[Mi-mars 553] Le défilé des pantins (Paros)

Les vivats secouaient encore l'arène, probablement attisés par Endymion et sa soif de plaire au public. Il l'avait mérité, la nymphe ne pouvait lui enlever cela. Alors, en attendant son invitation à dîner, et puisque Rowena et Esmelia avaient sans doute autre chose à faire que d'assister au tournoi, Célestia se trouva un coin tranquille à la sortie. Sans surprise, elle s'installa pour profiter des pâles -de plus en plus- rayons de soleil hivernaux, fermant les yeux pour s'imprégner encore un peu de l'image de Merhelyn et des échos de leur impossible duo. Sitôt rentrée à l'auberge, elle le dessinerait comme promis quelque part.

Bientôt, les portes des gradins s'ouvrirent, vomissant la foule dans un brouhaha joyeux et assourdissant. Les petites gens de Camelot semblaient satisfaites de leur journée, malgré le sceau du secret apposé sur les événements se déroulant dans la ville concernant les Éveillés en tous genres. Certains, un peu plus attentifs, reconnurent l'Oracle esseulée et vinrent lui adresser quelques mots. Des félicitations pour s'être bien battue, des encouragements. Parfois une pique acerbe à l'attention de cette fille qui l'avait volontairement blessée lors de la première manche, faisant fi de toutes les règles. Parfois des regards un peu méprisants et moqueurs. A force la Princesse aux mille oiseaux arrêtait de faire attention.

Le calme revint peu à peu aux abords de la zone de combat, réparti dans la quartier de Centrallée et autour. La nymphe put ainsi s'entendre soupirer et accueillir un oiseau sur le revers de sa main pour lui dispenser de douces caresses, tandis qu'il pépiait quelques nouvelles pour le simple plaisir de bavarder.

***J'espère que le spectacle vous a plu, ô Muses. J'espère que cela suffira à réaffirmer les Oracles...***

Ils en avaient bien besoin.

Depuis sa défaite lors du premier round du tournoi, Paros était régulièrement retourné dans l'Arène de Camelot. Pour profiter du spectacle, bien sur, mais surtout pour observer, apprendre. Il avait brutalement été confronté à son manque d'expérience et d'entrainement face à des guerriers rompus à l'exercice. Et quel meilleur moyen de corriger cela que d'observer tous ces différents combattants à l'œuvre?

Pégase n'avait bien sur pas pu tout voir. Les duels se succédaient dans l'Arène à un rythme effréné, pour qu'à la fin des festivités un vainqueur puisse être couronné. Alors le jeune Chevalier choisissait avec soin ceux qu'il voulait observer. Les combats des guerriers qui l'intéressaient. Ceux où, à l'affiche, figuraient des visages connus qu'il souhaitait encouragé... Et ce jour-là, Paros avait voulu aller observer comment le mystérieux et concupiscent Général du Dragon des Mers, qu'il avait croisé au bal, combattait ses adversaire.

Et il ne fut pas déçu! Endymion leur avait expliqué, à lui et à Ryme, qu'il avait un don avec les cartes... Mais c'était là un euphémisme! Le jeune homme n'avait pas imaginé un seul instant voir un jour un homme mettre en mouvement les formes d'une image pour s'en servir comme attaque. Et son adversaire n'avait pas démérité. Un pantin qui semblait parfaitement vivant et indépendant de celle qui lui avait donné naissance. Une expérience bien différente de celle de Paros avec sa marionnette. Même s'il n'avait pu l'emporter face au Général de Poséidon, il s'était bien défendu...
Mais ce n'était pas en son nom propre que le pantin s'était battu. Et celle qui l'avait soutenu tout le long de cet affrontement avait tout autant retenu l'attention de Pégase. Célestia. Une Oracle d'Apollon. Grace à ce combat, Paros avait enfin pu mettre un visage sur le nom et la description que Ryme lui en avait donné. La Lionne n'avait pas été très objective dans ses propos, d'ailleurs. Plutôt qu'une poulette, la représentante du Soleil lui faisait plutôt penser à un petit poussin. Mais il fallait se méfier des apparences, avec ces Oracles. Tolosa avait au moins enseigné cela à Paros!

Alors qu'il prenait son temps pour redescendre des gradins, une fois le résultat du match donné, le Bronze s'interrogeait. Allait-il se risquer à aborder Célestia après cette défaite, en risquant de s'exposer à son humeur peut-être en berne? Ou bien la suivre jusque là où elle logeait? Non! Paros chassa cette idée saugrenue. Il avait pour mission d'annoncer aux Oracles que les Saints comptaient les laisser en paix. Ce n'était pas le moment d'agir de manière suspicieuse!
Avant que le jeune homme puisse prendre une décision, il arriva en bas des escaliers à la bordure de l'Arène. Les lieux achevaient de se vider, et devant lui... Baignant dans un rayon de soleil, comme pour attirer son regard, la fille au long cheveux blond se tenait là. Elle semblait perdue dans ses pensées, avec un oiseau dans la main. L'occasion était trop belle pour ne pas être saisie. Paros, sans hésitation, s'avança dans sa direction, mais s'arrêta à quelques mètres d'elle pour ne pas la brusquer.

- Vous êtes encore là, Dame Célestia? Après vos splendides combats, j'aurais cru que vous seriez retournée à votre auberge pour vous reposer un peu. Le Général Endymion ne vous a pas ménagé!

Le jeune homme ne portait pas son armure, ou nulle trace de son allégeance. Tout au plus, ses vêtements assez simples pouvaient laisser deviner leur origine impériale. Heureux d'avoir enfin une occasion de parler avec une nouvelle personne au service d'Apollon, il lui adressa un sourire rayonnant, dénué de toute duplicité. Dans ses yeux rubis, une hésitation demeurait, toutefois. Paros était attentif, à la recherche d'un signe... Pour savoir si elle allait le fuir, ou au contraire, l'autoriser à approcher.

- Mais si vous avez encore du temps et de l'énergie, peut-être puis-je vous inviter à aller boire ou manger quelque chose? Je crois que nous avons une amie commune. Une Lionne. Elle m'a recommandé de m'entretenir avec vous de quelques petites choses.

Alors qu'il se grattait son crâne aux cheveux bicolores, le garçon avait l'air gêné. Surement Célestia saisirait-elle l'allusion? Quant aux sujets qu'ils avaient à aborder, le Saint devinait déjà qu'il se risquait sur un terrain des plus dangereux. Un mauvais mot... Et ses efforts ainsi que ceux de son Maître seraient réduits à néants.
Mais Apollon avait livré un message au jeune Pégase. Et ce dernier avait juré sur la mort d'un ancien héros de le transmettre. Il ne se défilerait pas.

Le doux volatile s'envola immédiatement, effarouché par l'approche d'une présence autre que celle de sa princesse. Aussitôt la belle nymphe releva la tête vers un autre admirateur qui s'empressa de la complimenter sur ses combats. Ses ? Il la suivait donc depuis la première manche ? Car d'aucuns auraient pu dire que le premier combat justement, avait été moins beau qu'acharné. Surtout au moment où la lance d'Aoifé avait fendu les airs pour venir entailler sa gorge.

Quoiqu'il en soit, le jeune homme semblait particulièrement enthousiaste, mais aussi prudent, veillant à maintenir une certaine distance entre eux. Méfiance ? Respect ?

"J'en avais l'intention oui, mais nous nous sommes promis un dîner ce soir. Pour fêter la victoire de l'un, et la défaite de l'autre."

Un sourire amusé. Cela laisserait sans doute à penser à un scénario salace, compte tenu de la réputation d'Endymion en la matière. Que les gens pensassent ce qu'ils voulaient ! Le Général avait été d'un réconfort certain, et malgré la mort qui auréolait ses cartes comme un linceul, un gaillard digne d'offrir spectacle et honneur au public tout entier. En y repensant, il aurait bien l'étoffe d'un Oracle, mais leur conversation à propos des Saints et du soutien des Marinas avait laissé entendre qu'il était très bien à sa place actuelle et n'escomptait pas en changer.

Elle s'attendait à ce que le jeune homme passât son chemin, comme les autres Dormeurs en quête d'adresser quelques mots à une personnalité simplement pour pouvoir se vanter à leurs compatriotes, mais il eut plus d'audace. D'abord avec l'idée de l'éconduire courtoisement, l'Oracle s'anima quelque peu à la mention de la Sainte. Ryme, assurément. Qui lui avait dit que la nouvelle génération de chevaliers d'Athéna était plus jeune, plus innocente, plus ouverte. Qu'un dialogue serait possible avec eux qui pourrait amener à une réconciliation entre les deux Ordres. Célestia ne croyait pas à une entente aussi facile, gardant en mémoire les nombreux morts condamnés par leur faute, ses frères d'armes, ses frères tout court. Cependant, elle se voulait comme le phare au milieu de la nuit, l'espoir dans les ténèbres. Si écouter ce jeune homme pouvait entrouvrir une toute petite porte, cela valait peut-être le coup... ou pourrait être un piège. Mais Childéric savait déjà qu'elle était présente à Camelot, la connaissait. Userait-il de moyens aussi détourner pour venir lui parler, après avoir prétendu au bal qu'il était heureux de la savoir toujours en vie ? Doutes, questions.

"Hm..."

La fille d'Apollon se releva de son siège improvisé et épousseta sa robe un instant avant de reporter son attention sur le servant d'Athéna. Elle aurait bien voulu laisser son visage se parer des couleurs de la bienveillance, mais trop de soucis pesaient actuellement sur ses épaules pour qu'elle s'en sentît la force. Tout au plus parvenait-elle à ne pas devenir foncièrement hostile. Et les mots du Dragon des mers, justement, lui revenaient en mémoire. Si Apollon avait ordonné de raser le Sanctuaire, l'aurait-elle fait sans discuter ?

"J'accepte uniquement si vous me donnez votre nom, puisque vous connaissez déjà le mien."

Une condition bien légère, pour une rencontre qui le serait aussi, elle l'espérait.

La crainte de Paros se vérifia assez vite. Si la jeune femme qui ressemblait à une magnifique poupée de cire semblait tout d'abord bien avenante à son égard, il en fut différent lorsqu'il fit référence à Ryme... Révélant par ce biais son allégeance. L'ombre qui passa sur le visage de Célestia ne lui échappa pas. C'était prévisible... Mais au moins, il ne sentait pas de la pure haine et hostilité dans les expressions de l'Oracle. C'était déjà plus que lorsqu'ils avaient rencontré Amadeus à Tolosa. C'était... encourageant, pour Pégase. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre.

Le cœur du jeune homme se serra lorsqu'elle hésita dans ses premières paroles après cette révélation. Brièvement, Paros craignit qu'elle ne refuse de lui accorder son temps. Cependant, après une brève réflexion, Célestia sembla arriver à une décision. Lorsqu'il l'entendit consentir à parler avec lui, avec pour seul prix qu'elle lui offre son nom, son soulagement fut immense. Avec un sourire revigoré, il s'empressa de lui donner ce qu'elle demandait.

- Oh! Oui! Bien sur! Mon nom est Paros. Chevalier de Pégase.

Trop heureux d'avoir au moins une chance de s'entretenir avec elle, le jeune garçon ne s'embarrassa pas de secrets. A vrai dire, avec tout ce qu'il se passait en ville, il doutait qu'un Dormeur entendant ces mots s'inquiète de quoi que ce soit. Pourquoi se priver, alors d'une honnêteté qui lui était toute naturelle?

Une fois cette douce euphorie passée, Paros se détourna de Célestia, apparaissant plongé dans une innocente réflexion. Où pouvait-il bien l'emmener? Dans une des auberge qu'il avait visité avec Ryme? L'animation pourrait aider... Mais avec les sujets qu'ils avaient à aborder, un peu de calme ne serait pas de refus. Et puis, de ce qu'elle lui avait dis, elle avait déjà des plans pour se sustenter plus tard. Peut-être y avait-il donc plus simple pour rendre cet entretien le plus agréable possible pour l'Oracle?

- Mmmh... Peut-être qu'il vaudrait mieux que vous conserviez votre appétit pour votre festin avec Endymion. Il n'avait pas l'air de faire les choses à moitié, au bal, lorsqu'il s'agissait de fêter quelque chose. Et si nous marchions, simplement? Cette cité regorge de surprises, si on prend la peine de l'explorer un peu.

Marcher. Tout simplement. Au gré ses envies, et celles de la petite dame. En cours de route, s'il souhaitait s'arrêter, il leur serait toujours possible de trouver un endroit tranquille où se poser et peut-être boire quelque chose? Ne sachant comment leur discussion allait tourner, cette option semblait être la meilleure, pour le jeune Pégase.

Invitant Célestia à marcher à côté de lui, Paros commença à s'engager dans l'avenue principale, sans grande idée d'une direction particulière à suivre. Il réfléchissait plutôt à comment entamer la direction avec l'Oracle. Les sujets ne manquaient pas, mais aucun n'était facile à aborder. Et Pégase aurait préféré entamer le dialogue avec une entame légère. Silencieux un instant, il sauta sur la première inspiration qui lui vint.

- Est-ce que... Est-ce que votre séjour à Camelot se passe bien?

Bon sang. C'était pas gagné.

Chevalier de Pégase.

Les mots firent écho à des souvenirs, récents. Amadeus avait insisté sur le nom de Pâris, tout en apparaissant incapable d'en révéler plus. Sans doute le sceau d'un secret commandé par Apollon. Et ce nom il l'avait associé à Pégase, à une sombre destinée terminée au bout d'une lame couverte de sang.

Célestia observa ce pantin du destin, né sous une étoile lourde de sens et de conséquences. Sans comprendre exactement pourquoi les dieux lui prêtaient autant d'attention. Puis elle regarda le jeune homme lui-même, ce Paros dont elle ne savait rien, mais commençait à attendre là encore des réponses. Il semblait soulagé d'avoir pu l'approcher, et quelque part gêné en même temps, de ne savoir par où commencer. Cela elle pouvait le comprendre, pour avoir été dans le même cas avec Ryme. Il était fort difficile de parler à une personne à qui on avait fait la guerre, directement ou via ses pairs. Fort difficile d'ignorer les conséquences politiques qu'un mot malheureux pourrait engendrer. Fort difficile, encore, de se parer d'un sourire quand on éprouvait au fond de soi peur, peine, colère, douleur.

Après un temps d'hésitation, le jeune homme proposa de cheminer simplement dans les allées. Visiblement il n'avait pas anticipé la rencontre de cette manière, même s'il l'avait initiée. Et elle ne lui facilitait sans doute pas la tâche, à rester distante et muette... Tout comme avec Ryme, beaucoup d'a priori demeuraient. Des questions aussi. Alors elle acquiesça simplement, le laissa ouvrir la marche et vint se tenir à son niveau, petit bout de femme silencieux pendant un temps.

"Disons que... je savoure le fait d'être encore en vie. Tout en étant rappelée par le poids des affaires politiques."

A bien y regarder, Camelot se passait assez mal en vérité. Envoyée ici par une vision cryptique, seule au début puis sans parvenir réellement à retrouver ses amies dans la foule dense de la ville. Elle appréciait l'agencement de la ville, ses pierres qui parlaient d'Histoire et sa végétation fournie, mais avait détesté le bal et ses convenances, son mépris, ses intrigues. Elle y avait appris la mort de Lykeios mais trouvé une épaule compatissante. Elle venait d'essuyer une défaite au tournoi, stoppant ainsi l'avancée du Soleil dans son léger regain de réputation avec la satisfaction d'avoir au moins passé un tour, lequel lui avait apporté blessure de l'âme et blessure physique. Elle se devait de marcher sur des œufs, elle, la non-diplomate. Elle aurait pu mentionner aussi la rencontre de Perceval, si seulement le chevalier avait été plus... réceptif à sa philosophie. En fin de compte cette rencontre n'aboutirait à rien. Toujours pas de trace de Myrddin ou d'Artorius.
Non vraiment, cette expérience déplaisait à la nymphe.

"Je suis un peu étonnée que Ryme m'ait recommandée à vous. Elle semblait vouloir profiter de ce séjour à Camelot pour en apprendre plus sur son maître."

Tenter de détourner la conversation de ses idées sombres pour parler plus ouvertement, retrouver quelques couleurs et un peu de Lumière.

"Et vous donc ? Une raison particulière pour déambuler ici ? Une ambition à satisfaire ? "

Une tension demeurait entre le jeune homme et la fille d'Apollon. A la maladroite question posée par Paros pour engager un semblant de conversation, la réponse de Célestia fut tout aussi assassine. Heureuse d'être en vie... Difficile de ne pas y voir de l'amertume après les évènements de la guerre d'Italie. Ainsi que pour tous les mystères et sombres affaires qui se déroulaient ici, Camelot, derrière les liesses de ce couronnement. Devant ces paroles et l'humeur assez sombre de l'Oracle, Pégase ne trouva pas de mots pour lui remonter le moral. Il se contente de détourner le regard d'un air gêné.

- Je... vois.

Vraiment, ce n'était pas le jour de Paros, côté discours motivant.
Une nouvel instant d'un embarrassant silence passa entre les deux jeunes gens alors qu'ils marchaient à travers les rues de Camelot. Chacun se laissa aller à ses propres pensées jusqu'à ce que, finalement, l'Oracle ne reprenne la parole, en mentionnant sa surprise que Ryme lui ait conseillé de venir la voir. Visiblement, la Lionne lui avait aussi parlé de ce projet qu'elle avait d'avoir une sérieuse discussion avec son Maître. Paros en fut lui-même surpris. Derrière ses petites moqueries, pour avoir parlé d'une telle chose avec une Oracle, Ryme devait bel et bien estimer Célestia et lui accorder sa confiance... Ou alors être bien plus déboussolée que ce que Pégase avait cru jusqu'ici.
Paros repoussa cette pensée pour répondre le plus honnêtement possible à l'Oracle.

- C'est bien ce qu'elle compte faire. Mais quand je lui ai dis qu'il me fallait entrer en contact avec les vôtres, et que je n'avais pas la moindre piste... Elle m'a donné un coup de main en me donnant votre nom et votre description. Ne lui en voulez pas!

Le visage de Paros se tourna vers Célestia pour lui adresser un sourire porteur d'excuse. Surement n'appréciait-elle pas que son nom et sa description se mettent à courir les rues, par les temps qui couraient... Mais ce n'était pas unique grâce à cela qu'il l'avait retrouvé! Paros se hâta même de préciser.

- Ah, et les annonces du tournoi ont beaucoup aidé aussi!

Oui, il fallait dire qu'une fois les participants du tournoi de Camelot annoncés, il était difficile de cacher son identité, pour peu que l'on ait donné son véritable nom. C'était finalement ainsi que le Chevalier de Bronze avait eu la certitude d'avoir trouvé la bonne personne.

Les deux jeunes gens arrivèrent devant un escalier. Visiblement, il se trouvaient à présent sur un point de vue légèrement surélevé, qui permettait de voir en partie la mer de toit qui constituait la ville... Et, plus loin le roc sur lequel se dressait le blanche citadelle du Chateau. Paros marqua une pause et s'appuya sur le muret de pierre qui protégeait les piétons d'une chute d'une dizaine de mètre, vers une autre rue en contrebas. Le jeune Chevalier se mit à jouer avec ses doigts. Réfléchissant à la question que Célestia lui avait posé. Les raisons de sa présence, ses ambitions... Avait-il quoi que ce soit d'intéressant à dire à ce sujet?

- Des ambitions? Hm... Je n'ai pas vraiment d'autres prétentions que celles de faire mon travail et accomplir mon devoir. Et celui-ci me dicte de... Réparer ce qui a été mis à mal.

Les yeux teinte rubis du jeune Chevalier se tournèrent vers l'Oracle. Il y avait de la peine, sincère, dans ce regard. Mais également de l'appréhension. Il avait tellement de choses à dire, tellement de poids sur son cœur... Mais ce n'était pas à lui de vider son sac. Il voulait l'aider, elle. Ainsi que les autres servants d'Apollon. Et pour s'assurer de cela... Autant commencer par transmettre les messages dont il était porteur.

- Je ne sais pas si c'est ma place de dire cela mais... Je suis désolé pour ce que vous avez perdu, pour ce qui a été fait pendant la guerre. J'ai beau ne pas y avoir participé, cela n'efface pas ce que d'autres Chevaliers ont fait à vous et à tant d'autres. Il y a beaucoup dans nos rangs qui partagent cette volonté d'essayer de réparer nos torts. A commencer par le Grand Pope. Il m'a chargé de vous transmettre que Narsès avait été arrêté et exécuté pour les actes qu'il a commis. Les soldats encore en Italie ont reçu pour ordre d'arrêter de vous pourchasser. Il y avait également des discussions pour permettre à l'un d'entre vous de rencontrer l'Augure...

La voix de Paros s'interrompit sur ce point. Cet accord avait été négocié avec Pâris, mais après ce qu'il s'était passé à Tolosa... Cette idée était-elle toujours d'actualité? Le Chevalier de Pégase voulait y croire. Son Maître avait œuvré dans ce but, et c'était un premier pas idéal pour réinstaurer un dialogue entre les des ordres.
Et comme Paros l'avait offert à l'époque... S'il fallait se proposer en otage pour permettre cette rencontre, il mettrait sa propre vie en jeu, sans hésiter.

Une certaine curiosité s'alluma dans les prunelles émeraudes de la belle nymphe, à voir ce petit bout d'homme s'excuser simplement pour avoir eu des informations. Même si elle avait voulu faire promettre à Ryme de ne rien dire à son sujet, Célestia se savait suffisamment connue au sein des Saints pour ne pas envisager le dessein de l'anonymat. Pas besoin pour comprendre cela d'un dessin : Childéric l'avait croisée au bal avec sa dame-fantôme, et le tournoi, comme il le soulignait si bien, ajoutait sa touche à l'ouvrage. Elle secoua simplement la tête.

"Si j'avais voulu rester discrète, je n'aurais pas porté la Lumière aux regards. Au contraire, je sais maintenant que le message de notre survie progresse. Contrairement à ce que pense le chevalier des Gémeaux, je ne participais pas par bellicisme."

Maintenant qu'elle avait perdu, la question arrêterait de se poser. Silas pourrait bien se bercer d'illusions autant qu'il le voudrait.

Paros donc, voulait entrer en contact avec les Oracles ? Etait-ce lui, l'émissaire envoyé par le Lion pour annoncer la fin des hostilités ? Un tout jeune chevalier, pas encore altéré par les affres de la guerre ? Facile... Trop facile... Un innocent parlerait bien plus facilement de paix qu'un vétéran qui avait déjà versé le sang et exécuté des ordres plus barbares les uns que les autres.

La prudence dictait au Héron de faire attention. Les belles paroles pleuvaient depuis le début des festivités à Camelot, mais jusque-là aucun acte du Grand Pope ne suivait. Où était-il, lui le représentant d'Athéna, pour faire valoir sa parole et sa volonté de réconciliation ? Pourquoi envoyait-il ses chevaliers prêcher à sa place alors qu'il se trouvait en ces murs ? Le sort des Oracles était donc si futile à ses yeux qu'il évitait même de les rencontrer en personne ? Il voulait juste avoir un ennemi en moins, sans se soucier de l'état dans lequel il l'avait laissé. Car il y avait évidemment d'autres forces en présence dans le monde que celles d'Athéna et d'Apollon. A commencer par les Berserkers. Les sbires des Enfers. Ce Phantasos qui plantait encore et encore sa dague dans le dos des artistes pendant que ceux-ci se retrouvaient le corps troué des lances de l'Empire. Si facile de vouloir la paix...

Ils arrivèrent près d'un point de vue surélevé et la nymphe emboîta le pas de Pégase pour aller s'y installer. Ici, peu de passants présentement. Un endroit idéal pour tester son vis-à-vis... ou pire ?

Célestia grimpa sur le rebord, sans peur. Elle savait pouvoir arrêter sa chute bien avant la réelle en contrebas, mais probablement pas Paros. S'il la poussait, au moins, elle serait fixée. Bras croisés dans le dos, la fille d'Apollon admira un instant la lumière reflétée par les toits, la brise fraîche venant soulever le voile de sa chevelure d'or en un doux balancement de soie. Elle fit quelques pas dans un sens puis dans l'autre, revint accrocher le regard du cheval ailé.

"Ryme m'en a déjà parlé. Enfin, elle n'a pas exactement spécifié que Narsès était mort, mais je l'ai supposé à la manière qu'elle avait de tourner autour du pot."

La mention de l'Augure en revanche était passée entre les mailles du filet. L’Été dévisagea Paros en silence pendant une poignée de secondes, puis revint à son niveau.

"Lequel d'entre nous ?"

Une crainte soudaine crispa Célestia. Depuis Reims, depuis la nouvelle Tour, elle n'avait connaissance que de peu de "un" parmi les Oracles : Kyrios et Yelo étaient portés disparus en Transylvanie. Adonis gardait la Tour. Esmelia avait parlé d'une Pythie sans préciser où et quand elle avait rejoint leur Ordre. Le seul élément encore volatile était... Lykeios. Tué à Tolosa. Tout comme Pâris. Juste après le passage de Pégase. Les Saints essayaient-ils d'appâter les Oracles un par un pour les achever en silence sans que personne ne se doutât de rien ?

"J'imagine que si vous vouliez me voir, c'est que vous n'avez pas d'autre Oracle sous la main. Je suis donc désignée comme une sorte d'ambassadrice aux yeux de Childéric ? Et par moi, il veut atteindre tous les autres ? Nous redonnerait-il notre Augure après avoir pris nos vies ? Cela me semble si faux. Mais continuez donc Paros. S'il veut vraiment nous tendre la main, j'écoute. Il faudra bien tôt ou tard qu'il le prouve."

Alors qu'ils marchaient dans les rues de Camelot, le jeune Saint se surprenait à observer avec une certaine appréhension le faciès de Célestia. Tout d'abord parce qu'il craignait que ses mots de puissent l'atteindre, bien sur. Mais également parce que quelque chose dans les traits de la jeune femme l'intriguait. C'était une étrange impression, qui ne lui était pas inconnu. Comme lorsqu'il avait rencontré le Grand Diacre Paris, Paros retrouvait une grâce et un parfait équilibre dans les lignes de son visage. Un perfection presque surréelle. Était-ce une forme de bénédiction d'Apollon? Tous les Oracles étaient-ils ainsi?

Un éclat d'inquiétude passa au fond de son regard quand il la vit monter sans la moindre crainte sur le rebord du point de vue auquel ils étaient arrivés. Pégase observa la chute en contrebas, et tenta de se rassurer : assurément, si un simple chevalier de bronze comme lui pouvait survivre à cette chute, une ancienne membre de la garde d'élite d'Apollon ne risquait pas grand chose? Voyant l'aisance avec laquelle la jeune femme flirtait avec le vide en se laissant porter par le vent qui agitait sa robe et ses cheveux, Paros se raccrocha à cette idée. Lorsqu'elle se retourna vers lui, finalement, ce fut pour rebondir sur ses dernières paroles. Elle voulait en s'avoir plus sur cette affaire de rencontre avec l'Augure. Après quelques secondes de réflexion, les réponses vinrent.

- Eh bien... A Tolosa, un certain Amadeus s'était proposé... Le connaissez-vous? J'ai cru comprendre qu'il était là, à l'époque... Mais il y a eu des... circonstances particulières, et je doute qu'il puisse se permettre d'aller au Sanctuaire, à présent. Je suppose que l'offre demeure ouverte à n'importe lequel d'entre vous?

Les arrangements passés entre le Chevalier d'Or du Taureau et le Grand Diacre n'étaient surement plus d'actualité, depuis la mort de celui-ci. Amadeus avait déclaré qu'il devait à présent s'acquitter d'une mission pour le défunt prince troyen... Mais pour autant, cette proposition n'était pas dépendante de ceux qui l'avaient initiée. Seule la volonté des deux camps comptait.

Célestia parla ensuite pour demander des précisions. Le doute dans ses mots était palpable. Elle ne pouvait pas croire aussi facilement à une réconciliation. Ses paroles firent naitre une certaine peine dans la poitrine de Paros. Non pas qu'il se doutait que toute cette entreprise serait facile... Mais même sans avoir participé à la campagne d'Italie, le jeune chevalier n'avait pas le sentiment d'avoir les mains propres de tout pêché. Et il n'était jamais aisé de se retrouver à être mis en face de ses fautes.

Avant de répondre, Paros regarda quelques instants l'horizon. Puis, prenant appuis sur ses bras, il monta à son tour sur le rebord du muret où Célestia se tenait. Là, à son niveau, il faisait même au même risque qu'elle. Une façon comme une autre de montrer sa sincère volonté. Plutôt que de rester debout et de lui faire face, cependant, il s'assit. C'est ainsi, les pieds dans le vide et le regard vers le ciel, qu'il fit de son mieux pour lui répondre.

- Je ne sais pas si on peut vraiment parler d'ambassadrice... Le Grand Pope a simplement demandé à mon Maitre, Airoth du Taureau, et à moi-même, de chercher à rencontrer le plus grand nombre d'Oracles possible. Pour leur dire que nous voulons la paix, et que nous sommes prêts à travailler avec vous pour l'obtenir.

Le regard rubis du jeune homme se tourna vers elle. Il ne pouvait prétendre être à la place des nobles et importantes personnes qui prenaient les décisions dans l'Empire, ou au Sanctuaire. Mais il connaissait son Maitre, et le Grand Pope, et les autres Chevaliers de son entourage. Aucun d'eux n'avait de volonté belliqueuse.

- Personne ne souhaite que davantage de sang soit versé. Ni le Grand Pope, ni mon maitre, ni moi... Nous étions tous deux prêts à nous constituer otages entre vos mains, à Tolosa, pour assurer que celui d'entre vous qui ira au Sanctuaire sera sauf. Cette volonté n'a pas changé! Nous sommes prêts à payer le prix qu'il faudra pour racheter nos fautes du passé, et réaliser nos espoirs pour l'avenir.

Paros n'avait pas hésité dans ses mots. Il croyait à ce qu'il disait. Tout comme il croyait à ces visions qu'il avait eu où les conflits entre Athéna et Apollon ne pouvaient mener qu'à la ruine. Il était convaincu que c'était là sa mission, ainsi que sa responsabilité, de réconcilier ce frère et cette sœur. Il devait cela aux âme des défunts des conflits passé. Ainsi qu'à celui qui était mort dans ses bras.
Le Saint sentit de nouveau la coupable démangeaison se manifester sous la peau de ses mains. Il détourna le regard, et ses doigts vinrent s'entremêler. En regardant les toits de tuiles de Camelot, il continua cependant, déterminé.

- Concernant la libération de l'Augure... Je sais que c'est là ce que mon Maitre espère du résultat de toute cette démarche. J'ignore l'avis du Grand Pope Childéric à ce sujet... Mais je veux croire que, si tout ce passe bien avec une première entrevue, d'autres heureux compromis pourront se trouver.

De nouveau, il se tourna vers elle, cette fois avec un sourire d'encouragement. Il n'était pas naïf. Au moins, pas au point de croire que Oracles et Saints pouvaient du jour au lendemain passer d'ennemis à celui d'allié. Ce serait un processus, difficile, douloureux, où chacun devrait faire face à de déplaisantes vérités.
Et Paros espérait faire ici le premier pas de tout ceci.

Si elle ne s'était pas attendu à entendre le nom d'Amadeus si vite dans la conversation, Célestia ne cilla pas et se contenta d'écouter, de bien graver chaque mot dans sa mémoire. Il s'agissait là d'une diplomatie officieuse, dans laquelle l'un comme l'autre jouaient les intermédiaires de puissances plus grandes. Et dans son cas la nymphe n'avait pas reçu de recommandations avant de se lancer, pour changer.

"Je l'ai croisé, mais je ne peux pas affirmer le connaître."

Ce qui était réciproque au vu de la teneur de leur dernière discussion. Ils en avaient un peu plus appris l'un sur l'autre, mais l'homonculus de bois restait froid, distant, comme si on lui avait tracé un schéma dont il ne pouvait dévier. Tout l'inverse de sa consœur en vérité. Alors non, après avoir constaté cela, elle ne pouvait prétendre le connaître.

Longuement elle écouta les mots, entendit les possibles, entrevit les promesses, suivit le jeune homme du regard tandis qu'il s'aventurait près de ce vide sur lequel il semblait rien de moins que mal à l'aise. Il avait suffisamment de cran au moins pour cela, pour tenter. Étrangement il lui rappelait assez Ingvarr. Dans le camp de ceux qui avaient des moyens, des informations, des services à offrir. Mais l’Éminence se rappelait aussi de la lame passée sous la gorge de Rowena et de cette dette qui rampait toujours.

Elle resta impassible, cueillit un instant une coccinelle sur le rebord du mur avant d'aller la reposer un peu plus loin. La colère disputait à la douleur la prédominance des mots qui suivraient. Que voulait Apollon ? La paix ? Raison pour laquelle Lui et son Augure s'étaient rendus ? L'illusion pour mieux tromper les Saints et leur rendre la monnaie de leur pièce ?

"Je prends note de tout ceci, mais ne puis vous donner de réponse à moi seule."

L'évidence, un soupir, puis le début d'une décision.

"Le prix sera probablement élevé. Pour tous les morts que vous avez laissés dans votre sillage. Pour notre Tour que vous avez détruite. Pour notre dieu et notre Augure enfermés. Pour les crimes dont vous nous accusez et qui ne sont pas les nôtres. Pour tous ces artistes, Dormeurs innocents, que votre Narsès a chassés, enlevés, et probablement massacrés."

Elle se retint d'ajouter une quelconque référence à Lykeios ou à Pâris, rien n'indiquant que les Saints étaient directement responsables de leur trépas, sans les innocenter non plus.

De son regard, elle attendit de trouver les prunelles de Pégase et s'y verrouilla. Il avait cessé de détourner la tête, alors elle le dévisagea comme si elle scrutait la moindre parcelle de son âme pour y déchiqueter la culpabilité. Puis elle prit une grande inspiration, ferma un instant les paupières et relâcha son souffle.

"J'aimerais une preuve, et quelques réponses. J'ai croisé Childéric au bal de Camelot, et il m'a seulement adressé quelques mots avant de se détourner. Ryme avait l'air mal à l'aise de parler de lui, et vous de parler des événements de Tolosa. Silas reste une personne qui m'est profondément antipathique. Au bout du compte, il n'y a que des mots.
Pourquoi le représentant d'Athéna ne vient-il pas lui-même prôner son engagement ? Les Oracles sont-ils si négligeables qu'il ne puisse pas ménager un peu de temps pour "réparer" lui-même ? Je sais que ce n'est pas lui qui a donné l'ordre de la guerre à l'époque. Akritès Salonikas O' s'en est chargé, mais le Lion est aujourd'hui son successeur. Si vous nous rendez responsables des actes de nos anciens camarades, à commencer par Bran Ruz, alors il n'y a pas de raison que vous ne le soyez pas vous aussi des vôtres."

Toujours la faute aux anciens. C'était comme si Athéna changeait délibérément les visages dans ses rangs pour que les Saints fussent exempts de tous crimes.

"Si l'Empire compte s'étendre encore et encore pour soumettre tous les Hommes sous son égide, quelle sera notre place dans cette paix que vous recherchez ? Pourquoi ferions-nous confiance à ceux qui nous ont humiliés et réduits en parias ?"

La nymphe soupira de plus belle. Si certaines intonations pouvaient trahir combien elle prenait le sujet à cœur, elle avait veillé à ne pas s'emporter dans un élan de colère injustifié. Ces questions, qu'elle se posait si souvent, appelaient à des réponses longuement méditées, pesées, développées. Des réponses que le jeune homme ne possédait sûrement pas, là comme ça, au-dessus des toits de Camelot. Mais il pourrait au moins voir là un avant-goût de la plaie béante que ses frères et sœurs d'armes avaient laissée.

"Même si vous ne savez pas Paros, je vous écoute. Quel est le sens de tout ceci à votre avis ? Comment un jeune Saint tel que vous envisage-t-il la proposition que vous me faites ? Avez-vous eu les détails ?"

Paros pouvait la voir, cette ombre sur le visage de Célestia. La même qu'il voyait sur le visage de soin Maitre, et sur tant d'autres qui étaient revenus de la guerre. Une hantise qui écrasait tout jusqu'à transformer une personne. Tristesse et colère, entremêlées dans un maelstrom contenu dans un si petit corps. Paros ne l'aurait jamais deviné de prime abord, sans ces violences qui transparaissaient dans les mots et les regards de l'Oracle. Ce constat le peinait. Autant parce qu'elle lui rappelait son impuissance à aider ce mal qui rongeait Airoth, que parce qu'il avait le sentiment que cette profonde peine ne convenait guère à quelqu'un comme Célestia. Elle lui paraissait presque... Dénaturée?

Un moment de silence s'installa, après que l'Eminence eut tous ses reproches. Ceux qui dataient de la guerre, comme ceux qui s'étaient ajouté depuis. Le silence après la violence. Il était vrai que, si le Grand Pope l'avait croisé plus tôt, un geste aurait surement aidé le Taureau et son élève dans leur mission. Pourquoi ne l'avait-il pas fait?
Paros affronta un instant le regard perçant de la jeune femme avant de détourner les yeux, plus par besoin de s'accorder le temps de la réflexion que par honte, ou par couardise. Les questions qu'elle lui posaient n'étaient aucunement simples, et leur importance dépassait tout ce qu'un simple Chevalier de Bronze comme lui devait avoir à gérer. Et pourtant... Pourtant, il avait, comme Célestia le suggérait, il envisageait bien des choses.

- J'ai longtemps pensé que le Grand Pope était un être quasi-divin, qui pouvait tout faire, tout arranger. Presque l'égal d'Athéna. Mais après avoir parlé avec lui, ri avec lui, j'ai réalisé qu'il n'était qu'un homme. Il ne peut être partout, et il a ses propres combats à mener, ses propres préoccupations qui le hantent.

Paros se souvenait de l'impair qu'il avait commis en l'appelant "Gros Pape", du rire tonitruant de l'ancien Lion, du masque froid du Grand Pope qu'il avait laissé tombé pour le soutenir dans sa peine, après son retour de mission... L'image fantasmée que le Pégase avait du représentant d'Athéna avait volé en éclats. Mais au bout du compte, ce n'était pas un mal. Et surtout, cela expliquait peut-être la réserve de Childéric à propos des Oracles, et face à Célestia...

- Il ne cherche pas à se dérober. En temps voulu, je suis certain qu'il fera le nécessaire pour vous rencontrer. Pour l'heure, il a chargé un Chevalier d'Or de préparer le terrain. Car, avec tout ce qu'il s'est passé, ni lui ni vous ne pouvez vous présenter comme une fleur pour faire la paix, si? Il y a un trop lourd passif, qu'il faut d'abord travailler à apaiser.

Une blessure trop fraiche, qu'il fallait soigner. Une confiance qu'il fallait commencer à regagner... Après tout, si Célestia craignait ainsi la traitrise des Saints, Childéric devait tout autant craindre la vengeance des Oracles. Plus encore, Paros soupçonnait l'ancien Lion d'avoir, comme le Taureau, des sentiments forts à propos du sang qu'il avait sur les mains. Peut-être pensait-il qu'il n'avait aucun droit, après ce qu'il avait fait, de s'adresser à elle...
Cette question était déjà bien lourde, et bien complexe. Pourtant, de toutes celles soumises par Célestia, c'était encore la plus simple. Les autres, comme l'Oracle le soupçonnait, étaient encore au-delà de sa portée. Tout ce qu'il avait à lui offrir étaient ses idées. Naïves, peut-être, mais non pour autant dénuées de potentiel.

- Je n'ai pas de réponses à vos autres questions... Cela dépend de pouvoirs et de volontés qui nous dépassent. De comment nous choisirons d'agir après cette discussion... Peut-être pouvez-vous déjà transmettre ce que je vous ai dis aux autres Oracles et décider entre vous si vous souhaitez accepter cette offre? Si vous faites ensuite parvenir un message au Sanctuaire ou à Ravenna pour convenir d'une rencontre, nous pourrons vous confier l'un des nôtres, pendant que l'un de vous se rend au Sanctuaire?

Pour ménager au plus les Oracles, et leur laisser l'initiative tout en leur tendant une main... C'était surement pour le mieux, oui. Encore fallait-il que les deux camps acceptent de donner une chance à la paix, et à s'asseoir autour de la même table. Avec les blessures, aussi récentes que profondes, qui subsistaient entre la Sagesse et le Soleil, rien n'était certain. Mais Paros ne voyait pas les choses de cette manière. Il se redressa et posa ses mains derrière lui pour regarder un instant le ciel

- Il y a surement beaucoup que j'ignore... Mais j'ai parlé avec Athéna, après ce qui est arrivé à Tolosa. Son but n'est pas la domination par la guerre. Elle veut nous guider, nous, mortels. Nous aider à évoluer. Nous offrir un meilleur futur. N'est-ce pas également ce que Apollon cherche à faire? Si leurs désaccords sont sur la forme et non sur le fond de leurs visions, alors je pense qu'une coexistence est possible. Elle a existé par le passé, à Rome. Elle pourrait voir le jour, à nouveau, avec nos efforts.

Le jeune homme tourna la tête vers Célestia pour affronter son regard avec sérieux et sincérité. Malgré sa jeunesse et son ignorance, il possédait une certitude. Depuis la vision qu'Appolon lui avait donné, il ne pouvait plus laisser ces affrontements reprendre. Sa voix s'enflamma.

- Ce que je sais, c'est que ni Saints ni Oracles ne gagneront quoi que ce soit avec plus de morts. Aucun de nos Rêves ne pourra voir le jour en continuant à faire couler le sang.

Une vérité qu'aucun ne pouvait nier. Les douleurs de l'ancienne guerre étaient surement encore fraiches, et les désir de revanche vivace chez certains. Mais qu'avaient-ils à gagner en poursuivant ces affrontements? En entretenant cet antagoniste? Ce n'était la raison d'être ni des Saints, ni des Oracles. Ils existaient pour protéger, pour entretenir, pour élever.
Il y eut un coup de vent, et Paros frisonna. Peut-être s'était-il quelque peu emporté. Et puis, Célestia devait en avoir un peu assez, des beaux discours. Comme elle l'avait dis, elle voulais du détail, du concret. Le Chevalier de Bronze n'était peut-être pas en position de lui donner tout ce qu'elle espérait, mais il pouvait faire au mieux pour l'écouter, et transmettre ensuite aux autres Saints ses souhaits, tout comme il espérait qu'elle porterait son message à ses frères et sœurs Oracles.

- Vous avez parlé d'une preuve. A quoi pensez-vous? Que vous faudrait-il pour prouver nos intentions?

A son tour la nymphe garda le silence un moment. Parfois, son regard dérivait dans une certaine direction tandis qu'elle écoutait le murmure d'un vent lui chuchoter à l'oreille dans cette langue imperceptible à Paros. L'effort pour ne pas reprocher au petit chevalier tous les crimes des siens était considérable et demandait du temps, une remise en question de plusieurs actes passés, et une tolérance qui s'amenuisait à l'énumération de chacun des coups de poignards que les Oracles avaient reçu.

De nouveau assise sur le muret qui dominait une partie de la ville, Célestia tentait de mettre son ego de côté pour penser au plus grand nombre : ceux qui étaient tombés, ceux qui vivaient encore, les Dormeurs comme les Éveillés. Tous méritaient qu'on s'arrêtât pour panser leurs plaies, mais il fallait malheureusement choisir.

"Personnellement je suis prête à discuter. Quand bien même je suis venue aujourd'hui me battre à Camelot, je préfère toujours la paix. Cependant, je ne pense pas que Childéric soit dans le même état d'esprit. Il est, a toujours été, et se revendique d'être un soldat. Un homme de guerre. Je suis sûre qu'il envisageait même le bal comme un combat nécessaire plutôt qu'un moment de partage et de convivialité. S'il me prouve que j'ai tort, je pourrais songer à lui pardonner. Ainsi que vous l'avez dit, il est après tout un Homme. Comme tous ceux de votre Ordre. Comme nous. Pour votre déesse en revanche, c'est une autre histoire."

Athéna avait eu des centaines, des milliers d'années pour réfléchir à des solutions différentes. Pour trouver comment concilier ses intérêts avec ceux d'Apollon, ou d'Arès, ou de Poséidon. Pourtant, au lieu d'utiliser sa Raison pour négocier, menacer à la rigueur, elle avait simplement pris des vies. D'innombrables vies. Sans montrer le moindre signe de regret ou de mal-être. Cette maudite Marque lui aurait donné l'occasion de tromper la vigilance des Oracles et des Berserkers sans avoir à impliquer la population, mais non. Il avait fallu saigner l'Italie comme un bœuf lors d'une hécatombe. Pour finalement essayer de recoller les morceaux avec les serviteurs de son frère.

"Je n'ai pas la moindre raison d'apprécier Athéna. Pas la moindre. Ce qu'elle a bâti avec mon dieu à Rome il y a des siècles, elle l'a anéanti de ses propres mains. Et pour quel motif ? Apollon devenant trop menaçant ? Convoitant des territoires qu'elle-même désirait ? Plus que la Guerre sanglante ou les Ténèbres d'Hadès et les siens ? Je n'y crois pas. Et quand bien même il existerait d'autres raisons tout à fait légitimes pour ce qu'elle a fait, elle n'avait pas besoin de mutiler la terre et ses habitants. La guerre occulte pouvait demeurer occulte. Mais non."

Le meurtre d'un Pope ne justifiait pas celui de toutes ces villes, ces serviteurs, ces familles, les incendies et destructions barbares. En Enfer la vie d'un humain avait toujours la même valeur, noble ou esclave. Y compris pour le représentant d'une divinité.

Rien qu'à repenser à tout ce gâchis, et surtout sa faute de n'avoir toujours rien dit aux Berserkers, Célestia sentit sa gorge se nouer, ses yeux s'humidifier. Ce silence, elle y mettrait fin. Zvezdan se trouvait à Camelot, l'occasion était parfaite. Elle mettrait fin à la guerre d'Italie en détruisant le dernier vestige d'influence d'Athéna les Transylvaniens, coûte que coûte.

Un instant la fille d'Apollon ferma les yeux, s'empêchant de faire preuve de faiblesse devant Paros. Il lui donnait l'occasion de demander quelque chose, de rassembler quelques miettes qu'on avait dispersées au vent sans s'en soucier. De nombreuses idées lui vinrent, à commencer par la libération de Cuchulainn et du dieu solaire, mais il était évident que les Saints n'accepteraient pas, encore moins dans un cadre officieux comme celui-ci. Et puis, il y avait mieux à faire. Plus de gens à aider.

Les émeraudes avaient repris contenance lorsqu'elles s'ouvrirent de nouveau vers Pégase, et la belle blonde parla alors d'une voix posée, adoucie par la perspective d'enfin parvenir à faire un geste envers ceux qui vivaient dans l'ignorance de ce qui les avaient détruits :

"Fournissez-nous la liste complète de ceux que Narsès a pourchassés, les raisons pour lesquelles il l'a fait, et s'il en reste des vivants dans vos geôles, libérez-les. Sans conditions. Dites-leur qu'ils pourront retourner dans leurs familles, offrez-leur les moyens de le faire s'ils sont trop faibles, ou perdus. Faites-leur savoir que les Oracles n'oublient pas les leurs, et que cette guerre qui leur a tout pris est terminée. Et pour les Dormeurs hors de votre portée directe, ceux que l'armée byzantine a arrachés aux Wisigoths qu'ils ont massacrés, si vous ne pouvez les faire gracier, faites en sorte qu'ils soient bien traités, respectés.

La moindre des choses à mes yeux est de tendre la main à ceux qui ont été piétinés."

Le jeune Chevalier Pégase n'était pas dans une situation agréable. S'entendre dire à voix haute toutes les fautes et les erreurs de son ordre, de sa Déesse, lui était difficile. Lui qui admirait la chevalerie d'Athéna depuis sa plus tendre jeunesse, il ne parvenait toujours pas à croire cet horrible tableau que lui dépeignait Célestia. Surement la douleur et la peine qu'elle avait subi lui faisait-elle exagérer ses mots? Ou peut-être le testait-elle en voulant le provoquer? Pourtant, Paros faisait l'effort de l'observer, de l'écouter... De s'imaginer sa situation, autant que possible, dans l'espoir de trouver comment l'aider au mieux. Ce fut moins difficile qu'il ne l'aurait cru. La douleur d'avoir presque tout perdu dans les flammes de la guerre lui était familier.
Le jeune homme, en observant l'Oracle, réalisa qu'elle luttait contre ses propres émotions. Il eu un mouvement pour tendre sa main vers elle, pour essayer de la réconforter. Cependant sa main se stoppa. De la gentillesse et du réconfort n'était pas ce qu'elle désirait de sa part. Cela ressemblait trop à de la pitié. Elle voulait réparation. Ryme lui avait dis, après tout. "Avant de tendre la main, il fallait soigner la plaie". Paros ramena sa main à lui et la serra avec sa seconde. Tout en gardant un regard empathique à Célestia, il voulu tout de même lui apporter un sommaire réconfort avec ses mots.

- Je ne vous demanderai pas de pardonner aux Chevaliers, ou à Athéna. Je sais ce que c'est, de perdre des personnes qui nous sont chères lors d'une guerre... Il y a des choses qu'on ne peut oublier. Mais donnez-nous simplement une chance d'expier nos fautes. De réparer les torts causés.

C'était tout ce qu'ils pouvaient faire. Répondre de leurs actions, et compenser le mal causé par le bien dont ils étaient également capable. Le pardon, lui, ne leur appartenait pas. C'était à ceux qui avaient été blessés de choisir si leur reconstruction devait ou non passer par l'absolution de ceux qui les avaient blessé.

Célestia lui donna ensuite ses exigences. Les informations sur les Oracles qui avaient été pourchassés et capturer par Narsès, et la libération de ceux qui étaient encore détenus. Paros ignorait s'ils avaient de tels prisonniers de guerre au Sanctuaire, mais le Grand Pope, lui, saurait.
Quant à ceux qui avaient été déplacés par la guerre d'Italie... Pégase pouvait imaginer que la plupart étaient devenus des esclaves, ou au moins des travailleurs forcés dans les grands travaux de l'Empire. Le jeune Saint espérait que le Pope aurait l'influence nécessaire pour influer sur le sort de ces pauvres âmes... Pégase aurait bien volontiers brisé les chaines de tous les esclaves qu'il croisait, mais l'Empire Byzantin était immense, et les rescapés d'Italie pouvaient être n'importe où... Pourtant, le regard de Paros ne vacilla pas. Il était d'accord avec Célestia. C'était la juste chose à faire.

- Je transmettrai tout ceci au Grand Pope et je ferai tout mon possible pour vous l'obtenir. Je vous en fais la promesse.

Surement cela ne signifiait-il pas grand chose pour l'Oracle, après ce que les Saints lui avaient fait subir. Mais Paros ne donnait pas ainsi sa parole dans le vide. Il devait s'engager pour les Chevaliers, pour son Maître, et pour lui-même. Pour arranger les choses, la demi-mesure n'était pas envisageable. Même si les demandes des Oracles étaient déraisonnables, il leur fallait les écouter, et faire de leur mieux pour les remplir.
Seuls restaient à présent les détails techniques. Si accord il devait y avoir, il ne pourrait se réaliser qu'après Camelot. Et après avoir été pourchassés, surement les serviteurs d'Apollon auraient-ils des scrupules à révéler où et comment les trouver... Autant donc leur laisser tout contrôle sur comment les futurs échanges pourraient avoir lieu. Paros reprit donc.

- Comment pourrons-nous vous contacter, pour vous transmettre ces informations? Voulez-vous que nous envoyions quelqu'un à Rome? On bien faudrait-il passer par une communication plus... indirecte?

Le jeune chevalier ne savait pas vraiment lui-même à quoi cela pouvait faire référence. Des mots secrets passés entre les mains des serviteurs? Laissé cachés derrière les pierres d'une statue? Surement l'Eminence d'Apollon aurait-t-elle de meilleures idées que lui...

Le Héron trouvait chez le jeune homme une écoute qui avait jusque-là fait défaut à ses confrères et consœurs. Childéric et Silas s'étaient toujours défendus en invoquant les lois de la guerre, les conséquences inévitables d'un conflit, la naïveté ou le bellicisme de l'Oracle. Ryme leur avait trouvé des excuses, d'une manière différente. Et si, bien évidemment, les serviteurs d'Apollon avaient eux aussi leur part de tort dans l'histoire, que Célestia reconnaissait volontiers, elle trouva en Paros quelqu'un capable de simplement entendre ce qu'elle avait à dire, ses raisons, sans chercher à les extrapoler ou les justifier. Une qualité suffisamment pour l'apprécier à sa juste valeur.

Voyant l'amorce de son geste, elle esquissa le début d'un pas de recul, comme lui une offre de réconfort. En d'autres temps, elle aurait sans doute rattrapé sa main, accepté son contact. Mais il y avait là une autre blessure, ancrée dans la chair, courant le long de la peau rosée qui mettrait bien plus de mois à cicatriser qu'elle en avait mis à rougir. Heureusement il s'en tint là et elle fit de même.

Le fragile équilibre qu'ils maintenaient demeura. Chacun dans sa prudente distance, chacun tentant de consolider le pont vers la paix, à défaut d'une once d'amitié jadis anéantie. Chacun pensant à l'autre, aux Autres.

"Je transmettrai de mon côté vos mots de paix à mes pairs. En espérant qu'un fruit naisse de ces promesses avant qu'elles ne soient rongées par les vers."

Lorsque vint la question d'une rencontre future, Célestia prit un air songeur. C'est qu'en venant à Camelot, elle n'avait pas prévu d'avoir à rencontrer un émissaire des Saints, ni de le revoir ultérieurement. Il était tout à fait hors de question que les choses se déroulassent à Rome, sous garde byzantine, là où la guerre avait pris fin une fois. Hors de question également de se rendre à Athènes ou d'échanger des messages qui pourraient être interceptés. Il fallait un lieu neutre, qui n'éveillait pas de soupçons ni chez les uns, ni chez les autres. Une terre de paix idéalement.

Une idée se forma petit à petit dans l'esprit de l'artiste, qui pourrait faire l'affaire si les dieux leur accordaient un peu de répit.

"L'Aquitaine est terre aphrodisiaque, où la violence est proscrite. Je suggère un rendez-vous là-bas. A Burdigala, par exemple. Dans 2 mois. De préférence vous, ou Childéric lui-même. Seul. Si possible ce sera moi qui irai plutôt que l'un des miens, ainsi nous saurons à qui nous aurons affaire. Cela irait-il ?"

Lorsque Paros entendit les mots de Célestia, le cœur de Paros fit un bond. Pas de crainte ou de surprise... Mais de pur joie. Et de soulagement. Ces paroles, il avait espéré les entendre depuis son départ du Sanctuaire. C'était tout ce qu'il espérait : œuvrer à réparer cette relation avec les Oracles, et accomplir la mission que le Grand Pope Childéric lui avait confier. Transmettre une parole d'apaisement... Le Pégase allait pouvoir retourner au Sanctuaire la tête haute, contrairement à l'issue de sa mission précédente.
Il adressa un sourire chaleureux et reconnaissant à l'Eminence du Héron. A eux deux, même s'ils n'étaient pas grand chose, ils étaient arrivés à trouver un compromis. Un équilibre. Et si, petit à petit, d'autres ajouts pouvaient se faire tout en préservant cette balance à égale mesure, alors de grandes choses pourraient se faire.

- Merci. Je sais que ce ne sera pas facile, pour vous et vos compagnons... Je vous suis reconnaissant d'essayer, vraiment.

Se posa ensuite la question de comment entretenir ce fragile contact, à peine retrouvé. Paros, dans sa tête, se figurait les routes entre l'Italie et la Grèce. Le moyen le plus court d'aller d'un domaine à l'autre... Aussi, ses yeux s'ouvrirent-ils en grand lorsque Célestia mentionna l'Aquitaine. Il était vrai que cette région de Francie était épargnée par la guerre, et que des Oracles y avaient trouvé refuge! C'était un lieu idéal pour parlementer, comme son maitre et lui l'avaient fait à Tolosa avec le regretté Paris. Pégase ne manqua pas de signifier à l'Oracle sa surprise et son admiration pour cette brillante solution.

- Oh! C'est une très bonne idée. Je me souviens qu'à Tolosa, nos armures étaient comme... "endormies", par le pouvoir de cette région. Cela rendra les discussions plus sures, en effet.

Et puis, cela lui permettrait peut-être de passer à Tolosa. Paros avait commencer à démêler ces sentiments par rapport à ce qu'il s'était passé, là-bas, quelques mois plus tôt. Il commençait à faire la paix avec son impuissance à sauver le Prince troyen. Mais il avait encore des questions. Et il espérait qu'Amadeus, aussi peu chaleureux était-il, pourrait lui donner quelques réponses.
En parlant de ce qu'il s'était passé à Tolosa... Plusieurs souvenirs revinrent à l'esprit du jeune Chevalier. Certains désagréables, d'autres plus plaisants. Tous d'égale importance. Quelques évènements auquel il avait assisté ne faisaient toujours pas de sens, pour lui. Mais à présent qu'il était en présence d'un Oracle d'Apollon, peut-être pourrait-il y voir plus clair. Enfin... Si Célestia acceptait d'échanger un peu plus longtemps avec lui.

- Mh... Cette question va peut-être vous sembler étrange, Dame Célestia, mais... Les noms de Lykeos et de Nicae vous disent-ils quelque chose?

Parmi les deux visions qu'il avait eu à Tolosa, l'une d'elle était celle d'un homme à l'armure ailée resplendissante qui venait en aide à lui et à son maître. Des paroles et des noms étaient échangés. Mais à ce sujet, Pégase n'avait encore trouvé aucun indice. Des noms d'inconnus, qui pourtant pouvaient avoir une importance critique pour l'avenir.

Un drôle de sentiment assaillit la fille d'Apollon, comme en écho à l'éclat de Paros. Il y avait toujours cette barrière, cette méfiance parce qu'il était un Saint, un ennemi, et en même temps, à le voir si radieux, elle se sentit également apaisée. Enfin elle cessait d'apporter catastrophes sur catastrophes sur les siens, et cela depuis Reims. Enfin quelqu'un lui souriait sans arrière-pensée. L’Été porterait les fruits d'un printemps mûrement travaillé.

Elle voulut, un instant, détromper la trop grande confiance qu'il plaçait en elle, ce qu'il pensait savoir ou comprendre au sujet des Oracles, tempérer une trop grande hâte, mais elle ne put que rester immobile et savourer malgré elle la légèreté sur ses épaules. Ils avaient lancé un appel à la Vie. En espérant que le plus de gens possible y répondissent.

"Oui, plus sûres. Plus calmes. Plus saines."

Une offrande à Aphrodite pourrait même leur garantir un arbitrage équitable en cas de besoin, mais la dernière fois qu'elle s'était adressée à une divinité autre que son père, elle en avait chèrement payé le prix, ainsi que les autres Oracles et les Berserkers. Même à Hermès elle n'avait jamais osé adresser la moindre prière, pour la moindre réponse sur l'énigme de ses origines, de peur d'être encore la victime et l'instigatrice involontaire d'une machination divine hors de sa portée. Elle nourrissait simplement le doux rêve que, si les représentants d'Athéna acceptaient enfin de déposer les armes pour faire quelque chose de plus constructif de leur Rêve, alors l'Amour consentirait à cet échange, ne fusse que dans le but de voir de possible relations naître avec le calme retrouvé...

Soudain, sans doute poussé par l'optimisme de leur début d'échange, le cheval ailé posa une question qui la prit par surprise. Son visage d'abord pétrifié par l'étonnement vit rapidement ses sourcils se froncer. La porte se refermant presque à nouveau.

Comptant sur l'aspect réciproque de la conversation, le Héron se fit violence pour ne pas retomber dans une douloureuse colère. Il avait sans doute une raison, et pas celle de vouloir la provoquer, pas après ces détours pour se faire bien voir et trouver un compromis qui pouvait aussi bien tomber à l'eau dès maintenant. Elle se força à demeurer ouverte, fouilla dans ses mémoires la réponse au second nom tandis qu'elle berçait en silence le cadavre de souvenir du premier.

"Lykeios est le nom d'un fils d'Apollon, un demi-dieu. Il a été abattu lors de l'assaut de la Tour."

Car elle voyait mal en quoi l'autre Lykeios pouvait l'intéresser. A moins bien sûr qu'il fût l'auteur de son meurtre dans les rues de Tolosa, justement.

"Nicae peut nommer deux villes différentes. L'une sur la côte Est franque, et l'autre au sein de l'Empire byzantin, de l'autre côté du détroit qui sépare votre chère Constantinople de ce qui était autrefois l'extrémité de la Perse. Pourquoi cette question je vous prie ?"

Fallait-il comprendre qu'Athéna avait des vues sur l'une des deux Nicae ?

Paros nota immédiatement le changement d'attitude de Célestia lorsqu'il posa sa question. Immédiatement, il regretta, et se retrouva fort embarrassé. Avait-il été trop hâtif? Peut-être aurait-il dû attendre que cette fragile confiance se renforce avant d'aborder un tel sujet? ... Mais au fond de lui, il savait qu'il ne pouvait se le permettre. Cette vision de cette armée au croissant marchant sur les troupes byzantines défaites, ces silhouettes aux armures sombres... Et la vision suivante, celle d'Apollon tenant cette coupe. Le jeune Pégase ne pouvait enlever ces images de sa tête. Elles devaient forcément être importantes... Le Prince Troyen l'avait payé de sa vie, après tout.

Malgré sa première réaction, la jeune femme au longs cheveux d'or parvint à mettre de côté son offuscation et sa colère pour lui donner une réponse. Ou, au moins, un début de réponse. C'était tout ce que le Chevalier avait espéré... Mais ce ne fut pas sans surprise. Célestia put voir, sur le visage de Paros, une certaine confusion apparaitre. Ses yeux dévièrent vers le vide sous leurs pieds, pensif. Il essayait de se rappeler mieux ce qu'il avait vu.

- Alors Nicae est une ville? Je pensais qu'il s'agissait d'une personne. Et Lykeos... n'est plus? Je... Je suis sincèrement désolé. Mais alors...

Le jeune garçon avait peut-être mal interprété ce qu'il avait entendu? Si Nicae était une ville plutôt qu'une personne, était-ce là où s'était déroulée sa vision? En Francie, ou en Perse? Et plus important encore, si le fils d'Apollon était déjà mort, qui était celui qui était apparu devant eux? Un homonyme?
Paros releva la tête, et remarqua le regard insistant de Célestia qui lui avait posé une question. Il s'empressa alors de lui donner une explication à tout ceci.

- Lorsque mon Maître et moi étions à une table avec les seigneurs Paris et Amadeus, nous avons tous eu une vision. Mon Maître et moi nous tenions dans un désert, blessés, face à une armée, et des personnes avec des armures sombres nous ont attaqué. Un homme portant une armure ailée est apparu pour les vaincre et nous sauver. Là, mon Maître l'a appelé Lykeos, et l'a prévenu que "Nicae" était en danger...

Si c'était vraiment une ville, il était normal que les deux Saints la protègent... Mais alors que penser du fait qu'un Oracle la protège à leurs côtés? S'il s'agissait du futur, pouvait-il alors espérer que les serviteurs d'Apollon et d'Athéna allaient trouver cause commune, ou au moins ennemi commun? Des questions. Encore, et encore, des questions. Ni son Maître, ni Paris, ni le Grand Pope n'avaient pu lui donner de réponses sur ce qu'il devait penser de ces visions. Il en avait pourtant besoin, pour donner un sens à ce qui était arrivé à Tolosa. Dans une voix plus faible, Paros laissa échapper ces pensées.

- Je ne sais pas quel sens donner à cette vision. Est-ce que c'était le futur? Ou bien simple un rêve? Le Seigneur Paris a appelé ça un Éclat, sans dire ce dont il s'agissait...

Un éclat appartenait le plus souvent à un ensemble. Mais à quel ensemble rattaché une scène aussi vivante? Porteuse autant de bons que de mauvais présages?

La colère de l’Été se mua en un scepticisme bien visible. Soit Paros était un comédien encore plus doué qu'un Oracle dans son improvisation, et Apollon savait combien une telle qualité aurait été gâchée entre les mains d'Athéna, soit il disait la vérité. Une vérité surprenante, difficile à accepter, car cela signifiait que son père donnait des clefs à ceux qui les avaient anéantis, alors même qu'il refusait à ses serviteurs des pistes nettes, un plan d'ensemble.

Mettant de côté la frustration d'être dans le flou une fois de plus, Célestia tâcha de se concentrer sur le contenu de la vision décrit par le Saint. Assez imprécis, mais qui donnait déjà quelques contours à une question bien vaste. Pâris avait légué son héritage à Paros. Avait-il donc provoqué volontairement cette vision ? Mais si Amadeus l'avait partagée, pourquoi n'en avoir rien dit à la nymphe lors de son passage ? Et pourquoi Lykeios aurait-il sauvé deux Saints ? Même s'agissant de l'humain, il n'avait pas de sympathie particulière à leur égard, au contraire...

"Si vous avez vu cela à Tolosa, alors cela date de quelques semaines tout au plus, n'est-ce pas ?"

Elle voulait volontairement rester vague dans la date, pour ne pas donner à Pégase plus d'informations sur sa rencontre avec Amadeus. Cela ne changerait pas grand-chose pour lui. Le Lykeios humain était mort dans l'intervalle, changeant ainsi probablement le futur tel que présenté à ce moment-là au jeune homme. En admettant qu'il ait bien vu Lykeios sans être trompé. Seulement... Il est dit qu'un jour le Dieu solaire rappellera à lui les anciens héros de jadis pour vaincre le mal. Amadeus avait-il lancé un avertissement entre les lignes à son homologue de marbre ? Savait-il, d'une manière ou d'une autre, si le demi-dieu serait capable de revenir dans un futur plus ou moins proche pour repousser semblable menace, faisant fi de la guerre d'Italie où il avait trouvé la mort ?

Pour ce qu'en savait Célestia, le climat persan était bien plus propice au désert que celui de Francie, il s'agissait donc probablement plus de la ville byzantine de Nicée. Nul doute que cela s'apparentait plus au futur qu'au passé. Elle avait donc des personnes, un lieu. Et... peut-être un motif concernant ces soldats en armures noires.

"Plusieurs ordres portent des armures sombres de nos jours. Il suffit de regarder les Ligures, les Tuathas, certains Asgardiens qui se trouvaient au bal... et les Spectres. L'histoire que vous me décrivez me fait penser à Jamir..."

Un souvenir à la fois agréable en ce qu'il avait réuni la famille apollonienne côté à côte dans le même combat, et déplaisant dans ses conséquences. Les armées de morts-vivants face aux armées des autres Ordres, la jarre récupérée par Adalrik, Adalrik Endormi... Hadès serait peut-être, ironiquement, le salut de la paix entre la Stratège et le Soleil. Hadès ou les dieux Jumeaux ?

Voyant Paros plongé dans le trouble, Célestia soupira.

"Le futur n'est pas arrêté, Paros. Apollon est capable de nous montrer différentes voies, de regarder au-delà de nos perceptions, mais... jusqu'à preuve du contraire, notre libre-arbitre nous permet d'infléchir légèrement le cours des événements. La notion d'Oracles ne sort pas de nulle part. Et en tant que l'une de ces Oracles, je pense que ce que vous avez vu a un sens. Important pour qu'un Saint soit destinataire d'un message pareil. Si vous n'étiez pas capable de comprendre ce sens, il l'aurait envoyé à un autre. Alors ne vous tourmentez pas et réfléchissez calmement, reprenez les éléments un par un.

Par exemple, votre maître, aujourd'hui, connaît-il Lykeios ? L'a-t-il déjà rencontré ? Et vous-même ? Je crois comprendre que non. Le futur pourrait bien avoir changé à cause de quelque chose qui s'est produit entre votre passage à Tolosa et aujourd'hui. Réfléchissez, prenez votre temps. Que savez-vous aujourd'hui qui aurait pu altérer ce futur ?"

- Oui, c'était il y a presque un mois...

Paros répondit tout de suite à la question de Célestia, mais une certaine confusion était lisible sur son visage. Il ne comprenait pas vraiment en quoi cette information pouvait aider l'Oracle à mieux comprendre ce qu'il lui avait conté. Surement savait-elle quelque chose qui l'ignorait, ce qui n'était en soi guère surprenant... Mais son silence à ce sujet n'aidait guère le jeune Pégase dans sa quête de vérité. Il ne lui en tenait pas rigueur : après tout, pour regagner la confiance des Oracles, surement les Saints allaient-ils devoir plus donner qu'ils ne recevaient pour un temps. Mais Paros ne pouvait s'empêcher d'être un peu déçu...

Au moins, la description du jeune Chevalier avait-elle eu le bénéfice de donner matière à réflexion à l'Eminence. Célestia semblait plonger dans une intense réflexion à propos des détails que le Bronze lui avait donné. Lorsqu'elle donna à haute voix ses réflexions concernant la couleur des armures, Paros ne put qu'acquiescer en silence. Lui en son Maître avaient déjà eu les mêmes théories. S'il s'agissait des Spectres, les serviteurs du Sombre Monarque, alors tout prenait un sens pour le pire.
Il l'écouta avec grande attention lorsqu'elle parla du temps, des visions des Oracles, des possibilités et de leurs disparitions. C'était là des concepts que Paros avait du mal à cerner. Il avait longtemps pensé que le futur était plutôt quelque chose de gravé dans le marbre, qui ne pouvait se changer. Des fils entre les mains des Dieux. Des destinées promises, parfois brisées, mais toujours fixes. La vérité sortant de la bouche d'une Oracle étaient... compliquées. Tout autant que cette nouvelle vague de questions. Mais pourtant... une réponse lui venait.

- Je... pense savoir... La mort du Seigneur Paris, peu après cette vision.

Si le futur avait bel et bien été modifié, alors, à la connaissance de Paros, il ne pouvait s'agir que de cela. Alors qu'ils avaient convenu d'un accord et d'une communication avec un ancien élu d'Apollon, sa mort avait brusquement tout remis en cause. Le contact avec les Oracles n'avait pu être rétablis. Leurs projets diplomatiques avaient été délayés au mieux, évincés au pire. Qui pouvait dire quels étaient les conséquence de la mort d'un ancien héros comme le Prince Troyen? Athéna avait considéré qu'il était une anomalie, mais même si sa mort était dans l'ordre des choses, la façon dont elle était survenue pouvait signifier bien des choses...
Le Chevalier de Pégase prit une profonde inspiration. Il n'était toujours pas facile pour lui de parler de ce qui était arrivé, ce jour là. Mais plus que n'importe quel autre, Célestia méritait surement de l'entendre.

- Mon Maître était reparti en Grèce pour informer le Grand Pope de l'offre dont je vous avais parlé. Je suis resté à Tolosa car le Seigneur Paris souhaitait me montrer une fresque d'Apollon. Lorsque je l'ai vu, mon armure a eu une réaction, et il y a eu une autre vision... Plus cryptique.

Le jeune homme serra les lèvres en repansant à cette impression écrasante qu'il avait subis. De la morsure du froid, et du feu. De l'odeur étourdissante... Son regard peiné se fixa dans celui de sa vis-à-vis.

- Une terre morte et froide, que la lumière du soleil faisait revivre en rétablissant un équilibre... Puis une coupe étrange que votre Dieu tenait entre ses mains. Avec un Cosmos divin qui s'en échappait... Lorsque j'ai repris mes sens, des fleurs de pavots avaient envahis la pièce, et leur parfum avait affecté le Seigneur Paris, au point de le pousser à... à mettre fin à ses jours.

Les mains de Paros se serrèrent à s'en faire blanchir les articulations des doigts. Il essayait de repousser cette sensation qui le poursuivait, ce souvenir du sang qui avait recouvert ses mains... Les dernières paroles du Prince avaient été pour son frère Hector, mais également pour ses ennemis, Achilles et Patrocle.
Saints et Oracles. Ennemis, mais liés.
Et un symbole de cette relation, disparu à jamais.

Porteuse d'un silence solennel, l’Éminence alla chercher les mains du jeune homme et les rassembla entre les siennes, chaudes et douces. Elle se refusait à lui inspirer son habituel sentiment de bienveillance, de peur de faire réagir la barrière des Ligures et briser la trêve de Camelot, mais elle garda sa prise jusqu'à ce que Paros eût cessé de trembler. Dans ses yeux, l'assurance qu'elle comprenait ce qu'il vivait, mais aussi des larmes. Les dieux Jumeaux leur posaient déjà bien des problèmes, et continueraient selon toute vraisemblance. Après les demi-dieux, les artistes, la vie de Célestia, ils avaient également fauché celle d'un héros guidé par la flèche d'Apollon, et les visions décrites par Pégase laissaient penser qu'ils n'allaient pas s'arrêter en si bon chemin.

Plus encore, elle imaginait sans peine l'impuissance de s'être trouvé là, et n'avoir rien pu faire. Paros parlait de son presque homophone avec respect, et elle devinait que la rencontre l'avait marqué. Qu'il aurait voulu pouvoir le sauver. Tout comme elle avec les enfants de Carthage aux mains des Roisins Dubhs.

"Une terre morte et froide..."

Elle releva la tête vers l'astre pâle un moment, tenant toujours les mains du Saint au milieu des siennes, jusqu'à les sentir se relâcher un peu, se détendre. Là, elle le laissa tranquille si tel était son souhait. La Tour tenait à nouveau debout, mais pour combien de temps ?

"Nous sommes l'antithèse des Enfers. Lumière, chaleur. Vie. Au-delà d'une simple réparation, vous comprendrez je l'espère combien la libération d'Apollon est capitale, au regard de ce que vous me dites maintenant. Athéna..."

... a commis une grave erreur en contrariant mon père. Car s'il s'est rendu de lui-même en sachant tout cela, c'est qu'il veut punir un affront au prix fort. Quitte à perdre la guerre d'Italie. Quitte à laisser le monde à la dérive, jusqu'à ce que la Sagesse vienne présenter ses excuses aux pieds du monde qu'elle prétend protéger, pour simplement satisfaire son orgueil.

Partagée entre une légitime colère envers la Stratège et le souci de tous ceux qui pourraient mourir pour ses errements, Célestia resta pensive un moment. Serait-elle prête à condamner les Saints, si cela signifiait avec eux des milliers et des milliers de Byzantins et assimilés ? La réponse ne s'imposa pas à elle naturellement comme elle aurait pu s'y attendre. Son existence n'avait pas d'importance, jouet qu'elle était, mais celle des autres ? Des Oracles ? Des civils ?

"Commençons par ce premier pas dont nous avons convenu, pendant que nous avons encore du temps. Il me semble évident que rien ne pourra s'accomplir sans cela. Je parlerai de ces visions aux miens, avec le reste. J'espère pouvoir apporter des réponses à cette énigme mais je ne peux rien vous promettre."

Le geste de Célestia prit de court le jeune Chevalier. Il ne s'était pas attendu à ce qu'elle initie un contact aussi intime et sincère, surtout après le recul qu'elle avait eu un peu plus tôt. Alors qu'il sentait la chaleur des mains de l'Oracle sur les siennes, Paros eut un moment de faiblesse durant lequel les larmes lui montèrent aux yeux. Il ne put se retenir de les verser qu'en déformant son visage en une grimace surement assez ridicule. Tant pis pour son sérieux ou son image, il ne voulait soudainement se mettre à pleurer pour ça alors que Célestia et les autres Oracles étaient surement les plus à plaindre.
Il fallut un moment à Pégase pour retrouver le contrôle de ses émotions. Une fois la boule dans sa gorge dissipée, il eut un regard reconnaissant pour la jeune femme, ainsi qu'un hochement de tête, pour lui signifier que tout allait bien. Elle pouvait relâcher son étreinte.

Les révélations de Paros quant à ce qu'il s'était passé à Tolosa avait plongé Célestia dans ce qui semblait être une intense réflexion. Alors qu'il l'observait, attentif, le Chevalier ne pouvait s'empêcher d'être légèrement déçu. Il s'était attendu, peut-être naïvement, qu'une Oracle d'Apollon aurait la réponse à toutes ces questions, qu'elle comprendrait le sens de ces visions que lui-même avait du mal à expliquer. Mais lorsqu'elle parla, ce fut pour lier la lumière de ce qu'il avait vu à celle d'Apollon... Mais alors, que penser du gobelet?
L'Eminence passa sous silence ses pensées quand aux actions d'Athéna. Paros laissa filer quelques secondes, avant de compléter la phrase laisser en suspend.

- ... Fera ce qui est nécessaire pour préserver l'humanité.

C'était là ses propres convictions. Après sa rencontre d'Athéna, il n'en était que plus certain. La Sagesse agissait pour le bien des hommes, et si pour les protéger elle devait libérer son frère en revenant sur une décision passée, elle le ferait. Paros avait toute confiance qu'elle ferait le bon choix, le moment venu.

Célestia ne s'étendit pas davantage en paroles. Si elle en savait plus sur la vérité des visions vécues par le jeune homme, elle n'en dit mot. Ou peut-être était-elle aussi perdue que lui, et avait-elle besoin de consulter ses compagnons. Si comme elle le promettait, elle leur transmettait également le message des Saints, alors Paros n'avait rien à y redire. C'était même la solution idéale, à ses yeux. Le seul moyen de vraiment renouer un dialogue, en échangeant mots et sentiments, même si ceux-ci devaient être durs.

Finalement, Paros se releva sur le muret où il était jusqu'ici assis aux côtés de l'Oracle, et retomba sur le sol. Du côté prévu pour, bien sur. Il n'avait pas l'intention de se jeter dans le vide! Là, il adressa un grand sourire à Célestia et s'inclina devant elle. Il voulait lui exprimer le plus sincèrement possible sa gratitude... Mais il avait l'impression que ce geste était au final bien insuffisant pour cela!

- Merci mille fois, Dame Célestia. C'est tout ce que mon Maitre et moi espérions! Vous n'imaginez pas ce que ça représente pour nous. Je suis vraiment heureux de vous avoir trouvé!

Pégase releva la tête, toujours rayonnant. Il avait longtemps craint, au cours de ses recherches, être confronté à un Oracle avide de revanche, et refusant catégoriquement toute discussion. Quelqu'un comme... Amadeus, en somme! Mais quelle chance il avait finalement eu de tomber sur quelqu'un comme Célestia, qui pouvait faire preuve d'empathie et qui partageait, au moins en partie, ses inquiétudes.
Se redressant complètement, Paros inspira profondément. Il lui restait à présent à retourner auprès des autres Chevaliers pour ramener ces informations au Grand Pope. Childéric pourrait surement mesurer l'importance de cette chance qu'ils avaient d'entamer cette réconciliation avec les Oracles.

- Je m'en vais de ce pas transmettre vos demandes aux Grand Pope. Je ne sais pas si je pourrai vous revoir à Burdigala, mais je vous souhaite de voyager en sécurité, vous et vos compagnons, d'ici là.

Spoiler:

Si l'enthousiasme du jeune homme semblait communicatif, il se limita chez la jeune femme à un simple hochement de tête un peu plus détendu qu'au début de la conversation. En effet, les nouvelles globales tendaient plutôt vers l'alarmant, et rien ne disait que "ce qui sera nécessaire" était identique du point de vue de l'humanité et du point de vue de cette déesse qui n'avait pas hésité à livrer une guerre sanglante alors même que ses espions involontaires auraient pu éviter à tous ces civils de mourir dans l'entre-deux. Non, décidément, Célestia n'avait aucune confiance en la Sagesse. Les Saints avaient beau vanter son "Rêve" et ce qu'il apporterait comme protection à la race humaine, tout ce qu'elle voyait était un chemin de sang et de douleur dans laquelle tous perdraient plus qu'ils gagneraient. Mais à l'inverse, il devait sans doute y avoir beaucoup de monde pour ne pas comprendre la fidélité des Oracles envers un dieu qui s'était rendu de son propre chef, et aurait peut-être lui aussi pu éviter cette guerre grâce à ses dons de divination.

Préférant couper court au débat stérile que la question pouvait susciter, la nymphe évita de répondre, puis constata que l'entretien touchait à sa fin quand Pégase se releva et la remercia. Les dés étaient donc jetés pour Burdigala, à la mi-mai. D'ici là... Il faudrait se concerter avec Adonis, Rowena et Esmelia sur la marche à suivre. Rencontrer la fameuse Pythie d'Argos également. Autrement dit, ramasser les miettes de leur Ordre et essayer de cuisiner quelque chose de plus consistant avec. Comment prendraient-ils l'annonce d'une telle initiative de sa part ?

"Quelque chose me dit que nous nous reverrons, même si c'est plus tard que Burdigala... Je vous dis donc à bientôt, Paros de Pégase."

Pégase, le légendaire déicide. A qui Apollon et Pâris avaient confié un fragment de l'héritage de Troie, des Saints et des Oracles. Une personne à surveiller, et qui semblait prête à collaborer pour la paix plutôt que la conquête. Restait à savoir quel chemin il allait tracer pour l'avenir.

Alors qu'il tournait les talons, la fille d'Apollon demeura pensive une nouvelle fois. Lykeios... Allait-il revenir ?

Spoiler: