[Début mai 553] Le Dragon qui portait les Brises

«Hum… Peut-être… Mais Atlantis n’est pas la Surface. Alexandrie, bien que sous notre protection, n’était pas équipée pour affronter toutes les armées de Dormeur et d’Eveillés qui peuplent le monde. Et éparpiller les connaissances dans différents lieux oblige aussi à diviser les forces pour les protéger. Au final, je ne suis pas sûr que ton calcul soit plus pertinent que le miens…»

Après tout, il pouvait bien y avoir un lieu centralisé et des copies dans des bibliothèques annexes non ? Et puis, il ne s’agissait pas exclusivement de livre mais de créer un lieu de libre circulation des savoirs et des compétences. Nessius restait persuadé que son idée tenait la route mais il entendait néanmoins l’avis de son aimée et les risques encourus. Il allait falloir trouver une solution à cela. Car ses détracteurs ou d’éventuels opposants ne manqueraient pas de lui opposer les mêmes arguments. Il n’insista donc pas sur ce point.

De fait, il semblait que sa question à Endymion avait éveillé chez ce dernier le besoin de déverser un peu de fiel. Avait-il touché un point sensible ? C’était donc ça… Il avait ramené un de ses jouets de la surface jusqu’ici ? Bon, un jouet validé par l’Empereur des Sept Mers, mais un jouet quand même. Il adressa un regard blasé au Dragon des Mers.

«Et toi pas assez vraisemblablement pour éclaircir ton humeur…»

Mais c’est l’instant que Calypso choisit pour attaquer. Elle renvoya le Consul des Brises dans sa couchette d’une manière que Nessius n’avait pas envisagée. Donc, elle officialisait leur relation, là, au détour d’un verre et d’une provocation graveleuse ? Ce n’était pas vraiment de cette manière que le jeune Céléno Merinita avait envisagé les choses. Mais passé l’effet de surprise, il lui adressa un regard aimant et prit délicatement la main de la jeune femme au creux de la sienne. Puis, dans un mouvement emplit de douceur, il posa un baiser sur son front avant de se tourner vers le Dragon des Mers et son lieutenant de compagnie avec, cette fois, un œil beaucoup plus aiguisé.

«Tu m’excusera donc de refuser ta proposition. J’ai auprès de moi une âme plus enivrante et incroyable que toutes celles que tu pourrais me proposer. Son intensité efface toute les autres… Je te souhaite de vivre ça, un jour, général… »

Endymion venait de se faire rhabiller pour la Surface de quelques mots bien sentis ! Nessius ignora sciemment la vexation à peine voilé d’Adonis. Il n’avait pas changé depuis Ostie. Incapable de gérer ses émotions. Si le pilier de l’Atlantique Nord devait lui être confié, il faudrait sans doute renforcer la garde car les habitants auraient tôt fait de prendre leurs aises avec un lieutenant versatile et susceptible.

Nessius plongea son regard dans celui des Hyades. Un regard éperdu et confiant, témoin de cette force inébranlable et de cette sérénité qu’elle avait fait naître en lui. Il y exprimait toute la gratitude et l’amour qu’il avait pour sa promise. Comme si le temps et le décor autour d’eux s’était effacé.

Et la conversation se poursuivit, opposant les idées idéalistes au pragmatisme froid. Je restais au dessus de la mêlée, du haut de mon trône de bois et d'os, tout en laissant la jeune génération s'exprimer et se confronter.
Calypso rebondit alors sur les Oracles et ma rencontre avec Celestia, ce qui me ramena quelques temps en arrière.

De toute manière, j'ai planté de nombreuses graines qui devraient donner des fruits d'ici peu. Le jeu de la diplomatie a toujours été ma passion... Et Poséidon l'a bien compris. Pour autant, je vais avoir besoin de tes lumières, ma belle nymphe. Si tu pouvais chercher quelques informations concernant les royaumes à l'est de l'Indien, cela me ferait gagner un temps précieux.

Je posais alors un regard pensif sur Nessius.

A ce propos... Si tu es désireux de me donner un coup de main... Je suis preneur de toute information actuelle sur les forces des sbires d'Arès. Armée, puissance, leaders, ennemis et alliés... Poséidon m'a avoué ne pas disposer de données présentes fiables. Or, je vais devoir me confronter à eux, au bout d'un moment... Et plus je serais informé, mieux cela sera.

Tel était l'art de la diplomatie. Tout savoir et anticiper les forces et faiblesses de l'autre.
Le sujet sérieux déborda alors sur un tout autre plan... Et face à mes allusions taquines, Calypso me fit une révélation à laquelle j'avais aspiré. Mais bon sang que ces jeunes gens pouvaient être susceptibles...
Leur vie de couple risquait de ne pas être de tout repos.
Pour autant, j'hésitais à répliquer un fait cruel à la nymphe des Hyades. Son deuil envers Orpheus semblait bien court, surtout après la douleur qu'elle avait exprimée devant moi.
Mais je retins mon mauvais esprit, de justesse. Que m'apporterait le fait de blesser une amie ? Elle plus que nulle autre méritait bien de refaire sa vie et de se tourner vers un futur heureux.
Ma coupe vint alors se promener vers mes lèvres.

Oh, je l'ai bien connu, cet enivrant nectar, capitaine... Jusqu'à ce que mon épouse et moi perdions un enfant... Les épreuves de la vie peuvent parfois en mûrir la saveur...

Que répondre donc à son mépris ? Juste dévoiler un pan de mon vécu.
Mes yeux tristes se posèrent alors sur le visage de mon bel Adonis, et son sourire suffit à réenchanter une lueur dans mes pupilles. Quelques instants passèrent et un franc éclat de rire s'échappa de mes lèvres.

Allez... Tournée générale pour fêter cette excellente nouvelle ! Et je tiens à m'occuper de la cérémonie ! J'ai plein d'idées merveilleuses !

Et tel un démon sortant de sa boite, je bondis de mon trône pour semer le désordre dans la tignasse de Nessius, comme je l'aurais fait d'un petit frère orgueilleux mais pour qui je nourrissais une sincère affection. Ma main se posa brièvement sur la joue de Calypso, puis mes lèvres sur celles d'Adonis.
Et enthousiaste au possible, pour mieux repousser les ténèbres de la mélancolie, je m'élançais vers le comptoir pour aider le patron à régaler notre petite famille.

Mes questions sont balayées dans la discussion pour des affaires de cœur entre mes deux nouveaux compagnons de guerre... je me réjouis sincèrement de leur union, même si je ne les connais pas, je suis heureux que parmi les ruines de cette cité nous puissions faire une pause dans sa reconstruction pour y célébrer l'Amour. Pourvu que cette union soit durable et mutuellement bénéfique. Je suis sincèrement heureux pour eux et, j'aurai pu m'emporter du ton condescendant du naga à mon égard mais, il est d'office pardonné. Je suppose que le stress de devoir l'annoncer publiquement l'a troublé et que les petites phrases ironiques coup sur coup renvoyées avec le consul ont suffit à le déstabiliser... aussi je les regarde avec un air sincèrement heureux et plein d'admiration. Qu'ils sont beaux dans les regards qu'ils échangent, chargés de tendresse et d'affection, plein d'amour au fond des pupilles. Voilà une belle raison de faire la fête ce soir !

Une question me vient alors que l'échange se détend :
Font-t-ils les cérémonies de mariage comme nous autres surfaciens ? Curieux de découvrir les mœurs d'ici bas... et afin d'initier le sujet je lance avec innocence :
Quoi de mieux pour mettre du baume au cœur en ces temps de crise que de fêter un mariage ? Comment se déroule une cérémonie sous l'océan ? Poséidon vient-il lui même sacrer votre amour ?
Ce serait en effet le plus beau des cadeaux que d'avoir la bénédiction du dieu des mers de sa propre bouche.
Aussitôt je me lève et pose mes bras avec lourdeur sur les épaules du couple, ma tête venant se glisser entre eux je dépose un bisous sur la joue de chacun avant de rejoindre Endy au comptoir :

Chez-nous les Vulgaires un mariage c'est sacré, alors buvons ! Haha

Et je ris avec bonhommie, jusqu'à ce que arrivé épaule contre épaule avec Endymion, je lui glisse au creux de l'oreille :
Je suis là si tu as besoin et...
Caressant son dos avec tendresse et amour je capte son regard pour mieux m'y plonger :
hem... je te suis et serai toujours loyal Capitaine.

J'ajoute après quelques secondes silencieuses :
J'ai une requête à te formuler, pourrais-je profiter d'être enfin à Atlantis pour tenter d'en apprendre davantage sur mes origines ?

En effet je sais que ma mère est une surfacienne mais... je n'ai rien sur mon paternel.

Est-ce possible qu'un Atlante de passage ait pu engrosser ma mère et qu'à travers lui la bénédiction de Poséidon se soit transmise ? Car dans ce cas je ne suis pas une bonne nouvelle pour tout le monde.

Ce n'est pas que ma nouvelle condition de vulgaire ne me convienne pas mais j'ai besoin de comprendre pourquoi Poséidon a fait de moi l'un de ses fils si je n'ai pas l'once d'une goutte de sang atlante dans les veines. Je n'aurais pas le culot d'aller le déranger pour mes questions très... personnelles alors il va bien falloir commencer quelque pars. Et pas question d'en informer quiconque hormis Endy, j'ai l'impression que cette société est... très à cheval sur ses principes. L'arrivée d'un bâtard en ville n'est sûrement pas une réjouissance pour grand monde d'autant que trouver un Atlante qui se baladait en mars 533 à Tinos ne doit pas courir les rues.
Faire sa place sera difficile, être respecté sans être craint encore plus...

Et, sortant de ma réflexion par le rire du tenancier, j'entreprends d'aider mon amant à apporter sur notre table les mets et boissons avant de reprendre place, tout en légèreté.

"A l'est de l'Indien ?"

Sans attendre la Toreador sortit de son étuis une feuille brouillonne et un fusain, puis commença à tracer de mémoire les contours de la Mare Nostrum. Si elle n'était pas cartographe, elle avait suffisamment étudié de cartes de chroniqueurs, explorateurs, marchands, pirates parfois, pour que tout soit aisément reconnaissable. Le nord connut le même sort et les frontières de l'Africa commençaient à devenir moins précises, mais jusque-là l'affaire tenait bon.

"Je m'étais intéressée de plus près à l'est du continent quand j'ai trouvé le journal d'Etrius sur les échanges avec les Fujin... Les documents rapportés de l'Empire Perse m'ont également donné une idée plutôt claire des côtes jusqu'à l'extrémité du continent. A peu près ici s'arrêtait le vaste domaine d'Alexandre le Grand. Dans cette région, Jamir, que tu connais déjà un peu. Et au-delà... Les textes parlent d'une civilisation florissante et puissante mais fort différente des héritiers latins et grecs. La Qin."

Tout en parlant, elle acheva un tracé plutôt approximatif, trop lisse, en désignant successivement les endroits qu'elle citait.

"Ce sont eux qui ont inventé la xylographie les premiers, et qui ont introduit par exemple le thé et le riz dans nos contrées. Ils les mangeraient avec du poisson cru et des algues... Ils sont apparemment plutôt exercés en termes de médecine et la superficie de leurs terres leur procure énormément de ressources exotiques. Enfin, ce que je te dis là n'est sans doute pas représentatif de ce qu'est la Qin entière, les mieux placés seraient sans doute les Fujin pour te répondre. Je peux aller me documenter auprès d'eux mais il me faut du temps. Et j'ai cru comprendre que tu partirais vite ?"

Mais déjà les potins de comptoir reprenaient la main, et après avoir enfin parlé, n'en déplaise à ces messieurs et leurs allusions "subtiles", la Marina fut satisfaite de voir que Nessius la rejoignait totalement dans son état d'esprit. Même si... la pique sur la lubricité du Dragon était de trop, quand on savait qu'il était marié depuis fort longtemps à la princesse d'Atlantis. Calypso ouvrit la bouche pour intervenir, car elle savait le sujet sensible et ne voulait pas impliquer Calista dans leurs petits débats. Endymion la prit de court et fila comme l'un de ces fantômes pris de frénésie, visiblement déterminé à les faire boire jusqu'à plus soif. La jeune femme se tourna vers Nessius.

"Nous laisserons jamais Endymion gérer notre cérémonie, n'est-ce pas ?"

De l'inquiétude dans la voix, Calypso ne vit pas arriver la bise du pétillant mignon de Lusca, et moins encore sa suggestion à propos du sacrement.

Le sang se retira du visage de la Nymphe. Elle n'avait pas envisagé le cas de figure mais... deux Marinas... deux nobles de Sang-Pur dont un appartenant aux Huit Familles... le premier mariage depuis le réveil de Poséidon... Tout le monde voudrait être là dans un moment pareil... Ce serait effectivement une occasion digne d'être bénie par Lui -mais Il avait d'autres choses à faire, non ? La guerre à préparer contre Okhéanos et ses Muiens ? Et s'Il se déplaçait malgré tout ?

Laissant les deux larrons s'éloigner de leur table avec gaieté, Calypso commençait à avoir les mains moites et des sueurs froides dans le dos, les scénarios se succédant dans son esprit comme les vagues sur la plage. Une divinité à un mariage demandait-elle des précautions particulières dans le protocole ? Y aurait-il Aurora-Amphitrite ?! Alors il faudrait prévoir un banquet ! Mais la disette de la fermeture des frontières... ! Et puis combien d'invités ? Quel lieu serait assez grand ?!

Elle se voyait déjà avancer au milieu des deux familles... Non, Nessius ne chercherait pas à inviter sa famille, si déjà elle refaisait Surface. Enfin... Sous-marine.

Elle se voyait déjà avancer en direction de sa mère et ses serviteurs, dans un silence religieux. Non, s'il y avait foule, ce ne pouvait pas être silencieux.

Elle se voyait avancer en direction de sa mère et ses serviteurs, sous les vivats d'une foule en délire, des centaines de regards braqués sur elle... Non, il y aurait Nessius. Ce n'était pas un mariage chrétien et il fallait au moins cela pour parvenir à parcourir cet immense chemin.

Donc, ils avanceraient bras-dessus, bras-dessous, sous les vivats d'une foule en délire, des centaines de regards braqués sur eux, partageant l'ivresse de ce jour sans égal et là... Poséidon au premier rang. Non. Poséidon face à eux, les bras ouverts. Les bras le long du corps. Les bras croisés ? Poséidon les attendant sur une estrade. Si elle ne s'évanouissait pas avant.

Bras-dessus, bras-dessous, sous les vivats d'une foule en délire jusqu'à Poséidon qui prononcerait donc les mots rituels unissant leurs âmes à jamais pendant qu'elle baissait le regard sur Ses pieds. Non, Il le prendrait mal. Sur... Sa toge ? Est-ce qu'Il portait une toge habituellement ? Sur Sa peau bronzée exhalant une puissance brute et quasi-infinie.

Pendant qu'elle tâchait de maintenir son regard quelque part où elle n'offenserait pas le dieu tout en réussissant à écouter ce qu'Il disait plutôt que de se focaliser sur la gêne monumentale qui la saisirait.

"Nessius... Je veux disparaître... Si possible tout de suite..."

Elle parvint à déglutir, mais ses mains tremblaient au creux de celles de son fiancé, terrorisée par la perspective d'une telle cérémonie. Y avait-il au moins déjà eu un précédent ?

«Bien évidemment qu’il ne gérera pas la cérémonie. Par contre, on peut lui laisser gérer l’approvisionnement en vivres de la noce. Il est l’homme le plus qualifié que je connaisse, ici comme à la Surface pour une mission de cette ampleur…»

Un sourire taquin vint éclairer le visage du Naga. Laisser endymion prendre la parole serait une prise de risque compte tenu de sa propension à manier le politiquement incorrect que le Naga n’était pas prêt à prendre. Pour autant, ne pas laisser une place d’importance au Dragon des Mers serait une hérésie, aussi bien en raison de son statu au sein de la Cité que de la reconnaissance que calypso et lui pouvaient avoir pour leur compagnon d’arme.

Mais la réflexion badine d’Adonis laissa la place à une réflexion beaucoup plus sérieuse. Celle des invités. Nessius ne voulait pas de ces grands banquets auxquels on conviait les gens d’avantage par bienséance et obligation que par envie. Mais pouvaient-ils décemment omettre le Seigneur des Sept Mers ? Qu’ils n’invitent pas les membres des grandes familles était une chose. Adieu Bjornaer, Tremere, O’Bannon et autre Fujin. Mais Poséidon lui-même ? Il aurait sans doute mieux à faire. Mais ne pas le convier relèverait du blasphème. Tout du moins l’informer de cette union. Et lui préparer une place au cas où. Après tout, tout Merinita qu’il était, Nessius n’appartenait qu’à une branche cadette. Il se tourna vers Caly, qui avait blêmi, pour la rassurer.

Nessius imaginait parfaitement ce qui se passait dans la tête des Hyades. Elle devait mentalement vivre la scène, imaginer tous les scénarios possibles et particulièrement ceux qui la mettraient la plus mal à l’aise. Il posa tendrement ses lèvres sur son front, cherchant à l’apaiser.

«Respire… Calme-toi…Nous lui feront connaître nos intentions par le biais des prêtresses. En signifiant que nous souhaitons une cérémonie intime et discrète. Je doute qu’il souhaite être présent pour le mariage d’une branche cadette fort décriée avec une famille vassale. Je ne compte même pas inviter officiellement les Atlas Merinita. Juste les gens qui comptent pour nous. Le tour sera vite fait de mon côté. Quant au tiens, tu feras selon tes envies.»

Au moins les choses étaient claires. Cela la rassurerait-elle ? Rien n’était moins certain. Mais au moins il aurait essayé.

Nessius se tourna alors vers Endymion. Il ignorait ce pan de la vie du Général. Il avait donc perdu un enfant avec Calista ? Cela devait remonter à plusieurs années ou dater de la période ou il se trouvait en exil. En l’état, personne ne l’avait jamais mentionné devant lui. Le Naga opinia tristement du chef comme pour partager la douleur muette du Consul des brises.

«Je te prie de bien vouloir m’excuser, Endymion… Je l’ignorais… Je ne peux imaginer à quel point ce genre de douleur s’inscrit au fer rouge dans le cœur pour ne plus jamais le quitter…»

Avoir des enfants faisait partie de ses espoirs pour l’avenir. Et il s’imaginait dans quel état il serait si, après avoir goûté à ce bonheur, on le lui arrachait brusquement. Il y avait de quoi devenir enragé…

J’accepte les excuses plates de Nessius d’un simple mouvement de la main.
Il ne pouvait pas connaître ce pan de mon histoire. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Calista et moi n’en avons pas fait étalage.
Les préparatifs se poursuivent dans une atmosphère de liesse, et je supervise le tout, en m’agaçant du peu de réserve que nous avons pu reconstituer. Décidément, le temps du retour à la normale n’est pas pour de suite…
Mais chacun finit par se voir proposer un verre d’alcool de qualité et assez de nourriture festive pour satisfaire à un modeste appétit. Je lève alors ma coupe à l’adresse des mariés à venir.
A mes cotés, Adonis m’assaille de questions bien compréhensibles, et je profite du brouhaha ambiant pour le prendre à part.

Oui, tu as quartier libre… Mais je te conseille de jouer la prudence. Les assassinats sont rares, mais pas non plus exceptionnels. Et tu ne serais pas le premier batard venu dont un père noble voudrait se débarrasser en le jetant aux requins.

J’en étais la preuve vivante.
A combien de tentatives de meurtre avais-je échappé ? Entre Etrius et les O’Bannon, j’avais longtemps été considéré comme une épine, dont il fallait impérativement se débarrasser.
Je posais alors un regard scrutateur sur mon bel Adonis.
Tant de candeur… Risquait de lui jouer des tours. Atlantis restait bel et bien une outre où les crabes se déchiraient afin de piétiner le plus faible d’entre eux.

Il arrive parfois qu’un Vulgaire s’éveille à l’Onde. Peut-être en raison d’une lointaine ascendance Atlante. Le fait que tu sois tel que tu es n’est pas la preuve que ton père est un Atlante. Mais ce n’est pas exclu non plus. Je comprends mieux que quiconque ton besoin de connaître tes origines, mais que cela n’impacte pas sur ton devoir d’officier. Tu représentes l’un des trois consuls d’Atlantis, ne l’oublie pas.

Brièvement, ma paume vint se poser sur la joue de mon jeune amant. Comment le préserver de ce monde pourri ? Le pouvais-je seulement ?… Non.
A lui de forger ses expériences, d’assumer ses choix. Je pouvais l’accompagner, pas le sauver.
La liesse repoussa vite mes inquiétudes, et peu de temps après le toast, je quittais la salle commune afin de gagner mes quartiers privés à l’étage. Après avoir jeté un coup d’oeil éloquent à mon bel Adonis.

L'heureuse nouvelle offrait à tous ici l'occasion de partager un bout de leur bonheur. Chaque cœur de femme et d'homme devrait un jour avoir l'occasion d'être comblé pour ne pas se dessécher. Vivre sans amour c'est vivre sans saveur.
Je ne connais Calypso que depuis le début de la soirée mais je me réjouis sincèrement pour elle ainsi que pour le Naga, ils sont touchant tout les deux même si le poids de leur statut social fait qu'ils ne peuvent se permettre une effusion d'amour en public. Contrairement à d'autres !
Qu'il est beau d'être témoin de l'amour entre deux êtres...

Je regardais ce couple avec un œil amicalement envieux avant de me retourner face à Endy.

Je sais me défendre ! dis-je avec une pointe de fierté tout en picorant quelques toasts destinés à la tablée.
Tu le constateras demain, j'ai progressé. Et si quelqu'un tente quelque chose contre moi il n'aura qu'à bien se tenir !
Je mènerai mon enquête... discrètement, promis ! Tu n'auras pas à t'inquiéter... J'ai bien compris qu'ici mon rôle n'est plus le même. Avant j'étais seul, je pouvais me permettre presque tout ce que je voulais car je n'avais de compte à rendre à personne. Maintenant avec cette écaille je représente une autorité, je représente d'une certaine manière Poséidon lui-même où d'une moins l'un de ses bras armés alors je ne peux plus faire l'enfant. Être lieutenant signifie avoir des responsabilités.
Je déglutis, ravalant ainsi un brin d'appréhension justifié.
Si il y a quelque chose à découvrir je le découvrirais, en attendant l'important est de survivre aux prochains assauts contre cette cité, n'est-ce pas ? Préparons-nous à recevoir nos ennemis.

Une fois le service achevé nous nous retrouvâmes tous autour de la table munis d'un verre à lever et d'une heureuse nouvelle à fêter. Suite à cette annonce les paroles se détendirent, les traits sur les visages se déridèrent peu à peu... le plan d'organisation des réfections de la ville remit à demain.
Les discussions s'enchainèrent une bonne partie de la soirée avec légèreté si bien que par moment éclatèrent au fond de cette taverne, au cœur du quartier de l'Atlantique Nord quelques éclats de rires sincères.

L'amour des uns éveilla en moi l'exquise envie de partager une nuit de passion avec mon cher et tendre... Alors, lors d'une seconde d’inattention des futurs mariés, ma bouche glissa contre le cou d'Endy, y déposa un doux baiser avant d'ajouter tout contre son oreille :

Souhaiterais-tu que nous rendions hommage à Éros ?

Il répondit par un sourire satisfait.
Je savais que nous partagions le même désir.
Un peu plus tard il se leva et m'invita par un clin d’œil éloquent à le rejoindre. Ce que je fis après avoir souhaiter tous mes vœux de bonheur a Calypso et à Nessius...

Le sang-froid et l'assurance de Nessius étaient un baume pour les Hyades. Comment faisait-il pour envisager les choses avec autant de simplicité ? Cela venait-il du fait qu'il avait été longtemps traité comme un paria, et qu'il en gardait certaines habitudes ? Pouvait-on vraiment écarter la noblesse en quelques mots comme il le faisait ? Ne pas inviter les Atlas simplement parce qu'on n'en avait pas envie ? Si elle s'en tenait à ses mots, la liste était effectivement courte et facile à établir : Ypomena, Philomaque, Lorelei, Redina, Aurora, Calista, Endymion, son maître d'armes -qui était devenu un ami, et bien entendu Poséidon.

Un sourire finit par remplacer l'anxiété, car après tout ils avaient le temps de voir venir. Ils en étaient à peine aux fiançailles, pas encore tout à fait prononcées si on prenait leurs vœux auprès de Triton comme point de départ. Et ils seraient deux à s'y pencher, à y réfléchir, à en profiter, deux à s'aimer et à s'aider dans les épreuves à venir comme dans la vie. Cela donnait au moins l'occasion aux pauvres hères agglutinés dans la Dame Rousse pour une petite fête improvisée, qui pour une fois n'avait rien à voir avec un pillage, une bagarre, une orgie -encore que la soirée débutait à peine-, ou l'un des habituels prétextes pour boire et manger sans compter.

Parée d'un léger fard qui se serait parfaitement accordé au rouge de l’Écaille du Naga, la jeune Toreador Arkantea reçut les félicitations et les vœux avec une simplicité timide, se prenant à imaginer enfin une cérémonie où les regards braqués sur elle ne seraient faits que de bienveillance et de sincère affection, à commencer par celui de son promis, dans lequel elle lisait un amour inconditionnel.

"Merci Nessius. Je suis vraiment contente que tu aies volé cette amphore de vin maintenant que j'y pense."

Boissons et mets se succédèrent, dans la mesure des moyens à disposition de l'établissement. Le pirate avait fait des merveilles et personne ne se plaignit de l'aspect légèrement frugal par rapport à l'ordinaire. Le moment en était d'autant plus précieux et authentique.

Quand les cadavres de bouteilles et d'assiettes commencèrent à déborder les serveurs et serveuses sollicités de toutes parts, la Nymphe se tourna vers son cher et tendre. On entendait parfois grincer les planches du plafond et plus. Un coup d’œil dans l'assemblée et on remarquait également l'absence du maître de l'Atlantique Sud et son favori. Les bougres avaient dû saisir la première occasion pour laisser libre cours à leurs penchants... Quelle équipe !

"Nos hôtes semblent avoir pris la poudre d'escampette. Que dirais-tu d'en faire autant ?"

Quitte à traverser les Sept Océans pour être seulement tous les deux.

Citation :: Fin

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