[Mai 550] Regretteras-tu tes mots, Scorpion ? [PV Lesath]

En chassant de ses yeux les dernières brumes du sommeil, Nimuë se rendit compte qu'il était déjà tard. Se retournant dans sa couche dans un grognement plaintif, agacée par un rayon de lumière qui tombait sur elle, elle se dit que quelques heures de sommeil en plus ne serait pas du luxe. Mais un Gold Saint qui n'était pas matinal, ça ferait désordre, aussi se glissa t-elle hors des draps pour s'étirer comme un chat au soleil, laissant la pâleur de son corps se dévoiler dans cette semi obscurité. Il devait être un peu plus de midi quand, après avoir fait ses ablutions, elle se rendit dans le temple du Scorpion.

La Sainte d'Athéna se sentait un peu mal à l'aise de lui avoir laissé pareil fardeau, quand bien même il l'avait de lui-même proposé, de sa propre initiative. Si elle lui rendait visite maintenant, c'était pour s'assurer qu'il ne regrettait pas son choix.

- Lesath ! Lesath ! Lesath !

Nimuë dressa l'oreille, sentant comme un mauvais pressentiment la gagner. La voix de la femme-enfant lui parvint de nouveau, de plus en plus proche tandis qu'elle franchissait le seuil de la huitième demeure zodiacale. Au détour d'une colonne, un éclair rouge fila dans sa direction, obliquant au tout dernier moment en comprenant que les Poissons étaient sur le point de l'intercepter. Un soupir s'extirpa de ses lèvres.

- Vous ne m'attraperez pas !

La jeune pirate chercha le Scorpion des yeux, avisant rapidement de la situation qui, pour l'instant lui échappait. La voix de l'ancienne Sirène Maléfique retentit.

- Nimuë dit lui ! Dit lui qu'il pue l'opium et qu'il aurait besoin d'un bain !

- Lesath ?

Mais ce fut Satine qui s'arrêta devant elle, dans son plus simple appareil, les bras chargés d'un grand pot où trônait une plante qu'elle reconnaissait sans mal. Sa tignasse de feu toute ébouriffée cachait une bonne partie de son visage et son petit corps semblait avoir du mal à porter un tel fardeau. Sous son masque la jeune femme ne sut contenir un petit rire que l'enfant interpréta mal, allant jusqu'à la vexer. Elle repartie dans sa course folle, plus véloce que certains chevaliers d'or. Ce qui eut de quoi la surprendre.

- Tu vas t'attirer les foudres du Scorpion, tu sais. Tu peux prendre un bain toute seule, non ?

Elle devina la silhouette de la petite non loin, cachée dans l'ombre d'une colonnade.

- Je l'ai déjà pris mon bain, je ne faisais qu'une suggestion à Lesath. C'est pas ma faute si il pue.

- Et il doit supporter la vue d'une gamine « plate comme une limande ? » Je le plains, ce pauvre Scorpion. L'enfant tiqua. - Figures toi que la pudeur et moi …

Elle l'interrompit dans un nouveau rire.

- Quoi ? Pourquoi tu ris ? C'est un trait de famille, c'est ça !

- Ah ! Voilà le Scorpion, et avec une bonne petite mine bien reposée ce matin ! Ironisa Satine tout en conservant effrontément le plant d'opiacé qu'elle gardait contre sa poitrine. Inexistante. - Oh, bah ça doit être ça alors, pardon. Tu pues l'opium.

La nuance était notable, assurément. Si elle était assez dérangée par l'odeur entêtante de la drogue, Nimuë n'en faisait pas grand cas, habituée elle aussi à un parfum persistant. Même si la fragrance seule de ses roses était mortelle, ce qui n'était pas vraiment le cas de ces plantes. La mine sombre et fatiguée de Lesath éveillait un intérêt chez les Poissons, ou du moins, une once d'inquiétude. Quant à s'enquérir plus directement de sa santé, cela, elle ne le ferait pas. C'était une intrusion indélicate et la fille O'Bannon avait encore suffisamment de décence ou de réserve ? Pour ne pas le questionner à ce sujet. Sa manière de parler, de se mouvoir, tout ceci était amplement suffisant pour lui donner un semblant de réponse.

- Hm ? Rien, j'en ai peur. Elle était destinée à jouer un rôle dans ton réveil. Les chevaliers d'Athéna sont pas sensés se lever tôt pour garder leur temple ? Quoique, je ne vais pas vous jeter la pierre, je n'ai jamais vraiment su moi non plus. Nimuë eut un petit sourire sous le couvert de son masque. Encore un trait de famille, j'en ai peur.

Puis se tournant vers Lesath.

- Quelque chose me dit que tu changeras vite d'idée, Lesath. Surtout si cette demoiselle à des manières si …

D'un geste de la main, elle désigna Satine dans son ensemble. La fillette fronça des sourcils, visiblement mécontente que l'on parle d'elle de cette façon. Elle reposa alors le pot où trônait le plan d'opium.

- Je ne prendrais plus ta drogue en otage, visiblement ce n'est pas ça qui va te faire sortir de ton flegme. J'en ai connu des pas marrant, mais des comme toi … jamais ! Et j'ai la dalle.

Sur ce dernier point elle partit en quête de nourriture, laissant les deux chevaliers d'or seuls. De temps à autre on entendait la petite voix de la femme-enfant jurer et pester.

- Je devrais aller lui trouver quelques vêtements. C'est vrai qu'il fait chaud en Grèce mais … imagines un peu un de nos collègues se pointer comme une fleur dans ton temple, ou le Grand Pope ! Sur quoi ils tomberaient …

Elle étouffa un petit rire.

- Tout va bien ? Elle ajouta précipitamment. Je veux dire, avec … elle ? Outre sa tendance à se balader nue et prendre en otage tes plantes, j'entends. Elle sembla assez indépendante, mais avec un tel tempérament, nul doute qu'elle va nous attirer des ennuis. Et comme je te le disais hier, je ne voudrais pas que tu sois trop impliqué dans cette histoire.

Nimuë réfléchissait aux mots de Lesath. Ses réflexions étaient justes : la petite attendait quelqu'un et ce quelqu'un risquait de poser autant voire plus de problème qu'elle. La Sainte des Poissons n'eut le temps de se poser davantage de questions qu'un cri retentissant éclata un peu plus loin. La femme-enfant devait avoir trouvé de quoi se sustenter et avoir la main mise sur le maigre garde manger du Scorpion n'augurait rien de bon, il allait falloir le remplir correctement. Satine revint quelques minutes plus tard, une bouteille de vin calée entre ses petits bras, les joues encore gonflées d'un morceau de viande séchée qu'elle mâchouillait. En voyant l'expression de sa grand-mère, la gamine souffla, envoyant par inadvertance quelques morceaux de bœuf voler dans les airs. Elle déglutit.

- Il a dit que j'avais le droit. Et ce petit vin byzantin m'as fait de l’œil.

- Est-ce que je dois te rappeler que tu es … enfin que tu as le corps d'un enfant, Satine ? Je ne pense pas que tu tiens autant l'alcool qu'auparavant, quelle que fut ta consommation.

Pour toute réponse, un petit ricanement.

- Ne me lances pas sur ce terrain là, tu n'as aucunes chances.

Elle n'en doutait pas, étrangement. Mais au lieu de continuer de deviser sur sa potentielle et impressionnante descente, Nimuë O'Bannon changea de sujet, s'adressant du même coup à Lesath.

- Je ne suis pas très friande de la chose d'ordinaire mais je pense qu'il serait bon de se rendre à Rodorio et de faire quelques emplettes. Cette jeune fille à besoin de se vêtir et …

- Rester comme ça ne me dérange pas, c'est qu'il fait chaud dans votre pays de merde. Je pourrais très bien me dorer le cuir au soleil toute la journée, j'emmerderais personne.

Nimuë lança un regard dépité au Scorpion qui ne semblait pas faire grand cas de ses manières. À sa place, elle serait déjà devenue folle.

- Ce n'était pas vraiment une proposition. On en profitera pour discuter un peu, autant joindre l'utile à l'agréable, ou au désagréable, mais ça, ça dépends de toi. En attendant, Lesath, ça t'ennuierais de lui prêter l'une de tes chemises ou autre chose susceptible de la couvrir ? Tu n'es pas obligé de nous accompagner.

À contrecœur Satine délaissa la bouteille de vin, puis, se tourna vers le Scorpion.

- Mais si il va venir. Il aurait bien besoin de se dégourdir les pattes ! À force de rester enfermé, c'est un coup à se choper la c'rise !

Elle alla se saisir de sa main pour l'entraîner dans sa chambre. Nimuë les suivit du regard non sans un énième soupir quand elle entendit lui glisser …

- Par contre, si tu pouvais me donner quelque chose qui pue pas l'opium, ça m'arrangerait. Oh et il te reste quelques dattes ?

- Il a dû se perdre en chemin ton garde, oui. Se moquait Satine tout en couvrant sa nudité de cette cape gentiment offerte. - Je ressemble à une clodo.

Tout en marmonnant des propos destinés à tout le monde et à personne à la fois, principalement des grommellements semblables à ceux d'un ours grincheux, la fillette prit la direction de la sortie, partant en quête des quelques dattes que pouvaient bien encore porter l'arbre fruitier. Nimuë tentait de conserver un peu de cette patience qui d'ordinaire lui faisait défaut. Mais elle était forcée de constater que cette qualité, elle semblait l'avoir acquise dès son arrivée dans son temple. Une aubaine quand on connaissait sa propension à vouloir lever les voiles et partir à l'aventure. Si elle s'était faite une raison, cela ne voulait pas dire qu'à la moindre occasion, elle ne filerait pas loin de la Grèce et de sa chaleur écrasante.

- Je préfère y aller de nuit aussi, mais je n'ai pas envie de faire traîner les choses et puis les échoppes risquent de ne pas rester ouvertes bien longtemps. Je ne vais pas te rappeler dans quel pays on est. On fera ça vite, je te le promets. Une pause. Et non je ne sais foutrement pas où se rendre exactement. Je ne suis allée en ville … qu'une fois et c'était pour boire un coup. C'est dire.

Quoiqu'il en soit, Nimuë ouvrit la marche, cherchant des yeux la femme-enfant qu'elle finit par trouver perchée en haut de l'arbre à se goinfrer de fruits. La descente se fit sans trop de heurts, ponctuée de temps à autre -souvent- par les bougonnements de sa protégée qui en avait marre de toutes ces marches.

- Il n'y a pas de raccourcis ? De passages secrets ? Vous devez vous taper toutes ces putains de marches à chaque fois ?! Je confirme, je ne pourrais jamais être une Sainte.

- Ah ça c'est une certitude.

Finalement, après un bon moment à évoluer sous un soleil de plomb, le trio vit se profiler les pourtours de Rodorio, niché aux pieds du Sanctuaire. Mais avant de se faire un bain de foule, chose qu'adorait Nimuë, elle prit le temps d'une halte à l'ombre pour faire un point.

- Le mieux serait de se séparer, moi et Satine on va aller dans une boutique pour l'habiller toi Lesath tu te charge de la nourriture. Des fruits, de la viande, du poisson, des légumes, tout ce que tu trouveras feras l'affaire. Je ferais la cuisine ce soir.

Satine fronça des sourcils.

- J'espère que ton toi jeune est plus douée pour la tambouille que ton toi, vieille du futur parce que pardon de te le dire, mais j'avais jamais rien mangé d'aussi dégueulasse et pourtant crois-moi, j'en ai goûté des horreurs.

Nimuë poussa la petite en avant, avisant ensuite du jeune homme pour lui mimer un étranglement, assez exaspérée par le comportement de sa petite-fille.

- On se retrouve ici dans une petite demie-heure !

Elles disparurent toutes les deux à travers ce dédale populeux.

Étrangement, si un jour Nimuë avait bien pu concevoir l'idée d'avoir un enfant, celle-ci, depuis que Satine avait fait son apparition dans sa vie, s'était envolée. Par un fait magique tenant du miraculeux, toutes situations avec elle était propice au … carnage. La pauvre boutique qu'elles avaient investies fut la première à récolter la mauvaise humeur d'une Satine outrée de ne pas pouvoir s'habiller « normalement ». Nimuë avait beau lui rappeler qu'elle n'était plus dans son époque, rien n'y faisait, rien ne trouvait grâce à ses yeux. Sauf peut-être des habits de garçons qu'elle dénicha mais qui se révélaient être ceux que la vendeuse recousait pour son fils. Grand bien y fasse, cette dernière finit par accepter de bonne grâce sous l'insistance de la rouquine et des pièces d'or que la seconde fit tinter sur le bois de sa table.

Satine avait donc abandonné sa cape et sa ceinture pour les troquer contre un pantalon en lin noir ainsi qu'une ample chemise bouffante, visiblement trop grande pour elle mais qui lui convenait selon ses dires, parfaitement. Prévoyante, la Sainte avait quand même acheté des robes, chemises de nuit dans le cas où cette demoiselle changerait d'avis. Sait-on jamais, avec un numéro pareil … Et en parlant de numéro, la voilà disparue dans la masse ! Une seconde ! Une seule et unique seconde avait suffit. Il en fallut une autre pour que Nimuë comprenne qu'elle s'était en réalité baissée pour ramasser une sorte de disque en bois, que d'autres enfants avaient laissé échappé par inadvertance. Ils lui faisaient de grands signes dans l'espoir qu'elle relance ce curieux objet qu'elle n'avait jamais vu auparavant. S'approchant de sa petite-fille – elle avait toujours un mal fou à la considérer comme telle … elle ! Grand-mère ?! - elle lui expliqua ce qu'il fallait faire.

- Oh ça ne semble pas bien compliqué ! S'exclama la petite, sûre de ce qu'elle avançait. - Regardez un peu ça …

Mais au moment où elle s'apprêta à le lancer, son cosmos explosa du même coup, ce qui dû la surprendre car la femme-enfant relâcha son étreinte sur le disque qu'elle envoya à la vitesse de la lumière dans … l'étale d'un magasin de poterie. Dans un boucan de tous les diables, les pots en terre, les amphores, les terres cuites se retrouvèrent brisés de toutes part. Il y en avait tant qu'une masse énorme ensevelissait le marchand qui, sous le coup de la surprise avait poussé un cri digne d'une jouvencelle. Cela ne manqua pas de faire rire les deux rousses qui déjà, de concert, avaient eu le réflexe de se reculer doucement … Une tête rouge s'extirpa des bris de poterie en hurlant sa colère, finissant par brandir l'objet du délit. Là encore, en même temps, les deux femmes désignèrent les propriétaires du disque qui prirent la poudre d'escampette.

Prêtes à en faire de même, elles virent Lesath emporté par le flot incessant de cette population active et grouillante comme un nid de fourmis. Nimuë décida alors de plonger à sa rencontre, jouant des coudes pour se faufiler jusqu'à lui et nouer son bras sous le sien.

- Viens vite avant que l'on soit re …

Trop tard. Les petits yeux porcins du marchand se posèrent sur eux.

- VOUS ! Vous êtes des chevaliers d'Athéna ! Il faut me rembourser !

- Et par quel prodige voudrais-tu que je rembourse tes merdes ? L'instinct de pirate venait de lui échapper. J'en ai vu des amphores, mais des comme ça, jamais ! Avant même qu'elles soient dans cet état, elles étaient déjà toutes ébréchées, te fous pas de ma gueule ! Tu n’essaies pas de nous entuber par hasard ?! Son ton montait, par jeu plus qu'autre chose. Le vendeur se faisait de plus en plus petit. Je vais faire un rapport au Grand Pope sur le fait que tu mets toi et tes acolytes, en scène tout ce bordel, là. Le coup du disque juste à côté de ton stand ? On me la fait pas à moi !

L'autre bafouillait sous le verbe véhément de la Sainte, finissant par se confondre en excuse et lui offrir le rare bol encore en état.

- Bien, ça va pour cette fois.

Après quoi elle entraîna Lesath avec elle.

- Eh bien chapeau, c'était bien joué ça grand-mère !

- Dis, j'ai été pirate, les affaires comme ça, ça me connaît !

Une lueur d'étonnement flotta dans ses prunelles.

- Toi aussi ! Bon, finalement, nous allons avoir des choses à se dire !

Quelque chose venait de changer entre elles.

- Tout va bien Lesath ? Tu as réussi à trouver ce qu'il fallait ? Dans ce cas, ne nous attardons pas ici.

La remontée fut tout aussi pénible que la descente. Mais une fois arrivés dans le Temple du Scorpion, l'odeur de l'opium les accueillit. Nimuë ne perdit pas un instant pour partir à la recherche de la cuisine, nullement gênée par cette entêtante fragrance.

- Bien, les femmes à la cuisine et … bah … nous on va boire un coup ?

Sa proposition n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Satine, en le voyant chercher deux verres, se rua vers la réserve du Scorpion et en revint en quatrième vitesse avec une outre pleine d'un excellent vin byzantin. Satine ne se fit pas prier pour y goûter, s'asseyant à côté du Scorpion comme l'aurait fait un ami de longue date. Pour une raison étrange, la femme-enfant se sentait bien à ses côtés, il n'était pas aussi guindé que pouvait être les chevaliers d'or, enfin, ceux qu'elle avait pu croiser, des centaines et des centaines d'années plus loin. Il n'y avait que Shion, le Grand Pope, qui jusque-là avait obtenu grâce à ses yeux. Elle sirota tranquillement son vin tandis que sa grand-mère s'affairait en cuisine, il lui semblait, en y réfléchissant, qu'elle devait aimer ça. Cuisiner. Puis la voix de Lesath tomba comme un couperet, manquant de la surprendre alors qu'elle déglutissait. Satine se tourna vers lui, son petit minois traduisait un air à la fois grave et inquiet.

- Je l'attendais, celle-là, t'en as mis du temps pour l'ouvrir, Lesath.

Il n'y avait pas de doute possible. Le connaissant, tôt ou tard son bien-aimé se présenterait aux portes du Sanctuaire et si, par malheur il n'obtenait pas gain de cause … Il était fort probable qu'il fasse comme à l'accoutumé : apporter son lot de chaos et désolation. Ce qu'il voulait, Arbhaal l'obtenait, et elle était bien placée pour le savoir. Même si ça l'amusait dans le fond, Satine en avait assez du sang et des larmes. Remettant le nez dans sa coupe, de longues minutes s'étirèrent avant qu'elle ne reprenne la parole.

- Je ne suis pas prisonnière Lesath, ton Grand Pope l'a dit. Si un jour il se présente, je partirais, c'est tout. C'est aussi simple que ça. En attendant, je préfère rester ici, avec Nimuë. Je … je pense qu'elle aura besoin de moi.

Elle observa le liquide rouge-sang tournoyer, finalement, la petite abandonna sa boisson, sentant qu'il commençait déjà à lui monter à la tête.

- C'est pour ça que je reste ici. Tu sais, si ça tenais qu'à moi, je me serais déjà barrée d'ici. Je peux pas blairer les Saints. Trop cons, trop complaisants. Nulle offense, toi t'es … différent. Elle aussi.

D'un mouvement de tête Satine désigna la jeune rouquine qui faisait des allers-retours, le sourire aux lèvres.

- Je sais pas si je peux te confier tout ça, si j'ai le … droit. Mais bon, j'ai toujours pris des libertés et je n'ai jamais été foudroyée. Une pause, un soupir, une hésitation. Je sais que Nimuë ne restera pas Sainte indéfiniment. Amphitrite et elle, sont étroitement liées. Un jour ou l'autre, elle répondra à l'appel de la Mer, comme je l'ai fais.

C'était étrange de la voir si sérieuse. Elle était en cet instant, presque fragile. Le Sanctuaire Sous-Marin lui manquait aussi, mais cela, elle ne pourra jamais se l'avouer, ce serait comme se trahir soi-même. Pirate, libre et sans regrets.

- Tu penses que je devrais partir ? Ne pas interférer ? Je suis un peu perdue …

Souffla t-elle en ramenant ses bras autour d'elle. La voix de Nimuë la tira de son mutisme.

- J'espère que vous avez faim ! Clama t-elle de l'autre bout de la pièce. C'est bientôt prêt, venez !

Ruminer de sombres pensées ne la mènerait nul part. Autant se contenter de peu et de se laisser porter où le vent souffle. Satine haussa des épaules, ne répondit rien à cette évidence qui pourtant, bien souvent, lui avait échappé. Rester soi-même. C'était bien plus ardu qu'on le pense. Surtout quand les jeux des Dieux, mesquins et cruels, s'abattaient sur vous comme un coup de tonnerre sur la lande. On ne choisit pas son destin, on le brave, on se rit de lui mais au final on s'y plie. Dans un autre de ses soupirs, Satine se redressa, ramassa l'outre encore bien remplie de son vin épicé et suivit Lesath jusqu'aux cuisines d'où s'élevait un doux fumet. La remarque du Scorpion la fit largement sourire, elle, ainsi que Nimuë qui apparue avec un couteau dans la main, une assiette en bois dans l'autre, les cheveux épars d'avoir farfouillé partout dans une maison qui n'était pas la sienne.

Comme une véritable fée du logis, la Sainte avait dressé la table, disposé un peu de fromages et de cochonnailles laissés à leur disposition et s'était même attaquée à la préparation de son plat à base d’œufs battus et de lards, le tout accompagné d'une petite soupe de lentilles vertes. Celle-ci mijotait tranquillement en attendant d'être servie. La Sainte des Poissons s'activait dans tous les sens, virevoltait dans la cuisine comme si elle était une habituée des lieux.

- Elle y mettait autant d'énergie, quand je l'ai rencontré la première fois. Hey, Lesath ? Lui glissa t-elle en attirant son attention d'un signe de la main. - Par contre je dois te prévenir. Comme ça ça à l'air bon mais …

La moue qu'elle arbora était des plus explicite. Dans son souvenir, les talents de son ancêtre dans l'art culinaire n'étaient pas glorieux. Aussi préféra t-elle se risquer à un peu de jambon et de terrine de sanglier qu'elle avala avidement sans se faire prier. Nimuë invita le Scorpion à prendre place à son tour, prétextant ne pas avoir besoin d'aide. La force de l'habitude, elle se souvenait des soirs où elle cuisinait pour son maître, ces rares moments de « normalité » qu'elle avait, à l'époque, pleinement savouré. Elle ne voulait pas se souvenir de ça, pas maintenant. Sous son masque, un sourire pour tromper son cœur.

- Donnez moi vos auges ! J'espère que vous avez faim.

À contre cœur, la femme-enfant tendit son bol à Nimuë qu'elle remplit presque à ras-bord. Le regard consterné qu'elle échangea avec le Scorpion n'échappa pas à la Sainte.

- Quoi ?

- Quoi, quoi ? Rien, j'ai rien dis ! Fit la petite en mettant le nez dans son écuelle dans l'espoir d'être oubliée.

À son tour la pirate rousse prit place avec les deux autres, mais ne toucha pas son assiette. Satine sauta sur l'occasion pour changer de sujet. Un sujet épineux.

- Tu devrais enlever ton masque pour manger, c'est vraiment pas pratique cette merde. Hey, Lesath, si elle retire son masque ça va ? Tu vas pas nous faire une syncope ? Sauf si l'idée de te faire tuer ne t'emballe pas … ça je comprendrais. Oh mais y a l'autre option aussi non ? Putain c'est complètement con votre truc.

Les sourcils de la gamine se froncèrent un instant.

- Au faite, je ne sais même pas qui est mon grand-père, t'en as jamais parlé, enfin, quand nous étions dans le futur.

Ses yeux de jade glissèrent vers le Scorpion. Elle lui fit un petit clin d’œil espiègle.

Sous le regard médusé des deux rouquines, Lesath enroula une serviette autour de sa tête, dissimulant ses yeux pour permettre à la Sainte d'enlever son masque. Satine dont l'hilarité se fit entendre au moins jusqu'au Temple voisin, faillit tomber de sa chaise tant elle trouvait le jeune homme drôle et imprévisible. Dans le fond, elle l'aimait déjà, lui et son flegme-pragmatisme à toute épreuve. Ses réactions étaient toujours surprenantes et le geste qu'il eut envers les Poissons eut de quoi la faire sourire. Elle se prêta volontiers au jeu, faisant fi des convenances et de l'étrangeté de cette scène. Lentement, la jeune femme découvrit son visage, déposa à côté d'elle son masque de fer et reprit sa cuillère, non sans capter le regard insistant de sa petite fille.

Elle allait lui demander ce qu'elle avait tout à coup, quand, sortie de nulle part, la dernière phrase de l'ibère la prit de court.

Satine éclata de rire. Nimuë la fusilla des yeux, mais rien n'y faisait, la femme-enfant ne parvenait pas à reprendre son sérieux. Les larmes aux bords des yeux, elle déclara, non sans s'y reprendre à plusieurs fois tant ses épaules se secouaient, compulsivement.

- Je crois que c'est elle qui a faillit avoir une attaque, tu verrais sa tête … ah bah non tu peux pas, désolée. Elle frappa le coin de la table avec le plat de sa main, toujours hilare. - Vous êtes bizarres tous les deux.

Nimuë s'était murée dans l'un de ses mutisme dont elle avait le secret, le nez dans son écuelle, touchant à peine à sa nourriture. La voix de sa petite-fille la fit serrer davantage son étreinte sur la cuillère en bois qui menaçait de se briser.

- En tout cas, je sais de qui je tiens, dommage pour ton fils Nimuë, il héritera pas de ta beauté. Je me demande bien de qui il tient sa perfidie ce bon vieux Jack ! Oh et Lesath faut pas dire ça, je te trouve très séduisant, pour ton genre. J'aurais quelques années de moins, ou de plus … Oh allez je te taquine ! Nimuë? Tu es vexée ?

Jack ? C'était ainsi qu'elle appellerait son enfant ? S'imaginer mère lui était impossible. Comment aurait-elle put enfanter de toute façon, c'était impossible, les chevaliers des Poissons ne pouvaient pas engendrer. Leur poison, leur malédiction, leur interdisait ce don offert aux hommes et aux femmes.

- Tais-toi ! Satine je t'en prie, arrêtes de parler ! Tu es fatigante, personne ne te l'as jamais dis ?

- Si, mais ceux qui se sont essayés à me faire fermer ma gueule, ils sont morts !

Un échange de projectile marqua le début des hostilités. Satine fut la première à réagir, libérant son cosmos qui explosa littéralement, balayant comme un simple fétus de paille, la table avec ce qu'il y avait dessus. La Sainte se porta au contact, prête à la cueillir mais dû se reculer au dernier instant en voyant non plus une simple enfant, mais une jeune femme d'une trentaine d'années, la faucher avec deux larmes recourbées. Elle-même dégaina sa rapière hors de son fourreau, faisant crisser la lame contre ce dernier tandis que Satine remontait à l'assaut, un sourire sadique aux lèvres. Elles se ressemblaient tant que l'on aurait dit deux jumelles, deux gouttes d'eau semblables mais dont la nature était totalement différente. Très vite, la force de l'ancienne marina déclina et son ancêtre en profita pour la mettre hors d'état de nuire en l'immobilisant avec son poison. Paralysée, Satine tomba au sol, reprit sa forme originelle et gronda de colère contre Nimuë. Cette dernière ne lui adressa pas un regard, affermit un instant son emprise sur elle pour la faire pousser un gémissement de douleur et la relâcha avant de tourner les talons et de commencer à partir.

Une fois sortie, elle stoppa ses pas, rengaina son arme. Elle avait oublié son masque.

- T'es vraiment un drôle de numéro, toi. Déclara une Satine d'une voix faible, la langue rendue pâteuse à cause du poison. La sensation était assez similaire à une mauvaise soirée de beuverie, avec les côtés plus sympas en moins. - Putain oui ! Ça fait mal !

Douloureux, mais extrêmement efficace, la technique du Scorpion eut tôt fait de faire son office, libérant le corps de la jeune femme de cette toxine. Poison qu'elle avait bien connu, autrefois. Au temps où elle s'était jetée à corps perdu dans une liaison dangereuse avec Celsius des Poissons. Ô il l'avait mise en garde contre sa malédiction, n'avait eu de cesse de la prémunir de ce danger, mais elle n'avait jamais rien voulut savoir. Danser avec la Mort, côtoyer sa compagnie avait été le seul jeu qui avait su trouver grâce à ses yeux. Elle avait si souvent frôlé le bord du gouffre en se riant de tout qu'il était impossible pour Satine, de compter le nombre de fois où elle aurait dû trépasser. Encore maintenant, si elle se trouvait là, c'était à cause de ça. À cause de lui, d'elle, d'eux.

- J'ai déconné, non ? En plus, elle était plutôt bonne sa soupe … Ajouta t-elle en se redressant, époussetant ses habits qui s'étaient détendus. - Oh, elle l'a oublié. Hm, et bien je passe mon tour, je préfère l'éviter pour le moment, j'ai pas envie de me refaire quicher la tête. Ça va bien. Va-y toi, moi je vais aller me coucher.

Bien sûr, elle ne se préoccupa pas du capharnaüm qu'elle avait déclenché, pas un seul instant, au lieu de quoi Satine disparut dans l'ombre du Temple du Scorpion. On pouvait entendre sa petite voix se plaindre de l'odeur de l'opium, pour enfin s'évanouir.

- Désolée pour tout ça Lesath.

La voix de Nimuë se fit entendre parmi les ténèbres. Elle avait attendu que sa petite-fille se soit retirée pour revenir s'excuser du désagrément. La Rose du Sanctuaire avait la mauvaise impression qu'elle ne faisait que lui attirer des ennuis, chaque fois qu'ils se croisaient.

- Je sais que ça ne te fais rien de la garder auprès de toi, que ce service que tu me rends n'en est pas un à tes yeux, seulement … je ne peux m'empêcher de penser que tu risques gros dans cette affaire. Je vais trouver une solution, je te le promets.

Elle se dévoila à la faveur des lumières des quelques bougies qu'elle avait allumé ça et là, avant qu'ils ne passent à table. Dans un bref soupir, la jeune femme commença a nettoyer, ramassant les bris de verre ou de poterie, faisant attention de ne pas se couper.

- Toute cette nourriture gâchée … et ne t'en fais pas, je payerai pour les réparations. Je suis tout aussi fautive que Satine dans cette histoire. Je n'aurais jamais dû m'emporter de la sorte. Je ne sais pas ce qui m'a prit.

Une profonde lassitude pouvait se lire dans ses prunelles pers, en plus de cet air grave qu'elle affichait. Maintenant qu'elle ne portait plus son masque, il n'était pas bien difficile de deviner son état d'esprit.

- Au fait, merci pour tout à l'heure, te bander les yeux … enfin, tu sais c'était inutile, je me fiche pas mal que tu puisses voir mon visage ou non, je le porte plus par habitude que par conviction. Il est devenu une seconde peau, à force. Même si je n'aime pas le concept qu'il représente, il m'a quand même sauvé la mise deux ou trois fois.

Nimuë détailla brièvement l'ibère.

- Tu devrais prendre ta décoction Lesath, tu sembles avoir mal.

Aucun signe de douleur n'était pourtant visible sur son visage, pas une moue, pas une seule mimique alors, qu'est-ce qui pourrait le trahir ? Ses yeux, principalement. Ce léger pâlissement de sa peau mordorée ou encore son rythme cardiaque qu'elle sentait, même de là où elle se tenait, plus vif alors qu'il n'avait produit pas de réel effort.

La Sainte avait vu juste, son œil expert ne l'a trompait jamais. Un don que son maître Lucius avait entrevu chez elle, probablement le seul si l'on omettait celui pour le combat à l'arme blanche. À vue d’œil, Lesath sembla se décomposer. Il annonça bien vite qu'une crise s'emparait de son être, que son breuvage habituel ne serait guère suffisant pour l'endiguer. Soucieuse de son état de santé, la Sainte s'exécuta quand il lui demanda de lui apporter quelque chose. En découvrant le contenu de cette boîte, Nimuë n'aurait même pas eu besoin des explications du Scorpion. La très forte odeur de cette pâte suffisait amplement pour que ses sens aiguisés lui fassent comprendre ce qu'elle était sur le point de lui donner. Circonspecte, la Sainte d'Or des Poissons en détacha un tout petit morceau qu'elle goûta du bout des lèvres. La saveur était affreuse, mais ne lui arracha même pas une petite moue de dégoût, comme si, elle avait l'habitude de ce genre de mixture. Elle le rejoignit rapidement, s'agenouilla à ses côtés et l'aida à avaler le tout.

Son regard tantôt inquiet, se fit plus bienveillant et analytique. Elle se refusa de le quitter ainsi, quand bien même il devait avoir l'habitude. Satine devait déjà dormir de toute façon. En plus, elle s'était mit en tête qu'elle pouvait l'aider.

- Je vais pas te laisser comme ça Lesath, allez, accroches-toi à moi.

La Sainte l'entraîna avec douceur dans les méandres obscurs du Temple où presque chaque pan de mur se voyait habillé d'un plan d'opium. La Rose du Sanctuaire trouva sans mal la chambre du Scorpion, l'ayant vu en sortir le matin même tout débraillé, l’œil fatigué.

- Tu seras mieux là que par terre, tu ne crois pas ?

Ce fut à cet instant qu'elle se rendit compte qu'elle avait oublié de remettre son masque en place devant son visage. Tant pis, quelle importance ?

- Laisse moi regarder ça.

Avec précaution, l'irlandaise déboutonna le haut de son compagnon Saint dévoilant de larges cicatrices, un grand tatouage recouvrant l'ensemble de son torse. Trop longtemps sans doute, son œil étudia ses entrelacs de symboles qu'elle ne connaissait pas. Peut-être issus de sa contrée natale ? Elle ne laissa pas son esprit vagabonder davantage devant ces motifs cachant habilement les nombreuses marques indélébiles laissées par … et bien, cela non plus elle ne voulait pas le savoir, pas maintenant. La jeune rousse était plus ou moins au fait des effets de la drogue sur l'organisme, mais ne s'en formaliserait pas. Elle ne savait pas si son métabolisme allait gérer rapidement cette crise, aussi se risqua t-elle à l'y aider. N'avait-il pas parlé de quelques heures ?

- Essaye de te détendre, ferme les yeux Lesath, je vais essayer quelque chose.

Ses mains effleurèrent la peau de l'ibère, ce simple effleurement suffit à injecter en son sein, une once de son cosmos. Loin d'avoir les mêmes propriétés que d'ordinaire, la Sainte des Poissons avait apprit à l'utiliser dans l'art délicat de soigner. C'était utile quand on avait un sang empoisonné et qu'il fallait refermer une plaie presque instantanément. Or la rouquine ne pouvait pas se le permettre trop souvent, cette technique la fatiguait beaucoup. Voià pourquoi elle n'en avait utilisé qu'une infime quantité, dans l'espoir que ce serait suffisant. Auquel cas ...

- Lesath ?

- Non, je suis condamnée. Déclara t-elle d'une voix blanche en retirant ses mains de son torse. Elle ne voulait pas qu'il soit gêné. - Je préférais ne pas en avoir.

Nimuë soutenait son regard sans ciller, notant d'un coup d’œil analytique qu'il y avait comme un léger mieux. Mais il n'était pas à l'abri d'une rechute. Ce n'était pas si rare. Comme le fait qu'il se livre au dangereux jeu de la vérité. La drogue parlait à travers sa bouche et la Sainte ne lui en tiendrait pas rigueur. Ces divagations cesseraient et avec de la chance, il n'en aurait aucun souvenir. Ce qu'elle craignait plus, c'était le fait qu'il lui avoue des choses qu'il voudrait tenir secrètes. Le sceau de la retenue n'existait plus. Elle se redressa pour aller chercher un peu de cette tisane qu'il devait avoir préparer en avance, par habitude, contraint de se plier à cette règle imposée et immuable. Comme les liens écarlates, l'épanouissement d'une nouvelle rose empoisonnée.

Elle était mise en évidence, Lesath obéissait à une routine et il y avait certaines habitudes qu'il avait dû adopter, comme elle. Ces similitudes entre eux se révélaient avec d'autant plus de force maintenant que la jeune femme les avaient sous les yeux. Ô oui, il y avait de la tristesse dans son regard pers. Une mélancolie qui dévorait son cœur et son esprit. Pour en faire une coquille vide. Souvent elle s'était cachée dans son mutisme, son silence, sa froideur réconfortante. Qui aimait souffrir sciemment ? Il n'y avait qu'un fou pour se laisser happer dans ce piège. Ou un infortuné.

Ils étaient tous les deux des infortunés.

- Plus jeune je t'aurais dis qu'il y avait toujours de l'espoir. Maintenant que j'ai cessé de m'aveugler inutilement et bien … j'ai appris à vivre avec. Je suis un poison. Mais … je ne peux pas m'empêcher de rêver encore. Je sais que c'est stupide, je n'y peux rien.

Avec douceur, la jeune femme aida Lesath à boire un peu ou à s'humecter au moins les lèvres. Brièvement elle posa sa main en travers son front, compara avec la chaleur que dégageait sa joue, pâle. Obéissant à des principes inculqués par son maître. Nimuë resta à ses côtés, assise au bord du lit.

- Je souhaitais seulement apaiser ton corps pendant que ton esprit vagabondait. Elle se tourna à demi vers lui pour le regarder. - Mais si tu préfères que je parte, alors je m'en irais, Lesath.

Au dehors la nuit étirait ses bras obscurs sur la figure blafarde de la lune, occultant tout la lumière. Plongés dans l'obscurité, les deux chevaliers d'Or n'étaient plus que des ombres parmi les ombres. Elle n'avait pas besoin de lumière ou du feu d'une bougie pour pouvoir voir, sentir les choses.

- À quoi rêvait-tu, Lesath ?

Ne put-elle s'empêcher de dire. En se rendant compte de son erreur, la Sainte se mordit la lèvre, se maudissant déjà de s'être montrée si indiscrète. Le silence reprit ses droits en maîtresse incontestée.

Ainsi avait parlé un homme tourmenté par l'opium et sa raison. Des mots justes, des mots lourds d'un sens que Nimuë ne comprenait que trop bien. Il se livrait sans réelle retenue, elle se dit qu'il ne serait pas juste qu'elle n'en fasse pas de même. Alors elle resterait. Alors elle l'écouterait. Alors elle se laisserait tenter à jouer avec lui, à ce jeu de délivrance. Il rêvait, alors tout espoir n'était pas perdu, il y avait encore des raisons à vivre cette vie, aussi misérable fusse t-elle, aussi glorieuse ou vaine aussi. Elle le connaissait si peu, il avait été le premier à lui faire ouvrir les yeux, un tant soi peu. Tout poison avait-il son antidote ?

Ils étaient prit dans un lourd étau divin, implacable, pauvres mortels, armes aveugles sous un étendard ensanglanté. Combien de vie avait-elle pu faucher depuis qu'elle était entrée au service d'Athéna ? Une était déjà celle de trop.

- La première vie que j'ai prise fut celle de mon maître. Tu as raison, les Dieux se moquent de nous.

Sans ajouter quoique ce soit pour l'instant à ce drôle de discours -pourtant elle n'était pas sous les effets du stupéfiant- Nimuë se trouva une petite place sur ce lit qui ne lui appartenait pas, se faisant conquérante d'un territoire déjà pourtant occupé. Elle était ainsi, sans faux semblants, emmurée dans sa tourmente, mais comme lui souffrant de sa solitude.

- Alors je reste. Fit-elle tout simplement en levant les yeux vers le plafond obscur. Il n'a jamais eu de cesse de me tarauder. L'appel de la mer est parfois trop assourdissant pour moi. Mais il m'a abandonné, il a préféré me laisser m'échapper, m'échouer, mourir sur cette île. Peut-être aurait-il dû ne jamais croiser ma route, me laisser me noyer. Je me souviens encore de cette sensation. C'était agréable. Parfois je me demande encore si je n'aurais pas mieux fait de mourir, là-bas. Emportée par l'eau.

Suivant son regard, elle détailla à son tour les quelques animaux qui formaient une sorte de meute sur ce corps malmené, brisé. Ce cortège protégeaient-ils Lesath ? Possédaient-ils quelque chose de magique, de spirituel ou bien, était-ce autre chose ? Bien sûr qu'elle était troublée par ses mots, d'autant quand Satine en était la cause. Si elle lui avait fait des révélations, la jeune femme se refusait à savoir. Elle voulait que le futur lui soit inconnu. Elle ne voulait pas le connaître en avance, elle voulait qu'elle ait le choix. Même si, quelque part, elle savait déjà qu'une ombre, grand malheur penché sur elle, attendait son heure pour la frapper. Tant pis.

- Pourquoi est-ce étonnant, Lesath ? Tu penses que personne ne peut t'aimer ? T'apprécier ? Ou tu ne le veux pas ? Elle marqua une courte pause, laissant un soupir s'échapper de ses lippes. Lorsque tu … tu sais, la première fois que l'on s'est parlé, j'étais blessée, tu étais là dans ton temple. Tu as fais … ah ! Ah ! Une chose que je n'aurais jamais cru possible. Ce jour-là tu m'as ouvert les yeux. Sur … moi, sur ma nature. Mais pourquoi as-tu prit le risque de te faire souffrir plus encore ?

Elle le regardait avec intensité. Non, elle ne comprenait pas ce geste. Cette volonté de braver … un interdit, un danger ?

- Pourtant je reste un danger pour tout le monde. Une faucheuse de vie. Un jour je devrais céder ma place dans mon champ de roses. Et cette personne que j'aurais choisi devra à son tour me tuer. Ah … Je suis à peine humaine. Moi aussi je divague. ça fait du bien.

- Te voici philosophe maintenant, Lesath. Se moqua t-elle gentiment alors que la véracité de ces propos faisait échos en elle. C'est pour ça qu'ils nous ont créé.

Son sourire s'effaça aussi vite qu'il était apparut. Oui, il était parvenu à ce miracle, à la troubler, plus que de raison, plus qu'elle n'osait se l'avouer. Mais il continuait de la mettre en face de son évidence. Ce choix cornélien qu'elle devrait faire un jour. Prochain ou dans des siècles. Ça ne changerait rien au final. Elle irait se perdre, seule, avisant du noir au devant d'elle, dans un royaume sous-marin qui aurait dû être sien depuis le début. Les O'Bannon, et cela elle l'ignorait aussi, étaient ou seraient, une famille puissante au sein de l'Atlantide. Brièvement, l'expression jusqu'ici neutre de son faciès se décomposa. Elle ne s'était pas arrêtée à l'allusion de la Sorcière Originelle et sa future et probable emprise sur elle, la porteuse de la Stella Rubius. Non, son esprit c'était focalisé sur un fait bien plus … humain.

- Je ne pourrais jamais avoir d'enfant.

Sa voix aurait dû être atone, mais le tressaillement qu'elle n'avait pu contrôler avait dû la trahir. Être mère, ce bonheur aussi, on le lui avait arraché. Le poison tuait tout. Elle le lui fit savoir sans détour.

- Mon poison n'accepterait pas qu'une vie puisse grandir en moi.

Elle continua de l'écouter, plus effacée à présent. Une anomalie, que voulait-il dire par là ? Nimuë ne voulait pas le lui demander. Non, au lieu de quoi elle préféra l'entendre rire, un chant bien plus doux à ses oreilles. Il rêvait et maintenant il riait. Peut-être n'était-elle pas aussi inutile qu'elle le pensait, après tout. Il lui donna son avis sur l'amour, lui expliqua les raisons de son geste, sans détour. Lesath du Scorpion avait voulu la tester, la brusquer, éveiller quelque chose en elle. Il y parvenait bien plus en cet instant-ci ... si la rousse voulait être tout à fait honnête avec elle.

- Merci, pour ça. Glissa t-elle en le regardant à son tour, plongeant son regard dans l’abîme, infinie, du sien. D'une rare noirceur, insondable. Mais où elle entrevoyait toute l'étendue de sa douleur. Moi non plus je n'ai jamais connu ça. Enfin, si, une fois. Une seule fois. Et il est mort. Il s'est fané, il m'a demandé de l'exécuter. Je l'ai détesté, et je le hais encore. C'était un monstre. J'étais sa captive.

Sa gorge se serrait de douleur. Sa voix tremblait à présent. Totalement.

- Tu viens de le dire toi-même. Tu es comme moi. Et je te considère comme mon égal, un reflet de moi-même.

Elle ajouta un petit trait d'humour, pour se donner bonne conscience. Se redonner un peu de sa splendeur flamboyante.

- Avec plus de barbe, bien sûr.

Encore sur le dos à contempler les entrelacs obscurs du plafond, la jeune femme se tourna sur le côté, envahissant davantage l'espace du Scorpion. Un petit sourire mutin aux lèvres.

- Heureusement que personne ne nous entends. Que penseraient les autres dorés de notre … petit échange. Elle ferma un instant les yeux. Un peu lasse. Lesath ?

Plus un bruit, tout juste celui de leurs souffles.

- Lesath, tu auras oublié tout ce que j'ai pu te dire, pas vrai ? Je préférais que tu ne conserve pas cette image de moi. D'habitude, je ne suis pas si bavarde j'avoue … oui j'avoue que je me sers un peu de ton état pour … parler. Excuse-moi.