[Mi-Mars 553] Dans la vallée... J'ai pu entendre les échos [PV Dana]

Un appel au creux de la nuit. Un besoin de communion avec la nature pour se ressourcer après une journée mouvementée. Entre l’ambassade auprès des Asgardiens et la rencontre imprévue d’un Oracle avec lequel il avait fini par écluser quelques bières, il avait sa dose de situations délicates et besoin de reprendre contact avec les forces environnantes. Il s’était donc extirper de la ville et de son grouillement incessant qui lui était devenu quelque peu oppressant.

L’appel de la forêt. Des bois situés non loin de la cité. De ce qu’il avait pu comprendre depuis qu’il était là et de ce qu’Eireen avait pu lui raconter sur sa culture, ils étaient considérés comme un lieu sacré, d’échanges ancestraux avec les esprits. Et ces justement ces derniers qu’il avait souhaité rencontrer. Il savait, pour l’avoir expérimenté depuis Axoum, que la lumière intérieur des êtres était aussi variée que les physiques des individus. Et sa curiosité naturelle l’avait amené à vouloir découvrir les nuances de celle de la faune et de la flore des environs avant de regagner le Sanctuaire.

Mais il n’avait pas prévu cela. Etait-ce le fait de sa présence en ces lieux normalement interdits au commun des mortels ? Un cosmos s’était éveillé. Il en était persuadé. Ces bois avaient donc un protecteur. Bon, bien sûr, il aurait pu appeler immédiatement à lui l’armure de la Vierge pour venir lui prêter main forte, mais cela risquait d’une part d’attirer l’attention et, d’autre part, d’être perçu comme une attitude belliqueuse. Et c’était la dernière chose dont les serviteurs d’Athéna avaient besoin. Être considéré comme des va-t-en-guerre.

Il opta donc pour une réponse plus douce et paisible, laissant son aura dorée se déployer avec douceur comme le chant d’un oiseau peut répondre à un autre pour le guider. Mais il sentait comme une déformation dans ce chant, comme s’il était étouffé et possédait plusieurs échos. Des illusions visant à égarer ou à détourner les dormeurs ? C’était une possibilité à ne pas exclure.

Mais qui ? Et pourquoi ? Kaleb avait bien entendu parlé des druides, ces chamans locaux, qui protégeaient un savoir ancestral transmis oralement et auxquels on prêtait ce genre de pouvoirs. Il était vraisemblablement sur un territoire sacré. Alors chercha-t-il la communion avec les habitants de la forêt pour prouver que ses intentions n’étaient que bienveillantes et visaient à retrouver la personne ou la chose qui émettait cette vibration.

Le cosmos de la Vierge permis à l’illusion de s’estomper jusqu’à ouvrir un chemin vers une clairière. Une assemblée d’hommes et de femmes, allant de la jouvencelle au vieillard, semblait suspendue à une vision la plongeant dans une certaine agitation. Et au cœur de cet essaim d’abeilles affolées, un chevalier. Ou plutôt une femme revêtue d’une armure. Et dont le visage était découvert.

Kaleb s’avança calmement vers elle, les membres de l’assemblée s’écartant sur son passage et dévisageant avec stupeur cet étranger à la peau d’ébène qui foulait le sol de leur lieu de culte. Il porta calmement sa main à sa poitrine et s’inclina en guise de salut.

«Veuillez pardonner mon intrusion dans votre cérémonie mai j’ai perçu votre appel au creux de la forêt. Auriez-vous besoin d’une quelconque assistance ? »

«C’est effectivement une armure sacrée… »

Le tout était de savoir à qui elle appartenait… Car Kaleb en savait trop peu sur les Oracles, les Berzerkers ou les Marinas pour pouvoir présager de la faction à laquelle la jeune femme devant lui s’était révélée. Il regarda l’urne ouverte située à quelques pas derrière elle. Il n’eut aucun doute. Une pandora box !!! Une armure d’argent plus précisément! C’était donc une sœur d’arme qui se tenait devant lui sans pouvoir… le voir. La demoiselle semblait aveugle mais pourtant parfaitement alerte quant à l’univers qui l’entourait.

La Vierge eut un sourire qui tenait autant du soulagement que de l’action de grâce envers le destin qui l’avait mis à cet endroit à cet instant précis. Etait-ce la volonté de la Déesse aux yeux pers ? C’était en tout cas un événement trop peu probable pour qu’il soit purement le fruit du hasard. Il entreprit donc de répondre à la femme, plus âgée, dont les traits, semblables à ceux de la jeune fille, trahissaient un lien familial.

«Je sers la Sagesse dont le rôle est d’apporter la paix et de veiller sur l’humanité… C’est à elle qu’appartient cette armure. Et c’est cette jeune femme que cette dernière a choisi… En raison de son… comment vous expliquer cela… son feu intérieur ? Je ne sais si vous croyez à la destinée, mais c’est la voie qu’elle devra suivre…»

Il avait essayé de répondre le plus honnêtement possible sans non plus dévoiler l’étendu de la réalité. La mascarade. Mais sans être éveillés, la plupart de ces personnes possédaient une connaissance de la nature et des énergies primordiales qui devait rendre intelligible ce que disait le gardien de la sixième maison.

Pour autant, il n’en rajouta pas davantage, conscient qu’il n’y aurait rien de bon à imposer plus longtemps sa présence sacrilège dans ce lieu où il n’était que toléré. Ho, bien sûr, il aurait pu leur dire qu’il était chaman, qu’il communiait lui aussi avec les forces de la nature et en comprenait certains secrets. Mais il avait conscience qu’il n’avait pas suivi le rite initiatique nécessaire pour que sa présence soit accepté et qu’il ne s’agissait en rien d’une quelconque histoire de compétences mais plutôt de traditions. Alors, il accepta sans broncher la proposition faite par la jeune aveugle et les exigences des anciens.

«Je vous suis…»

A quoi bon leur expliquer que, même privé de la vue, il percevait relativement bien le monde qui l’entourait pour peu que son cosmos puisse y entrer en résonnance ? Non. Il avait suffisamment suscité d’agitation pour le reste de la nuit. Il se laissa donc guider à travers les bois, sans pour autant trébucher ou se cogner. Si les personnes qui l’entouraient étaient un tant soit peu perspicaces, elles s’interrogeraient sur le comment du pourquoi. Mais c’était surtout avec cette jeune femme à la crinière flamboyante qu’il souhaitait s’entretenir. Et seul à seul si tenté que ce soit possible.

«C’est exact. »

Une simple phrase qui ne confirmait ni n’infirmait les paroles du vénérable. Après tout, qui était-il pour venir heurter ses croyances ? L’Unique était une couverture des plus confortables et il n’était celui qui devait révéler l’existence d’Athéna à la face du monde. Il avait donc opté pour cette affirmation qui validait à une supposition sans pour autant répondre aux interrogations.

La tradition... C’était, semble-t-il, la valeur première de cette vénérable caste de chamans de l’ouest. Ils devaient pratiquer une forme oralisée de cette dernière car, dans le cas contraire, des écrits les auraient renseignés sur la nature véritable du trésor qu’ils gardaient et de son légitime propriétaire.

Pour autant, il fallait répondre au mieux à leurs interrogations car ces dernières cachaient des incompréhensions, des craintes sur le devenir de la jeune femme.

«Ici et maintenant car l’armure a reconnu la lumière digne de la porter et de communier avec elle. Je n’ai pas la prétention de pouvoir vous expliquer ce mystère. Pourquoi une armure choisi son porteur à un moment donné, dans un lieu précis ? Pourquoi elle ? Je n’ai pas d’autre réponse à vous apporter que celle de vous dire que c’est la voie qui lui a été tracé. En revanche, si c’est le sens sous-jacent de vos interrogations, je vous fais le serment de veiller sur votre fille jusqu’à ce qu’elle me libère elle-même de cette promesse…»

Une attitude de mère, à n’en pas douter. Il prit la main de la matriarche et lui adressa un sourire bienveillant de compassion. Elle savait, instinctivement, que sa fille allait devoir les quitter. Etait-ce le fait de son infirmité ou juste l’instinct de protection d’un être que l’on a sorti de ses entrailles, élevé, guidé… Le chevalier de la Vierge l’ignorait mais il le comprenait dans son cœur et dans son âme. Toute une détresse de se confronter à cet arrachement inéluctable vers un ailleurs inconnu. Quel courage avait eu sa propre mère quand elle l’avait laissé quitter Axoum avec l’émissaire de la Déesse…

Mais l’heure n’était pas à la nostalgie.

«Je répondrais à toutes vos questions pourvu que seules vos oreilles puisse entendre mes réponses. Chaque ordre a ses règles et ses secrets. J’ai accepté de quitter votre Sanctuaire car je respecte infiniment les traditions. C’est pour cette raison que je demande à vos aînés de bien vouloir me laisser jusqu’à l’aube seul avec vous. Ensuite, vous pourrez retourner au cercle récupérer l’urne de la Coupe et faire vos adieux… »

Cette phrase ne souffrait aucune contestation, aucune forme de discussion. Pour autant, Kaleb était resté parfaitement doux et bienveillant dans son expression. L’armure d’argent de la Coupe. C’était donc elle qu’il avait trouvé. Et qu’il devrait ramener au Grand Pope. Maintenant, il convenait de convaincre sa sœur d’arme de quitter les siens…

«Si cela peut vous rassurer, la cécité de votre fille ne la mettra pas en danger. L’intendante et l’aide de camp de ma maison pourvoiront à son confort et à sa sécurité au quotidien. L’une d’elle a à peu près son âge et vient d’Hibernia. Cela facilitera son acclimatation. Vous pourrez dire à son père qu’elle vous reviendra temporairement dès qu’elle en aura le loisir…»

Rassurer une mère n’était pas chose aisée. D’autant quand cette dernière se comportait avec sa progéniture comme une louve avec ses louveteaux. Mais elle finit par lâcher prise et se plier aux exigences du chevalier d’or.

Kaleb laissa le petit groupe s’éloigner jusqu’à disparaître avant de se tourner à nouveau vers la jeune femme. Après l’avoir écouté attentivement sans dire un mot, il lui saisit délicatement la main et la porta sur son visage, la laissant l’explorer à sa guise. Lorsque ce fut fait, il reprit la parole avec douceur et calme, comme s’il ne voulait pas perturber la torpeur dans laquelle les bois environnants étaient plongés.

«Mon nom est Kaleb… Et je suis un chevalier sacré. Tout comme vous…. Mais avant de vous révéler quoi que ce soit… Que savez-vous des dieux de la mythologie grecque ? Des mythes et des légendes des peuples du sud du continent ? De la civilisation grecque ? »

Il la regarda avec douceur. Il sentait son inquiétude. Un sentiment légitime vu les conditions et le saut dans l’inconnu qu’il exigeait d’elle. Pour autant, il voulait savoir quel était l’état de ses connaissances. A la fois pour lui éviter un cours magistral ennuyeux mais aussi pour gagner du temps. Car, bien qu’il ait obtenu son attention jusqu’à l’aube, cela constituait un laps de temps relativement court pour condenser des années d’enseignement que lui-même avait reçu.

«Veuillez m’excuser de faire tant de mystère. Mais ceux qui ne possèdent pas l’éveil doivent ignorer notre existence. Ainsi en a-t-il été décidé aux premiers temps… Je n’ai rien contre les vôtres. Bien au contraire. Je pense que si nous en avions le temps, nous trouverions énormément à partager, particulièrement en ce qui concerne les mystères et les pouvoirs de la nature… »

Une manière détournée de lui indiquer que lui aussi était lié à la Terre-Mère. Et que les deux voies étaient loin d’être incompatibles. Une façon aussi de la rassurer sur sa possibilité à revenir vers les siens. Il tentait de se souvenir ce que, lui-même, étant enfant, avait pu ressentir et de ce qui avait pu le rassurer au moment de quitter le cocon familial. Le tact et la bienveillance était plus que jamais nécessaire.

«Un accident dans les rochers quand j’étais enfant…»

Une semi-vérité. Lesdits rochers ayant été projetés par Eunoia lors de son entraînement au sommet de l’Horeb. Mais ce n’était pas le genre de choses que Kaleb racontait au premier venu. D’autant plus s’il s’agissait d’un tout jeune éveillé, sujet d’une connexion spontanée avec son armure sans avoir eu la moindre formation au préalable. Il lui expliquerait en temps et en heure. Lorsqu’ils auraient pris le temps de faire connaissance.

Elle lui demandait de décrire ce qu’elle ne pouvait voir. La Vierge sourit et se prêta au jeu. Après tout, la curiosité et la soif de connaissance étaient deux qualités qu’il savait apprécier à leur juste valeur. Il décida donc de jouer carte sur table. Elle risquait d’avoir une sacrée surprise.

«Ma peau est noir comme la robe du corbeau, mes cheveux blancs comme celle de la colombe et mes yeux d’un bleu turquoise comme les eaux d’une mer chaude… »

Elle semblait avoir une connaissance de base des mythes et légendes mais sans donner au chevalier de la Vierge suffisamment d’éléments pour restreindre le champ de ses explications. Aussi décida-t-il de partir de la base. En synthétisant et en simplifiant. Les subtilités viendraient ensuite.

«Nous sommes les chevaliers sacrées d’Athéna. Les mythes et légendes des dieux de l’Olympe ne sont qu’une réalité romancée et transmise de générations en générations. La vérité est que ces êtres qui ont su s’éveiller à des puissances supérieures se réincarnent régulièrement dans notre monde. La présence que vous ressentez dans l’armure est une étincelle de son énergie que l’on appelle le cosmos. Votre armure est l’une des 88 au service de la Sagesse. Autant qu’il y a de constellations dans le ciel. Elle est vivante et porteuse du souffle de vie de notre Déesse ainsi que de tous ceux qui l’ont porté avant vous. C’est cette énergie qui vous a choisi car elle vous a jugé digne d’être la nouvelle gardienne de la Coupe… »

Il continua paisiblement son explication.

«Nous servons alors un même idéal. Une vision où les hommes bâtissent un monde de paix, juste et éclairé. Mais certaines divinités ne l’entendent pas forcément de cette oreille et ne portent pas à l’Humanité le même amour qu’Athéna. Ils ont leurs propres guerriers, cherchant pour certain à ramener les Hommes vers les instincts les plus bas ou tout bonnement à les faire disparaître de la surface de la Terre… »

Il eut une pensée pour les Spectres d’Hadès ou les Berserkers d’Arès qui illustraient parfaitement ce genre d’option. Quand elle évoqua son incapacité à se battre, il lui posa délicatement une main sur l’épaule.

«Il y a une multitude de manières de combattre ou d’être chevalier sacré. Athéna déteste les armes. En revanche, je suis certain que quand votre cosmos s’éveille, votre cécité ne constitue plus un obstacle pour appréhender le monde qui vous entoure, n’est-ce pas ? C’est ce que nous appelons le sixième sens… »

Puis vint la question de Camelot. Du Sacre. Du départ. Il n’éluda rien. Il n’en avait ni l’envie ni le temps.

«Vous n’êtes pas sans savoir que le sacre est imminent… Nous quitterons la cité juste après la cérémonie. Et je ne peux vous laisser seule face à ce pouvoir. D'autres pourraient vous trouver et être moins bien intentionnés que moi. Le Destin semble avoir choisit de me mettre sur votre route, alors il est de mon devoir de veiller sur vous et de vous aider à devenir celle que le Monde attends… Dana, chevalier d’argent de la Coupe… »

« Je comprends… C’est vrai que les populations originaires de l’autre bord de la Grande Verte doivent rarement atteindre l’île de Bretagne. J’ai pu le constater aux regards des gens à Camelot. Entre inquiétude et curiosité… Jamais je ne me permettrais de jouer de votre cécité, sachez-le Dana…»

Kaleb constatait que la jeune femme le croyait à moitié. Fort bien. Il allait devoir prendre un risque pour la convaincre. Lentement, il laissa son aura dorée naître autour de lui. Faiblement. Il ne servait à rien d’attirer à eux des ennemis potentiels qui auraient eu l’idée saugrenue de venir se perdre loin de la cité. Il reprit.

«Pourtant c’est le cas. Les poings des chevaliers sacrés peuvent déchirer le ciel et leurs pieds fendre la terre. Tel est une des formes que peut prendre le cosmos. Mais il peut aussi servir à créer ou à soigner…»

A ces mots, un minuscule orbe de lumière vint illuminer sa paume. Lentement Kaleb le déposa dans la main du chevalier d’argent de la coupe. La ridicule sphère grandit alors jusqu’à prendre l’apparence d’une fleur de cosmos qui finit par s’estomper au bout de quelques secondes.

Le chevalier de la Vierge prit alors un ton beaucoup plus grave pour répondre à la seconde partie des interrogations de la néophyte.

«Que croyez-vous que des hommes mal attentionnés feraient d’un tel pouvoir ? Pensez-vous qu’ils ne seraient pas capables de tout, et en particulier du pire pour s’en emparer ? Que les gens croient en l’Unique est loin de gêner Athéna. Son existence et son pouvoir ne sont pas corrélées au nombre de fidèles lui rendant un culte. Son pouvoir lui vient de l’énergie du Monde, d’une capacité à transcender l’humain pour y faire naître la part de divin qui y existe. Elle est allée au bout du processus. Là, où, chaque éveillé n’en est encore qu’aux balbutiements… »

Il écouta sa requête. Il ne la comprenait que trop bien. Prendre le temps de quitter les siens, pour ne pas laisser les regrets s’installer, ce poison de l’âme qui pouvait engendrer la peur et faire commettre des folies.

«Faisons ainsi. Cela vous permettra de faire vos adieux en bon et due forme et peut-être à votre mère de constater que je ne suis pas un monstre venu lui voler sa fille bien-aimée sans autre garantie que la parole donnée…En revanche, il faudra me confier votre armure. Vous n’êtes pas encore capable de veiller pleinement sur elle. Mais cela viendra, ne vous en faites pas…»

Sa dernière remarque lui fit pousser un soupir d’amusement. Elle était perspicace. Un bon point pour elle.

«Il y a douze maisons au Sanctuaire, autant que de constellations baignant dans la course du soleil… J’ai eu l’immense honneur d’être choisi pour garder l’une d’entre elle. D’où l’intendante et l’aide de camp. Et oui, il y a aussi des serviteurs. Mais moi, je ne suis que Kaleb, le chaman gardien de la demeure de la Vierge…»

« Vous n’avez pas à vous excuser. Ce n’est pas comme si c’était commun par ici… Même là où je suis né, les gens m’ont toujours regardé d’un air étrange donc j’ai appris à ne pas m’en formaliser…»

Il fallait dire qu’avoir la peau couleur ébène et les cheveux blancs comme neige n’était pas non plus dans la norme dans l’Empire d’Axoum. Heureusement pour lui, cette différence avait toujours été perçue par sa famille comme une bénédiction, un signe de dieu. Il n’en avait donc jamais vraiment souffert outre mesure.

Lorsqu’elle l’interrogea sur les Eveillés, il prit effectivement conscience qu’il n’avait pas explicité cette notion. Et c’était un point des plus essentiels.

« Imaginez qu’il existe en chaque être vivant un soleil, une étoile… Chez la plupart des gens cette étoile est en sommeil, éteinte. Ce sont les dormeurs. Les êtres humains « normaux » si tenté que cela puisse exister vu la diversité de cultures, de couleurs et de croyances qui battent au cœur de notre espèce… »

Regardant la jeune femme calmement pour vérifier qu’elle avait bien intégré cette première information, il poursuivit.

«Mais certains, à force d’entraînement, par le biais d’une initiation ou de manière spontanée parviennent à allumer cette étoile avec plus ou moins d’intensité. Ce sont les Eveillés. Comme vous. Comme moi. Ils ont dès lors accès à un pouvoir, à une énergie qui dépasse l’entendement du commun des mortels. Ce sont les héros et les dieux des mythologies et des légendes. »

Elle ne semblait pas forcément au fait de l’astronomie. Ce n’était pas surprenant si l’on tenait compte de son handicap. De plus, la Vierge ignorait le degré de connaissance des peuples de l’île de Bretagne en la matière. Et quand bien même auraient-ils été versés dans ce domaine, les druides avaient peut-être jugé inutile de former la jeune aveugle dans ce domaine. Il répondit donc en essayant d’être le plus clair possible à l’interrogation de Dana.

«La tradition veuille qu’il y ait douze constellations qui se trouve sur la trajectoire écliptique du soleil. En réalité, les étoiles sont constamment présentes dans le ciel. On ne les voit que la nuit car, dans la journée, la lumière du soleil nous empêche de les percevoir. Mais si vous y prêtez attention, leur énergie est toujours présente… Athéna a choisi ces douze constellations pour les chevaliers les plus puissants de son ordre. On les appelle les chevaliers d’or. Ensuite, les seconde les chevaliers d’argent, auxquels vous appartenez, et qui ont pour charge actuellement de protéger Constantinople des phénomènes que d’aucun qualifieraient de magiques. Quant aux chevaliers de bronze, leurs missions les amènent à travers l’empire.»

Après cette explication, Kaleb osa enfin une question un peu plus personnelle. Il espérait qu’elle n’en prendrait pas ombrage. Mais cela ne semblait, à première vue, dans son caractère.

«Veuillez excuser cette question indiscrète mais… Votre cécité… Est-elle de naissance ou liée à un aléa de la vie ?»

« Vous faites partie de ceux qui ont éveillé leu étoile de manière spontanée. Enfin… Il m’est d’avis que ce n’est pas la première fois que vous accomplissez cette chose…. Seulement, vous ne l’aviez sans doute jamais fait en public et vous n’aviez jamais reçu de réponse à votre appel si je ne m’abuse…»

Il laissa reposer sur elle son regard bienveillant. Elle le sentait probablement. Mais il faudrait qu’elle s’y habitue. Cependant, il avait une précision à apporter à l’analyse plutôt pertinente de la jeune druidesse.

« La Coupe a répondu car vous êtes… Celle qu’elle a choisi. Tout éveillé que je sois, si j’avais allumé mon cosmos à proximité, elle serait restée parfaitement muette. Enfin… Tout du moins ne serait-elle pas sortie de son urne pour me recouvrir. Car je ne suis pas celui qui était amené à la revêtir. Le lien entre une armure et son porteur est unique. L’armure désigne son porteur. Elles ont toutes leurs personnalités. Vous apprendrez à découvrir celle de votre armure. Comme on apprivoise un animal sauvage qui a choisi de se lier à nous. Progressivement, calmement, humblement. Chaque armure a son caractère, sa personnalité… »

Elle semblait avoir soif de connaissance. Il ne pouvait y rester insensible. Il espérait que Childéric accepterait de lui confier sa formation. Car ils avaient énormément à partager. Lui était curieux de son savoir druidique, des connaissances de son peuple liées à la nature. Il avait beaucoup à lui apprendre sur les Eveillés, Athéna, le Sanctuaire, le Monde. Car elle avait beau avoir revêtu une armure d’argent, elle n’était pas encore prête à affronter cette nouvelle vie. Il le savait pertinemment. Et ce n’était pas juste lié à sa cécité.

«Je pense que nous avons beaucoup à apprendre l’un de l’autre, Dana de la Coupe… Je vous enseignerai l’astronomie avec le plus grand plaisir. Et l’écriture si cela peut vous y aider. En réalité, il s’agit peut-être plus de mathématiques que d’écriture. Si vous voulez créer une carte du ciel, il faudra pouvoir placer les étoiles au bon endroit. Et pour cela, apprendre à voir avec votre cosmos….»

Lorsque la jeune femme se prit d’un ton professoral, Kaleb resta interdit une fraction de secondes avant d’exploser d’un rire profond et chaleureux comme la terre qui l’avait vu naître.

«Bien vu… Donc ce sens a déjà été activé par le passé… Formidable ! Cela devrait faciliter grandement le processus.»

« Je le pense aussi… Mais soyez vigilante. Si jamais vos pensées et vos actions étaient contraires aux convictions et à l’œuvre de la Sagesse, votre armure pourrait vous abandonner en pleine bataille. Elle a une conscience, une âme et n’acceptera jamais l’inacceptable… Tout du moins, c’est ce que mon propre maître m’a enseigné…»

Eunoia avait averti son disciple à ce sujet. Mais jamais Kaleb n’avait entendu qu’une telle situation se soit produite. Quoi qu’il n’avait pas encore éclusé l’ensemble des chroniques de ses prédécesseurs. Cependant, vu la volonté propre des armures, cette situation était plus que probable.

En revanche, il s’était sans doute montré maladroit quand il avait évoqué la cécité de Dana. Il avait considéré les choses d’un point de vue purement technique et sous le prisme de l’apprentissage, omettant la sensibilité, la douleur physique et les émotions de terreur que la jeune femme alors enfant avait dû ressentir. Cela ne lui ressemblait pas. Aussi se confondit-il en excuses auprès d’elle.

« Je… vous présente mes excuses… C’était particulièrement indélicat de présenter les choses ainsi sans tenir compte du traumatisme que cela a dû représenter pour vous et pour les vôtres… Je voulais simplement signifié que l’utilisation du cosmos pour « voir » sera facilitée par le fait que vous ayez déjà eu cette habitude… Et puis, je serai là pour vous guider. Si l’on me le permet…»

Il fallait qu’il précise sa pensée. On était un terme trop vague. Et puis, elle finirait bien par le rencontrer. Après tout, il était le seul à pouvoir l’autoriser à la former.

«Notre ordre est dirigé par le Grand Pope, le représentant d’Athéna sur Terre. Il est choisi parmi les anciens chevaliers pour sa clairvoyance. C’est lui qui décidera qui devra vous former. Même si je pense que, comme moi, il fait confiance aux signes du Destin… »

Cependant, il ne pouvait l’affirmer avec exactitude. Après tout, il n’était pas le chevalier d’or le plus expérimenté. Et bien d’autres, au sein des douze, pouvaient prétendre à être un maître bien plus compétent que Kaleb de la Vierge. A commencer par Silas. Il était le vétéran. Celui qui avait le plus de recule. Mais le gardien de la sixième maison était sans doute le plus à même de comprendre la culture d’origine de la jeune femme, malgré le continent qui les séparait. Ce lien avec la nature, ces traits de caractère. Ils avaient beaucoup en commun.

Pour autant, il n’était pas capable de lire dans son esprit et il avait l’impression d’être à court d’informations à lui transmettre dans l’immédiat. Finalement, ferait-il un si bon instructeur ? Il se prit à douter un instant. Pour ne pas rester avec cette désagréable sensation, il préféra expliciter les choses.

«J’imagine que vous avez d’autres questions qui vous traversent l’esprit…»

« Ce serait manquer à mon devoir et à mon honneur que de vous cacher quoi que ce soit. Mais je préfère que vous soyez pleinement consciente des choses. Certains chevaliers se perdent sur le chemin, dévorés par l’ambition, les illusions ou le poids de leur propre pouvoir. Il arrive que certaines armures reviennent sans leur porteur….»

Un phénomène que Kaleb avait bien en tête. Bien que chevalier depuis peu de temps, il avait vu revenir par elle-même l’armure du Taureau dans son temple. Cet incident était suffisamment récent et l’avait suffisamment marqué pour qu’il le garde en mémoire. Pour autant, il ne désirait pas rester sur une note si pessimiste.

« Mais j’ai l’intuition que vous ferez une excellente sœur d’arme. Votre lumière est…douce et dansante. Vous vous accorderez sûrement à merveille avec Eireen, mon aide de camp. Elle a à peu près votre âge à première vue. Elle est originaire d’Hibernia. Peut-être aurez-vous davantage à partager que la couleur flamboyante de votre chevelure ?»

Il esquissa un sourire taquin qu’elle ne pouvait sans doute pas voir. Il se contenta de lui prendre amicalement la main pour lui signifier qu’ils étaient effectivement quittes.

Lorsqu’elle aborda la possibilité de convaincre le Grand Pope avec une fougue et une insouciance que lui-même n’aurait certainement pas reniées, Kaleb parti dans un petit rire discret mais parfaitement audible. Le vieux lion n’était pas forcément un homme qu’il était aisé d’amadouer. Sinon, il n’occuperait pas un tel poste. Il se demandait quel tête ferait Childéric, lorsqu’il se présenterait avec une jeune femme en armure d’argent n’ayant reçu aucune formation. Elle ne serait sans doute pas la première. Mais elle avait tout à apprendre. L’armure de la Coupe avait eu une bien étrange manière de procéder. Et cela attisait la curiosité du chevalier d’or.

«Le Grand Pope est un homme juste et droit. Nous essaierons de le convaincre. Mais même si ce n’est pas à moi que revient votre formation, j’ai fait une promesse à votre mère que je compte bien honorer. C’est ce que je vais expliquer à Son Excellence. S’il confie votre formation à un autre de mes compagnons, ce dernier risque de me voir débarquer régulièrement pour prendre de vos nouvelles. Je pense qu’il y aurait de quoi devenir chèvre… »

Il s’imaginait parfaitement réveiller son frère d’arme des Gémeaux ou même la Lionne d’or au saut du lit pour les abreuver de questions sur la jeune femme. Pas si que ni l’un, ni l’autre apprécie le procédé. Non, décidemment, le Grand Pope prendrait la bonne décision. Kaleb voulait que la formation de cette jeune femme lui soit confiée. La Vierge et la Coupe étaient deux symboles parfaitement en adéquation dans ce temps.

Lorsqu’elle lui demanda où ils partiraient après le sacre, Kaleb se rendit compte qu’il ne lui avait effectivement pas dit où se trouvait le domaine sacré.

«Nous partirons pour l’Empire Romain d’Orient. Pour la Grèce plus précisément. Le Sanctuaire de la Déesse se trouve non loin d’Athènes. Cela vous permettra de découvrir de nouvelles senteurs et de nouvelles plantes qui n’existent pas dans vos contrées…»

« Si vous en êtes déjà à préparer des messes basses, c’est plutôt bon signe. Mais méfiez-vous, j’ai des oreilles partout… J’aurais tôt fait de découvrir vos petits secrets… Et puis, j’espère que votre entraînement ne vous fatiguera pas au point de vous priver de tels instants. Ce sont les perles de lumière de l’existence, non ?»

Kaleb repensa à sa propre initiation. Comme il aurait aimé avoir un compagnon ou une compagne de route de son âge lorsqu’il était sous la férule d’Eunoia… C’était sans doute ce qui lui avait le plus manqué durant toutes ces années sur l’Horeb. Une compagnie autre que ce maître silencieux qui ne lui avait dévoilé que le stricte nécessaire et s’était contentée de lui transmettre son savoir sans jamais lui parler d’elle. La Vierge ne ferait pas la même erreur. Il lui raconterait sa propre initiation, ses missions, sa vie… Tout du moins si cela l’intéressait et qu’il y avait un intérêt humain ou pédagogique.

Lorsqu’elle évoqua son opinion sur l’intérêt que le Grand Pope aurait à la laisser sous sa garde, Kaleb eut un sourire calme et une voix rassurante.

« C’est un homme avisé et perspicace. Athéna l’a choisi. Et elle est la Sagesse incarnée. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’il prendra la meilleure décision vous concernant.»

Quand elle sembla s’alarmer de la distance à parcourir et du mode de transport, le gardien de la sixième maison lui répondit d’une voix teintée de taquinerie et de mystère.

«Non, les chevaux sont bons pour les dormeurs… Nous, nous chevauchons des Pégases, madame !!! Non, je plaisante… Bien évidemment. Mais qu’est-ce qui vous laisse croire qu’il s’agisse du seul moyen de transport à notre disposition ? Vous ne pensez pas qu’avec de telles capacités, il n’existe pas de façons plus rapides de se déplacer ? »

Il la laisser réfléchir un peu. Après tout, il voulait évaluer sa capacité d’abstraction et de projection dans ce nouvel univers qui deviendrait progressivement le sien. Et voir où s’arrêtait son imagination. Car, il en fallait certainement pour imaginer la manière dont les Saints pouvaient se déplacer sur de si longues distances. Même pour une jeune femme élevée parmi les druides. [/color]

« Et aucun secret et potin ne doit échapper à un maître investi…»

Il lui répondit du tac au tac, avec une pointe d’amusement dans la voix. Elle avait du répondant. Il appréciait ça. Rien n’était plus ennuyeux pour lui qu’une discussion morne, plate, sans plaisanteries et avec un sérieux de cérémonial. Bien sûr, lorsqu’il était en mission, il savait se plier à l’exercice. Mais au quotidien, ce n’était pas ce genre de rapports qu’il souhaitait instaurer avec ses pairs. Quel que soit leur rang. Et il s’était toujours promis que, s’il avait un ou une élève, il ne garderait pas la distance que son propre maître lui avait imposée. Il ne le faisait d’ailleurs pas plus avec les serviteurs dans sa demeure, cherchant à connaître le nom et la vie de chacun.

Lorsque la jeune druidesse commença à réfléchir à quelle bête fabuleuse, hormis les pégases, les chevaliers d’Athéna pouvaient bien utiliser pour se déplacer rapidement, Kaleb ne put s’empêcher d’exploser de rire, surpris que sa petite boutade ait pu être prise au sérieux.

«Non, mais je blaguais… Je n’ai jamais eu la chance de croiser le moindre poney volant… Pas même le chevalier de bronze qui le représente, pour le moment… En réalité, soit nous utilisons nos propres moyens, en sachant que nous pouvons nous déplacer à une vitesse qui dépasse l’entendement des dormeurs, ou alors en utilisant des portails. C’est comme ça que nous sommes venus ici. En empruntant un portail aux pieds de la statue du temple d’Athéna qui nous a mené aux abords de la cité. »

La remarque qu’elle avait formulée sur la dissimulation du Sanctuaire était relativement pertinente. La Vierge décida d’apporter quelques précisions supplémentaires sur le domaine sacré.

«Vous seriez surprise de la puissance d’un cosmos divin et des prouesses qu’il peut accomplir. Le Sanctuaire est déjà protégé naturellement par un relief montagneux escarpé difficilement accessible aux non-éveillés. Mais la puissance d’Athéna le rend également difficilement détectable. Enfin, il est gardé par douze temples qui doivent obligatoirement être traversés pour atteindre le temple de la Déesse. Chacun de ces temples est gardé par un chevalier d’or qui a la responsabilité de veiller sur son accès au péril de sa vie. Celui qui m’a été confié, la Vierge, est le sixième. Si le Grand Pope accepte, c’est là que tu vivras le temps de ta formation à mes côtés et aux côtés de mon intendante et de mon aide de camp dont je t’ai déjà parlé. Tu as déjà eu l’occasion d’imaginer à quoi ressemble l’architecture grecque ? »

Une question des plus pertinentes. Car dans les parages, les colonnes corinthiennes ne courraient pas les rues. Mais elle aurait sans doute besoin de toucher les pierres pour les percevoir. Tout du moins dans un premier temps.

« Disparu, je l’ignore… Ont-ils seulement déjà existé ou sont-ils seulement des allégories pour illustrer la diversité des énergies que la nature insuffle dans les êtres vivants ? Quoi qu’il en soit, je n’en ai jamais croisé personnellement. Et pourtant, j’en rêve depuis que je suis enfant… »

Petit, Kaleb avait été émerveillé par les légendes que son père avait pu lui transmettre, celles attachées aux constellations qu’il avait enseignées à son fils. Combien de fois avait-il rêvé de croiser la route d’un centaure ou d’admirer l’envol d’un phénix au coucher du soleil?

Lorsque l’émissaire d’Athéna l’avait emmené, il avait espéré pouvoir croiser le mythique Chiron, le mentor des héros mais c’était retrouvé face à Eunoia, beaucoup plus humaine et beaucoup plus masquée. Avait-il perdu au change ? Vu la manière dont avaient fini la plupart des élèves de celui qui était devenu la constellation du Sagittaire, il pouvait décemment en douter.

Pour autant, lorsque Dana lui évoqua avoir croisé des créatures magiques, La Vierge désira en savoir plus. Sa curiosité naturelle revenait au galop.

«Des… Aes sidhes ? Qu’est-ce que c’est ? Des sortes d’esprits des bois ? Vous étiez encore enfant lorsque cela s’est produit ? Dans ma culture d’origine on raconte que les créatures merveilleuses ne se montrent qu’aux enfants car ils sont encore très liés au monde des rêves… »

Il attendit plus de précision sur cette étrange rencontre qu’avait fait Dana. Il était certain que sa cécité lui avait néanmoins apporté une perception différente de la « réalité ».

«Lorsque l’on s’éveille au cosmos les premières fois, on a l’impression qu’on nous enlève un bandeau, que l’on accède à une autre forme de compréhension et de perception du monde. »

Lorsqu’elle s’inquiéta de ses lacunes en architecture, Kaleb se contenta de rire avec bienveillance.

«Non cela n’est pas un savoir essentiel au Sanctuaire. Néanmoins vous semblez être particulièrement curieuse de ce qui vous entoure. J’imagine donc que vous partirez rapidement à la découverte de ces « forêts de pierre ». Mais cela vous permettra de vous ouvrir à une nouvelle culture et nous promets de longues soirées d’échange. Je suis aussi curieux de découvrir votre culture que vous l’êtes peut-être vis-à-vis de celle de l’Empire… Ou même de la mienne… »