[Début Avril 553] Dans le silence... [PV Calypso]

« Fais attention à toi. Ne prends pas de risques inconsidérés, d’accord ? Promets-le-moi… »

Le regard de Satine se tourna légèrement vers Calypso. Son imitation de Nessius, exagérée au possible, ne manqua pas de la faire rire. Mais une note d’agacement flottait dans ses prunelles. Elle ralentit le pas pour arriver à la hauteur de la Nymphe.

« Comme si nous étions de petites choses fragiles ! » il était clair que la jeune femme était irritée. « Alors que je suis sûre que tu lui bottes le cul d’une main et les yeux fermés ! »

Poussant un long soupir, Satine bifurqua dans une ruelle. Elle n’avait pas désiré rester à proximité de l’équipage pour des raisons évidentes. Cette histoire de Second de la Rose Sanglante ne tenait qu’à un fil, et Calypso ne serait pas dupe indéfiniment. La préserver, voilà ce que voulait « Monsieur ». Endymion aussi. Mais elle ? Satine n’aimait pas vraiment mentir.

La rouquine garda un moment le silence. « Ne t’en fais pas, je ne t’emmène pas dans un autre tripot malfamé. Mais nous allons devoir rester discrètes, avec le couvre-feu. Quoique toi, tu ne devrais pas avoir de problèmes, t’es une Marinas. »

La jeune femme conduisit Calypso dans une nouvelle ruelle étroite. Elles s’arrêtèrent devant ce qui semblait être une impasse. Contre un panneau de bois, Satine frappa trois coups espacés de quelques secondes puis un autre, et un autre, dans une rythmique obéissant à une évidente logique : un code.
Presque aussitôt, le panneau disparut, offrant la possibilité à ces dames de s’engager dans les ténèbres.

« Dans le silence peut naître la plus formidable des cacophonies. » dit-elle avec un sourire énigmatique.

Ne lui laissant pas l'opportunité de répondre, la rouquine prit la main de Calypso et l’entraîna avec elle dans le noir.

***

Ici, dans la plus grande clandestinité, des hommes et des femmes se réunissaient. Satine et la Nymphe furent accueillies dans un brouhaha d’échanges enfiévrés, de discussions animées par la passion. Toujours dans un unisson harmonieux qui redonna le sourire à la jeune pirate.

« Bien, nous serons tranquilles ici ! Alors, alors, raconte-moi tout : pourquoi tant d’inquiétude chez ce cher Nessius ? Toi et lui… Vous êtes… ? »

Comment ne pas succomber à l’attrait du potin !

Elle ne s’était pas vraiment attendue à cette réplique. Ou tout du moins avait-elle espéré un peu plus d’émotion de sa part. Maîtresse d’elle-même, rien ne transparaissait chez cette femme. Rien, du moins, qu’elle ne voudrait montrer. Satine et elles, en cela, étaient diamétralement opposées.
Alors elle, ne put retenir un rire sonore.

« Ton imitation est bien meilleure que la mienne ! » Après un moment à se tenir les côtes, la jeune femme reprit un peu de sérieux. « Oh, et bien, nous ne faisons que nous amuser lui et moi. Je pourrais te servir les mêmes sous-entendus si tu me donnes l’occasion de mieux te connaître. T’es tout à fait à mon goût aussi. »

Un petit sourire en coin ne laissait que peu de doute sur ses arrière-pensées. Un jeu dans lequel la pirate excellait plus.

« Pourquoi ici ? Hm… » elle avisa de l’endroit avec un rien de mélancolie dans ses yeux rubis. « Parce que leur cause me touche. Ce sont des rêveurs, tout comme moi. Et je respecte ça. J’imagine que toi aussi ? »

Une question piège ? Fort possible. Après tout, Satine était là pour percer Calypso à jour. Savoir si elle pouvait se dévoiler à elle ou non.

« Des heures sombres sont à venir et ils quelques courageux sont ici pour faire entendre leur voix. Je suis là pour les écouter. Je suis curieuse comme tu peux le voir ! Alors désolée si mes questions peuvent paraître déplacées, surtout pour une femme de ton rang. »

Son regard se perdit dans le spectacle de quelques hommes se lançant dans une prestation improvisée. Et très comique.

« Est-ce que tu serais prête à aider les Vulgaires, Calypso ? Ou places-tu le Sang si haut qu’il est impossible, impensable même, qu’ils puissent prétendre à autre chose qu’un dédain teinté de dégoût ? »

Satine porta son attention tout entière sur l'Arkantea.

« Ils souffrent, eux aussi. »

« Dommage. » se contenta-t-elle de rétorquer, faisant mine d’être déçue. Elle se renversa sur le dossier de sa chaise. Satine s’abstint d’aller plus loin dans ses commentaires, sentant malgré tout une gêne s’installer.

Et elle se tut en comprenant à quel point ses mots avaient pu éveiller de la rancœur chez Calyspo. Orphéus. Le nom écorchait l’esprit de la Nymphe. Pour elle, les Vulgaires représentaient ceux qui avaient pris un fragment de son rêve.
La pirate avait face à elle une femme avec ses failles, ses blessures toujours à vif. Elle en vint à regretter sa propre franchise, et de l’avoir ainsi forcée, d’une certaine façon, à libérer son fiel.

Ses pensées bien sombres.

Ce qu’elle avait vécu ressemblait à une trahison. L’expression de Satine changea du tout au tout. Elle délaissa toute malice.

« On croirait entendre Nessius. » finit-elle par souffler en se penchant vers la jeune femme pour poser sa main sur son épaule et la couver d’une note de cosmos. « Ne te laisse pas aveugler par ta colère. »

Elle lâcha un autre ricanement. « Et c’est moi qui dis ça, oui. Seulement, c’est la vérité. Tu ne tireras rien de bon à te focaliser sur les manigances d’un seul ou plusieurs Vulgaires. Mais je respecte les traditions, la volonté du Seigneur Poséidon. Pourtant, oui, certains ont le droit de rêver. Je suis certaine que Nessius a dû te dire la même chose : ils ne sont pas tous pareils.

Cette cité est magnifique. Et elle mériterait de s’ouvrir davantage sur le monde, c’est tout. »

Une conviction que tous partageaient ici, au cœur du refuge des rêveurs. « Il peut toujours exister une entente. J’en suis sûre. Il suffit de montrer la voie. Malgré les pertes. Malgré la colère. Malgré les ombres qui s’agitent. Nous pouvons œuvrer pour un même objectif. Et rendre justice à Orphéus. »

Car c’était ce que la jeune femme désirait, non ?

« Endymion est un assez bon exemple je dois dire. Ce n’est pas pour rien que j’ai décidé de le suivre. J’ai envie de croire en lui. »

« Tu as probablement raison. Dans son malheur, il a eu un peu de chance quand même. »

Nessius avait connu les privilèges de la noblesse avant sa déchéance. Son exil, puis son retour au sein d’Atlantis, des Quaesitor et sa revanche sur sa famille… on pouvait dire que le Naga savait se relever. Une volonté de fer, des idéaux bien affirmés et une attitude un rien hautaine, tout cela constituait son masque. Sa carapace. Pour avoir la sienne, Satine ne pouvait que comprendre ce mode de fonctionnement.

« Je te pense bien plus nuancée que ça. » déclara la pirate avec sincérité. « Je n’ai aucun lien avec Orphéus. Je ne l’ai jamais rencontré. Il a pourtant été Légat et sa perte affecte tout le monde. Pour être honnête, pas moi, enfin, pas vraiment. »

Un haussement d’épaules.

« C’est la manière dont il a péri qui me hérisse le poil. »

Et que d’autres puissent s’en servir pour tout balayer. La conversation prit ensuite un autre tournant. Comme elle put s’y attendre, Satine se vit interrogée sur son passé, ses motivations, sa vision des choses. Elle se laissa le temps de la réflexion ou au moins lui faire croire qu’elle y pensait. Ses réponses étaient déjà toutes trouvées.
Énoncer un peu de vérité sur elle la soulageait.

« C’est une vaste question, ça. Mais oui, tu peux me ranger dans la catégorie de la prêcheuse des Vulgaires. Une voix du peuple si tu préfères. Je suis née dans la merde, j’ai été traitée comme telle une bonne partie de ma vie, avant de me voir offrir la possibilité de me frayer un chemin jusqu’à un peu de lumière. »

Son histoire était bien plus complexe, or, Calypso n’avait pas besoin de tout savoir. L’essentiel suffirait amplement. Sa tête se pencha sur le côté. Sa colère. La mine de Satine se fit plus sombre.

« Ma colère ? Je crois qu’elle a toujours été là. C’est elle qui me maintient en vie. » elle porta une main contre son cœur. « J’ai perdu l’homme que j’aimais. Je l’ai enterré de mes mains il y a quelques années maintenant. Je n’ai jamais plus osé revenir sur sa tombe, de peur de me voir consumer par ma propre rage. Parfois… j’ai l’impression qu’elle pourrait me détruire. »

À son tour d’avoir la gorge nouée. Ce secret-là n’en était plus un, désormais.

« Je veux vivre, plus que survivre et Endymion m’a donné une raison pour m’accrocher. C’est tout. »

« C’est… assez juste oui. »

Une résonnance entre elles se manifestait. Il y avait chez la Nymphe un lourd poids apposé contre sa poitrine. Satine observa Calypso, respectant son silence, son retrait. Effleurer sa conscience aurait été malvenu, aussi s’en abstint-elle. Toutes les deux ne se lanceraient pas dans un jeu tel que la pirate avait pu l’instaurer avec Nessius.

Et puis Satine n’était pas d’humeur badine. Ses dernières rencontres lui avaient laissé un goût amer et une impulsion nouvelle. Celle de combler ce vide en remplissant celui des autres.

Un mince sourire ourla ses lèvres. « Oui, j’ai quelques idées en tête je t’en ferai part le moment venu. » lui confia-t-elle d’un air entendu. « Doyen, oui, nous allons rester polies »

Sur ces mots, la jeune rousse profita encore un moment de l’ambiance générale et, finissant un verre qu’on lui avait servi, se redressa tout à coup.

« Le temps file, et je suis contente d’avoir pu avoir quelques mots avec toi. Nous devrions rentrer, Endy’ va nous attendre. »

Là-dessus, elle guida Calypso jusqu’à la sortie, ne manquant pas d’adresser un dernier regard à cet antre de rebelles. Autant de nids qui florissaient dans l’ombre et le silence.

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