Chaasburg : Xanathos vs Alastair [Combat]

Le moineau aimait crier. Il passait ses journées à crier. De douleur, de colère, de dépit. Il criait contre lui, contre la violence du monde. Contre la nature belliqueuse même de l’humain. Ses yeux voilés par la fresque criarde de sa propre utopie.

Et les gens le disaient fou.

Du début à la fin, il riait. Son sourire aux lèvres, un caquètement asséché sortant de sa bouche. Les mains dans les flancs de sa cible, il riait. Un coup de pied au visage pour le repousser, il riait. Un ultime assaut mystique éclatant envoyé à son encontre pour l’enfoncer dans le sol... il riait. Le Dragon-Serpent ne riait pas. Il pouvait l’entendre à l’arrière de son crâne. La cuirasse était insatisfaite. On lui dérobait son butin. Dans un capharnaum de sifflements frustrés envahissant son esprit, il comprenait le discours sans mots de la seconde conscience qui s’accrochait à la sienne. Maudissait sa faiblesse, son insouciance, sa défaite. Après tout, il était toujours bien plus facile de blâmer autrui. Surtout s’il se contentait de rire aux insultes.

Percuté avec force, il fait craqueler le sol de sa masse, écrasé quelques secondes. La poussière s’élève, les débris volent. Il disparait un moment, perdu dans un énième nuage sombre parmi tant d’autres aux limites du combat mené par les deux autres intrus un peu plus loin. Tant d’interruptions dans un duel si prometteur. Il en aurait presque été triste, avec du recul. Le combat contre le Phénix avait été glorieux. Mais il fallait croire que le respect des règles de combat était quelque chose qui se perdait à une bien trop grande vitesse, d’année en année.

Pour tous leurs défauts, les Romains avaient un minimum de respect, au moins. Mais les temps changent.

Depuis la poussière et les débris, un toussement rauque. Suivi d’un second. Et alors que la poussière achève encore de retomber, une main émerge pour se saisir d’un rocher. Une main grise, griffue, noircie, qui se resserre pour hisser un homme gris, noirci, meurtri. Une partie de ses vêtements brûlés, sa chair s’activant manifestement, avec lenteur, à réparer tant bien que mal les dégâts subis par les assauts variés des dernières altercations. De la cuirasse, aucun signe. Les ailes ont disparu. L’armure s’est effritée et envolée au vent. Le masque de cauchemar également, éparpillé dans le néant, laissant reparaitre le visage fatigué, mais heureux du colosse. Heureux, comme le témoigne un sempiternel sourire sur ses traits, alors qu’il achève de lourdement se relever en position assise. Un voile devant les yeux, le souffle laborieux. Il observe le moineau, à limite de l’inconscience, grognant et peinant pour extirper son compère des lieux, un pas à la fois. Il ricane une nouvelle fois.

« Marche contre la tempête, blâme le vent. »

Un rire sinistre, une quinte de toux ensanglantée. Il reverrait sans doute ce moineau crieur un de ces jours de nouveau. Ce genre d’énergumène trouvait toujours le moyen de finir dans les pattes de quelqu’un. Il serait là pour tenter de l’empêcher de faire quelque chose. L’empêcher de faire du mal à quelqu’un. L’empêcher de détruire quelque chose. Persuadé de sa croisade et de sa bravoure. Comme tous les idiots et les perdants. Occupés toute leur vie à intervenir dans la vie des autres, réalisant à l’instant de leur mort qu’ils n’avaient jamais rien fait de la leur. Oubliés et enterrés, drapés dans leur dignité et leur bravoure. Grand bien lui fasse. Son épitaphe serait poétique.

Ses mains tremblent. Son corps survit, sa chair le relèvera à un moment ou un autre. Mais sa vitalité ne suffirait pas à compenser sa fatigue. Il pouvait déjà se sentir dériver. Un voile flou passer devant ses yeux. Ses jambes étaient amorphes, et il restait uniquement assis à la force de sa main aggripée à un large rocher. Il fixait devant lui les deux formes s’éloignant pas à pas, sourd au vacarme des deux autres formes derrière qui s’évertuaient à poursuivre un combat que personne n’avait demandé, et qui n’intéressait qu’eux. Une pièce de théâtre bien triste.

Lentement, les sons s’amenuisent. Le vent souffle. La poussière virevolte. Il n’entend plus que sa respiration, les battements lents de son coeur. Et il réalise. Il n’entend pas la musique. Il n’entend rien d’autre que le silence. Un rare, précieux, et si magnifique moment de silence. L’orchestre a battu la mesure, l’a accompagné dans ses combats et sa destruction. Maintenant, il était temps de passer à l’entracte. Il était fatigué. Il avait sommeil. Il ferme les yeux, écoutant le battement de son coeur en silence.

Dans le dos de tous, sans un mot, le colosse relâche sa prise, et glisse lentement vers l’arrière. Posant la tête sur le sol, les yeux fermés. Une expression paisible et souriante sur le visage. Le monstre gris était satisfait, et prendrait maintenant le repos qui lui était dû.

La Guerre le ramènerait au monde des vivants bien assez tôt.

Bien assez tôt.