » Je me gausse. Il se moque de moi ? « Mais je t’en prie, fais comme chez toi. Je n’ai de toute façon pas la volonté de m’y opposer. Moi qui te prenais pour un homme délicat. Où est le respect, explique-moi ? Je dois te supplier, c’est ça ? »

Mes mâchoires se crispent.

« Sache que je n’ai jamais ployé devant qui que ce soit. Alors je te préviens, si je dois me battre et mourir pour protéger mes secrets et mes mensonges, je le ferai ! »

J’en appelle aux étoiles, concentre mon pouvoir. Non pas celui des Poissons mais bien celui que le Prince de l’île aux Cieux m’a enseigné. Une brume, bleue et évanescente surgit et galope sur le pont de mon navire. Après tout, je suis la Capitaine de mes pensées et de la Rose Sanglante ! Que l’on tente d’investir les lieux… je ne peux l’accepter !

Ma silhouette disparaît de sa vue. Pas ma voix qui résonne et tente de percer ses barrières psychiques. Il peut entendre des voix qui s’élèvent partout et nulle part à la fois. J’en appelle à mes sœurs… Qu’il fasse le moindre geste et les sirènes se jetteront sur lui pour le dévorer !

« Tu es peut-être un bâtard, un alchimiste, un assassin, un meurtrier, j’en ai rien à foutre. Tu vas sortir d’ici ou je te jure que tu vas le regretter. Ton pouvoir n’est rien face à celui d’une Sorcière Bleue. »

Il voulait des réponses, il allait en avoir ! Mais je lui laisse encore une chance de se ressaisir… ultime sommation.

Spoiler:

Je l'écoute m'abreuver d'infamies. Se rebeller contre mon intrusion. Sans qu'elle comprenne que je n'ai pas d'autres choix. Elle parle elle même de mensonges et de secrets. Croit-elle que je resterais sagement à attendre qu'elle se fasse dévorer par leurs crocs ?
Elle menace, déploie un pouvoir antique, dont l'ampleur m'effraie autant qu'il attise ma curiosité d'alchimiste. M'emparer de cette connaissance, la décortiquer pour la comprendre... Non. Plus maintenant.
Elle se volatilise, tente d'embrumer mon esprit. Je perçois des présences tout autour de nous. Mais cette fois, je suis prêt. Et elle me sous-estime, comme d'habitude.

Ton arrogance te perdra.

Et je déploie mon cosmos pour geler l'air ambiant. Pour étreindre son esprit d'un froid engourdissant. Celui de la mort. Dans l'ombre, mes yeux scintillent d'une lueur bleutée, alors que ma chevelure s'élèvent dans mon dos, portée par le vent de mon outrage.

Dans ma contrée, les sorcières finissent au bûcher ! ICE CURSE !

Spoiler:

La sorcellerie se déploie, prête à engloutir mon adversaire à mesure qu'elle s'entêtera à me vouloir du mal. Morwenna ne me laisse plus d'autres choix...

Et toi ? M'as-tu déjà respecté ? Empêtrée dans tes mensonges, tes ruses ! Que sais-tu de moi, quel est le lien qui nous uni ?! J'aurais ma réponse !

Alors que je m'apprête à balayer la brume d'une nouvelle onde gelée, une voix résonne dans mon dos, me faisant écarquiller les yeux de surprise. Mais comment ... ?

Spoiler:

Hey, moussaillon ! Personne n'emmerde ma capitaine...

Et je bondis de justesse, pour esquiver une poignée de projectiles qui viennent se planter sur le pont. Des.. Cartes ?! Je me retourne et avise un bellâtre, pas plus vieux que moi. Vêtu tel un pirate, il me nargue d'un sourire diabolique. Et dans sa main, de nouvelles cartes semblent prête à fondre sur moi.
Cette apparition est-elle un produit de la mémoire de Morwenna ? Une sorte de protection naturelle, instinctive ? C'est bien ma veine...

Mais qui es-tu ?!

L'inconnu explose d'un rire qui me place aussitôt en garde. Sous ses dehors charmeurs et mondains, je devine la pire des perfidies.

Le diable sur son épaule...

Le sous-estimer ? Un O’Bannon ? Certainement pas. Mais je désire le pousser dans ses retranchements, voir de quel bois il est fait. Je me dérobe, faisant ricocher le froid, insidieux, contre une nouvelle onde cosmique. Tant pis si je me dévoile, je danserais une ultime fois s’il le faut !
Dans ma main, ma lance se matérialise.
Il est sur le point de répliquer et alors que je suis prête à le cueillir, je sens mon corps me trahir, ma vue se troubler une nouvelle fois. Je peste intérieurement.

Sur le point d’être fauchée de sa vindicte, je m’immobilise. Ce n’est pas possible. Sous l’ombre de mon masque, mes prunelles s’écarquillent. Un sourire, matois, grandit.

« Un beau diable sur mon épaule. » souligné-je en détaillant, avec nostalgie, l’image d’Endymion. « Tu arrives toujours à point nommé, mon cher. »

Le voir, même ainsi, est un crève-cœur. Le poids du mensonge est lourd à porter. Il me manque tant… et comme si cette apparition m’appartenait vraiment, il s’avance et m’offre son bras pour m’aider à me redresser.

« Merci, Endy’. »

Ma main serre avec affection son avant-bras. Et, tandis qu’il se met en garde, prêt à me soutenir, moi, je décide de me libérer un tant soit peu. D’un geste vif, j’arrache la perruque et la lance aux pieds de Kilian. Librement, ma longue chevelure rousse se déploie dans mon dos. Oriflamme, elle symbolique toute la flamboyance qu’il me reste, là, au creux de mon être. Ce feu inextinguible.

« Brûle-moi si ça te chante, tu n’obtiendras pas plus de moi. Tu expliqueras mon trépas au Grand Pope. Tu lui diras que j’ai tout fait pour préserver ce qui devait l’être. Mon devoir, son Rêve. Ma liberté. »

J’écarte les bras et laisse tomber mon arme, en signe d’abandon. Oui, je préfère laisser la mort m’emporter plutôt que de voir tout être emporté par ma faute.

« Je suis préparée à ce sacrifice, de toute façon, je suis déjà condamnée. »

J’observe tristement mon ancien Second.

« Lui le savait mieux que quiconque. »

Spoiler:

Deux contre un. Soit.
Son âme se défend, elle lutte contre moi. Et cela m'exaspère au plus haut point. Pourquoi tant d'entêtement ? Jusqu'où aller pour obtenir gain de cause, et enfin cette vérité qui me glisse entre les mains ?
Elle me défie, son étrange allié à ses côtés. Si proches...

Je vois... C'est donc cet homme qui m'a précédé... Lui aussi tu lui a menti, comme tu le fais avec moi ? Pour le "protéger" ? A-t-il au moins eu le choix, ou lui as-tu imposé ?

Car, je n'entrevois pas d'autres explications. Combien d'amis perdus cette femme a-t-elle affligé ? Avant de les fuir, sans leur demander quoi que ce soit.
Elle abandonne enfin cette perruque ridicule pour dévoiler le feu de sa réelle chevelure. Ce brasier qui symbolise sa propre vie. Mais mon air ne change pas. Froid.
Je suis la glace des ténèbres, là où elle semble brasier de lumière et de vitalité.

J'expliquerais au Grand Pope que tu es morte comme tu as vécue. Seule, empêtrée dans tes secrets et les ombres de tes propres leurres. Rejetant ceux qui tiennent à toi. Ne leur laissant aucune chance de t'aider.

Ecoeuré, dégoûté par cette attitude, je lève lentement les mains vers le ciel, avant de les joindre en coupe.

Ce sacrifice te plaît, n'est-ce pas ? Au lieu de lutter contre le mal qui suinte en toi, tu préfères ruiner tes dernières forces pour courir vers ta fin. Sans te soucier de la peine que tu causeras dans ton sillon de sang et de renoncement. Elle est si belle ta liberté... Qui consiste à ôter celle des autres par tes silences.

Mon cosmos s'embrase, alors que la glace recouvre d'un coup le sol du navire, qui tangue de plus en plus. Je n'ai vraiment plus envie de jouer. Elle me dévisage, et à ses côtés, le pirate semble prêt à m'attaquer. Mais la glace le cloue au sol. Temporairement.

Maudits soient les O'Bannon...

AURORA EXECUTION !

Et je déchaîne mon arcane la plus redoutable, sans l'ombre d'une hésitation. Je vois le pirate briser le gangue qui entrave ses mouvements pour venir se jeter devant l'onde glacée, avant que l'illusion ne se dissipe.
Aurais-je fait la même chose pour elle ?

...

Spoiler:

Je me tiens dos à elle, occupé à chercher de nouvelles plantes dans mes innombrables pots de terre. De manière à lui cacher mon visage brisé par la déception et une peine sincère. Je n'ai pas forcé la porte de son âme. Pas dans son état. Face à sa détermination, j'ai renoncé avant d'aller trop loin. De cette expérience, je retiens un nom : "Endy". Peut-être que si ce sale type est encore en vie, je pourrais lui extorquer l'une des clés du secret Morwenna.

Ton corps est à bout. Deux élixirs par jour, au lieu d'un, devraient te permettre de le préserver, encore un peu. Je vais t'en préparer assez pour tenir durant mon absence.

Et je m'affère avec professionnalisme. Sommes-nous amis ? Elle dit davantage. Pourtant, je ne ressens nul amour charnel entre nous, mais une autre flamme.
Maudits soient les O'Bannon.

« Il n’est pas le seul. Et je ne regrette pas mes choix. » Parce que je l’ai fait par amour. Cela, Kilian n’a pas à le savoir. Dire que ses paroles ne m’atteignent pas serait un énième mensonge. J’accuse tout ceci en levant le menton. « Tu n’as pas à juger de ma vie, je ne l’ai jamais fait avec toi. »

Je gronde, atteinte dans mon orgueil. « Non, je ne suis pas seule dans mon malheur, et c’est bien cela le problème. »

Il lève ses mains vers les cieux qui se parent de lourds nuages noirs. Le vent se lève et s’écrase sur nous. L’océan se met en colère en réponse aux gestes du Verseau sur le point de rendre son verdict. Et d’endosser le rôle du bourreau.

« Détrompe-toi. Je lutte de toutes mes forces. Tant pis si je froisse des egos, écorche des cœurs, empoisonne les esprits. »

Mon cosmos s’envole aussi, s’élève à son paroxysme. Je suis reine en mon royaume et il ne me laisse pas d’autre choix que de le balayer. L’obscurité vient en même temps que la glace. Mon cher ami s'efface. Le chant de la mer s’extirpe d’entre mes lèvres. Avant que l’illusion ne prenne fin, je l’entraîne dans les profondeurs abyssales, lui laisse entrevoir quel être redoutable je suis. Qu’il imagine un peu si j’étais en pleine possession de moi…

Cette vision cauchemardesque d’un être sombre aux yeux écarlates s’efface subitement pour laisser la place à une femme, perdue au milieu d’une pièce. D’une maison, un petit cocon de chaleur. Elle chante, penchée sur un berceau où sommeille un enfant.

Derrière lui, une porte s’ouvre et une grande silhouette, indéfinissable, comme le visage de la dame aux cheveux de feu, fait irruption. Elle l’accueille d’un sourire et tout s’efface.

***

Je me contente de hocher la tête. La chanson s’est achevée dans un souffle. Ma gorge se serre. Le voilà mon sacrifice. Voir souffrir tous ceux qui croisent ma route. Je l’ai accepté.

« Tu peux maudire ta famille autant que tu le veux. Reste qu’il n’y a que sur elle que tu peux compter. »

Là-dessus, je me redresse en titubant.

« Un jour, tu comprendras. Bonne chance pour ta mission et... merci. J’enverrai quelqu’un pour tes remèdes. »

Spoiler:

Ses mots viennent confirmer mon sentiment. Et je suspens brièvement mon geste, le temps de digérer cette hypothèse devenue certitude.

Et toi ? Comptes-tu sur ta famille ?

Deux faces d'une même pièce. Glace et flamme. Ombre et lumière. Écarlate et azur.
Frère et sœur.
La réponse est là, je le sais désormais. Je sens un lien invisible devenir tangible, et ma gorge se serre d'une émotion que je ne comprends pas. Alors je me tais. Je l'entends se relever, avant de m'adresser ses adieux.
Et un soupir d'agacement s'échappe de mes lippes, alors que mes épaules s'affaissent.
Je me retourne, le visage sillonné de larmes silencieuses, la moue boudeuse. Je me dirige vers elle, et lui tends une fiole remplie d'une énième potion curative. Puis, je lui saisis le bras, avec douceur, et l’entraîne de nouveau vers le lit improvisé qu'elle vient de quitter.

Tu n'es pas encore en état de bouger. Bon sang, mais ne peux-tu pas laisser mes élixirs agir au lieu d'en demander toujours plus à ton corps ? Reste ici jusqu'à l'aube ! Ordre du médecin...

A peine a-telle repris sa place alitée, que mon armure se détache de mon corps pour venir se poser dans un recoin de la pièce. Gardienne paisible.
Je me détourne pour aller allumer une bougie, et saisir un grimoire, après quelques instants d’hésitation.
Ceci fait, je prends un tabouret et viens me poster prés d'elle.

Bon... Il était une fois... Une fille de Poséidon qui se lassait de vivre sous l'océan. On disait qu'elle était capable d’envoûter chaque homme au premier regard, et que sa chevelure flamboyante rivalisait avec l'éclat du soleil. Un beau jour, la petite naïade décida de nager jusqu'à la surface, et croisa un navire, voguant vers Athènes. A son bord, un prince...

Et je restais là, à veiller sur elle en lui contant des histoires de la mythologie.
Comme je l'aurais fait d'une parente malade.
Comme je l'aurais fait d'une sœur retrouvée, que je ne désirais pas perdre.

Ma famille. Elle s’est autrefois résumée à Lucius, un homme monstrueux responsable de tous mes maux. Puis mon équipage, Endy et tous les autres. Je m’étais sentie mère, en quelque sorte, pour la toute première fois lorsque j’ai pris possession de la Rose Sanglante.
Avant de rencontrer mon sang. Mon père, Aoden O’Bannon. Je ne peux pas dire que je le porte dans mon cœur. Nos rapports furent pour le moins tempétueux, mais je sais qu’il me portait un amour inconditionnel. Enfin, à la manière d’un O’Bannon pourrait-on dire.
Ma famille. J’en ai constitué une avec Childéric. Si nous sommes restés unis, il manque une clef, primordiale. Tout un pan de ma personne manquait et creusait un gouffre avec le reste du monde. C’est pour mon enfant que j’ai fait tout ça.

« Oui. » affirmé-je donc avec conviction, dardant mes yeux dans les siens. Partageant ses sentiments qu’il n’est pas difficile de deviner. Il me retient, m’entraîne et m’intime à me rallonger. J’obtempère, dans mon état, je ne serai pas allée bien loin. « Bien, capt’ain. »

Je le regarde faire son petit manège, ne désire pas rompre le silence. Il le brise de lui-même en me narrant une histoire. Je ferme alors les yeux, ce conte évoquant ma propre vie.
La nuit s’étire et je le laisse parler. La colère s’est-elle totalement dissipée, comme les brumes ?

Je le crois.

Bercée par le son de sa voix, je finis par m’assoupir. Je dors, sans être perturbée par le dieu des rêves. À mon réveil, il est toujours là et l’aube n’est pas encore venue.

« Kilian, tu crois que la petite naïade finira par vivre heureuse et en paix ? »

J’ai décidé de briser le silence et de libérer ma voix. La vraie, pas celle de l’esprit.

Spoiler:

Elle se laisse faire, et j'en suis soulagé.
Protégé dans un étrange cocon d'intimité, nous restons là, elle allongée, moi à ses cotés. Gardien fidèle.
Je la berce de ce magnifique conte, que je redécouvre moi même. L'histoire est belle, pleine de chaos, de suspens, d'épreuves et de leçons.
Et je m'en abreuve autant qu'elle.
"Morwenna" finit par s'endormir paisiblement, mais je ne stoppe pas ma lecture pour autant. Car je sais, qu'à travers les brumes de ses songes, elle m'entend. Et je lui prodigue ainsi la chaleur de notre lien ravivé.
Et au détour d'un chapitre, sa voix, la vraie, m'interpelle.
Je referme lentement le grimoire, et lui adresse un sourire empli d'une conviction de façade.

Comment pourrait-il en être autrement, alors qu'elle est entourée de tant d'amour ?

Et je réaliste alors que je crois en ma prophétie.
Impossible de lui promettre une longue vie, vu son état et l'avancée de sa maladie.
Impossible de lui jurer ce que je ne peux contrôler.
Tout ce que je peux faire, c'est lui assurer que quoi qu'il lui arrive, elle restera accompagnée. Seul, nous ne pouvons ni être en paix, ni heureux.
Et je me sens plus impuissant que jamais. L'image de l’âme libérée d'Aorlin, volant vers les cieux en toute quiétude me revient. Et je souris de plus belle, malgré mes peurs.

En fait, j'en suis persuadé.

Je me penche, et l'embrasse tendrement sur le front.
A défaut de pouvoir soigner ceux que j'aime, je peux au moins leur tenir la main. Et être présent.
Je ne suis plus celui qui donne la mort, mais son ange. Celui qui accompagne celles et ceux qui obtiennent son unique baiser.
C'est déjà mieux que rien.

Il a raison, comment pourrait-il en être autrement ? J’envisage une fin similaire, loin de celle que j’ai tissée. J’ai simulé une mort atroce pour me libérer de mes chaînes. J’ai fait semblant et fait souffrir tous ceux auxquels je tiens.
Revoir Endymion se manifester dans ce voyage m’a fait comprendre à quel point j’ai été égoïste. Prudente ? C’est ce que j’ai voulu me faire croire. Alors qu’au fond, peut-être m’aurait-il compris ? Épaulé ? Non. Ce secret, surtout pour lui, aurait été trop dur à porter.
Je l’aurais mis dans une situation inextricable. Je soupire, je ne sais plus quoi penser. Mes convictions vacillent.

Mais je me raccroche à ce que je peux. À ce que j’ai, ce que je gagne. En l’occurrence un frère.

La tempête est passée. Elle est derrière nous. Maudits O’Bannon… il a bien raison. Nous sommes de sacrées têtes de mules. Des cœurs francs, en quête de liberté et de paix.

Soudain, il me surprend d’un baiser sur mon front masqué. Ce geste, tendre et spontané me fait redresser vivement la tête dans sa direction. S’il pouvait lire les expressions de mon visage, il aurait pu y lire le plus grand des bouleversements. Des larmes, un vrai et magnifique sourire. J’ai un frère. Une famille.

« Merci de me supporter. Je ne suis pas une patiente facile, je le sais. »

Il y a des sens cachés dans mes paroles. Il est fort possible que maintenant, il nous arrive de parler en énigmes. Je regrette vraiment cette situation que je lui impose.

« Je te ferai lire aussi, de vieilles légendes perdues… mais… » Je lâche un grand bâillement à m’en décrocher la mâchoire. « Au fait, tu pourrais m’apprendre ton truc du troisième œil ? C’est drôlement pratique… »

Cela tombe bien, je suis un médecin borné.

Je souris face à son sous-entendu. Voilà notre nouveau mode de communication.
Taire nos émotions sous des tombereaux de paroles à double sens. Ma foi... C'est mieux que les secrets.
Je me relève lentement, et me dirige vers la table la plus proche où trône un brasero. J'y place quelques brindilles, et allume un feu avec un silex, prévu à cet effet. Une fois les flammes vivaces, je place au dessus un support pour y faire chauffer de l'eau. Et après quelques minutes de frémissement, j'y jette une poignée de feuilles de menthe, qui viennent rapidement embaumer l'air ambiant d'une senteur piquante.

Tu dois survivre pour cela. C'est une sortilège d'alchimie de haut niveau, et il va te falloir étudier longtemps pour en maîtriser les bases.

Je me retournais alors, un sourire espiègle peint sur mon visage. Une fantaisie émotionnelle que je m'autorise enfin.

Il existe une règle fondamentale en alchimie : Le don équivalent. Je dois recevoir autant que je pourrais t'offrir. Ce sera l'occasion que tu m'en dise davantage sur la magie de la sorcière bleue. J'ajouterais bien cette corde à mon arc.

De vrais trésors de famille. Une transmission. Cela me faisait bizarre d'entrevoir toutes les possibilités qu'offraient ce lien nouveau.

Parfois, je me demande d'où je tiens cette aisance avec l'alchimie, justement... De not... mon père, probablement. Il faudra que j'essaie de me renseigner discrètement sur les Atlantes et leurs connaissances dans ce domaine. Ou que je passe directement par Hermès.

Je lâche un petit rire, sans rien ajouter de plus. Je l’observe faire un moment, à préparer ses décoctions, ses tisanes. Nous partageons cette connaissance des plantes. Je me demande à quel point son savoir est grand.
Survivre, c’est la première étape, oui. Et je compte bien y parvenir. Je suis au moins aussi entêtée que lui. Bornée. Reste qu’il est pragmatique, cela se comprend et je hoche de la tête. Je ne suis pas effrayée.

« Tu serais sans doute surpris. J’apprends vite. » Après tout, je suis une O’Bannon. J’avise son regard espiègle, que je rends. « Tu ne perds pas le Nord, toi ! »

Encore une qualité que nous partageons tous les deux. Je ne m’en offusque pas. Je réfléchis à la question en portant ma main sous mon menton de fer.

« Cet enseignement est secret. Il me vient de mon maître et cette voie est… féminine. Je ne sais pas si… après tout, les Sorcières Bleues sont destinées à entraîner les héros. Deviens définitivement le mien et je pourrais considérer la question. Et demander à Scáthach. »

Encore fallait-il que je me rende sur l’île aux Cieux. Ce qui était tout à fait envisageable. Un long voyage m’attend… je me fige à l’évocation d’Aoden. Puis d’Hermès.

« Ce serait trop dangereux. Autant auprès du Dieu des Voleurs que d’un père prétendument décédé. N’oublie pas cette règle d’équivalence. »

Je marque une légère pause. J’hésite. « Tu m’as promis de te tenir éloigné des Atlantes. Ce ne sont pas des paroles en l’air. Je crois que ce serait encore pire que de frayer avec Hermès. D’ailleurs, je ne crois pas que tu m’aies expliqué en détail ta rencontre avec lui ? »

Je n’ose pas évoquer non plus sa crise de foi envers notre Déesse, aller plus avant dans mes avertissements en côtoyant de trop près une autre divinité… pas avant des explications plus profondes.

Devenir un héros ? Moi ?!
Cette perspective me fit éclater d'un rire franc.

J'ai les mains bien trop tachées de sang pour devenir un héros. Je n'en serais clairement pas digne. Mais je te remercie de la proposition.

Une fois le breuvage assez chaud,n j'en versais deux rasades dans des tasses de gré, avant d'y ajouter du miel. Je tendis l'une des deux à ma sœur nouvellement dévoilée et repris place sur la tabouret.

Devenir ton protecteur et ton allié me suffira amplement. Et te connaissant un peu... Je risque de ne pas m'ennuyer !

La sauver serait déjà prioritaire. Machinalement, je promenais mon regard sur son corps, sa gorge pour en chercher les stigmates. Oui, elle n'était pas loin de la fin, et cette seule idée me révulsa au plus haut point. Fort heureusement, Morwenna changea rapidement de sujet.

Ne t'inquiètes pas, je n'ai pas oublié ma promesse même si... Je ne comprends pas vraiment cette phobie des Atlantes.

Je relâchais alors un profond soupir.

Hermès était bel et bien responsable du saccage de mon laboratoire. La poule mystérieuse, tu te souviens ? Pour une raison que j'ignore, j'ai attiré son attention, et il a voulu me donner une leçon tout en m'attirant à lui. J'ai eu l'idée de le chercher dans la grotte où il est venu au monde, selon la mythologie. Et nous avons joué à un jeu... Un jeu des âmes... Il a lu la mienne et m'a encouragé à offrir la paix à Aorlin pour que je puisse reprendre le cours de ma vie, au lieu de stagner face à un mur infranchissable.

Une réponse attendue. Je secoue la tête, signe de mon désaccord tout en prenant le récipient chaud entre mes doigts gourds. « Avec ce raisonnement, les héros n’existeraient pas. Il ne faut pas être naïf en pensant que les héros soient exempts de défauts. Ou pur. C’est un homme comme les autres, quelqu’un qui sera digne de recevoir pareils enseignements. »

Je l’évalue d’un coup d’œil alors qu’il poursuit sur un autre sujet. Être mon protecteur et mon allié ? Tout un programme ! Je lâche un rire, vraiment amusée par cette perspective.

« Certains s’y sont essayés, oui… » Je m’assombris brusquement en pensant à mon équipage. À un homme en particulier. Celui que mon cœur n’aurait jamais pensé voir porter le titre de traître. Old John… Ma gorge se serre. Aujourd’hui encore, le souvenir de son infamie étrangle tous les autres moments passés avec lui. Je découvre que je suis encore enchaînée à ce passé. Mais je souris. « Bon courage en tout cas ! »

Pour le reste, il comprend, je crois, la dangerosité d’approcher l’Océan. Qu’il se garde donc de ce royaume. Quant à lui expliquer ma « phobie » ? Ce serait lui révéler trop d’un coup. Et Hermès revient sur le tapis, me donnant une raison de me taire. Ce que Kilian me révèle me conforte dans mon idée première : celle de ne pas en dévoiler trop, il se pourrait que l’air possède des oreilles indiscrètes…

« Alors il a envoyé une poule ? » J’explose d’un rire sonore, à m’en faire mal au ventre. Je finis d’ailleurs par être prise d’une quinte de toux qui me secoue. « Pardon, je n’imaginais pas du tout cette divinité jouer de la sorte. »

Je reprends mon sérieux. Il est question de son frère de cœur et je ne veux pas qu’il soit amené à penser que je me moque de lui et de son chagrin. Je relève un peu mon masque pour boire. Mes lèvres sont sèches et sentir la chaleur du liquide m’envahir me fait pousser un soupir d’aise.

« Je vois… Et que t’a-t-il demandé en échange ? »

Je n’ai pas oublié ce principe d’équivalence dont il m’a parlé. Et je suis curieuse de savoir pourquoi Hermès s’intéresse de près à mon frère. Quelque chose me dit que ce n’est pas une bonne chose…

Être ou ne pas être un héros.
Voilà une réflexion qui méritait qu'on s'y arrête. Mais Morwenna ne pouvait comprendre le fardeau que je portais sur mes épaules. Ces années de crime... Non, assurément, je n'allais pas entrer dans la catégorie des héros. Si je parvenais déjà à obtenir ma rédemption, ce sera un bien.

Oh, je n'ai pas dit cela... Mais je ne suis pas un homme comme les autres. Mon passé sombre m'a fermé ce type de porte. J'essaie de me racheter, et j'ai déjà du mal à m'en satisfaire.

Un sourire triste, vite remplacé par un visage plus apaisé. Déterminé. La mélancolie ne m'apporterait rien de bon.

Certains, hein ? Qui donc ? Le Grand Pope, lui même ? Ou ce pirate bellâtre insupportable par exemple ? Qui est-il ?

Sous-entendu, mort, vivant, autre ? Autant profiter de cet échange apaisé pour en savoir davantage sur la femme masquée. Non par curiosité malsaine, mais par réel intérêt pour elle.
Et le sujet Hermès revint aussitôt sur la table.

Eh bien... Formellement, rien. Il m'a placé devant un choix. Je suppose que mes talents doivent avoir un intérêt pour lui, mais j'ignore encore lequel pour être franc. Je vois notre entrevue comme une sorte de test... Et il me plaît de croire qu'il a fait preuve d'une sincère compassion à mon égard, en accompagnant Aorlin dans la mort... On aurait dit que son âme apaisée volait vers les cieux...

Une vision que je garderais toujours en mémoire.

« Je suis comme toi, et pourtant… »

Je le regarde avec le plus grand des sérieux. Qu’il ait du sang sur les mains je m’en fiche. Je serai bien mal placée pour juger de son histoire. La mienne est tout aussi entachée. S’il est un assassin, un bourreau, que suis-je, moi ? Une menteuse, une manipulatrice, une meurtrière aussi ? Tant de qualificatif que ma mentore à décidé d’écarter. Parce que je sais que ce n’est pas cela qui importe. Je le ferai comprendre à mon frère. Quand il sera prêt.

« Peut-être. » glissé-je avec un sourire dans la voix à ses premières questions. « Insupportable ? » J’explose d’un rire sonore. « Pauvre Endymion. Tu le juges bien injustement… quoique ! »

Je me rembrunis un peu à son souvenir. À l’instar de Childéric, quel homme est-il devenu depuis ma disparition ? Je ne l’imagine pas plonger comme mon Rêveur, sans doute m’a-t-il effacé de sa mémoire, voguant sur mon navire, enfin libéré de ma présence, heureux de posséder enfin mon navire !
Mon beau Diable me manque.

« Il était mon Second, quand j’étais encore une fille de la mer. » Sur cet aveu, je le laisse me répondre à son tour. Hermès est bien mystérieux. « C’est un Dieu psychopompe, de ce que j’en sais. Mais il est aussi celui des Marchands et des Voleurs, garde en tête qu’il a sans doute des visées bien concrètes te concernant ! »

J’ai un geste tendre et compatissant pour mon frère, une main posée sur son épaule.

« Tu devrais aller dormir un peu, l’aube vient et tu es missionné. »

Je ne voudrais pas qu’il lui arrive quoi que ce soit par ma faute. « Sois prudent, d’accord ? Et retrouve-moi à mon Temple pour un compte-rendu détaillé ! Je vais préparer quelques amphores. Le vin d’Airôth est le meilleur qui soit. »

Surtout volé.

Je le serre dans mes bras avant de quitter Kilian. La chaleur de nos retrouvailles.