[Début Avril 553] Danse avec les ronces [Audience - PV Childéric][Terminé]

Les prophéties clandestines s’implantent, embarquent leurs cibles sur des routes tortueuses : l’espoir, la confiance et la multitude d’autres sentiments ne sont, au final, rien de plus que des outils. Pour ces raisons, il ne faut pas trop en attendre des hommes ni de leurs lubies. Des êtres au cœur instable ; des caractéristiques et des avertissements que la serpentes connait déjà, depuis ses premières heures, même. Ainsi, elle n’oublie en aucun cas ses promesses, pas plus que ses objectifs, mais force est de constater que, ces derniers temps, Mehry commence à percevoir les choses différemment. Pour principale cause : un taureau au sang cramoisi et son apprenti, face à qui il n’est pas aisé de mentir.

Une épine particulièrement tenace s’est plantée dans le pied de celle qui refuse, pourtant, de s’attacher ; une épine à fois la douce, mais acérée. Une âme absente, semble-t-il, pour le moment. Alors, une boule se forme, temporaire, dans son ventre : les impressions et les instincts s’avèrent parfois terrifiants, qu’importe qu’ils soient véridiques ou faux. Elles l’importunent, lui prouvent qu’elle s’y enchaîne trop. Or, elle ne les écoute pas.

La Persane connait les risques de ce jeu morbide, en faisait encore les frais quelques jours plus tôt – autrement, cela dit. Sous son masque indéfectible, les paupières se plissent, se teintent d’une virulence rare ; cette fois encore, elle ravale ses ressentiments pour rester professionnelle en toutes circonstances. Qui sait, peut-être que, finalement, tout cela lui sera utile : cette trahison imprévue pourrait avoir quelques avantages, mais seront-ils suffisants pour couvrir les dommages ?

Le maître du Jeu doit savoir rester flexible.

Arrivée devant l’entrée du temple du Grand Pope, Mehry marque un arrêt, s’accorde une paire de secondes pour remplir ses poumons : il n’y a pas de retour possible. Avec ce prochain mouvement, elle perd un pisteur potentiel, bien qu’il ne sache pas tenir sa langue. Il restait une valeur plus ou moins sûre au sein du cercle d’Or, mais les évènements récents démontrent que cette séparation ne sera, à priori, guère importante.

Une nuque maintenue, droite, autant que ce buste et ce corps qui s’avancent déjà. Sans aucun doute sera-t-il surpris du contenu de cette conversation à venir, officielle de son état, car les détails de l’affaire manquait à sa lettre. Question de prudence, ni plus ni moins. Somme toute, le chevalier s’agenouille, avant que sa voix ne résonne pour reformuler les termes de sa requête.

— Mehry, Chevalier de l’Ophiuchus, je demande une audience avec le Grand Pope, représentant de la Déesse Athéna.

Informations:

Camelot était derrière lui. La couronne avait trouvé le chemin de la tête du dragon et pourtant, les choses ne s’étaient pas vraiment amélioré. Du moins, les cartes avaient été rebattues et la situation des grandes guerres à venir poser. Ils y avaient encore certaines inconnues, le sort de la cité sous-marine dans le grand dessin des dieux serait secoué par la mort du Légat et les conflits internes de ce panier de crabes. Le retour avait été très rapide pour le Sanctuaire et si tôt de retour, il avait déjà bien des choses à réglé. La chance était de son côté néanmoins, c’est qu’il n’y avait pas eu de gros problèmes à gérer. Seul mention à noté, le départ de deux chevaliers d’or : le deuxième et quatrième gardien. Des départs qui laissaient le Sanctuaire vulnérable en cas d’attaque mais les forces d’Athéna sera sûrement renfloué plus ou moins rapidement. C’était toujours le cas… Mais il avait maintenant le retard des affaires courantes à rattraper, même s’il avait maintenu le lien avec le Sanctuaire pendant ces quinze jours qui lui ont paru une éternité.

L’une des premières choses qu’il fit à son retour, fût de répondre à la demande de Mehry qui semblait vouloir s’entretenir avec lui à propos de quelque chose de grave et d’important. Plus particulière à propos des servants de la vigne et du troisième gardien. Il avait donc mis ça au sommet de sa liste des choses à réglé et fait savoir à l’intéressé qu’elle était donc convoqué devant le Pope pour qu’elle puisse y exploser son souci. Voilà longtemps qu’il n’avait pas porté son masque ni siégé sur son trône. Ca ne lui avait pas vraiment manqué. Loin d’ici, il avait pu mettre de la distance avec la couronne mais maintenant, il devait plonger devant nous tête baissée. Alors il s’installa, vêtu de sa toge blanche et de la pourpre impérial. Il laissa la jeune femme entrée.

La savoir ainsi à genoux devant lui avait toujours le don de l’amuser un peu, après tout, ces deux-là avaient un petit passif et elle avait, quelques fois, assuré sa formation. Maintenant, il était le chef suprême de l’ordre entier. Il la laissa porter genou à terre et rappeler l’objet de sa visite. Le vieux lion lui signifia d’un geste de la main qu’elle pouvait se relever.

« - Relève, toi Mehry. Je t’écoute, expose moi les raisons de ton audience. Et pendant que nous y sommes, as-tu pu baigner de sang ton armure ? Je suis curieux que tu me racontes comme cela s’est passé. »

Et si elle avait réussi, la jeune femme serait officiellement celle capable de venir en aide aux armures. Avec la disparition du chevalier d’Orion, il devrait nommer bientôt quelqu’un d’autres pour le remplacer et pour le moment, il n’avait vraiment personne en tête, mais parfois le destin est plein de surprise…

Sans attendre, l’ancien Lion se présente. La situation s’inverse avec le temps, mais l’amusement n’est guère au cœur de ses projets, des raisons cachées derrière cette requête, de prime abord, précipitée. L’heure est grave et nécessite d’agir aux plus hautes instances, compte tenu des risques engendrés ; que cela provienne d’une simple erreur ou d’un acte volontaire n’importe peu, car c’est de l’avenir, de la survie même dont il est question.

L’Ophiuchus se redresse, sans mot dire, hausse toutefois les épaules lorsque le sujet se métamorphose. Cette curiosité est source d’incompréhensions, de questionnements, mais il est trop tôt pour en affirmer les lugubres probabilités : il s’agit d’un point à éclaircir, mais uniquement lorsque le voile sera levé.

— Nous en parlerons plus tard, si tu veux bien. C’est un autre sujet qui me préoccupe pour le moment…

Des paires de secondes, durant lesquelles le masque Ivoire se berce dans le silence. Les doigts posés sur son bras, la serpentes mime les traces d’une hésitation certaine ; une proximité consciente peut, éventuellement, altérer les jugements, les décisions, plus simplement. Mehry sait qu’elle s’attaque à un gros poisson, gros pour le soutien qui lui est, d’ordinaire, accordé. Somme toute, un souffle long se disperse.

— Durant notre séjour à Camelot, nous avons rencontré une gardienne affiliée à Dionysos : Kel-Nach. Comme tu le sais, j’ai commencé à nouer des contacts auprès des Mystes, notamment avec le Commandant Ur-Shulgi, sous les traits de la marchande Khatereh. Nous avions d’ailleurs envisagé que je me rende sur place de nouveau pour me présenter en tant que Chevalier d’Athéna et essayer de débuter une relation de confiance, une fois l’évènement de Camelot terminé.

La voix cesse de s’éparpiller.

— Je me suis donc présentée sous les traits de la marchande, une fois de plus, en demandant aux personnes présentes d’agir en conséquence. Si Morwenna des Poissons a accepté de se prêter à l’exercice, Silas des Gémeaux a dévoilé son appartenance aux Saints et a également fait sauté ma couverture. Il a également entrepris, de son propre chef, de s’entretenir avec les hautes instances de Dionysos.

Là encore, une pause.

— Ce qu’il a dévoilé aux Mystes pourrait tourner en notre défaveur, au-delà de représenter un risque non négligeable : les Dieux veulent majoritairement notre tête. Comment débuter une relation saine, si elle commence par de la méfiance ?

Un souffle feutré outrepasse la barrière du nez, tandis que les paupières se ferment pour quelques instants, visiblement ennuyée par la situation présente.

— Compte tenu de la situation, des erreurs commises et du possible danger dont il est à l’origine, tu comprendras que je ne suis pas sereine à l’idée de le laisser intervenir plus dans ces affaires. Que fera-t-on si cela se reproduit ?

Une question posée avec sincérité, parce que les vies, une fois prises, ne revenaient en théorie pas. Les histoires de guerre, Mehry ne les connaît que trop bien.

— Les négociations futures seront délicates, mais j’aimerais retourner sur place pour me présenter officiellement et réparer ce qui peut l’être. J’aimerais que tu me laisses prendre officiellement le relais.

Qu'il empêche les Gémeaux d'intervenir, aussi.

Il n’est pas facile d’être celui qui règne. Surtout dans ce genre de situation et quand il s’agit de trancher des litiges délicats. Mais avant de prendre une décision il est important, d’écouter, d’entendre et de confronter. Le vieux lion savait qu’il devait en parler à Silas fatalement avant de rendre son verdict et peut être même confronter les deux chevaliers pour qu’ils s’expliquent. Et bien des choses sont à réglé maintenant. Childéric répond d’un signe de tête à Mehry. Le sujet de la forge et de son armure viendra plus tard, le sang après tout peut-être. Qu’il fut déjà versé ou non. Elle avait beaucoup à dire, alors il écouta, silencieux, la laissant parler et peut être qu’il aurait à intervenir çà et là mais pour le moment, il était dans une posture d’écoute.

Ainsi, les ordres qu’il avait donnés à Camelot avaient porté leurs fruits. Il n’était pas étonnant de les voir, comme prévu, à Camelot. Après tout, qui n’y était pas, dans cette putain de ville ? Le monde entier était venu voir le dragon passer sur sa tête sa couronne. Alors le vieux lion n’était pas étonné que Mehry et Silas aient pu trouver ceux qu’il leur avait demandé de trouver. Un nouveau nom venait donc s’ajouter à celui du mystérieux Ur-Shulgi. Un nom qui était parfaitement inconnu à Childéric : Kel-Nach. Peut-être que les archives de Star Hil pourraient lui offrir quelques informations supplémentaires ? Elle lui rappela ensuite comment, avec Argus, elle s’était retrouvée en terre de la Thiase, par un hasard mystérieux.

Pour le moment, le Pope n’avait trouvé rien à redire, et il continua d’écouter en silence donc. Voilà que la situation évoluait vers le nœud du problème. La couverture tenue par Mehry. Lui aussi, avait le visage couvert par son masque et elle ne pourrait voir son sourcil s’arquer à la suite de la conversation, seul le visage impassible de métal froid serait son interlocuteur. Certaines choses dans ce qu’elle venait de dire le firent tiquer, en bien et en mal. Il fallait visiblement apporter une touche de nuance et faire quelques rappels de la situation. Mais la gaffe de Silas pouvait avoir des conséquences mitigées. À vrai dire, tout ça ressemblait plus à un pari, aux yeux du vieux lion, un pari risqué et mal amené, mais un pari quand même. Avec ses avantages et ses inconvénients. Un pari qu’il fallait… gagner.

Et arriva alors sa conclusion. Ce qu’elle voulait demander après avoir énoncé ses faits, sa version. Après ce qu’elle venait d’exposer, ce n’était pas exagéré, mais, il y a toujours un mais.

« - Tu comprendras qu’avant de prendre une telle décision. Je dois parler à Silas d’abord. »

Il venait enfin de briser le silence, il avait parlé d’une voix direct, clair mais néanmoins porteuse de son autorité. Il était là après tout, Pope en train de régler un différend entre deux chevaliers.

« - Ensuite, Silas est chevalier d’or. Tu es chevalier d’argent Mehry. Malgré ton ancienneté, son grade est supérieur aux tiens et il est parfaitement en droit de prendre ce genre d’initiative. Elle n’est même pas si mauvaise que ça. »

Il mit sa main devant lui, pour l’arrêter, avant même qu’elle n’essaie de parler.

« - Je t’arrête. La forme est mauvaise. Oui, il a fait une erreur en grillant ta couverture. Mais tu parles de commencer des relations sur de la méfiance. La construire sur un double mensonge n’est pas vraiment mieux. C’était, à mon sens, le choix du moindre mal ici. Tu sais qu’il est possible de repérer à un éveillé à la nature de son cosmos, de savoir quel maître il sert. Tu n’as sûrement pas utilisé ton cosmos devant Ur-Shulgi, mais, il t’a dit qu’il faut être un éveillé pour rentrer sur ses terres n’est ce pas ? S’il avait déjà regardé avant ça et vous avez laissé jouer votre jeu pour voir si vous alliez ou non, être honnête ? Penses-tu vraiment que ta couverture était si bonne ? »

Puis, de sourire sous son masque, un peu pour lui-même.

« - Néanmoins, j’ai peut-être quelque chose à te proposer pour cette histoire de garde, quelque chose de moins brillant qu’une armure d’or mais qui devrait plus être dans tes cordes, Ehsan. »

Désormais enclavée dans ses propres silences, la serpentes comprend, de prime abord, la démarche de son locuteur ; les deux versions s’avèrent nécessaires pour appréhender la situation épineuse. Mehry le sait, autant qu’elle s’attend à la suite qui s’annonce d’ores et déjà orientée. Childéric se fourvoie, s’appuie sur deux éléments qui, essentiels, causeront un jour sa perte. Une personne est oubliée et, semble-t-il, les liens entre Gémeaux et Lion sont plus forts que le reste. Un voile obstrue sa vue, perturbe ses sens ; un voile que l’on nomme : confiance aveugle.

Mussées sous le masque, les paupières se plissent, les sourcils se froncent. Elle tique à chacune de ses remarques qui, sans surprise, transforment ce qui ne devrait pas l’être. Les rapprochements sont hasardeux, parfois obsolètes, mais nul doute que le Pope ne l’entendra pas de cette oreille.
Pourtant, porter l'Or ne veut rien dire.

— Porter l’or empêche-t-il les erreurs, force-t-il la confiance ? Aucune couverture n'est parfaite, mais elle était bonne et son utilisation provient de votre demande, à toi et à Silas. Vous nous aviez ordonné de ne pas nous dévoiler, sous aucun prétexte. C'est pour cette raison que j'ai repris ce nom avec lequel j'arpentais les terres auparavant : j'étais là-bas en tant que marchande et non pas en tant que Saint. Effectivement, Ur-Shulgi a mentionné qu’il était nécessaire d’être un éveillé pour espérer entrer sur les terres d’Hanaan. Or, nous n’étions qu’à l’entrée, d’une part, et nous ne connaissons pas la véracité de cette information. D’autre part, un éveillé n’est pas obligatoirement affilié à une divinité, pas plus que tous sont conscients de l’être. Partant de ce principe : un éveillé peut être indépendant, errer çà et là, ou, encore, ignorer qu’il appartient à ce monde. Je pense d’ailleurs qu’il allait davantage dans ce sens... Tout comme ce n'est pas non plus pour rien que, sur le trajet du retour des terres d'Hanaan, je t'ai demandé de me laisser y retourner pour me présenter officiellement.

Parce qu'un arrière-goût lui revient en mémoire. Celui d'une maigre tentative pour connaitre et, peut-être, entrainer. Aussi, les lèvres s’immobilisent, temporairement, et reprennent aussitôt.

— Replaçons le déroulement de cette affaire, si tu veux bien, tu comprendras peut-être mieux quel est le problème. Comme je te l’ai dit, je me suis présentée sous les traits de la marchande itinérante, Khatereh, qu’ils connaissaient. Ma présence n’avait donc rien de surprenant, puisqu’un marchand itinérant est constamment en déplacement. Cette fois, je m’occupais de dénicher des étoffes pour des clients. Reconnaissant ce nom, Kel-Nach m’a demandée si j’avais été sur les terres d’Hanaan quelque temps auparavant, ce qui reste une réaction normale de sa part compte tenu de mon nom. Je soupçonne, à sa manière d’en parler, qu’elle se sentait nostalgique vis-à-vis de la région. Plus qu'une inquisitrice, elle cherchait sans doute quelqu'un qui la comprendrait, mais ce ne sont que mes impressions.

Ne pas tergiverser, s’éparpiller dans les détails qui pourraient être vus plus tard, s’il le souhaite.

— Silas s’est présenté de lui-même comme étant mon associé, en me nommant par le nom de Khatereh, puis Kel-Nach lui a trouvé une ressemblance avec Sokaris, connu pour être un Saint, visiblement. Silas s'est empressé de confirmer le lien de parenté, avec un brin de vantardise. Puis, l’instant d’après, il a demandé à Mehry de s’occuper des négociations pour les étoffes.

Derechef, elle s’arrête.

— À partir du moment où il s’est présenté comme un affilié aux Saints par le biais de son ancêtre et qu’il m’a qualifiée d’associée, ma couverture était dévoilée. M’avoir appelé Mehry dans la seconde suivante, après m’avoir nommé Khatereh, n’est qu'une erreur supplémentaire. Cette identité ne venait pas de nulle part, et elle est désormais complètement inutilisable. Qui plus est, jusque-là, Argus et moi-même n'étions considérée comme deux éveillés potentielles et, désormais, nous sommes toutes les deux cataloguées comme des Saints. Son comportement est dangereux, Childéric.

Un travail de plusieurs années, de nombreuses recherches et actions, à œuvré dans l’ombre pour différents projets, pas toujours liés au Sanctuaire, bien loin de là. Tout cela, réduit au néant, en fumée.
Childéric n'a pas idée de ce que Silas vient de mettre à mal.

— Si tu veux d’autres informations, une version supplémentaire qui te permettra d’y voir plus clair, tu peux en discuter avec Morwenna des Poissons : elle était présente à ce moment-là.

Elle confirmera.
Somme toute, un étirement étrange des commissures, à la perception auditive d’un nom d’avant. Un nom rempli de souvenirs, quels qu’ils soient.

— Eh bien, tout dépend de ce que tu as à lui proposer. En quoi ce cher Ehsan pourrait t’être utile ? L'Or ne l'intéresse pas, mais tu sais qu'il se sort pas facilement de sa tanière.

Childéric écouta ce que Mehry avait à dire. C’était nécessaire d’entendre sa version, sans jugement, du moins pour le moment. Il aurait tout le loisir après de se faire juge et rendre le verdict qu’on attendait de lui. Il voyait quelques soucis dans le raisonnement de la jeune femme. Mais elle soulevait également beaucoup de faits qui avait le mérite d’être juste. Heureusement pour elle. Ce que le lion ne pouvait croire, c’est qu’il soit possible de rentrer dans un royaume protéger par une barrière mystique, seulement accessible au éveillé, en se rendant en Perse, par hasard. Non. Pas après tout ce qu’il avait appris sur la Thiase et le rôle que cette dernière avait joué dans les séditions italiennes. Ou du moins, les soupçons qu’il avait sur leur implication. Le bilan de cette histoire était simple au final. Silas avait commis une erreur, mais il n’était pas le seul à l’avoir fait.

Alors comme Salomon, il devrait trancher la poire en deux. Mais d’abord, il faudrait qu’il parle avec le troisième gardien. La faute était certaine. Il aurait dû jouer le jeu, même si le jeu était déjà éventé. Il voyait la démarche d’une vipère dans celle qu décrivait le serpent. Prêcher le vrai pour savoir le faux était une option évidente et encore une fois, tomber de nouveau sur un envoyé d’Hannan peu de temps après, il y avait trop de coïncidence pour que tout ça ne se base que sur du hasard. Si par-dessus tout ça il fallait rajouter les liens entre Silas et son ancêtre...

Plus il enfonçait son nez dans cette histoire et plus il y voyait là quelques manipulations étranges qu’il n’appréciait guère. Enfin, à force de semer des graines partout, les servants des vignes récolteraient un jour une tempête égale à leur folie. Qu’ils retiennent les spectres ne les sauveraient pas éternellement.

« - Bien. J’ai ta version, je vais convoquer Silas, il a effectivement commis une erreur. Je vais parler avec lui, nous verrons ensuite. Je retiens aussi que Morwenna se trouvait sur place aussi. Je lui parlerais sûrement. »

Puis, vient d’autres sujets. Elle avait relevé sa proposition et c’était maintenant à lui de fonder la première pierre de ce qu’il voulait faire avec un ordre tâché par la trahison.

« - Simplement te donner un statut particulier. Loin de l’or et de ses devoirs. Mais qui devrait te donner plus de liberté. Tu dois sûrement le savoir mais j’ai dissous l’ordre des Corona saint, les ombres du traître. Mais il serait dommage de laisser mourir ce genre d’atout. Alors j’aimerais les reformer. En faire des chevaliers d’argent spéciaux, qui répondent directement à mon autorité et qui s’affranchissent de la chaîne d’autorité. J’aimerais que tu sois la première. »

Il se tut ensuite. Il attendait la réponse de celle qui avait participé à sa formation. Pour le reste, il avait toujours une question en suspend et il se doutait de la réponse au final. Mais ces mots-là devaient sortir de la bouche de l’argent. Elle rendre compte après tout également.

En dépit des raisonnements, les illusions s’effacent aussi vite qu’elles parvenaient à son esprit, lorsque le soleret tintait sur les dalles du sanctuaire sacré. Ou, plutôt, la serpentes ne se voile plus la face depuis longtemps ; elle est consciente que les liens obstruent les jugements. Elle-même s’est enfermée dans l’engrenage des relations, voyant ses perceptions se modifier, ses attitudes se transformer, et bien d’autres.

Les agissements de Silas, sa propension à vouloir obtenir le rôle du sauveur pour dissimuler ses erreurs, ses incohérences et ses mensonges, Mehry les imagine sans difficulté. Qu’importe, les Poissons confirmeront et ce qu’il arrivera, par la suite, n’est plus de son ressort. Toutefois, le reptile n’oublie jamais ce qui lui cause du tort. Il est territorial, déterminé et, plus que tout, il est incapable d’abandonner.

Pour l’heure, un second sujet l’intrigue ; celui qui interpelle un nom aussi vieux que le monde, qui ramène à une époque lointaine où les autres vivaient encore. Si l’offre semble alléchante, elle n’est pas complète pour autant : les rumeurs et la trahison de Narsès ne sont guère une surprise, pas plus le fait que Childéric envisage de faire renaître les agents des Ombres.

— J’en ai entendu quelques bribes, en effet, mais rien de très concret, notamment concernant le sort réservé à Narsès. Qu’est-ce que tu attends de ce nouvel ordre, plus exactement ? Qu’ils œuvrent dans le plus grand secret, j’imagine, mais sur quels domaines agiraient-ils ? Plus simplement, comment tu décrirais ces atouts ?

Impossible de répondre à l’affirmatif sans obtenir cette information, parce qu’elle n’irait pas à l’encontre de ses principes, des limites fixées par ses soins. Si la Persane est ouverte, il reste néanmoins des actions qu’elle se refuse d’entreprendre.

Alors, tout ce qui relève des missions, de ses implications, est déterminant.

Voir un général de l’empire retourner sa veste contre ce dernier n’était pas une bonne chose. L’information avait été relativement tenue, mais les rumeurs allaient sûrement bon train, difficile de l’empêcher et surtout, sans intérêt. Le mot devait circuler. Les faits devaient être déformés, que la faute soit amplifié et avec elle, la mesure de la sanction. Voilà qui serviraient les intérêts du Sanctuaire et couperait dans l’oeuf ceux qui, éventuellement, auraient la folle idée de suivre l’eunuque. Le vieux lion répondit alors simplement à la première question du serpent :

« - Il a été exécuté pour haute trahison. »

L’ancien général avait grillé toutes ses chances et même la déesse n’avait pas pu le sauver de ses démonts et Il avait été sa propre victime, ainsi que celle des autres influences exercés sur lui. Un esprit déchiré par les influences et les dieux se battant pour le peu qu'il possédait. Une leçon de pitié que d’offrir le trépas à cette âme égarée.

« - Sous ses ordres, les Corona étaient une sorte de garde rapproché. Sous les miens ils seront… différents. Regroupant les chevaliers d’expérience ou possédant certains particuliers, pour accomplir certaines missions difficiles ou justement, pour leur offrir la latitude d’exercer leur talent sans l’apesanteur de l’appareil militaire. Certaines décisions, certaines choses doivent être faites dans l’instant, sans se noyer dans l’administratif, en somme. Je pense que tu sauras bénéficier de ces largesses. Surtout pour travailler sur la Thiase. »

Surtout vis-à-vis des événements récents et de l’objet même qui l’avait amené à se présenter devant le vieux lion, après tout. Pourtant, il lui faisait confiance pour lire entre les lignes et elle saurait comprendre son intérêt là-dedans. Mais il devait être clair sur certains points :

« - ça ne te place pas au-dessus de l’or, évidemment. Tu ne pourras pas donner d’ordre aux chevaliers d’or, mais tu seras un peu plus qu’un chevalier d’argent. Tu seras libre d’en refuser certains venant d’eux, par exemple. Tu sauras parler plus librement, aussi, quand il s’agira de rencontre officiel. Ton verbe sera l’extension du mien, en quelque sorte. J’ai confiance en toi, Mehry. »

Et du chemin avait été fait depuis qu’elle avait participé à sa formation, sur cette montagne et où elle l’avait poussé loin dans ses retranchements. L’un comme l’autre, avaient vu leur chemin complètement différents. Et qui aurait pu parier que les rôles seraient alors ainsi inversés à partir de ce moment ? Certainement pas le vieux lion, qui, bien qu’il se voyait chevalier d’or, ne s’était jamais vraiment vu roi. Toujours maintenant, il regrettait sa couronne, mais c’était son devoir de la porte. Pour eux.

Sans surprise, le Sanctuaire se débarrasse des éléments à problèmes sans sourciller. En dépit de certains grands airs, elle y retrouve les commandements de naguère, bien que la forme diffère. Les tares des hommes ; ils n’en ont pas le monopole et vont de pair avec les éternels, mais qu’importe. Cela ne l’intrigue pas, pas plus qu’elle ne le craint dans les faits : cette mécanique existe depuis toujours et, dès lors, elle n’envisage guère de le combattre. Mehry protège ses points faibles et file droit vers ses objectifs. Elle ne les perd en aucun cas de vue, même si, dernièrement, elle tergiverse.

De toute manière, tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins. Cela vaut également pour les ordres de ce type.

Leur nature n’est plus un secret, plus depuis le massacre des Mazdak. L’accès au monde des éveillés ne rajoute qu’une preuve supplémentaire au dossier d’ores et déjà massif. Elle en est le parfait exemple. Ces explications, les précédents buts des Corona, tout cela ne l’intéresse pas. Ce qui importe, c’est ce qu’il compte faire d’eux, du rôle qui leur sera attribué et tout ce que cela implique dans les moindres détails.

Derrière son masque, un sourcil s’arque ; travailler sur la Thiase l’éloignera sans doute du Sanctuaire, de ces personnalités et de ces souvenirs pour le moins déplaisants, ce qui n’est pas un mal pour l’heure. Plus que tout, cela lui permettrait de parcourir la région en quête de ses propres réponses. Seulement, cette attribution ne remet-elle pas à mal son apprentissage de forgeron ?

— Peu importe le statut. Ce qui m’intéresse, c’est de connaître mon champ d’action et les missions types sur lesquelles tu m’enverras.

Et cette information, tacitement, Childéric la lui donne. Elle n’a pas besoin d’en savoir plus, d’autant si ce rôle lui permet d’avoir la main mise sur la Thiase et, par extension, le cas Perse. Une pierre deux coups, en somme. Les bras décroisés, Mehry s’octroie un soupir nasal pour tout signe de réflexion achevée.

— En supposant que j’accepte, est-ce que ça ne rentre pas en conflit avec la formation de forgeron ? Tu as peut-être trouvé quelqu’un pour reprendre le rôle, cela dit.

De simples vérifications, notamment pour s’assurer que l’ancien Lionceau n’oublie rien au passage, qu’il est sur tous les fronts et que cette proposition, il y a pensé un bon moment avant d'en faire la proposition. Une occasion de lui montrer qu’il a bel et bien grandit, depuis.

Une question simple, une réponse plus compliquée :

« - Tout dépend de la situation, comme je t’ai expliqué. Ce n’est pas voué à être un ordre avec des missions prédéterminé et bien encadré. C’est justement là que se trouve leur intérêt, de se montrer flexible dans certaines situations. Un champ d’action vaste, hors du cadre classique du Sanctuaire. Qui encourage la prise d’initiative. Disons que pour le moment, la diplomatie avec nos mystérieux voisins de l’est lointain me semble être un bon début, tu ne crois pas ? »

Le regard du vieux lion de se fixer sur celui du serpentaire. La question de la forge, voilà un sujet qu’elle avait remis à plus tard mais qu’elle ne pourrait maintenant plus éviter. La disparition de celui avec qui elle devait partage son apprentissage aurait pu lui rendre la tâche un peu plus compliqué mais Orion n’était pas resté suffisamment longtemps parmi les saints pour laisser une trace vraiment durable, après tout. Il y avait autre chose dans l’affaire et il n’avait aucun doute sur le fait que la jeune femme n’en parlerait pas. Elle n’était pas du genre à s’étendre sur elle-même. Que savait le vieux lion sur elle après tout ? Pas grand-chose. Pourtant, ils se connaissaient depuis longtemps. Il respectait ce genre de chose, il n’aimait pas non plus beaucoup parler de lui-même. Mais sa situation actuelle ne lui offrait plus ce luxe. Il était la couronne, et de fait, sa vie était maintenant celle de tous ou presque.

« - Si tu comptes ne jamais revenir, oui, cela risque d’entrer en conflit. Mais je gage que si cette formation te tient à coeur, tu sauras trouver le temps de t’y consacrer et partir visiter la thiase ne sous-entend pas partir éternellement. Il faudra que je trouve quelqu’un pour remplacer Algebar à tes côtés d’ailleurs, mais chaque chose en son temps. »

Plus question de mettre tous les œufs dans le même panier et de se retrouver sans personne pour s’occuper des armures. Il faudrait aussi peut-être qu’il envoie de nouveau quelqu’un à Jamir. Enfin, il confirait sûrement ça à Kilian, c’était lui, après tout, qui était responsable de cet endroit après tout.

« - As-tu pu t’entraîner sur ta propre armure alors ? »

Plus moyen de fuir la question maintenant.

Tout dépend de la situation. C’est le genre de phrases que Mehry aime entendre, assurément. Cependant, elle n’oublie pas que cela représente un risque, notamment celui de se voit attribuer un rôle à problème : tant que cela n’entre pas en conflit avec ses propres objectifs sous-jacents, la proposition reste pour le moins alléchante. Les conditions font partie du jeu, autant que cette histoire de forgeron qui, de prime abord, la rattache au Sanctuaire. Cela étant, la Persane a décidé d’ouvrir les bras à cette perte depuis bien longtemps. Elle y est préparée, tant que cela lui permet d’effleurer cette autre réalité.

— On avait convenu d’un second voyage, officiel cette fois, jusqu’aux terres d’Hanaan, oui. En revanche, est-ce que tu as décidé de comment tu voulais te positionner, toi et le sanctuaire, vis-à-vis du Commandant et de Dionysos ?

La première étape, avant le prochain départ. Un départ fait de retours, à en croire les avertissements de Childéric. À vrai dire, Mehry se doutait qu’il n’accepterait que du temporaire et elle-même prévoyait d’ores et déjà d’effectuer des allers et des retours. Pas comme Akritès. Somme toute, cela l’arrange presque ; cette formation est une laisse, mais la laisse satisfait parfois le chien plus qu’il n’y paraît.

— Faisons comme ça alors. Je ne doute pas que tu dénicheras quelqu’un pour ça. D’ailleurs, qu’est-ce qu’il est arrivé pour qu’il ne repointe pas le bout du museau par ici ? Il avait l'air plutôt attaché au rôle de forgeron, non ?

Pas que cela l’intéresse véritablement, mais pour la curiosité, disons. Toutefois, la suite est faite d’une autre branche, plus cassante que d’autres.

— Pas vraiment, disons que ça coince. Morwenna avait l’air bien pâlichonne lorsqu'on s'est vues à Camelot, donc j’ai préféré ne pas lui en parler. Elle a l’air surtout d’avoir besoin de repos. De toute manière, Airôth devait participer, mais impossible de le trouver, tu l’as déjà renvoyé sur une mission ?

Mehry envisage cette solution, nonobstant un pincement, parce que ce n’est pas la première fois qu’il s’absente sans l’en avertir préalablement.

Le sujet que la guerrière d’argent venait d’amener sur le terrain était… épineux. Simplement car il était difficile de placer sur l’échiquier ceux à qui elle allait devoir se présenter. Tantôt rempart contre les spectres, tantôt force de sape de l’empire… À force de jouer sur la limite, ils allaient devoir tomber, d’un côté comme de l’autre. Le rôle de Mehry serait alors de s’assurer qu’ils tombent du bon côté, ou du moins, celui qui serait le plus utile pour le Sanctuaire. Après tout, le dieu des vignes n’était pas connu pour incarner la stabilité et le vieux lion ne comptait pas sur une alliance de durée. Mais au moins, ils pouvaient trouver un terrain d’entendre contre l’ennemi commun.

« - Je ne sais pas trop. Ça sera à toi de juger, jusqu’où tu peux aller, ce que tu es prêtes à engager. L’idéal, ça serait que nous puissions dégager ce front ou du moins, s’assurer qu’il soit tranquille. Mais sans oublier qu’ils ont porté le premier coup déjà. Ils font parti des forces qui ont poussé Narsès à trahir le Sanctuaire. Ils servent la pulsion et les folies. Ils ne seront jamais des alliés fiables. »

Et la subversion du général eunuque aurait pu être extrêmement violente et fatale pour le Sanctuaire. Sans compter la perte complète des récentes conquêtes italiennes… Mais il avait réussi à couper la tête du serpent avant qu’il ne puisse planter ses crocs dans les chevilles de l’empire. La guerre civile aurait été le coup de grâce qui aurait encouragé tous les ennemis de l’extérieur à se jeter sur le géant aux pieds d’argiles. Arès, reste d’Apollon, peut être même les forces sous-marines de Poséidon sans compter toutes les autres ombres tapis qui n’attendent que ces moments de faiblesse… Un mouvement à ne pas prendre à la légère. Même si les servants des vignes n’ont pas été les seuls à agiter le rouge devant le taureau…

Et voilà maintenant que le Pope devait se faire annonciateur des mauvaises nouvelles.

« - Il a disparu en mission. »

Encore un, nouveau nom sur une interminable liste. Nouvelle tombe vide sans le cimetière du Sanctuaire. Et combien viendraient s’ajouter alors à cette interminable liste… Pour le reste, il leva un sourcil, un peu surpris. Le masque cachant son visage mais l’étonnant de sa voix parlerait pour lui.

« - Il ne t’a pas dit ? Je pensais qu’il t’en avait parlé. Je crois qu'à part Paros, tu devais être l’une de ses plus proches amies. Mais il a rendu son armure. Il a émis le désir de partir chercher son membre manquant et surtout, le fragment d’armure qu’il a perdu. J’ai accepté. »

Pas mort, mais il était peu probable qu’il revienne jamais au Sanctuaire. Allez savoir où cette quête l’amènerait et qui avait mis la main sur le bras qu’il avait perdu… Mais Airoth était homme de principe, attaché à son armure. Il avait refusé une première fois de se retirer après avoir perdu son bras mais plus que le membre, c’est l’armure incomplète qui devait lui pesait. Ça, le vieux lion pouvait le comprendre. À l’époque où il portait celle du lion, s’il avait été dans une situation similaire, il aurait remué ciel et terre pour qu’elle soit de nouveau complète… Mais peut-être que l'amrure n'était pas la seule chose qu'il était parti retrouvé, après tout. Le deuxième gardien avait été affecté par la disparition de l'ancienne cancer...

Childéric prétend ne pas savoir. Pourtant, ses instructions tacites s’avèrent plus claires que les mots empilés. Dégager ce front signifie une entente relative, suffisante pour qu’ils ne viennent pas leur nuire. D’autre part, ils ne seront jamais fiables ; des éveillés à garder sous contrôle, qui deviendront une force dissuasive ainsi que des alliés d’utilité. Les commissures s’étirent sous son masque, satisfaite de voir cet enfant irréfléchi être désormais adulte presque accompli. L’Ophiuchus n’en attendait pas moins de lui : jadis, ce potentiel, elle l’avait senti.

— Compris. Concernant leurs liens avec les actions de Narsès, tu pourrais m’en dire plus, ou m’autoriser à en lire les rapports ?

Selon, il est probable que cela puisse avoir un rôle durant les négociations. Une carte supplémentaire à jouer, si nécessaire. Mehry n’épargne aucun détail, notamment parce que cela permettrait d’autres mouvements, mais également de repartir à plat. Alors, elle se réserve d’ores et déjà le droit de l’exploiter.
Les bras croisés, un sourcil s’arque toutefois à la sombre nouvelle : Algebar a disparu en mission. L’information ne provoque aucune réaction flagrante, uniquement la question suivante :

— Vous n’avez pas retrouvé sa trace ?

S’il est mort au cours de l’exercice, la précision n’est pas nécessaire. Or, il reste envisageable qu’il ait simplement disparu et, dans ce cas-là, peut-être trahira-t-il plus tard. Cependant, ce n’est pas ce qui intéresse la demoiselle, dans les faits. À ses yeux, le sort d’Airôth est autrement plus important, en plus de son caractère perturbant.

Il a rendu son armure.

Instantanément, ses doigts se crispent, se resserrent autour de ses bras. Ce fragment d’armure le hantait depuis longtemps, il s’était déjà absenté, à l’époque, pour essayer d’en retrouver les traces. Cependant, ô grand jamais il n’avait ne serait-ce que fait allusion à un départ définitif, pas même lorsqu’ils dansaient à Camelot, lorsqu’ils se rejoignaient pour discuter une fois la nuit tombée. Elle lui avait demandé son sang, sa vie ; il avait accepté, puis s’en était allé sans rien dire.

— Apparemment pas.

L’amertume parle pour elle, maîtrisée, mais enrobée d’une ponctuation froide et neutre à la fois. S’il a rendu son armure, c’est qu’il n’envisage pas de revenir ; cette unique réflexion tourne en boucle. L’heure viendra où l’ire prendra le pas, mais plus tard, car Mehry n’aime en aucun cas les étalages. Qui plus est, elle ne réalise pas complètement. Alors, seul le silence résonne encore ; un silence brisé par ses propres soins, dans la même lignée que l’affirmation précédente.

— Comment ça va se passer pour Paros, maintenant ? Honnêtement, je pensais le prendre avec moi pour la Thiase, mais c’est peut-être pas le moment de lui rajouter des charges.

T’as merdé, Airôth. Et moi aussi.
Si j’avais su, à l’époque, que les choses tourneraient de cette manière, que tu nous abandonnerais sans regarder derrière, j’aurais accepté sa demande d’apprenti.
Ce gamin te faisait confiance.
Moi aussi.

Un soupir, et déjà retourne-t-elle à ses machinations psychiques. Le soleret claque le sol un peu trop fort et le bas de la spalière continue d’être malmenée ; finalement, tout cela ne renvoie qu’à une seule vérité : elle a eu tort d’y croire.

— Si tu veux bien m’excuser, je vais préparer le départ et, accessoirement, chercher une solution pour cette histoire de sang et d’armure.

Si Morwenna se sent mieux, peut-être acceptera-t-elle d’ en être le cobaye, de générer ce lien. Elle la cherchera, mais plus tard. Pour l'instant, elle doit se réfugier quelque part, avant de se laisser envahir.

Tellement risible.

Le vieux lion de simplement hausser les épaules à la première question du serpent. Sur cette histoire, il n’y avait pas grand-chose à dire. Des hommes qui avaient simplement suivit la mauvaise personne et placer leur loyauté aux mauvais endroits.

« - Pas grand-chose à en dire et tu perdrais ton temps, je pense, à lire ses rapports. Ils sont suivis celui qui devait leur donner des ordres. C’est tout. Parle à Xanathos, si tu en as l’occasion. Il a été l’un des principaux Corona de Narsès. Il a su racheter son honneur, il porte de nouveau l’armure du phénix. »

Tout comme lui, le serpent d’argent avait déjà vu cet homme sous ces couleurs et elle saurait sûrement se rappeler de la raison qui avait valu à celui qui portait de nouveau l’oiseau de feu, son premier bannissement du Sanctuaire. Childéric espérait qu’il pourrait, à terme, se racheter une conduite et laisser une trace plus positive dans l’histoire de l’ordre. Le phénix l’avait choisi de nouveau, après tout. Puis, à sa question suivante, il hocha la tête.

« - Rien, l’armure est revenu. Tout comme celle d’Elias, qui, comme je te l’ai dit, un nouveau porteur. Ce genre de disparition arrive bien trop souvent à mon goût... »

Mais c’était le sacerdoce de ceux qui vouaient leur vie à une divinité. Il n’était pas promis à une longue vie et à une mort paisible dans leur lit. Mais au destin du soldat : à savoir une mort sale, oubliée de tous et dans l’ombre. Un sacrifice ignoré par les dormeurs, mais honoré par ceux qui partagent la même destiné. Marcher dans les pas des dieux, c’est juste raccourcir sa propre vie. Le vieux lion connaissait un peu le serpent. Il ne pourrait pas dire qu’il la connaissait bien, malgré le temps qu’il avait passé, ensemble, à vivre au Sanctuaire. Elle était très secrète et il respectait cette distance. Pourtant, il comprit que ce départ l’affectait d’une façon ou d’une autre. Alors, il enleva son masque pour que la suite de cette conversation se fasse à visage découvert. Du moins, de son côté.

« - Je suis désolé, Mehry. »

D’abord à penser aux autres avant de penser à elle-même. Elle venait d’avoir été trahi par son ami, qui était parti sans rien lui dire. La colère devait se disputer avec le dégoût et la déception dans son coeur. Pourtant, elle pensait déjà aux autres.

« - C’est un chevalier accompli maintenant. Il n’a plus besoin d’un maître. Mais je pense qu’il n’est pas encore au courant. Je pensais qu’il avait mis les gens au courant alors… Peut-être devriez-vous en parler tous les deux ? Mais partir avec lui c’est une bonne idée. Sa dernière mission n’a pas été facile pour lui. »

Il laissa d’abord un léger silence avant de reprendre simplement :

« - Si c’est ce dont tu as besoin. Tu peux y aller. Tu n’es pas seule ici, juste, ne l’oublie pas. Les gens vont, viennent, vivent et meurent. Mais il y a ceux qui restent. Alors n’oublie pas ça, veux-tu ? Que tu n’es pas seule ici. »

Dans sa voix, une véritable forme de sincérité. C’est quelque chose qu’il comprenait dans sa chair. Toujours, on l’avait formé à la solitude, au détachement. On l’avait préparé à ce qu’il soit, comme son maître avant lui, dévoré par la bête et ses instincts. Alors ce besoin de repousser les gens, il le connaissait bien. Mais au final, ce n’était jamais vraiment une solution. Une âme ne peut pas vivre seule, elle peut simplement survivre. Difficilement.

Perdre son temps, affirme Childéric. Pourtant, en ces preuves réside une ressource inestimable pour qui parvient à les déchiffrer correctement. Un hochement de tête acquiesce malgré tout, comprenant l’étendue des enjeux de cette conversation. D’autre part, son contact avec Xanathos, quelques mois auparavant, laisse un arrière-goût amer, tant est si bien qu’elle s’est fait la promesse de tirer cette histoire au clair. Semble-t-il que l’occasion se présente enfin, mais, comme ceux avant lui, il devra attester de ses compétences, de sa transformation.

Discret, un raclement prend sa gorge ; les armures reviennent, certes, mais cela ne signifie pas toujours que la mort se manifeste pour autant. Elle se tient au bout supposé du chemin, que cela soit à la porte des éveillés ou à la porte des vivants, tout simplement. Mehry estime connaître le sujet mieux que quiconque, elle qui a vu naître les massacres et qui ne trouve plus le sommeil depuis si longtemps. Hélas, les rêves s’enterrent.

— Ne fais pas cette tête, ils ont disparu, mais rien n’indique qu’ils soient morts.

Cette tête que, précisément, elle ne voit pas, mais qu’elle imagine sans mal. Pour cause, nulle trace de sang à perte de vue, pas plus que celle d’un corps. Force est d’avouer qu’il y a d’autres options à explorer, ou à laisser couler. Toutefois, cela ne change en aucun cas la nature du problème : les forces s’amenuisent.

Et, désormais, qu’apportent-ils ?

Sans cette bouffée d’air étouffante, Mehry aurait sans doute placé une boutade de son cru, lorsqu’il ôta son masque de hiérarchie. Or, elle n’est déjà plus là et seul son corps demeure en place ; une carcasse hantée par de violents ressentiments qui, néanmoins, refusent encore de s’échouer sur le rivage. Pour l’instant, la fille du sable préfère le taire au fond d’elle, ne rien montrer et prendre les bourrasques en plein visage. Cette répression, en dépit des apparences, n’est en rien par égard par l’ancien Lion – vraisemblablement peiné, lui aussi, par cette situation – mais pour elle-même : pour ne pas sacrifier les efforts fournis durant toutes ces années.

— Pourquoi s’excuser quand il s’en va sans ordre de ta part.

Si la remarque sonne comme une question, il n’en est rien dans les faits. En outre, un souffle feutré s’emprisonne dans son propre masque ; le masque matériel, mais également l’autre qui dissimule encore son incompréhension et son agacement.

— C’est ce qu’on m’a dit, oui. Dans ce cas, faisons comme ça, mais aucune obligation pour lui : S’il veut rester au Sanctuaire, il reste. Du reste, j’imagine qu’il est là-bas.

Là-bas, entre les murs du Temple du Taureau. En réalité, elle ignore comment agir, réagir, abasourdie par le flot de nouvelles. Les bruits de son armure sur les dalles de la salle se font plus présents, plus stressants ; pas plus fort, non, seulement plus réguliers. L’ensorcelée avait accepté de prendre ce risque avec lui et, maintenant, il n’en reste qu’un cauchemar éveillé. Alors, les talons se tournent vers la sortie, qu’ils tentent d’atteindre d’un pas rapide. Un, deux, trois, et les voici interceptés.
La sincérité dans sa voix est malvenue, autant que le contenu qu’elle propage. De plus en plus, l’agitation monte et se contient, guidée par sa partenaire susceptibilité. La femme fait alors volte-face, sans mouvoir son corps complètement.

— Mourir et s’en aller, qui plus est en disparaissant de son propre chef, sont deux choses différentes, Childéric. Ou peut-être que tu tentes de me faire comprendre qu’il est mort, lui aussi ?

Lui aussi. Qu’il est devenu des cendres, comme le groupe de son enfance. Mourir et s’en aller, disparaître : Mehry en a essuyé de nombreux cas ; elle est déjà marquée par cela, bien plus qu’il ne semble le penser. Marquant une pause, l’air passe enfin dans ses poumons, difficilement.

— Oublie ça, vous étiez proches tous les deux. Merci de m’avoir prévenue.

Tous se perdront un jour, alors, plus que tout, Mehry fuit la mort.

Un des deux n’était peut-être pas mort oui. Voilà ce que voulait répondre Childéric, mais il garda ça pour lui. Airoth était partie, comme ça, sans rien dire. Là où le chevalier d’Orion avait simplement disparu en mission accompagnée de l’ancien phénix. Mais si la disparition d’Algebar n’était que la perte d’une étoile passé si rapidement qu’elle n’avait pas eu le temps de marquer le Sanctuaire. Il n’en était pas de même pour le deuxième gardien qui, lui, été resté ici longtemps. Et il semblait être parti comme en voleur sans même prendre le temps de prévenir les autres.

« - Il est parti de son propre chef oui, mais je pensais vraiment qu’il t’avait parlé avant. Si j’avais su... »

Mais il ne pouvait pas savoir. Il avait beau être la tête d’un corps plus ou moins bien coordonnée, il ne pouvait tout gérer et ce genre de chose, très personnel, n’était pas de son ressort. Tout ce qu’il aurait pu faire, c’est peut-être faire preuve d’un peu plus de tact dans son annonce. L’amener avec plus de douceur que de lâcher son pavé dans la mare. Enfin, il ne pouvait pas vraiment revenir en arrière. Il savait les deux chevaliers proche. Mais proche à quel point ? Mais Mehry semblait bien peser les enjeux de cette disparition. Un soupir de quitter cette fois également les lèvres du Pope.

« - Tu sais, je pense qu’il m’en a plutôt parlé car il devait m’en parler. Si je n’avais pas été Pope, je n’aurais pas été mis au courant non plus. Mais ce n’est pas un traître et encore moins un déserteur, il a fait les choses dans les règles. Les règles lui imposaient de m’en parler à moi. Pour le reste, nous le reverrons peut être un jour. Je l’espère du moins. »

Un sourire compatissant de se dessiner sur son visage. Mais il n’était destiné à personne. Le masque d’acier qui occultait ses expressions l’étoufferait avant qu’il n’ait le temps de naître. Il adressa ensuite un signe de tête à la jeune femme. L’entretient touchait à sa fin et il avait beaucoup de choses à démêler maintenant. D’abord avec le troisième gardien, puis avec l’argent elle-même. Il s’inquiétait un peu pour elle. Mine de rien, il connaissait Mehry depuis longtemps et ne lui avait pas connu beaucoup de proche. Elle restait souvent inaccessible. Lui-même, pouvait-il vraiment se traquer d’être proche d’elle ? Il ne savait pas vraiment.

« - Bonne chance Mehry. N’oublie pas aussi que ta vie prime sur la mission, j’aimerais que tu nous reviennes entière et ne pas avoir non plus, à te compter parmi les morts et les disparus. Tu as survécu trop longtemps en portant l’armure pour partir maintenant ! »

Le savoir à l’avance n’aurait rien changé, parce que ces mots d’adieu auraient dû venir d’Airôth, et non pas d’un quelconque intermédiaire. Dès lors, les tentatives de l’ancien lion s’avèrent inefficaces, au-delà d’être déplacées. Plutôt, ces dernières n’ont pas lieu d’exister, qu’elles revêtent le réconfort, le dérangement, ou quoi que ce soit d’autre. Tant est si bien que la suite ne trouve qu’une oreille distraite, que des prunelles plissées sous son masque albâtre ; un masque dont Mehry prend grand soin de vérifier qu’il est bien fixé sur son visage. Qu’importe son statut auprès du Sanctuaire, pour son devoir en tant que gardien : le taureau n’est rien de plus qu’un déserteur, à ses yeux tout du moins. Au diable les raisonnements, les jugements et les acquis imposés par le Sanctuaire, le Pope et Athéna elle-même : ils n’ont rien à voir dans leurs affaires…

Tant bien que mal, ses lèvres retiennent les acerbes remarques qui, depuis un moment déjà, brûlent sa gorge. La maîtrise de soi, selon certains, mais, pour la serpentaire, il n’était uniquement question de ne pas céder à la colère. Entre autres sentiments, sensations, étrangement, elle décide malgré tout de ne pas les transposer sur ce pauvre Childéric, même s’il ne raconte présentement que des âneries. Son retour, elle n’y croit pas une seule seconde et, si l’ensemble semble confus dans sa tête, cette partie-là, en revanche, est plus claire que jamais.

— Rassure-toi, ça n’aurait rien changé.

Et, au moins, j’aurais pas à le traquer pour te ramener sa tête, mais uniquement pour le maudire de mes propres mains, éventuellement. C’est la première chose qui vient, bien qu’elle s’évapore aussitôt. Elle se mélange au reste, ressortira peut-être. Dans tous les cas, elle est catégorique. Qu’importe : pour le moment, Mehry ne souhaite que la tranquillité, en dépit des rêves qui lui sont interdits. Ainsi suivent les salutations dues au Pope, et déjà le soleret frappe-t-il le sol, dans sa démarche de quitter la pièce, puis le temple. Toutefois, elle s’immobilise un instant, prend le temps de lui répondre convenablement, sans se retourner pour autant.

— T’inquiète, j’ai pas l’intention de rejoindre la liste. Assure-toi d’en faire de même.

Perdre la vie n’est pas dans ses projets immédiats, en effet, notamment parce qu’elle recherche toujours les traces d’avant, les raisons cachées derrière certains évènements, des significations provenant des fantômes – des véritables, cette fois. Le reste est un autre chapitre de l'histoire.

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Sujet terminé pour ma part, merci ! On se tient au courant pour la suite...