[Début Mai 553 AD] La réunion des deux branches [PV Dardanos]

Voilà un mois, un très long mois qui s’était écoulé. J’avais avancé mon enquête pendant tout ce mois, mais à chaque fois, je finissais dans une impasse. Cette enquête fut aussi perturbée par différents moments, comme par exemple l’arrestation de l’assassin dont j’avais reçu tout le crédit. J’avais aussi trouvé ma voie pendant ce mois, ce que je comptais faire, le chemin que j’avais choisi d’arpenter, celui de couper le mal à la racine et le débusquer où il se cache, peu importe qui le représentait.

C’est un homme nouveau qui se présenta aux gardes de Dardanos pour une entrevue avec ce dernier. Il méritait de connaître que j’avais fait chou blanc. Je revoyais le Noah d’il y a quelques semaines franchir cette porte, un peu tremblant. Il y a pas à dire, la tourmente de la cité, m’avait drastiquement changé ou plutôt affirmé.

Les gardes me laissèrent passer et je toquai à la porte de Dardanos, attendant son accord pour entrer. Une fois à l’intérieur, je le regardai et commençais mon rapport.

« Bonjour Patriarche Bjornaer. Je viens vers vous à propos de l’affaire Deukalyion. Je vais être franc, toutes mes pistes m’ont conduit à des murs. C’est comme s’il avait tout simplement disparu, il s’est couché un soir et le matin le lit n’était même pas défait avec personne dessus. Pour certains, ce serait des nobles qui ont voulu s’en débarrasser, pour d’autres, ce sont des envahisseurs qui ont éliminé la tour protégeant la cité. Les gardes étaient très attachés à lui, je ne pense pas qu’ils aient pu être amadoués, surtout vu la confiance qu’ils avaient en son pouvoir qu’ils qualifient de tellement immense, que le pilier faisait partie de lui.
À titre personnel, je reconnais que ça m’a rendu un peu jaloux, mais le sujet n’est pas là.

Quoi qu’il en soit si vous avez une piste autre que les maigres choses que j’ai trouvé, je suis preneur. D’autant que les affaires ayant agité la cité, ces derniers temps n’ont pas joué en ma faveur non plus pour récolter d’autres choses sur mon prédécesseur. C’est vraiment comme s’il avait tout simplement cessé d’exister. Si des ennemis sont bien derrière ça, alors je commence à craindre leur puissance de feu ainsi que la sécurité de la cité, même si à présent, je vais m’atteler à ce poste.

D’ailleurs, vous ne m’aviez pas averti que j’aurais toute cette paperasse à trier, enfin, vous m’en aviez vaguement parlé, mais c’était très surprenant de les voir arriver par paquet entier ! »

Un léger rire vint flotter entre mes lèvres après la dernière phrase, comme une petite pique envers le membre de ma famille. À voir comment il allait me considérer maintenant, vu que cette enquête était une sorte de petit test de sa part.

Voilà un moment qu’il travaille, alors il est temps qu’il me raconte ce qu’il a découvert. Un sourire de s’étirer sur mon visage quand il rentre. Il n’est plus aussi naïf que lorsqu’il a fait son retour dans la cité. Une bonne chose, il serait mort sinon, surtout en ce moment.

« - Général. »

Je le salut simplement et j’ l’invite à s’asseoir devant moi pendant qu’il commence à faire son rapport donc. Au final, pas grand-chose, mais c’est dans le silence qu’on tire les meilleures réponses. Et ce qu’il a découvert amène quelques compléments à ce que j’avais pu découvrir. Mais il m’aide à tirer mes propres conclusions. D’abord, après avoir pouffé du nez d’amusement je lui dis :

« - Le titre de général n’est pas simplement pour le plaisir, avec lui, arrive beaucoup de travail et encore, j’en ai encaissé une partie pour toi, moins maintenant, vu que tu sembles t’adapter bien à la cité. »

Je laisse un petit silence avant de reprendre :

« - Oui, les gardes ont raison. Je ne pense pas qu’un noble ait eu les moyens de se débarrasser de lui si facilement. Je pense qu’il a été victime des Muiens et qu’on l’a fait disparaître. Nous en sommes donc tous les deux arrivé à une conclusion plus ou moins similaire. Reste à savoir qui... »

Mais c’est mon travail ça, de démasquer la vermine qui se cache parmi nous, ce n’est pas de tout repos et nombreux sont ceux qui sont là pour me déranger. Un soupir avant de reprendre :

« - Et alors, le général a-t-il un avis à transmettre au conseiller ? Ou le cousin a-t-il quelque chose à dire à son sang ? Les choses ne vont pas tarder à exploser, je le sens... »

Dardanos Bjornaer. Patriarche de ma famille, lointain cousin, autant dire qu’avec mon voyage à la surface, on ne se connaissait que peut voir pas du tout. Par contre le courant semblait bien passer entre nous, on se comprenait, on évitait de se prendre la tête pour les détails futiles et ça marchait plutôt bien.
Il me confirma bien la présence d’ennemi intérieur. J’avais entendu parler d’eux ici et là, d’avantage comme des bruits de couloirs. Les savoirs réels donnaient une autre dimension à cette enquête ; J’aurais tellement préféré que ce soit un noble.
Un mince sourire s’afficha sur mon visage :

« Encore plus de paperasses ? Je n’ose pas imaginer ce qui m’attend sur le bureau alors. Peut-être, je pourrais faire semblant de ne pas les voir si je n’y retourne pas. »

Naturellement je m’en occuperais, il en valait de mon devoir, mais c’est vrai que ces tâches étaient très barbantes, à la limite de nous donner envie de fuir à toutes jambes.

« Les Muiens ont infiltré nos rangs alors. J’en ai entendu vaguement parler, mais j’espérais que ça ne reste que des rumeurs. Je ne connais pas très bien ce peuple, que peux-tu me dire d’eux et surtout que nous veulent-ils ? Pourquoi vouloir rentrer en guerre contre nous ? Atlantis n’était pas resté isolé ? »

Plusieurs questions me vinrent en tête, dont une qui était resté sans réponse à mon arrivée :

« J’ai une question qui s’adresse aux deux. À mon arrivée, tu ne m’a pas tout révélé sur mes taches, les secrets du Kraken, jugeant que je devais d’abord montrer ma valeur. Es-tu plus disposé maintenant ?
Aussi, détiens-tu des pistes sur les Muiens qui se promènent dans nos rangs ? »

Une autre question, plus importante était présente dans mon esprit :

« Enfin, une dernière chose, pour toi, cette cité, désires-tu sauver tout ceux qui la composent pour la redresser ? Même si certains participent à sa chute ? »

Une question un peu plus personnelle, en adéquation avec mes nouvelles idées, ma nouvelle voie.

Je lève alors les yeux au ciel quand il mentionne la paperasse. S’il savait… Enfin, il saura bien assez tôt, le pauvre. Fini de le ménager et bientôt, il faudra qu’il prenne pleinement son rôle de général. Ça ne fera pas de mal de souffler un peu, sénateur, patriarche, conseiller et général par intérims, voilà qui me demande beaucoup de temps. Puis, je reprends mon sérieux et fixe mon regard dans le sien quand il commence à entrer dans le vif du sujet. Il a appris vite, depuis qu’il est revenu chez lui, la fleur au fusil. Mais il est temps de rattraper les cours d’histoire dont il aurait dû bénéficier.

« - Ce sont nos ennemis héréditaires. À vrai dire, il s’agit d’affaires qui remontent aux âges des mythes, avant même la fondation de notre cité. Ils sont les suivants de l’ancien maître des eaux, le titan qui en avait la garde. Maintenant, les océans appartiennent à notre seigneur et maître Poséidon, mais les dieux ont la rancune tenace... »

C’était là une version un peu simplifiée du problème réel. Mais c’était on ne peut plus suffisant pour qu’il puisse saisir l’étendue du problème. Il y a bien quelques naïfs qui pensent pouvoir négocier avec eux, comme avec les autres divinités. Mais j’en ai déjà combattu, j’en ai déjà tué. J’ai vu leur désir profond de nous voir tous mort et de voir la cité rayée de la carte. Un sourire en coin de se former sur mon visage.

« - Non, pas encore. Quand le calme sera revenu, nous pourrons parler de ça. C’est… dangereux, risqué, comme tu as sûrement déjà du ou pu le sentir. Surtout qu’avec des traîtres dans nos rangs, le moins de personne sont au courant, le mieux nous nous portons. Non pas que je te fasse confiance, Noah, c’est plutôt au reste du monde, que je ne crois pas. »

Cette fois, mon regard de se faire plus dure après s’être perdue quelques instants. J’ai revu la cité en ruine, les flammes, l’odeur des corps brûlés et l’impression d’impuissance qui s’est alors emparée de moi. Le prix que j’ai payé aussi, pour ma propre faiblesse, ma propre naïveté.

« - Je souhaite sauver le peuple de la cité. Les cons qui se jettent dans la gueule du loup ne méritent que de perdre la tête. J’ai… quelques pistes. Mais encore une fois... Je peux te dire par contre, à qui je pense que nous pouvons nous fier et qui nous devons éviter. »

Les murs ont des oreilles, sûrement…

Les Muiens étaient donc simplement les partisans d’Oceanos, l’ancien maître des eaux. On peut dire qu’ils avaient une bonne mémoire pour continuer d’engendrer de la haine après toutes ces années. Simplement des ombres venues s’agiter pour tenter de renverser une cité et de remettre un pouvoir dans d’anciennes mains.
Dardanos voulait prolonger le secret sur les Abysses, je le comprenais, on ne savait pas qui pouvait nous écouter ou nous observer.

« Des ennemis de longues dates, une guerre civile prête à exploser, un assassinat, que du timing parfait, on dirait bien. Tu dois être au courant que j’ai capturé, l’assassin n’est-ce pas ? J’ai été un bon élève et j’ai effectué mes recherches au cas où que ce soit une tête connue. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir le même visage parmi les anciens généraux, plus précisément celui du Chrysaor. Rien de moins que la cousine de notre Primus Senator.
Un autre timing parfait, tu ne trouves pas ? Penses-tu que ce serait un changeur de forme, débarqué exprès pour semer le trouble et faire peser de nouveau soupçon sur Arhan Sefirot ? De ce que j’ai vu, de moins en moins de choses tourne en sa faveur. »

Je savais que Dardanos soutenait Arhan, reste à savoir si sa position a changé ou non. J’avais vraiment changé entre temps, le temps n’était plus à essayer de concilier les deux, je me devais de trancher maintenant et ma lame s’aiguisait au fur et à mesure que je restais dans cette cité.

« J’aimerais bien qu’on partage davantage maintenant. Si tu veux me parler de tes pistes ainsi que de personnes digne ou indigne de confiance, ce sera avec plaisir que nous en discuterons, car j’ai moi-même des réticences vis-à-vis de certaines personnes. Elles ont sûrement leurs raisons, mais certains gardent trop de secrets et avec l’armure du Dragons des Mers dans mon pilier, j’aimerais entendre ta version. »

Mes dernières paroles étaient sans équivoque pour les Lyumnades avec qui j’avais été honnête, mais qui pourtant m’a laissé une impression plus d’un grand mystère que de vraiment savoir si je connais au moins son nom.

Je lui adresse un signe de tête après qu’il ait parlé des anciens maîtres des flots. La réalité est plutôt que d’une vieille rancœur mesquine, bien que ça doit être le cas du titan, il s’agit là d’un choc de civilisation. De mondes différents qui ne peuvent pas vivre ensemble. Certains veulent croire à une conciliation, mais l’avenir leur apprendra que ce n’est pas possible. J’ai vu cette réalité et surtout leur violence. Mais je tiens pas à insuffler mon expérience et mes croyances dans ses avis. Dans son malheur, Noah a la chance d’avoir grandi loin d’Atlantis et des gens qui ont l’esprit enfermé par la cité. Il est le vent de changement dont nous avons besoin. Pour le reste, je sais qu’il a arrêté l’assassin qui sévissait dans la cité, alors je lui adresse un signe de tête.

La surprise par contre, vient du nom de ce meurtrier. Ou plutôt, de cette meurtrière. La cousine de notre très cher chef du conseil et ancien général de Chrysaor… Mon bras à coupé qu’Ahran était au courant et que tout ça sert quelque chose qu’il a mis en branle. Quelque chose qu’il n’a, bien sûr, pas pris soin d’évoquer au conseil. Mais j’ai maintenant une bonne raison d’aller lui dire bonjour et de faire en sorte qu’il soit obligée de composer un peu plus avec moi. Ce genre d’information est bonne à prendre, mais je doute qu’il soit le seul au courant, la nouvelle doit déjà se rependre comme une putain de chtouille dans un bordel. Son hypothèse néanmoins est intéressante. Une réalité à ne pas oublier.

« - C’est une possibilité à ne pas écarter mais je ne pense pas. Si tu veux mon avis, je pense qu’elle accomplissait quelque chose pour Ahran. Et c’est quelque chose qu’on peut utiliser. Il a trop à coeur la cité pour être un traître. A sa façon, Ahran est aussi si ce n’est plus patriote que les Merinita, si j’avais douté de ses convictions, je ne l’aurais pas suivi. Il est néanmoins un Atlante pur-sang avec tout ce que ça a de… merdique. »

Le genre à abandonner son enfant car il est jugé trop faible ou indigne. Pour le reste, il s’intéresse donc à mon avis et ce que j’ai déjà collecté. Alors bien, je vais lui dire :

« - Dans le conseil, Kailani Tangaroa et moi avons passés quelques… arrangements. Elle veut la paix, un peu trop peut-être. Mais ce n’est pas une traîtresse. C’est plus une mère de famille qu’une politicienne. Je me méfie de Calum O'Bannon comme de la peste mais car c’est un politcien de la pire espèce. Ahran et Rodolpho ont trop à coeur la cité pour être des traîtres. Les autres, je ne leur fais pas confiance le moins du monde. Voilà pour le conseil. »

Je laisse un temps de silence pour qu’il puisse tout analyser, et je reprends :

« - Pour Cinead et sa clique… ils sont dépassés. Ils ont échoués… plusieurs fois en peu d’années et même ici où le changement n’a que peu de place, il est nécessaire parfois de tourner la page. Ils s’accrochent à ce qu’ils ont déjà. Sont-ils près à tout pour le garder ? Sûrement. De là à vendre la cité et justement, perdre ce qu’ils ont gagnés ? Je ne sais pas. Mais ils sont suffisamment retors pour. »

Un nouveau temps.

« - Pour l’amirauté, j’avoue ne pas avoir trop mis le nez dedans. Endymion a sa réputation de pochetron partouzeur qui se croit irrésistible, un marin quoi. De la pire et la meilleure espèce. Leur de gars que j’apprécie hors d’ici. Ne reste que les Lyumades dans les généraux et personne ne sait si elle existe vraiment alors, j’ai tendance à la ranger de facto dans les traîtres ou les opportunistes, au mieux. Le reste, et bien, ils essaient d’exister. J’ai ouie dire qu’une de ses capitaines a eu des emmerdes avec Ahran mais je n’ai pas cherché à creuser quand j’ai su qu’il était lié au Merinita. Voilà qui devrait t’aider. »

Beaucoup d’informations, même énormément d’informations. Voilà ce que me livrait Dardanos grâce à la confiance qu’il avait placé en moi. La révélation de l’identité de l’assassin semblait lui donner des cartes supplémentaires pour jouer, mais jouer sur quel terrain ?

Il nourrissait des doutes, des liens avec tout le monde, avoir sa vision était en somme très intéressant et me permettait de savoir un peu comment il se plaçait et de qui devrais-je me méfier.
Il ne portait pas Endymion dans son cœur et je le comprenais, en dehors, sans tout ce bordel qu’était Atlantis, Endymion et le genre avec qui on passe de supers moments, des soirées endiablées et qui créer des souvenirs impérissables. En revanche, pendant une crise comme celle qu’on traverse actuellement, c’était le genre à qui on avait du mal à donner des tâches importantes et ou lui faire confiance, car trop léger en apparence.
Le Dragon des Mers m’a montré qu’il était tout aussi inquiet que moi et pour ça, je lui fais confiance, il a bon cœur, pas pourri ou corrompu par la masse noire qui gangrène la cité. Un peu comme ce que j’avais vu en bas, dans la prison, mais cela, je n’en dis rien à Dardanos.

Une dernière question me brûlait les lèvres et j’hésitai un temps à la poser. En bas, j’avais entendu quelque chose d’intéressant et je voulais savoir de quoi il en retournait.

« Oui, en effet, cela va beaucoup m’aider pour la suite, surtout que je sens le dénouement approcher. En bien ou en mal, on le saura très vite. On verra aussi quel rôle je vais jouer là-dedans, même si honnêtement, j’ai appris de mes erreurs et comprends mieux les rouages de cette cité corrompue. Je me demande, où toi aussi tu te place sur ce vaste échiquier et comment tu compte jouer avec Arhan.

Cependant, une chose me chiffonne. Je ne t’ai pas tout dit, mais j’ai un peu plus découvert de moi-même mon rôle en tant que Kraken et un avertissement m’es parvenu aux oreilles. Uniquement le Kraken et personne d’autre peut s’y rendre et connaître ce secret.
Comment toi, tu es au courant de tout ça ? Il ne me semble pas avoir vu ta tête dans les précédents Kraken, je me trompe ?
Quelqu’un de la famille aurait trahi le secret qui lui incombait ? »

J’avais volontairement omis de parler que le Kraken ET la Voix pouvaient y accéder, on verra s’il le relève ou non. Ce n’était sûrement rien, il devait l’avoir appris d’une quelconque manière, mais je me devais d’être certain.

Je l’observe attentivement. Il sous-pèse et réfléchit à mes mots. C’est peut-être la première fois que nous parlons autant l’un et l’autre, surtout de ce genre de sujet sensible. Après tout, il est le général de ce quartier, le bras armé de la famille. C’est sa responsabilité et je ne suis ici que pour quelque chose de plus grand. Il est temps quelqu’un, dans cette cité enfermé dans ses propres vices s’intéressent à autre chose qu’à son nombril et son ambition. Une question intéressante qui m’arrache un sourire.

« - Ahran est un moyen. Il y a les conservateurs, qui ne veulent pas voir les choses changer. Ce sont ceux qui sont maintenant dans l’ombre de Cinead. Qui désirent plus que tout garder leur pouvoir et s’intéresser à leurs nombrils. Il a ceux comme Ahran, pour qui la fin justifie les moyens, néanmoins, il n’a pas d’ambition personnelle. Pas dans le sens où il désire le pouvoir pour le pouvoir. Il est persuadé de faire le bien de la cité. Dans un sens, il a raison. Trop d’échecs, trop de morts, trop de sang sur les mains de ceux qui ont gouverné notre cité au nom de notre seigneur pendant trop longtemps. Il est temps que ça change. »

Il est rare de voir ma voix s’animer, mais c’est le cas ici. Elle s’enflamme d’une façon très légère, mais il saura le voir sans doute. Les convictions que l’on défend ne laissent jamais vraiment un homme complètement froid et indifférent après tout.

« - Il n’y a qu’en embrassant le changement qu’on peut vraiment l’amener. Ahran représente ce changement, justement. Et je vais pouvoir mettre à mal, voir à mort, certaines idées reçues et lois de notre cité que je déteste. Celles qui t’ont amené à être… exilé, par exemple. C’est tout ça que je veux changer. C’est pour ça que je suis Ahran. Cinead et sa clique ne l’auraient jamais permis. »

Un silence ensuite. Une autre question, légitime également. Qu’il aurait sûrement déjà dû poser depuis longtemps. Mais il est normal que chacun se méfie de l’autre dans la situation qui est la nôtre. Il a changé, il a appris, il a grandi.

« - Je ne partage pas ton lien avec cette chose, en effet. Je n’ai pas porté l’écaille qui est normalement dans le giron de notre famille. Mais… Je suis le patriarche de notre sang, ces terres sont les nôtres, ces secrets les miens. Je ne suis pas celui qui en sait le plus, l’ancienne voix de notre seigneur et son ancien général en savaient beaucoup. Mais j’ai appris, réfléchis, enquêté. Libre à toi ou non de me faire confiance. Mais cette chose qui pourrais tous nous tuer. Tu comprends donc pourquoi je n’en parle pas à la légère et pourquoi, à tout casser, nous ne devons pas être cinq à être au courant dans toute la cité. »

Ma voix s’était de nouveau faite plus directe, plus dure. Celle d’un capitaine de navire qui parle à l’un de ses seconds. J’ai trop l’habitude ce genre de relation, trop l’habitude de parler de cette façon. On ne se refait pas.

Voilà donc ce que désirait Dardanos. Se servir d’Arhan, le manipuler et mettre à mort les lois qui entravaient la cité. Un but noble, mais était-ce vraiment tout ? Je ne sais pas. Le Patriarche est un gars rempli de mystère, je l’aime bien, mais j’ai toujours l’impression qu’il y a plus profond. Qu’il cache autre chose, ou alors c’est juste cette cité qui tape trop sur mon cerveau, ce qui est aussi possible.

Il se justifia aussi de ses connaissances sur les Abysses, il a mené son enquête et cela suffit à calmer mon esprit, du moins pour un temps. Il a gardé dans le giron ce qui se tramait et il a bien fait, surtout vu ce qui sommeille au fond.

« Intéressant, je sens de la passion quand tu parles de ton projet avec Arhan, je vois que ce projet te tient particulièrement à cœur. Tu souhaiterais donc que dans le futur combat opposant les deux, Arhan sorte vainqueur. Il me semble pourtant que toute l’Amirauté, ou presque, est contre lui non ? Dans un sens, je les comprends, moi-même, j’ai du mal à comprendre Arhan et le trouve trop extrémiste. Je ne veux pas non plus que le pouvoir retourne dans les anciennes mains qui sont restées passives. Je ne veux pas également qu’Arhan continue à le détenir, car il est trop imprévisible et savoir qu’il a lâché de manière consciente un assassin dans les rues, peu importe sa raison, prouve qu’il n’est pas digne de rester au pouvoir selon moi. On ne doit pas verser le sang de nos compatriotes à la légère.
Moi-même, je rêve de brûler cette cité pour la rebâtir, pourtant, je trouve en la démarche de notre Primus Senator, quelque chose de…dérangeant. Il est à l’image de sa lance, brûlante, acéré et beaucoup trop droite.

Je ne sais pas qui je veux voir sortir victorieux de l’affrontement, peut-être personne justement, car aucun ne mérite la récompense abjecte qu’ils ont mise en jeu. Tout ce que je sais, c’est que les personnes de ce pilier sont sous ma protection et je ne laisserais pas ce combat les détruire. Les flammes de la haine peuvent être attisées, mais c’est à nous qu’il convient de les contrôler.

Dis-moi, Dardanos, tu m’épaulerais dans cette optique ? Si oui, jusqu’où irais-tu pour protéger ceux sous notre garde et même les autres si c’était possible ? »

Un long monologue, mais au vu de ce que nous avions déjà échangé, il était temps de mettre cartes sur table et de voir si la personne en face de moi en ferait autant. Mon cousin n’était pas idiot et verrait sûrement ma manœuvre.
Alors, membre de ma famille, celle que je reconnais, veux-tu faire de même ?

Un soupir. Oui, l’amirauté est un problème. Mais quoi est-elle réduite cette amirauté ? Un capitaine indiscipliné et surtout, du sang du camp opposé à Ahran, une lyumnade dont l’existence est presque un mythe, un dragon mer débauché notoire, mais efficace. S’il pouvait penser plus avec sa tête qu’avec sa queue, il s’en tirerait bien mieux. Et je ne parle même pas de l’ancienne garde du corps du Légat, tant il y aurait à dire sur son incompétence sociale et sa capacité à se montrer incapable de la moindre once d’empathie. Reste Noah, qui n’a pris état de fait pour aucun camp et ce qui représente sa grande force, au final.

« - L’Amirauté n’est plus qu’une ombre, tristement. La quasi-totalité est du sang de Cinead, alors comprends que l’objectivité n’est pas forcément leur fort. Endymion est l’époux de sa sœur, Nessius se perd je ne sais plus où dans l’arbre généalogique et la famille de Calypso est une famille cliente de celle des Merinita. La messe est dite, comme disent certains dormeurs. Pour le reste, oui Ahran est peut-être trop… fougueux. C’est là qu’interviennent ceux qui le guide dans le bon chemin, si tu vois où je veux en venir. »

Et ce n’est pas une mince affaire. Mais il a raison… cet assassin, ça ne lui ressemble pas. Enfin, au contraire, si. Il est prêt à tout pour la raison d’État, justement. S’il a dû avoir recours à ces méthodes c’est que…

« - J’irais le voir. J’ai quelques alliés dans le conseil et je pense pouvoir le forcer à nous révéler la vérité. Tes découvertes sont une carte de poids dans notre jeu. Félicitations, en tout cas. »

La suite, je peux m’empêcher de lui adresser un sourire amer. Si tu savais, petit… si tu savais. J’ai déjà tant payé pour la protection de cette cité, tellement que je n’ai plus rien à lui offrir si ce ne sont mes os fatigués et mon sang baigné de cosmos alors…

« - Tu sais très bien jusqu’où je suis prêt à aller. J’ai porté une écaille avant toi… J’ai vu la cité tomber déjà une fois. C’est une fois de trop, ça n’arrivera plus. Jamais. Alors je pense que toi et moi, nous pouvons être le petit caillou dans la botte de ces politiciens. Mais nous devons… nous faire confiance. Tu penses pouvoir en être capable ? »

L’Amirauté ne brillait pas auprès de Dardanos et je le comprenais. Je comptais quand même dessus pour apaiser certaines tensions dans les autres piliers tandis que je m’occuperais du mien.
Le Patriarche de ma famille était quelqu’un de bien à mes yeux. Je sentais que je pouvais lui faire confiance et j’espère ne pas me tromper, car dans les prochains jours tout se jouerait sur les relations construites jusqu’à maintenant et je n’en avais pas beaucoup.

« Je ne peux pas prétendre savoir ce que tu as traversé, mais si tu as vu la cité tomber une fois alors je sais que je peux compter sur toi.
Dardanos, cousin, dans les prochains jours, on devra être soudés pour que ces petits cailloux blessent un peu plus le pied qui sera dans la botte.
Je peux te faire confiance, tu m’as montré jusqu’à présent que je n’avais aucunes raisons de ne pas le faire. »

Je tendis ma main auprès de Dardanos, comme à chaque fois qu’on allait se quitter.

« Je suis arrivé ici en tant que simple élu, naïf, héritier d’une famille que je connaissais à peine et ne voulais pas renouer avec. Je t’ai trouvé toi et cette cité au bord du gouffre. Le peu de chemin parcouru m’a changé et affermi mes positions.
Maintenant, je sais ce que je désire et ne veux pas jeter toute la famille dans le Néant, car des gens comme toi existent encore.

À bientôt, Dardanos, quand tout se bordel va exploser à notre gueule. »

J’attendis qu’il me serre la main en retour. J’avais trouvé un allié en ce lieu et ce sera utile pour les jours à venir.

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