[Patras - fin juin - 552] La tempête porte le parfum du sang, de l'acier et des larmes. (Childéric - Adonis)

Pour tout vous expliquer, mon seigneur... je dois commencer mon récit par le début... Voyons...
...

Approcher Patras à la fin du printemps avec un baromètre dépressionnaire en chute libre c'est aimer le danger... ou ne pas avoir le choix !

J'étais au large, Patras en vue à seulement quelques heures de voile, lorsque j'ai observé les premiers nuages se former. Au début pas grand chose, ça arrive souvent, mais plus j'avançais plus ça devenait menaçant si bien que je me suis dis : "Mon bon Adonis, dépêchons-nous le refuge est proche, un peu de nerf !"
Et je n'avais pas tors, car mes craintes se sont avérées justifiées : le vent à brutalement changé de direction. Un vent Nord-Nord-Ouest. Puis ça soufflait fort et avec des rafales ! Saleté ! Fallait être bien réveillé pour tenir la barre je vous l'dis ! Pis croyez-moi ce n'était pas naturel ! Je navigue sur cette mer depuis mes 12ans et je n'ai jamais vu ça. Bref ça soufflait de plus en plus fort comme je disais et je gitais dangereusement de tout bord car mon embarcation : Lily blue aux voiles bleues et orangées n'est pas conçue pour affronter des intempéries pareilles alors heureusement que son fier capitaine : Moi ! ai su garder mon sang-froid sinon j'crois bien que je nourrirais les poissons à c't'heure-ci. J'ai aussi évité plusieurs récifs de justesse, on ne voyait que les pointes dans l'creux des vagues ! c'est qu'il s'agit de bien connaître son affaire quand on longe les côtes mais j'ai pu, tant bien que mal atteindre ce port, refuge de tout marin ayant encore un brin de raison pour laisser sa grand voile affalée.
Pis en entrant comme y avait pas de place à quai je m'suis permis de m'amarrer à couple du votre comme c'est d'usage dans tout port civilisé. J'faisais pas gaffe que c'était l'armée moi !

Au début je prêtais guère attention à la foule qui s'agitait et aux nombreux bâtiments accostés là, je me suis amarré machinalement et j'ai continué mes opérations de protection et de rangement de ma précieuse embarcation jusqu'à ce que, hélé par l'un de vos marins du pont supérieur je me suis retourné. Celui-ci, en arme, visiblement n'acceptait pas de m'offrir l'arrimage.
S'en est suivi une houleuse discussion où je l'ai prié, avec ma plus grande sagesse, de bien vouloir me laisser en paix.
Plusieurs autres marins contre le bastingage se sont mis à m'in...vectiver et ont montré de leurs poings l'hospitalité qu'il comptaient m'offrir. Loin de m'effrayer, je leur ai relancé quelques phrases bien piquées, vous comprenez...
Si la discussion s'était arrêtée à cet échange de cordialités je ne serais pas intervenu davantage, j'ai d'autre chats à fouetter, mais lorsque je les ai vu défaire mes amarres pour me rejeter à la mer comme un poisson pourris mon sang n'a fait qu'un tour et je suis monté pour me précipiter sur eux, baffant le premier, puis le second et jetant le troisième par-dessus bord. J'avais peut-être tort de m'emporter, je suis un sanguin... vous comprenez...

J'suis pas un mauvais bougre, juste un garçon qui commence à connaitre la force des éléments, et notre faiblesse quant à la volonté divine. Je voulais pas monter sur votre bâtiment, ça fait des semaines que je vogue depuis Ancona en Italie et mes réserves sont vides. On ne tient pas longtemps sans eau ni nourriture en mer. Permettez-moi, je vous en prie, de terminer mon accostage, de replier mes affaires et je ne vous embêterai pas davantage. Demain à la première heure je serai partie, vous ne serez pas dérangé.

Ainsi m’adresse-je avec humilité à cette montagne de muscles qui ordonnait à l'équipage. Cette figure monumentale dressée face à moi avec un regard inquisiteur alors que les vents de plus en plus violents faisaient souffrir les cordages et qu'autour de nous les bois commençaient à craquer de leurs sons sourds sous l'effort... un pressentiment me dictait que la pire des tempêtes ne serait pas à craindre des dieux, mais de celui qui se présentait devant moi.

Les yeux humides de fatigue et de nervosité je n'osais regarder les siens, durs... froids... comme ceux de mon précepteur lorsque je suis pris à défaut. Attendant la sentence qui ne tarderait pas à s'abattre je croisais puis tordais les mains et les doigts à m'en faire mal tant la situation me rendait anxieux.
Corriger des malotrus n'a rien d’extraordinaire en ce monde, sauf lorsqu'ils appartiennent à une armée.

Je fêterai bientôt mes 18ans et je ne veux pas mourir, ni ici exécuté par ses hommes, ni seul en mer...

Les visages se montraient de plus en plus nombreux pour assister à ma piteuse plaidoirie devant le capitaine qui, surprenamment, ne se pressait pas pour ordonner sa sentence. Peut-être attendait-t-il quelque chose ? ou bien quelqu'un ?
Je redoublais donc d'efforts pour faire pencher la balance de mon côté.

"Monseigneur, comprenez bien qu'il ne s'agit là que d'une rixe entre matelots. Nous avons échangés nos points de vus... ils divergent. Mais si mon navire dérange il y a des manières de le dire. C'est tout. rien qui vaille votre dérangement... d'ailleurs il me semble que le problème est déjà réglé"

Dis-je tout en fixant avec un regard haineux les trois marins incriminés qui tenaient encore leurs joues endoloris dans leurs mains moites.
J'allais reprendre quand un homme, plus imposant encore que le capitaine du navire, dominant chacun d'eux de plus d'une tête et moi d'au moins 3 s'avançait sur le pont d'un pas pressé.
La pression augmenta d'un cran lorsque observant le regard satisfait de mon juge vers sa direction, je réalisa que cette masse monumentale allait résoudre le litige avec force et conviction et compris à quel point il devait être un redoutable guerrier à sa démarche militaire et son allure générale... rien à voir avec les quelques pirates pillés en chemin ni avec les trois soldats baffés vigoureusement quelques minutes plus tôt.

Le silence se répandit sur le pont comme une trainée de poudre. D'aucun n'osaient ouvrir la bouche mais tous souriaient cruellement.
Un échange rapide entre les deux officiers éclaira ce dernier sur la situation. Je lui renvoya un sourire malaisé lorsque ses yeux plongèrent dans les miens.
Une aura glaciale me traversa l'échine alors je repris :

"Je...hem... Je me nomme Adonis, et je suis un vagabond. Comme je le disais tout à l'heure je reviens d'Ancôna, après avoir fait un long périple sur les côtes italiennes je me suis fais surprendre par la tempête et j'avais besoin d'un refuge. Je me suis amarré là" Pointant du doigt ma beauté de bois et de toile : Lily Blue "je me suis installé à couple de ce navire, à vrai dire j'aurai fais autrement si j'avais eu le choix mais voyez autour de nous, il n'y a plus de place. J'ai déjà eu de la chance d'arriver ici vivant alors mon sang n'a fait qu'un tour lorsque ces trois hommes derrières moi ont voulu sans vergogne me renvoyer à la mer. Je ne suis pas d'un naturel colérique mais je ne peux accepter que l'on me condamne ainsi sans réagir"


Mes yeux rougeoient alors.

"Je vous en prie, ne me renvoyez pas à la mer, je n'ai aucune chance d'en sortir vivant. Les vagues sont tranchantes et le vent démâterai mon navire."

Avoir fait tout chemin pour me retrouver à genoux au milieu de cette armée à pleurer pour ma vie... une honte dont je suis bien trop habitué. Peut-on garder sa dignité lorsque l'on est ainsi dépossédé de son Destin ? Que ce soit par les mains de ces hommes, ou de celles de Dieu, y a t-il une chance de me sortir de là vivant ? Certes je ne suis pas un saint, certes je n'ai pas toujours pris les bonnes décisions, mais j'ai encore tant à découvrir, tant à apprendre, tant à vivre...

Dire que c'est la première fois que j'aborde les côtes grecques depuis mon départ de l'île de Tinos il y a plus de 5ans maintenant, je suis partis gamin, perdu et pleurnichard, je voulais revenir en homme, fier et fort comme un pied de nez aux affres du passé... me voilà servi !
Serais-je toujours une déception aux yeux de Dieu ?